Jacques Air Volt : RĂȘvolt (3/3)

« Bye Bye Bashung »

Dans le parcours de certains artistes, parce qu’il est Ă  part, on ne peut plus alchimique, arrive parfois ce moment Ă©trange oĂč leur nom de scĂšne se voit reflĂ©ter de maniĂšre quasi gĂ©mĂ©llaire dans l’intitulĂ© d’un de leurs albums. Comme s’ils avaient enfin saisi leur essence, leur point de plus haute singularitĂ©. Parce qu’il Ă©tait « programmatique Â», leur nom s’ouvre en sĂ©same.

C’est arrivĂ© Ă  Radiohead. Deux fois. La premiĂšre avec Ok Computer, leur troisiĂšme album, et la seconde avec In Rainbows, leur septiĂšme. Ce qui est rare. Signe de la richesse du noyau et de l’arbre. Ce serait trop long Ă  expliquer pourquoi, mais cette bascule leur est arrivĂ©e deux fois. Et pour qui sait voir on a pu voir presque clairement de quoi Radiohead Ă©tait le nom.

C’est un moment atomique, un point de fission dans lequel Ă©tincelle un anneau de Moebius, l’infini tautologie de ce qui est comme il est : la bande se marie Ă  elle-mĂȘme et convole en osmose, devient ce qu’elle est. C’est aveuglant. Mais c’est lĂ  qu’on peut voir. Seulement. Dans ce moment d’estocade eschatologique. Le truc. Et ça arrive Ă  Jacques avec RĂȘvolt.

Ça arrive car quatre ans aprĂšs Les Aiguilleurs du ciel, inconsciemment ou pas, il a captĂ© quel chanteur il Ă©tait Denis : un chanteur qui ne chante pas, un chanteur qui ne parle pas, non, un chanteur qui s’absente. Sur ce RĂȘvolt il dĂ©serte littĂ©ralement pour laisser parler la musique. Mais quelle dĂ©mission ! « T’écoutes quoi en ce moment ? Mon intuition Â». On respire !

Finis les vieux habits, les oripoux, les vieilles figures hexagonales, ces archĂ©types ne sĂ©ant Ă  personne – il faut le dire ! – Air Volt prend la tangente – good bye Bashung et consorts – et d’ailleurs une des rares fois oĂč il le fait, Ă  la faveur du pĂ©chĂ© mignon d’un mylovingyou, il sonne comme Gainsbourg voire Gainsbarre (« Je t’aime Â»)et aĂŻe, non, kill your darlings !

Mais sinon, on chevauche souple. Aucune perturbation. Presque pas un mot Ă  cette altitude. Les 70’s. Je ne sais pas vous mais moi dans ma tĂȘte j’ai toujours associĂ© les seventies aux montagnes, aux sommets, merveilleux. C’est peut-ĂȘtre une histoire de sonoritĂ©s, heaven, seven seas, de sororitĂ©. Mais je plane en Ă©vocations d’Everest et de neiges Ă©ternelles.

C’est comme dans l’amour, quelques mots au dĂ©but et on part. Et comme dans l’amour, quand les mots reviennent ils prennent une toute autre rĂ©sonnance, ils opĂšrent une percĂ©e – « revenu de toujours qui partout t’en ira Â» (je cite de mĂ©moire le poĂšte illuminĂ©). L’Homme reprend parole Over The Rainbow. Il est le rĂȘveur qui prend possession de son rĂȘve dans son rĂȘve.

Il chante quand ça lui chante, les 3/4 du temps il passe par la fenĂȘtre, le cancre, et laisse la zic faire le job. C’est pas comme ces chanteurs-thĂ©Ăątreux-plus-français-qu’eux-dans-le-mauvais-sens-du-terme-tu-meurs. Pas comme, par hasard, Feu ! Chatterton. C’est pas un bal costumĂ© les mecs ! C’est pas Cyrano de Bergerac ! Jacques Air Volt n’est plus dans cette sĂ©duction.

Et c’est pour ça qu’il fait enfin Ă©clore le truc dont Jacques Air Volt Ă©tait la promesse, qu’il est son propre Don Quichotte doublĂ© d’éolienne. ArrĂȘtant de courir et de discourir Ă  tout prix, il s’est abandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme, JAV. Pas dĂ©sinvolte mais dĂ©zingue-volt. De mots d’est en far west qui n’en sont pas, il a mis son Ă©nergie ailleurs, dans une autre aiguille, un autre chas.

Il paraĂźt que RĂȘvolt est un clin d’oeil au MĂ©tronomie de Nino Ferrer. Album du « tournant Â» m’apprend Wiki car c’est un concept-album de rock progressif. Il n’eut pas de succĂšs sur le coup Ă  part le titre Â« Les enfants de la patrie Â». Rolling Stone l’élira 54e meilleur album de rock français. Je ne connais pas, j’irai Ă©couter. Plus sĂ»rement que le dernier Metronomy.