T.O : SHE DREAMS IN VEDAS (1)

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16 aoĂ»t 2012. Berlin Nord. 23h. « Euh, tu suces ? » « Si je suces ? Ah ouais, t’es plutĂŽt cash quand tu t’y mets ! » « Ahahaha ! Je voulais dire : le thĂ©. Tu sucres ? » L’interview avec ThĂ©ophile Aries alias Teo Peaks alias T.O. commence comme je les aime : avec une bonne petite blague pseudo candide glissĂ©e telle une peau de banane histoire de se mettre en jambe, et de poser le cadre : « PĂ©chons, mon ami, pĂ©chons, Ă  la mode lynchienne de chez toi et que nous partageons. »

« Les idĂ©es sont comme des poissons. Si tu veux attraper du petit poisson, tu peux rester en surface. Mais si tu veux attraper du gros, tu dois aller plus profond », viens-je de le lire dans Catching the Big Fish – meditation, consciousness and creativity, l’ouvrage que le rĂ©alisateur de Twin Peaks a sorti en dĂ©cembre 2006 et que ce grand « Lynch Maniac » de Teo a bien Ă©videmment achetĂ© et laissĂ©, pour mon plus grand plaisir, comme lecture premium dans ses toilettes berlinoises.

(Je vous Ă©pargne ici l’utilitĂ© de ma prĂ©cision quant au caractĂšre germanique de cette cuvette de W.C. et l’Ă©ventuel rapport que cela pourrait avoir avec la thĂ©matique toute sub aquatique qui nous occupe mais par contre, pour votre gouverne, sachez que par « aller plus profond » David Lynch veut dire expĂ©rimenter un Ă©tat de conscience Ă©largi par la mĂ©ditation transcendantale qu’il pratique depuis 1973, quand il en chiait Ă  achever son premier film, Eraserhead, et son premier mariage.)

Je suis donc chez Teo Ă  Berlin. C’est ma premiĂšre fois ici, en Allemagne. Il m’hĂ©berge. Holidays. Et je le connais peu voire pas Teo. Je l’ai rencontrĂ© il y doit y avoir trois ans via une amie en commun, Johanna. Je sais qu’il a dĂ©jĂ  eu un groupe avec son frĂšre jumeau AurĂ©lien, un groupe qui s’appelle Underwires et a sorti quelques albums Ă©lectro pop, qu’il bosse dans une librairie, qu’il traduit en français des livres, notamment de Burroughs. Qu’il vient de monter un groupe avec Johanna.

Johanna est mĂ©lomane mais elle a jamais fait ça, chanter, Ă©crire. Et elle ne joue d’aucun instrument. Alors monter un groupe, d’un coup, comme ça, Ă  plus de 30 piges, ça m’intrigue. Elle a appelĂ© ça She Dreams in Vedas et je me rĂ©jouis de cette occasion du « groupe » entre nous, de ce « je » de l’interview pour enfin faire connaissance avec Teo et en savoir plus sur cette aventure pop qui commence juste (sugar Ă  toi !) Ă  prendre vie et leur Ă©chapper. « Un petit sucre, merci ! »

« Johanna, c’est Nico avec plus d’Ă©motion »

 

Johanna, Teo et Patrick sous le métro parisien

Johanna, Teo et Patrick sous le métro parisien

 

Alors TĂ©o, dis-moi, de quand date l’aventure She Dreams in Vedas ?

De dĂ©cembre 2011, je dirai. Johanna et moi, on s’était rĂ©uni ici mĂȘme, chez moi, il y a un an. Elle Ă©tait venue 10 jours. Elle avait les paroles et on a fait les morceaux quoi.

Ok. Moi ce qui m’a Ă©tonnĂ© c’est que d’un coup, Ă  prĂšs de 30 piges, elle ait envie de devenir pop star. Parce qu’elle formule les choses comme ça Johanna : « J’ai envie de devenir une pop star ! » Elle t’en avait dĂ©jĂ  parlĂ© de ça, comme ça ?

Oui, oui, ça faisait dĂ©jĂ  un moment qu’elle m’avait dit qu’elle voulait chanter sur scĂšne. Faut savoir que Johanna, quand je l’ai rencontrĂ©e


Ah oui, tiens, c’est ce que j’allais te demander : raconte-moi comment tu l’as rencontrĂ©e. C’est important ça, c’est pas anodin la maniĂšre dont les gens rencontrent Johanna ou dont Johanna se lance Ă  leur rencontre.

Oui, c’est rarement simple (rires) ! Je l’ai rencontrĂ©e parce que c’est une amie d’un pote Ă  moi qui habite en Chine. Elle l’avait rencontrĂ© dans un bar. Il Ă©tait Ă  la table d’à cĂŽtĂ© et ils ont commencĂ© Ă  discuter. Et ce qui s’est passĂ© c’est qu’un jour, c’Ă©tait encore en dĂ©cembre, en dĂ©cembre 2009, un an avant notre premiĂšre rencontre de travail si j’ose dire, j’Ă©tais Ă  Paris, je devais rentrer Ă  Berlin mais mon vol Ă©tait annulĂ© parce qu’il y avait trop de neige. Je devais donc retourner loger Ă  Paris chez une amie en attendant, mais finalement cette amie n’a pas pu me recevoir. Fabien, mon ami qui habite en Chine Ă©tait alors en vacances chez Johanna depuis une semaine. Du coup, avec son accord, il m’a proposĂ© de venir chez elle. C’est comme ça que je l’ai rencontrĂ©e.

Ah, ça ne m’Ă©tonne pas, je me suis rendu compte qu’elle hĂ©bergeait souvent des amis !

Ah oui, chez elle c’est l’auberge espagnole !

Ce soir-là, vous aviez déjà parlé musique  ?

Elle savait que j’avais un groupe  mais on n’en n’a pas beaucoup parlĂ©, non. Par contre, on s’est bien entendu tout de suite. On s’est vraiment bien marrĂ©, ouais. On s’est revu Ă  Paris l’Ă©tĂ© suivant, je l’ai revu avec une amie, elle a obtenu son diplĂŽme (Master d’anthropologie, Master de français langue Ă©trangĂšre – nda), elle s’est mise Ă  enseigner et elle m’a tout de suite dit : « Moi, ce que je voudrais c’est ĂȘtre sur scĂšne, ĂȘtre une rock star ! » Des choses comme ça, ouais.

Et tu lui as dit quoi ?

Bah j’ai dit oui.

Ok (rires) !

Mais Ă  ce moment-lĂ  elle ne m’avait pas demandĂ© de faire quelque chose avec elle. Peut-ĂȘtre parce qu’Ă  l’Ă©poque j’Ă©tais pris par Underwires, le groupe que j’avais avec mon frĂšre. Mais ce projet vivait ces derniers jours.

Quand était-il né ?

En 1999. On a sorti 4 albums.

En autoprod ?

Nan, le troisiĂšme a Ă©tĂ© co-produit (In Your Room, sorti en 2006, et saluĂ© Ă  l’Ă©poque par Magic! et Les Inrocks – nda). J’ai un exemplaire du quatriĂšme si tu veux (Take It Slow – nda). On l’a enregistrĂ© en septembre 2010. Il est sorti en juin 2011.

Et celui est de nouveau sorti en autoproduction ?

Oui, pour le prĂ©cĂ©dent on Ă©tait sous contrat avec Believe Digital. Ils l’avaient mis sur iTunes. On a juste pressĂ© 500 CD.

Il a eu son petit succÚs ?

Non, pas vraiment. Je veux dire, on n’a pas fait de promo quoi. Comme Ă  chaque fois quoi, une fois qu’on fini un disque on pense direct au suivant et voilĂ . DĂ©solĂ© (rires) ! Il ne s’est rien passĂ© et moi c’est justement Ă  cause de ça que je n’ai pas cherchĂ© Ă  financer le dernier album, ça sert Ă  rien. Je n’ai pas eu tort : il est tout aussi bien et il n’a pas fait moins de bruit autour de lui ! Quoi qu’il en soit, aprĂšs ça j’avais envie d’autre chose. Et c’est lĂ , Ă  l’Ă©tĂ© 2010, que Johanna m’a proposĂ© de monter un groupe.

Comment t’a-t-elle prĂ©sentĂ© les choses ?

Je me souviens que j’étais chez elle au mois de juillet et elle m’a montrĂ© ses textes. Et je lui ai dit que moi je ferais la musique.

Ils Ă©taient prĂȘts Ă  ĂȘtre mis en musique ?

Fallait modifier quelques phrases pour que ça colle mĂ©lodiquement mais dans l’ensemble ils Ă©taient bien, ouais. A mon retour d’Inde en dĂ©cembre 2010, elle Ă©tait donc lĂ  Ă  Berlin et durant ces 10 jours on a fait en gros un ou deux morceaux par jour et je les ai enregistrĂ©s.

Comment met-on un texte en musique, un texte qui n’est pas chantĂ©, qui repose juste comme ça sur une feuille ? Comment en fait-on concrĂštement une chanson ?

HĂ© bien par exemple sur « Draft Blues » elle voulait quelque chose de doux. J’ai donc cherchĂ© une suite d’accord Ă  la guitare et quand j’en ai trouvĂ© une qui me plaisait, je me suis dis que maintenant il fallait trouver la mĂ©lodie. Comment tu fais ? Bah lĂ  encore t’essayes, tu tĂątonnes. Et Ă  un moment je me suis dit que j’avais trouvĂ© une bonne mĂ©lodie, que celle-lĂ  on allait la garder et comme j’avais une structure mĂ©lodique en couplets-refrains je lui ai donc dit demander de rĂ©crire un peu son texte, genre rajouter un couplet en plus quand il Ă©tait trop court, des trucs comme ça, elle le chantait, on a dĂ» le rĂ©pĂ©ter le morceau 10 Ă  20 fois et aprĂšs je l’enregistrais, pas forcĂ©ment le mĂȘme jour, parfois le lendemain par exemple. Je crois qu’on a fait 8 morceaux comme ça, elle est partie et je lui ai tout mailĂ© pour qu’elle les rĂ©pĂšte. C’est lĂ  qu’elle a cherchĂ© un nom de groupe.

Il n’y en avait pas du tout Ă  l’Ă©poque ?

Nan.

Pas de nom de groupe. Pas de mĂ©lodie, de vraie direction musique. Juste des textes. Ce n’était pas dĂ©boussolant comme projet pour toi ? Tu ne devais pas trop savoir oĂč tu mettais les pieds !

En effet, je ne savais pas trop quel genre de musique elle voulait. Je sais qu’elle aimait Underwires, qu’elle n’Ă©tait pas contre quelque chose d’un peu Ă©lectro comme ça, mais je lui ai dit que pour commencer on allait composer Ă  la guitare et au piano et que pour les arrangements Ă©ventuellement Ă©lectro ou autres on verra ça plus tard, une fois en studio. Finalement, il y a des trucs qui sonnent un peu Ă©lectro mais ça pourrait l’ĂȘtre encore plus si un jour on va les enregistrer avec un ingĂ©nieur du son qui s’y connait. Mais honnĂȘtement moi j’aime bien qu’il n’y ait presque que de la guitare et du piano


Johanna chez Teo Ă  Berlin

Johanna chez Teo Ă  Berlin

T’en avais marre de l’électro  ?

Ouais, un peu. Et elle adore les morceaux au piano. C’est ceux qu’elle prĂ©fĂšre.

Comme « Love Rises » ?

Ouais, c’est son prĂ©fĂ©rĂ©.

C’est vrai qu’il a un truc tout frĂȘle qui est touchant.

Oui, elle le sent bien. Sa voix va. Au dĂ©but je devais lui dire : « Chante-le comme ci ou comme ça » mais elle a vite pris le pli. AprĂšs, quand elle est rentrĂ©e Ă  Paris, on communiquait par mail et je lui parlais pas mal des textes vĂ©diques…

C’est quoi ?

C’est une vieille philosophie indienne. Et un jour, ça lui a soufflĂ© le nom du groupe : She Dreams in Vedas.

Ah d’ac. Mais c’est quoi prĂ©cisĂ©ment des Vedas  ?

C’est des vers. C’est comme une poĂ©sie en fait. Ça parle de la vie, des choses comme ça. Et je crois qu’elle a eu cette idĂ©e dans un flash, comme un rĂȘve Ă©veillé : She Dreams in Vedas. Et j’ai trouvĂ© ça bien. J’ai mĂȘme trouvĂ© ça mieux que bien car on avait commencĂ© Ă  composer Ă  mon retour d’Inde et qu’elle a toujours rĂȘvĂ© d’aller lĂ -bas, et elle veut toujours y aller.

Donc quelque part, tu as mis beaucoup de toi dans ce projet sans t’en rendre compte ?

 

Oui et un truc bizarre, c’est que le morceau « Draft Blues », je l’ai rĂ©enregistrĂ© au mois de fĂ©vrier et j’avais fait des accords Ă  la guitare et je me suis dit :  « Ça serait bien de faire un riff ». Au dĂ©part j’ai fait un riff genre « Toum toum toum toum » et aprĂšs, en cherchant d’autres notes j’ai finalement atterri sur un riff qui ressemble a du cithare. Je me suis dit : « C’est incroyable, on dirait vraiment de la musique indienne ! » Je lui ai envoyĂ© cette version, j’ai rien dit, et elle m’a dit : « T’as jouĂ© avec une guitare indienne ? » Du coup c’est mon morceau prĂ©fĂ©rĂ©. Et Arno (Arno Bisselbach alias ArnoBiss – nda) voudrait faire le clip.

A propos de clip et d’Arno, qui est rĂ©gisseur et rĂ©alisateur amateur, j’ai le sentiment que toi et Johanna partagez un vrai amour du cinĂ©ma, qui dĂ©passe peut-ĂȘtre mĂȘme celui que vous avez pour la pop. Je me trompe ?

Non, on aime les deux. Johanna est d’ailleurs plus au courant des groupes du moment que moi. Elle lit plus les magazines que moi. Mais on parle beaucoup de cinĂ©ma, oui. Elle m’envoie tous les jours des mails oĂč elle me parle des films qu’elle a vus avec Arno.

Quelle est d’ailleurs la place d’Arno dans le projet ? 

Je dirais qu’il s’occupe surtout de tout ce qui touche aux visuels. Par exemple il est en train de faire un film d’animation pour « Draft Blues ». Il m’a montrĂ© oĂč il en est, je sais pas comment il a fait ça, mais c’est dĂ©jĂ  vachement bien et colle super bien avec le morceau. Tu vois un p’tit crayon qui commence Ă  se balader sur une feuille et qui se met Ă  dessiner des personnages qui s’animent. Donc voilĂ , je pense qu’il va faire les clips. Mais il a aussi quelques idĂ©es d’arrangements, par exemple dans les basses, des trucs comme ça.

Oui, parce qu’Arno est assez branchĂ© musique. Il en Ă©coute beaucoup, il est mĂȘme trĂšs Ă©rudit en la matiĂšre, avec des avis trĂšs tranchĂ©s, des goĂ»ts trĂšs prĂ©cis. Il va donc sans doute vouloir mettre son grain de sel de-ci de-lĂ .

Ouais, et il a apportĂ© de bonnes parties, je pense qu’on va en garder. Chacun apporte sa touche. Par exemple, Patrick (Patrick Dahn alias Grinning – nda), le guitariste, a crĂ©e des ponts sur « Draft Blues » et un autre morceau je crois pour les rallonger et avoir des changements d’accords. Ça c’est quelque chose que je fais jamais parce que j’aime pas les ponts. Enfin c’est pas que j’aime pas les ponts mais j’aime pas les composer.

Tu coupes les ponts !

VoilĂ  (rires) ! C’est dĂ©jĂ  assez dur de trouver les accords pour les couplets et le refrain alors si aprĂšs il faut aussi en trouver pour le pont, en plus un pont qui ne sert pas Ă  grand chose… !

Tu trouves qu’un pont ça ne sert pas Ă  grand chose dans un morceau ?

Bah ouais, je trouve que c’est pas extrĂȘmement utile un pont, c’est juste pour Ă©viter les rĂ©pĂ©titions


Tu trouves pas qu’il y a des morceaux avec des supers ponts de oufs ?

Pfff, ouais, si, je trouve que Placebo font des ponts souvent bien pĂ©chus et logiques avec le reste. AprĂšs y’a des gens qui les merdent complĂštement. Par exemple, je trouve que Bowie sur certains albums il a fait des ponts totalement nuls, genre qui n’ont rien Ă  voir avec le reste du morceau.

Ah ouais ?

Ouais, c’est pour ça que je trouve pas ça trĂšs utile la plupart du temps. Ou alors trĂšs branlant. Faut choper la bonne note quoi. Donc ça dĂ©pend, mais disons que moi j’aime bien les morceaux courts.

Ça se voit dans ton projet avec Johanna, les morceaux sont de factures trùs pop.

TrĂšs pop, oui. Et puis j’ai pas envie qu’il y ait des longs passages musicaux parce que je pense que le point central c’est Johanna, donc je pense que c’est important de rester dans le couplet et refrain. Je veux pas du Smashing Pumpkins avec 5 minutes de guitare, tu vois ? Avec Underwires, pareil, j’en faisais jamais. Patrick, le guitariste, fait des ponts lui donc voilĂ , je suis content, ça m’Ă©vite encore plus d’avoir en faire !

Ok. Tout Ă  l’heure tu parlais du dĂ©sir de Johanna d’ĂȘtre une rock star, dĂ©sir qui est Ă  l’origine du projet She Dreams in Vedas. T’es-tu dit que ce son enthousiasme Ă  monter groupe allait te permettre d’exprimer des choses que, musicalement, tu n’as pas exprimĂ©es jusqu’ici ?

Ouais, en faisant des chansons simples. Enfin des choses que je trouve bien mais simples. Pas prise de tĂȘte quoi. Parce qu’avec Underwires y’avait un cotĂ© plus expĂ©rimental. Tout Ă  l’heure toi et moi on parlait de Björk, de ce moment oĂč, aprĂšs Vespertine, elle a perdu la mĂ©lodie en basculant dans l’expĂ©rimental. VoilĂ , j’ai envie de retourner Ă  un truc oĂč on sente vraiment la mĂ©lodie, quelque chose de pop.

Johanna et Teo Ă  Berlin

Johanna et Teo Ă  Berlin

Et tu tiens à ce que soit en anglais ou tu te verrais bien composer sur des textes en français ?

Bah moi j’aimerais bien que Johanna chante un peu en français, ouais, mais elle m’a dit qu’elle allait y rĂ©flĂ©chir. Mais peu importe Ă  la limite. Moi, j’aime bien Ă©crire des petites chansons pop sympas, je trouve pas ça difficile, ce que je trouve difficile c’est la technique, c’est de rajouter ensuite une batterie avec l’ordinateur. Rajouter la basse, ça va, mais rajouter la rythmique, les arrangements, tout ça, c’est la partie que j’aime le moins. Mais composer un morceau j’aime bien, et je trouve que ça va assez vite, tu vois ? C’est le truc Ă  Lou Reed quoi, c’est-Ă -dire qu’avec une suite de quatre accords tu peux faire six morceaux. Lou Reed fait ça tellement bien que tu t’en rends pas compte. Tu te rends pas compte que les deux accords de « Walk on the Wild Side », qui sont Do et Sol, il les a repris dans « Sunday Morning » par exemple…

J’ai entendu dire que cette compo serait plutĂŽt de John Cale…

Ah ouais ? Je savais pas. Je suis pas fan du Velvet dissonnant de John Cale, je suis plus sur le Velvet de Lou Reed. Je suis plus Lou Reed. Enfin le Lou Reed de cette pĂ©riode car aprĂšs en solo il a quand mĂȘme fait un bon paquet de trucs Ă  jeter ! Et Lou Reed c’est les mĂȘmes accords et il a 30 morceaux avec ces mĂȘmes accords. Il te fera jamais un accord compliquĂ©, il te fera jamais, ou rarement, un Si bĂ©mol ou un truc comme ça. C’est toujours Do, Sol, Mi, mais voilĂ  avec il fait des trucs fabuleux. Genre Berlin ! Je pense que c’est son meilleur. Il est impressionnant. Je l’aie vu la tournĂ©e Berlin, c’Ă©tait Ă  Berlin. Superbe. Et voilĂ , « Caroline Says (II) », c’est pareil : des accords qu’il a dĂ©jĂ  utilisĂ©s dix fois mais il change tellement la mĂ©lodie et tout que tu t’en rends pas compte.

Ça me rappelle ce que me disait rĂ©cemment mon ami Pierre du groupe Sonic Satellite, comme quoi il adore le deuxiĂšme album des Jesus and Mary Chain, Darklands, parce que ça travaille sur les 2-3 mĂȘmes accords tout du long et il aime ce dĂ©fi de devoir se rĂ©inventer Ă  chaque fois avec si peu, ce petit combat teigneux.

Je comprends, moi aussi j’aime bien ça. C’est infini aprĂšs. Johanna a d’autres textes lĂ , elle m’a dit qu’elle allait venir en dĂ©cembre. Et je lui ai dit qu’on allait essayer de refaire huit morceaux sur ces mĂȘmes accords lĂ . Et c’est possible parce qu’on peut toujours les jouer diffĂ©remment, les accĂ©lĂ©rer ou les ralentir ou les jouer en arpĂšge, etc., etc. Bref on va pas faire « Bohemian Rhapsody » quoi ! On fera peut-ĂȘtre quelque chose de plus pop rock ou Ă©lectro pop si elle en a envie mais on restera dans une base pop…

Back to basics !

Oui, retour aux fondamentaux. Tu vois, par exemple un ami est passĂ© me voir en janvier, peu aprĂšs qu’on ait fini de composer ces 8 premiers morceaux. Je lui ai dit que j’allais lui en faire Ă©couter 2-3. HonnĂȘtement, comme en plus il est musicien classique, j’Ă©tais pas du tout certain que ça lui plaise. Je me souviens d’ailleurs qu’il avait Ă©tĂ© parfois vachement dur avec ce que je lui avait fait Ă©couter d’Underwires. Et en fait lĂ , il m’a dit que ça faisait du bien d’entendre des trucs un peu simples et purs comme ça. J’ai d’autres potes qui ont eu ce genre de rĂ©actions, qui trouvaient ça super beau. J’Ă©tais vachement surpris. Parce que moi je prenais pas totalement ça au sĂ©rieux. Et plus on me disait des trucs comme ça, plus j’ai rĂ©Ă©coutĂ© le Velvet. Et je me suis dit : « VoilĂ , c’est ça la direction en fait ».

Tu penses que la pop d’aujourd’hui a perdu de vue cette simplicitĂ© et cette Ă©motion directe ?

Ouais, un peu. Je trouve qu’on est allĂ© un peu trop loin. Enfin c’est con de dire ça mais je trouve que c’est un peu pareil en cinĂ©ma. Par exemple, Kubric utilisait toujours des morceaux de musique dĂ©jĂ  existants, de la musique classique, des choses qui avaient fait leurs preuves. Il disait qu’aujourd’hui on est un peu dĂ©passĂ©… Enfin moi j’ai du mal Ă  ĂȘtre hyper intĂ©ressĂ© par ce qui se fait actuellement…

T’Ă©coutes quoi en ce moment ?

J’Ă©coute pas de pop en fait. J’Ă©coute beaucoup de Nina Simone, des trucs comme ça. Mais pour moi c’Ă©tait important de jouer avec des vrais instruments. C’est le plus important. J’ai pas envie de faire un album sur ordinateur. Des groupes comme Plaid, je trouve ça superbe, et je les Ă©coute souvent, mais je pourrais pas faire ça. C’est comme Daft Punk, mĂȘme si je les Ă©coute dĂ©jĂ  moins. Tout ça, c’est pas la musique que j’ai envie de faire. AprĂšs je sais pas, je sais pas si c’est correct ce que je dis quand je dis qu’on est allĂ© trop loin…

Trop loin dans les machines ? Trop loin d’un truc lo-fi ?

Un truc Goofy (rires) ?!

Non, « low-fidelity », spontané, tu vois ?

Ah oui, en fait mon problĂšme avec Underwires parce qu’en gros en concert on jouait avec des ordis : mon frĂšre avait un ordi et moi je jouais au clavier et j’en avais marre. J’avais plutĂŽt envie d’avoir un piano ou une guitare et d’ĂȘtre accompagnĂ© par une chanteuse ou un chanteur et mĂȘme une batterie, tu vois, revenir Ă  quelque chose de simple. Quelque chose d’un peu français en un sens, d’un peu Françoise Hardy Ă  une certaine Ă©poque, des trucs nus comme dans la vie, un peu naĂŻfs. Mais je voulais pas faire des trucs exprĂšs pour que ça marche. Je voulais pas me mettre Ă  Ă©couter la radio pour voir ce qui passe


Genre Lady Gaga !

Ouais, surtout que, honnĂȘtement, c’est pas dur de faire des morceaux comme ça. Y’a les arrangements et tout ça, mais Ă  la base c’est pas difficile. T’écoutes la radio et en gros tu refais un peu la mĂȘme chose avec des voix vocodĂ©es. Je voulais pas faire du Lady Gaga quoi ! Je voulais plus faire du Velvet. Simple et Ă©mouvant. Et Johanna, je trouve qu’elle a ça dans la voix : l’Ă©motion. C’est Nico avec plus d’émotion. Enfin Nico est Ă©mouvante, mais elle a ce cĂŽtĂ© germanique trĂšs dur, distanciĂ©, froid. Il y a quand mĂȘme plus d’humanitĂ© chez Johanna ! Et voilĂ , moi je voulais quand mĂȘme faire quelque-chose que j’aime jouer et Ă©couter. C’est pour ça que dans les arrangements des morceaux j’ai rajoutĂ© des petits sons un peu bizarres. Parce que j’aime aussi ça, le cĂŽtĂ© un peu Nine Inch Nails. J’adore les B.O qu’il fait. En ce moment je n’arrĂȘte pas d’Ă©couter celles de Millenium et de The Social Network. Et puis celles de Lost Highway bien sĂ»r, Ă  laquelle je reviens rĂ©guliĂšrement. Parce qu’il a Ă©videmment collaborĂ© avec Lynch… Je trouve que Trent Reznor n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ne chante pas. Donc voilĂ , il y a toujours une espĂšce de « Brrrr… » dans les morceaux que j’ai faits pour She Dreams, mĂȘme dans « Draft Blues ». Johanna ne l’avait pas entendu au dĂ©but et un jour j’ai remontĂ© ce son et elle m’a dit : « Oh, c’est vachement bien ! » Donc c’est pop mais avec un cĂŽtĂ© grave.

Johanna, Teo et Patrick sous le métro parisien

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(SUITE)

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Toutes les photos sont d’Arno Bisselbach.

Merci Ă  Sabrina AĂŻssaoui, Anna Dreyfack, Isabelle Erly et Arno Bisselbach pour leur aide dans la transcription de cette longue Berlin Conversation !