INTERPOL (1) “INTERPOL”
20 septembre 2010. 15h30. HĂŽtel Bel Ami, 6e arrondissement de Paris. Paul Banks et Sam Fogarino sâinstallent pour parler d’Interpol, leur 4e album. Focus sur Paul. Il nâa pas lâair dâĂȘtre le roi de la gaudriole, un peu timide et fauve dans sa tour dâivoire, mais Ă cĂŽtĂ© de Daniel Kessler et de son aura de porcelaine, il pourrai passer pour le joyeux drille de la bande. Ăa tient Ă son visage de post ado et sa tenue street wear chic, moins prĂ©cieuse. (MĂȘme Sam est en smoking, genre parrain, rital et gominĂ©.) D’une seconde Ă l’autre on s’attendrait presque Ă ce qu’il fasse une blague, un 3-6 flip. Son regard de morne plaine contraste avec ses fringues. Genre “La chair est triste, hĂ©las ! et jâai lu tous les livres”. “Je porte un flingue, je suis cool mais je pourrais m’en servir”. Sa carrure n’est pas si massive que sa voix me l’avait laissĂ© croire, mais il est plus lĂ que son guitariste en chef. Oui, il a moins l’air ailleurs que lĂ (s) et inpĂ©nĂ©trable. Sexy boy. (LE OFF.)
« les trésors de ce disque sont plus profondément enfouis »
Bonjour Paul, bonjour Sam. Alors, comment sâest passĂ© votre concert en ouverture de U2 au Stade de France avant hier soir ?
PÂ : Fun.
Juste fun ?!
P : Je veux dire, câĂ©tait un vrai trip. Câest tellement dingue dâĂȘtre sur ce genre de scĂšne⊠Au-dessus de 20 000 personnes, que ce soit en festival ou en premiĂšre partie de U2 ça dĂ©passe lâentendement, câen est presque obscĂšneâŠ
SÂ : Absurde.
Comment peut-on bien jouer lorsquâon trouve la situation absurde et obscĂšne ?
P : ça nâengage que moi mais pour moi la situation est tellement folle quâelle ne mâintimide mĂȘme plus. Il y a tellement de gens que câest comme sâil nây en avait plus ! Et lâexpĂ©rience est dâautant plus Ă©trange que parmi ces 80 000 personnes la plupart ne nous connaissent pas. Ce sont des fans dâU2. Mais ça me stimule, câest un super challenge. Devant cette foule tu te sens capable dâaccomplir de grandes choses comme si tu Ă©tais au cĆur dâun ColisĂ©e ou dâun théùtre antique. Pour moi il y a quelque chose de vraiment fou lĂ -dedans. Quelque chose de fou qui me plait beaucoup.
Ce nâest dâailleurs pas la premiĂšre fois que vous jouiez devant tant de mondeâŠ
S : Non, tout ça ne nous est pas Ă©tranger car ces derniĂšres annĂ©es on a dĂ©jĂ jouĂ© devant de telles foules Ă lâoccasion de festivals et en ouverture dâU2 Ă Glasgow il y a 5 ou 8 ans.
Qui suggĂšre les premiĂšres parties dâU2 ? Eux ? Leur manager ?
SÂ : Câest eux, U2.
Dois-je en conclure quâU2 est fan dâInterpol ?
SÂ : Oui, et je les aime.
Vous avez discuté avec eux ?
S : Oui, bien sûr, ça et là . Ils sont gentils, trÚs sympas (rires) !
Le jour dâavant, vous Ă©tiez donc au Trabendo devant un public de fans pour prĂ©senter votre nouvel album, Interpol. Vous nâen avez jouĂ© que 5 morceauxâŠ
P : On a jouĂ© le single, le deuxiĂšme single potentiel, le troisiĂšme single potentiel⊠Je pense que ça suffit parce quâon sait trĂšs bien que les fans veulent aussi entendre des chansons qui leur sont familiĂšres. On essaie donc de livrer un show qui satisfasse le plus gens possible.
S : Peut-ĂȘtre que dans quelques mois, quand le disque aura un peu plus vĂ©cu, on jouera plus de nouveaux morceaux mais pour lâinstant je pense que câest un peu tĂŽt, trop nouveau pour vraiment accrocher les gens.
P : Oui, ça va peut-ĂȘtre leur plaire mais ça ne va pas les embraser car ils ne connaissent pas donc derriĂšre câest bien de les enflammer avec un morceau quâils connaissent dĂ©jĂ .
Vous nâavez jouĂ© quâun morceau de votre troisiĂšme album Our Love to Admire. Serait-il est dur Ă retranscrire sur scĂšne ?
P : Il est diffĂ©rent Ă retranscrire live car il comporte beaucoup dâarrangements, notamment de claviers, mais on arrive Ă faire ça live. Et puis je trouve que ce disque rocke. Il emmĂšne aussi ailleurs. Les deux premiers morceaux sont par exemple un peu plus dĂ©pouillĂ©s, climatiques, mais le reste est bien rock. Donc non, je pense que ce disque se prĂȘte bien Ă la scĂšne.
Diriez-vous que de tous vos disques le dernier est le moins approprié à la scÚne ?
PÂ : Non, ces nouveaux morceaux sont super pour la scĂšne.
Vous donnez pourtant lâimpression de vous Ă©loigner petit Ă petit du format pop rock avec guitares en avant au profit dâune musique de plus en plus atmosphĂ©riqueâŠ
P : Oui, mais qui reste viscĂ©raleâŠ
En effet, vous ne vous dĂ©partissez jamais dâun feeling organique et punchy. Le jeu de batterie de Sam semble y ĂȘtre pour beaucoupâŠ
P : Pour moi câest lui le MVP (terme sportif qui signifie most valuable player, nda) de lâalbum. Et je pense que notre Sam ne dira pas le contraire. Nos nouveaux morceaux sont plus atmosphĂ©riques mais rythmiquement ils gardent ce cĂŽtĂ© trĂšs directif, mordant, excitant.
SÂ : Paul, merci.
Sam, un commentaire ?
S : Jâignore si je suis le MVP de lâalbum mais oui, je pense quâon a trouvĂ© le bon contraste.
Ce nouvel album est le disque le moins immĂ©diat que vous avez fait jusque-lĂ âŠ
SÂ : Oui, il demande un peu plus de temps. Il ne te donne pas tout dâun coup. Mais je pense que câest une trĂšs bonne chose. Quand un disque te demande du temps il faut lui en donner.
P : On croit en plusieurs styles dâaccroches, celles immĂ©diates qui caractĂ©risent les singles et celles Ă double-fond quâon retrouve par exemple dans un morceau comme « All of the Ways ». A la premiĂšre Ă©coute ce morceau nâest pas Ă©vident mais si tu lui accordes le temps nĂ©cessaire pour bien lâapprĂ©hender, alors son piĂšge se refermera sur toi et au final tu nâen seras que plus reconnaissant. En fait je pense que si des gens se dĂ©tournent parfois de nos disques câest parce quâils ne leur ont pas laissĂ© le temps quâils leur faut pour que leurs charmes opĂšrent. Câest ce que nos fans sont fidĂšles. Ils prennent ce temps et deviennent donc accroc. Je dirais donc ça aux gens « Prenez votre temps avec ce disque, il est aussi prenant que les prĂ©cĂ©dents, ses trĂ©sors sont juste plus profondĂ©ment enfouis. »
Vous cherchez donc Ă produire une musique qui dĂ©stabilise mĂȘmes vos fans ?
S : Je pense que câest ce genre de musique quâon aime. Et regarde, dâentre tous les morceaux de notre nouvel album, « Lights »en train de susciter la plus forte rĂ©actionâŠ
Alors que câest un titre atmosphĂ©rique qui sâintensifie lentement sur plus de 5 minutesâŠ
S : Oui, et les 2 premiĂšres minutes sans totalement dĂ©pourvues de rythme. Dâailleurs câĂ©tait intĂ©ressant car lorsquâon lâa jouĂ© au Trabendo les gens se sont tout de suite mis Ă frapper dans leurs mains, Ă marquer un rythme par-dessus les parties de guitare de Daniel. CâĂ©tait vraiment un moment intĂ©ressant. On nâest jamais sĂ»r de la maniĂšre dont les gens nous perçoivent parce quâils aiment souvent entendre les anciens morceaux qui accrochent immĂ©diatement lâoreille. Mais dans un cas comme celui-ci on se rend compte quâils aiment aussi ĂȘtre dĂ©routĂ©s.
Mon petit frĂšre, qui a 20 ans, est fan de votre musique mais quand je lui ai fait dĂ©couvrir votre nouvel album, il a dĂ©chantĂ© en me disant que dâaprĂšs lui vous vous rapprochiez de plus en plus des atmosphĂšres mĂ©lancoliques bizarres de Radiohead et que ça le faisait bad triper. Quâen dites-vous ?
P : Ce nâest pas une mauvaise comparaison. Radiohead est un groupe quâon aime. Beaucoup. Ton petit frĂšre a dĂ» sâhabituer Ă une certaine facette de notre musique, mais un de nos grands principes quand on fait un disque câest quâon fait en sorte de ne pas faire ce quâon a dĂ©jĂ fait. On prĂ©fĂ©rerait perdre des fans qui plutĂŽt que dâavoir Ă nous rĂ©pĂ©ter. On est conscient de ce risque et on le prend.
S : De toute façon si tu essaies de faire plaisir Ă tes fans en essayant dâanticiper leurs dĂ©sirs tu te condamnes Ă Ă©chouer parce quâils te tourneront alors le dos en disant : « Hey, tu refais le mĂȘme disque que lâautre fois, tu crains ! »
P : Pour revenir à Radiohead, mon chant est on ne peut plus éloigné de celui de Thom Yorke. A mon avis il véhicule une toute autre personnalité.
Parce que ta voix est grave, la sienne aiguë.
PÂ : Oui, mais câest plus quâune question de voix, câest aussi une question dâattitude.
S : Celle de Thom Yorke est trÚs précieuse.
P : Attention, jâaime Thom Yorke ! Mais jâai le sentiment quâon ne sonne pas du tout comme Radiohead, ne serait-ce quâĂ cause de cette distinction de voix.
Bien sĂ»r, mais ce qui Ă©tait visĂ© dans cette comparaison ce nâĂ©tait pas la voix, mais plutĂŽt des ambiances, une certaine Ă©volution musicale. Par exemple, comme Radiohead, vous vous ouvrez de plus en plus aux synthĂ©s au dĂ©triment, parfois, des guitaresâŠ
P : Hmmm, je vois⊠Câest important dâĂ©voluer, ça fait partie du risque dont je parlais. De lâaventure sans laquelle on ne ferait pas ce quâon fait. Quelques fans perdus ne valent rien contre lâimpĂ©ratif de garder toute notre fiertĂ©.
SÂ : Laisse un peu de temps Ă ton petit frĂšre.
Je nâai pas manquĂ© de lui dire. Mais jâai lâimpression quâil est loin dâĂȘtre le seul Ă avoir du mal Ă vous voir changer. DĂšs votre deuxiĂšme album, Antics, vous vous ĂȘtes mis toute une frange de votre public Ă dos qui vous ont alors reprochĂ© de trahir lâesthĂ©tique indie rock de Turn on the Bright Lights. Nây aurait-il pas lĂ un gros malentendu ?
P : Câest ce quâon dit. A voir les rĂ©actions de certains, câest comme si on Ă©tait 15-20 ans en avance et quâils pouvaient se contenter de Turn on the Bright Lights encore 10 ans avant dâĂȘtre enfin prĂȘt pour Antics 5 ans aprĂšs Our Love to Admire. Heureusement que les disques ont une longue durĂ©e de vie⊠Mais je ne mâinquiĂšte pas trop pour ces gens. Je pense quâils vont rĂ©ussir Ă raccrocher les wagons grĂące Ă notre nouveau disque.
Ces fans semblent considĂ©rer Turn on the Bright Lights comme lâincarnation du parfait album rock indĂ©.
PÂ : Oui. Donc tu ne peux pas le refaire.
S : Ce disque est ce quâil est parce que câest tout ce quâon savait faire Ă lâĂ©poque. On Ă©tait ce groupe qui donnait des concerts Ă New York depuis deux ans, et qui en est donc venu Ă entrer en studio pour enregistrer tout ça. En tant que groupe on Ă©tait si naĂŻfs pour ce qui Ă©tait de faire des disques, on ne pourra jamais refaire ça. MĂȘme si on le voulait on ne pourrait pas le refaire. Ensuite ça a donc donnĂ© Antics quâon venait de longuement tourner Ă travers le monde, quâon Ă©tait devenu un bien meilleur groupe, sachant mieux que jamais jouer ensemble. VoilĂ , en un an et demi, on Ă©tait passĂ© Ă autre chose.
Ce qui mâa frappĂ© entre votre premier et votre deuxiĂšme disque câest la maniĂšre dont, si je puis dire, vous avez sĂ©parĂ© la musique de la voix. Alors quâelles faisaient corps sur Turn on the Bright Lights, depuis Antics la voix de Paul sonne comme Ă©tant deux choses sĂ©parĂ©esâŠ
P : Oui, et comme souvent chez nous cette Ă©volution ne sâest pas faite consciemment, elle est liĂ©e Ă quelque chose de viscĂ©ral, spontanĂ©. Il sâavĂšre que pour le troisiĂšme album jâavais Ă©crit des mĂ©lodies que je nâarrivais pas Ă chanter. Dans ma tĂȘte jâentendais des notes que ma voix Ă©tait incapable de traduire. Jâai donc dĂ» trouver un moyen dâapprendre Ă le faireâŠ
Lequel ?
P : Jâai pris des cours de chant et ça mâa ouvert de nouvelles portes. Maintenant je peux exploiter toute une gamme de notes hautes qui mâĂ©taient auparavant inaccessibles. Ce changement sâest donc imposĂ© de lui-mĂȘme. Je nâai rien planifiĂ©. Pour notre premier disque câĂ©tait une sorte de choix de ma part : je tenais Ă ce que ma voix fasse bloc avec le son du groupe, et Ă ce moment-lĂ on cherchait Ă tout contrĂŽler nous-mĂȘmes parce quâon Ă©tait les seuls Ă savoir comment on sonnait. Mais chaque musicien Ă©volue en grandissant, et câest ce qui fait avancer un groupe. Pour notre quatriĂšme album on Ă©tait donc prĂȘt Ă laisser quelquâun quâon aime faire ce quâil voulait de nos chansons. Alors quand Alan Moulder quâon admire et qui est fan dâInterpol nous a proposĂ© de faire notre mix, on lui a remis nos morceaux en lui faisant entiĂšrement confiance. Sâil voulait que ma voix soit forte je ne lui disais pas de baisser le volume, je mâen remettais Ă ses choix. Au vu du rĂ©sultat je pense pouvoir dire que ses partis pris nous ont servi.
Sur ce disque lâaccent nâest pas seulement mis sur le volume de ta voix il lâest aussi sur la voix en elle-mĂȘme, au sens oĂč tu dissĂ©mines des contrechamps obsĂ©dants dans le spectre sonore de chaque morceauâŠ
P : Jâai toujours entendu toutes ces voix. Avant jâĂ©tais encore trop timide pour oser le faire sur disque mais cette fois-ci je me suis: « Allez, je lĂąche tout ! »
Du coup jâai lâimpression que ça te confĂšre de plus en plus cette sorte de stature quâavait, en tant que pur chanteur, Jim Morrison au sein des Doors. Comme sâil y avait plus que jamais la musique dâun cĂŽtĂ© et toi de lâautre, avec ta voix, tes mots, tel un poĂšte-divaâŠ
P : Sur ce disque ? Oui, merci Alan Moulder !
Au dĂ©but de votre carriĂšre beaucoup vous ont comparĂ© Ă Joy Division et Editors. Dâun cĂŽtĂ© comme de lâautre, jâai toujours trouvĂ© que câĂ©tait une grossiĂšre erreurâŠ
S : Merci !
Par contre plus je vous Ă©coute plus je vous trouve une envergure Ă la DoorsâŠ
P : Ah ! Jâaurais Ă©tĂ© ravi dâentendre ça ces 10 derniĂšres annĂ©esâŠ
Perçois-tu donc cette sorte de parallÚle entre Interpol et les Doors ?
P : Oui ! Je ne me prends pas pour Jim Morrison mais jâai beaucoup Ă©coutĂ© les Doors ! Jâaime Jim Morrison, jâaime leurs ambiances, jâaime son cĂŽtĂ© macho, agressif, viril. Je pense quâon a certains de ces Ă©lĂ©ments chez Interpol, et câest ce que jâai toujours aimĂ© dans Interpol. Jâaime les chanteurs charismatiques. Je mâidentifie donc aux chanteurs qui dĂ©gagent ça eux aussi. Donc oui, je vois bien le parallĂšle et jâaccepte totalement cette comparaison !
Par contre Morrison avait un sex appeal plutĂŽt extraverti, « dionysiaque » comme on disait, et si jâose dire le tiens est plus triste, « monolithique » !
P : Câest sĂ»r ! Je pense que ce qui nous relie aussi câest quâil nâĂ©tait pas le songwriter des Doors, il Ă©tait le chanteur. Câest intĂ©ressant car câest aussi un peu comme ça quâon fonctionne.
Dirais-tu que lâĂ©volution de ton chant a changĂ© votre maniĂšre de composer ?
S : Câest une Ă©volution simultanĂ©e. Paul nous donne un aperçu de son chant lorsquâon Ă©crit la musique, mais ce nâest quâune esquisse. Jâavais donc une petite idĂ©e de ce quâil prĂ©parait mais ce nâĂ©tait rien Ă cĂŽtĂ© dâentendre la chose enfin achevĂ©e et mixĂ©e. Je nâai pas Ă©tĂ© totalement surpris mais trĂšs satisfait.
P : Câest quand on compose et quâon enregistre que le groupe dĂ©couvre ce que je vais chanter, parce que câest lĂ que je commence Ă tester des choses. Mais tout ça nâa rien de dĂ©finitif et ils ne mâentendent jamais aussi fort que ce qui sera gravĂ© sur disque parce que lĂ oĂč on rĂ©pĂšte on est tous dans la mĂȘme piĂšce, avec un matĂ©riel limitĂ©, ils entendent donc juste quelques lignes de chant, mais pas vraiment les paroles. A la fin ils dĂ©couvrent donc toujours des choses quâils nâavaient pas vues avant.
Suivez-vous un processus de création précis pour composer vos morceaux ? Par exemple commencez-vous toujours par la musique ou un texte peut-il générer un morceau ?
S : Câest souvent la musique qui vient dâabord. De ce type (il montre Daniel du doigt, nda). Câest lui qui apporte la matiĂšre premiĂšre et aprĂšs patatra (rires) ! On sâenferme tous ensemble dans une piĂšce, on Ă©change des idĂ©es, on rejoue sans fin telle ou telle partie, et il arrive toujours ce moment oĂč des choses sâemboĂźtent jusquâĂ donner une chanson dâInterpol.
Paul, tu ne suggĂšres donc jamais au groupe de composer Ă partir dâun texte Ă toi ?
P : Non, et ce nâest pas non plus comme ça que je mây prends quand je compose pour moi. La musique me vient toujours en premier. Le texte et le chant nâinterviennent quâen rĂ©action Ă la musique. Il mâest arrivĂ© deux fois de commencer par le texte et ça nâa jamais marchĂ©.
Les textes de ce nouveau disque semblent plus que jamais parler dâamourâŠ
PÂ : Tous nos disques en parlent.
Mais cette fois jâai lâimpression que tu le fais en donnant plus de ta propre personneâŠ
P : Sur peut-ĂȘtre un ou deux morceaux oui, câest vraiment moi qui parle et câest basĂ© sur ma vie. Oui. Sur un ou deux morceaux. Dâhabitude, jâemploie le « Je » comme un personnage ou une facette de moi que jâextrapole. Que ce soit une facette Ă©nervĂ©e, amĂšre ou crĂąneuse, tac ça devient la voix de tel ou tel morceau, Ă lâexclusion des autres facettes de ma personnalitĂ©. Et oui, sur ce disque il y a quelques morceaux oĂč ce nâest pas loin dâĂȘtre vraiment moi, mais ce nâest jamais autobiographique. Je ne fais pas ma thĂ©rapie sur disque.
Il nâempĂȘche : ce disque est sans doute votre plus poignant. Il contient des moments de pure grĂące. Je pense à « Lights », à « All of the Ways » et Ă lâenchaĂźnement particulier de « Try It On » et « All of the Ways ». Comment avez-vous eu cette idĂ©e ?
S et P (dâune seule voix) : Oh, ça câest Carlos.
P : En fait câest mĂȘme une suite de trois morceaux, « Try It On », « All of the Ways », « The Undoing », une sorte de triptyque. Dâhabitude on rĂ©flĂ©chit au tracklisting une fois quâon a tout enregistrĂ© mais pour ce disque ce fut diffĂ©rent. Pendant quâon le composait et quâon avait dĂ©jĂ en chantier les 10 morceaux de lâalbum, Carlos a eu des idĂ©es de segments. On sâest donc dit quâon pouvait dĂšs Ă prĂ©sent commencer Ă sĂ©quencer tout le disque, voir comment le dĂ©but de tel morceau et la fin de tel autre allaient pouvoir se complĂ©ter ou se modifier et voir de quelle maniĂšre ça affecterait la cohĂ©rence de lâensemble. On a tous trouvĂ© que câĂ©tait une trĂšs bonne idĂ©e. Câest aussi pour ça que le disque possĂšde presque une face A et une face B.
Avec « Barricade » en guise de chaĂźnon pop-rock massif entre les deuxâŠ
P : Oui, et la seconde partie du disque est un peu plus expĂ©rimentale que la premiĂšre, plus pop, up tempo. On a aussi dĂ©cidĂ© ça en cours de composition. Et je crois que dâavoir ce dĂ©coupage en tĂȘte nous a permis dâaller Ă la fois plus loin dans lâapproche pop dâun cĂŽtĂ© et plus loin dans lâapproche expĂ©rimentale de lâautre. CâĂ©tait une bonne idĂ©e. Je suis content quâon lâait suivi.
Cette dichotomie se ressent dans les clips des deux titres extraits de votre dernier disque. LâesthĂ©tique du clip de « Lights », signĂ© Charlie White, dĂ©jĂ responsable dâ « Evil » sur Antics est trĂšs diffĂ©rente de celle du clip de « Barricade ». Lâunivers dark et dĂ©rangeant de Charlie White vous va bien. Vous ne vous ĂȘtes jamais dit que ce serait une bonne chose sâil sâoccupait de tous vos visuels, comme Stanley Donwood le fait pour Radiohead ?
P : Oh, câest une bonne idĂ©e. Mais je pense quâil serait trop pris pour faire une telle chose. Et puis cette diffĂ©rence dâunivers dâun clip Ă lâautre est voulue ! On ne veut pas juste passer pour mystĂ©rieux, effrayant et Ă©trange. On est aussi des gars avec des guitares. Le morceau et le clip de « Barricade » ça : voici nos instruments et ce quâon en fait : du rock.
Vous ne voulez pas choisir entre rock frontal et rock atmosphérique ?
PÂ : Je pense que les deux peuvent cohabiter. En tous cas chez nous câest trĂšs volontaire si ces deux approches cohabitent. Je pense que les gens aiment les deux. Ou quâils devraient aimer les deux (rires)Â !
S : Si tu fais lâun au dĂ©triment de lâautre au bout dâun moment tu finis par devenir ennuyant. Je veux dire, jâaime les choses mystĂ©rieuses, effrayantes et Ă©tranges mais je crois quâau bout dâun moment ça me gonflerait et quâen rĂ©action jâirai Ă©couter du Van Halen ou quelque chose dans le genre (rires) ! (Paul fredonne tout guilleret « The Final Countdown » dâEurope tout en dĂ©boutonnant son gilet pour montrer le T-shirt quâil porte. Y figure une tĂȘte peinturlurĂ©e de couleurs criardes, nda)
Quâest-ce que câest ?!
S : Câest David Lee Roth (rires) !
Ahah ok (câest le chanteur du groupe de hard bidon Van Halen) ! Et donc vous ne pas voulez pas choisir entre rock frontal et rock atmosphĂ©rique.
P : Ce nâest pas quâon ne veut pas choisir mais plutĂŽt quâon voit ça comme deux de nos deux forces, quâon souhaite explorer Ă fond.
Au final un grand sentiment dâunitĂ© prĂ©domine Ă lâĂ©coute de chacun de vos disques. En tant quâauditeur on a presque lâimpression quâils racontent une histoire comme sâil sâagissait de livres ou des films.
PÂ : Bien, câest un point important pour nous.
Ătes-vous clairement sous lâinfluence de certaines Ćuvres, livres, disques ou films lorsque vous amorcez lâĂ©criture dâun nouveau disque ?
S : Jâimagine que chacun dâentre nous Ă son petit vivier. Paul, avais-tu certaines influences prĂ©cises Ă lâesprit en entament ce disque ?
PÂ : Non, je pense quâil faudrait plutĂŽt poser cette question Ă Daniel. Moi jâaborde les chansons les unes aprĂšs les autres, mais lui voit loin. Câest lui qui a la vue dâensemble.
Ătait-ce son idĂ©e dâintituler ce quatriĂšme album Interpol ?
S : CâĂ©tait celle de Paul.
P : Oui, câĂ©tait mon idĂ©e. Elle est venue assez tĂŽt dans le processus de crĂ©ation du disque. Elle mâa dâailleurs Ă©tĂ© fortement inspirĂ©e par le travail de sĂ©quençage proposĂ© par Carlos. AprĂšs je ne sais pas⊠Câest trĂšs dur pour moi de parler de ça, mais il mâa semblĂ© que ce disque faisait bloc, comme quelque chose de dĂ©finitif, et que toute information supplĂ©mentaire aurait rompu lâĂ©quilibre. Lâappeler Interpol câĂ©tait dire “VoilĂ , câest assez monumental et tout est lĂ , prenez.”
Appeler ce disque Interpol nâest-ce pas aussi le moyen de dire quâInterpol est une sorte de marque, de machine ?
P : Oui ! Pour moi oui.
S : Quand tu vois que Carlos Ă©tait impliquĂ© dans cette dĂ©cision et quâil a quittĂ© le groupeâŠ
A cause⊠?
S : De raisons qui ne regardent que lui⊠Quand tu vois quâil nâest plus lĂ et que malgrĂ© tout Interpol est un son que les gens veulent entendre, des chansons que les gens veulent entendre, quâils ont encore foi en nous, tu te rends compte que ce groupe est plus que la rĂ©union de ses membres, que c’est quelque chose qui dĂ©passe les questions dâego. LâidĂ©e dâappeler le disque Interpol mâa donc dâelle-mĂȘme convaincu, par ce simple constat.
Paul, tu dirais la mĂȘme chose ?
P : Oui ! Jâaime cette idĂ©e de gang, de marque, de machine. Ce nâest pas comme si tu avais Ă affaire Ă Stevie Nicks and the blablablaâs, non tu as Ă faire Ă cette force : Interpol. Un jour un journaliste mâa dit « Tu dois comprendre quâune fois faites les chansons ont leur vie propre, quâelles ne sont plus Ă toi » Jâai dit « Oui, je sais. » Câest un peu ce que Sam disait, câest-Ă -dire que maintenant quand on monte sur scĂšne les gens ne semblent plus trop se focaliser sur qui est sur scĂšne et qui ne lâest pas, ils sont plus prĂ©occupĂ©s par les chansons quâils entendent. Pour moi, lâidĂ©e de ce titre et du logo qui lâaccompagne va dans ce sens « Tenez, cette chose qui va au-delĂ de lâindividu câest nous, câest pour vous ». Et oui, Ă ce que je sache câest ce quâon appelle une marque !
Prends-tu donc plus de plaisir Ă jouer pour Interpol que pour Julian Plenti, ton projet solo ?
P : Tu sais, jâaimerais bien crĂ©er une marque forte pour pouvoir y caser tous mes projets solos, mais jâaurais beau faire, trouver le nom le plus accrocheur, elle aurait toujours moins de poids quâInterpol. Jâai le sentiment quâInterpol boxe dans une autre catĂ©gorie. Mais je suis persuadĂ© que tout en Ă©tant commercial un mĂ©dia peut dĂ©velopper des concepts qui dĂ©passent le cadre de lâindividu, des idĂ©es sur lesquelles les gens pourraient sâappuyer. Je pense que câest une bonne chose, un sacrĂ© dĂ©fi Ă relever.
interview gĂ©niale .J’aurais cependant voulu en savoir plus sur le dĂ©part de Carlos.Pourquoi!!!J’ai le sentiment que Paul et Sam parlent du concept du titre interpol ainsi pour qu’on ne soit pas triste de ce dĂ©part car moi ,je pense que l’Ăąme d’interpol est un puzzle constituĂ© d’eux quatre .MĂȘme si ils font des arrangements studio avec d’autres “partenaires”. J’espĂšre que la nouvelle piĂšce Dave Parjo rĂ©ussira Ă garder ce que j’aime tant dans interpol…
Salut toi dont j’ignore le nom.
Merci pour ton commentaire.
Je suis carrĂ©ment d’accord avec ce que tu dis lĂ .
C’est pour ça que bon je suis un peu inquiet pour la suite d’Interpol…
Et curieux de voir si Carlos Dengler va sortir un truc en solo…
Suspense.
Un grand bravo. Si tu veux mon avis, ce n’est pas tous les jours qu’ils ont des entretiens de cette qualitĂ© lĂ đ
Mais il faut que tu nous en dises plus sur le “charisme de porcelaine” de Daniel. Comment un type aussi habitĂ© sur scĂšne parvient Ă ĂȘtre aussi transparent par ailleurs ?
Ce retrait ne fait que renforcer l’impression du pilote abslu dans sa tour de contrĂŽle qui reste au dessus de la mĂȘlĂ©e pour retser maĂźtre du jeu. Du coup la fascination pour celui qui est visiblement LE cerveau du groupe n’en est que plus forte. Que ne donnerait t’on pas pour sonder ce qu’il y a dans sa petite tĂȘte. C’est ta mission pour une prochaine fois.
Si prochaine fois il y a, Ă©videmment. Comme tout le monde je pense, je suis forcĂ©ment inquiĂšte pour la suite. Tourner sans Carlos semble ĂȘtre dĂ©sormais possible, mais COMPOSER sans lui ? L’Ă©quilibre semble ĂȘtre tellement rompu. Aucune ne peut ne pas ĂȘtre bancale avec trois pieds …
Merci pour ton article en tout cas. Et au fait … : YOU OWNED THE KEY đ
Ecoute Isatagada, il se trouve que j’ai aussi interviewĂ© Daniel et que je n’ai toujours pas publiĂ© la chose. Des mois que je me dis qu’il faut que je m’y mette mais j’ai toujours autre chose sur le feu. Tu m’y refais penser en terme de prioritĂ©. AprĂšs je ne sais pas si ça sondera vraiment ce qu’il y a dans sa tĂȘte ni si ça en dira plus sur son “charisme de porcelaine” ! Mais bon, faut-il en dire plus sur le sujet ? đ
Je relis encore (et encore et encore).
#fan
Faut que je t’apporte du neuf quand mĂȘme đ
van halen un groupe bidon ? t’as de l’humour
bonne interview sur le meilleur de leur disque cependant, merci
Vivi, Ă vrai dire je ne connais quasi pas Van Halen en dehors de “Jump”.
Si jamais tu veux m’envoyer leur discographie par la Poste, je suis preneur đ
Ou alors conseille moi d’Ă©couter ce que tu considĂšres ĂȘtre leur meilleur album !
Blague Ă part (quoique), je suis content d’apprendre que tu aimes Interpol le disque.
Que dis-je, que tu trouves qu’il s’agit lĂ de leur meilleur album (je le pense aussi).