IGGY POP
9 mai 2012. 18h30. HĂ´tel 5 Ă©toiles Le Bristol. 8e arrondissement de Paris. « Blablabla » comme feraient Katerine et Iggy. On (moi et des journalistes) est Ă la confĂ©rence de presse d’Iggy Pop pour la sortie ce jour d’Après, album de reprises de standards anglo-saxons et français. Son 17e album studio, « si on compte Kill City, un album absolument formidable qui est souvent oublié ». Tout ça en prĂ©sence d’Iggy et d’un speaker qui le prĂ©sente comme s’il avait devant lui de sombres ignorants que l’opĂ© de vente-privĂ©e.com (le distributeur) aurait pris dans ses filets, avec son cadre splendide, son icĂ´ne rock et son buffet champ’ d’après alors que « Non, on est lĂ pour Iggy Pop mec et on veut lui parler alors abrège ! »
Mais non, le gars nous raconte qu’il a interviewĂ© Iggy Ă Miami en 99 pour Rock & Folk, qu’au dernier moment ça avait failli pas se faire mais qu’avant de partir, il les avait vu tout penauds, lui et le photographe, et crac il avait dĂ©cidĂ© de les prendre en caisse pour faire l’entretien chez lui (Ă la clé : une visite de la ville). Le gars prĂ©cise qu’il avait soumis Iggy Ă un Discorama, concept d’article qu’il avait proposĂ© quelques annĂ©es plus tĂ´t Ă R & F (wouah, on a l’inventeur du Discorama !) qui « consiste Ă laisser les musiciens se raconter eux-mĂŞmes Ă la simple Ă©vocation de leur discographie » et qu’ils avaient beaucoup parlĂ© de Piaf, de Paris. Comme quoi, Iggy a toujours eu un attachement particulier Ă la France.
D’ailleurs il nous raconte qu’Iggy Pop a dĂ» faire la couv de R & F une bonne dizaine de fois, que depuis qu’il a reformĂ© les Stooges c’est en France qu’ils ont le plus jouĂ© et blablabla. Non, mais il va surtout lĂ oĂą il peut encore fourrer, Iggy Pop, et la France lui ouvre grand ses miches donc bon… ! C’est comme ça, on a toujours eu ce complexe d’infĂ©rioritĂ© face aux amĂ©ricains. Je me rappelle ce que Zemmour avait dit de ManĹ“uvre quand il Ă©tait venu parler d’un de ses livres chez Ruquier : « vis-Ă -vis de l’AmĂ©rique, l’Angleterre et du rock », il a « une logique de colonisé », parce qu’il dit : « on Ă©tait très en retard et les grands amĂ©ricains nous ont sauvĂ©. Mais Ă l’Ă©poque en France, il n’y avait pas que l’accordĂ©on… »
Dans le livret de ce nouvel album oĂą il chante « Et si tu n’existais pas », « La Javanaise », « La Vie en rose », « Les Passantes » et « Syracuse », Iggy nuance mais va dans ce sens-lĂ . Il Ă©crit qu’aujourd’hui « Tous les genres de pop musique reposent sur le beat », qui simule les « battements du cĹ“ur », l’ « excitation » mais qu’ « avant le blues » – donc le rock – « il y avait une autre forme de pop musique qui reposait plus sur le souffle et l’expression de l’Ă©motion ». Et si dans ces musiques – bel canto, plain-chant, folk – il a naturellement repris beaucoup de chansons françaises c’est « parce que c’est la culture française qui a le plus fait front contre les attaques mortelles de la machine musicale anglo-amĂ©ricaine. »
Alors on pourrait se dire que, maintenant qu’on l’a profond, il nous passe de la pommade, le rockeux-queue, qu’après la gifle, la caresse, mais non, enfin pas seulement, au passage il remet aussi de la nuance dans ce monde binaire. Et c’est mieux quand ça vient de lui, l’homme de tes reins. Revenu de tout, il rend Ă CĂ©sar et montre son cĹ“ur : « Je suis aussi cynique que tous lascars de mon âge qui ont survĂ©cu, mais il est vrai que tu peux toujours rencontrer des gens spĂ©ciaux qui te rendent la vie supportable » (commente-t-il Ă propos de « Et si tu n’existais pas ») et « c’est vrai que sans amour rien n’a de sens mais Ă la fois l’amour est comme un mirage et peut-ĂŞtre un problème » (Ă propos de « La Javanaise »).
Donc si en plus le hĂ©ros amĂ©ricain loue la chanson française (ce qu’il avait dĂ©jĂ fait dans son prĂ©cĂ©dent disque, Preliminaires, s’inspirant de La PossibilitĂ© d’une Ă®le de Houellebecq et reprenant « Les Feuilles mortes » de PrĂ©vert), s’il siffle « Syracuse » comme un bon vin (« ce que je sens le plus dans cette chanson c’est l’idĂ©e de trouver l’amour dans les joies de la terre ») et s’il est la combinaison d’ « une jeune Ă©tudiante et d’un vieux mac » (comme il se dĂ©finit dans le commentaire de sa reprise d’ « Everybody’s Talkin' ») alors lĂ , c’est le pompon. AcculĂ© par tant de grâces en un homme, l’animateur de la confĂ©rence de presse bafouille, sa voix tremble, sa gorge est sèche. Il les a petites. J’ai honte pour lui.
Il incarne ce monde d’avant, celui oĂą les rock-critics, comme ils s’appelaient chez R & F, pouvaient passer pour des « rockers de robe », comme les nomme l’ex Rock & Folkeux Laurent Chalumeau dans son premier roman, Fuck, en opposition aux « rockeurs d’Ă©pĂ©e » (« faute de pouvoir vivre le Rock », les premiers « écrivent leur impossibilitĂ© Ă le faire »). Il incarne cette Ă©poque oĂą le rock Ă©tait un ordre, une cause, une idĂ©ologie et oĂą, de fait, ĂŞtre rock-critic (mais pas Rock-critic), Ă©crire « sur » le rock (et « sous » le Rock) c’Ă©tait comme ĂŞtre rock soi-mĂŞme parce qu’ils Ă©taient qu’une poignĂ©e Ă le faire, avoir la culture, recevoir les « skeuds » et se faire inviter lĂ -bas pour pouvoir papoter avec leurs zic-dolls.
« Ôtez-lui tout ça, notre homme n’est plus qu’un plouc anonyme. Un rocker sans sa tenue, c’est comme Zorro en civil : Don Diego de la Vega. Une couille molle comme les autres. » (Chalumax, Fuck, again) J’irai plus loin : aujourd’hui, sans tout ça c’est une couille molle plus molle que les autres. En 2012, le rock n’est plus dans le rock, le critique (surtout rock) ne pèse plus, on voit que c’est juste un fan, nu. On n’en a donc rien Ă faire de son affaire avec Iggy. Les rĂŞves des autres nous sont toujours fades, seuls les nĂ´tres nous importent. Et oui, c’est pathĂ©tique de voir un type de plus de 50 ans continuer lĂ -dedans et vĂ©nĂ©rer tellement un type qu’il se rĂ©duit au rĂ´le de bigot, d’agneau. Le gars c’est JĂ©rĂ´me Soligny.
Mais le gars sans qui tout ça ne serait pas et qui se tait jusque-lĂ , c’est Jacques-Antoine Granjon, 50 ans, petit-fils d’entrepreneur spĂ©cialisĂ© dans la vente en gros de fins de sĂ©ries et PDG de Vente PrivĂ©e. Il a eu l’idĂ©e de distribuer de la musique via son site en 2004 quand il a vu le clip des « Beaux yeux de Laure » de Chamfort oĂą il annonce, pompant le clip de « Subterranean Homesick Blues » de Dylan, qu’il est Ă la rue, sans maison de disques. Fort de ses opĂ© prĂ©cĂ©dentes avec Patricia Kaas et Cerrone, Granjon a appelĂ© Chamfort et en 2010 grâce Ă son site il vendra 20 000 exemplaires de son disque, Une Vie Saint Laurent (5,50 euros), ce qui lui permettra de resigner avec une vraie maison de disques (Mercury).
« Iggy a vendu 45.000 exemplaires de PrĂ©liminaires, on aimerait dĂ©passer ce chiffre », ajoutera-t-il, prĂ©cisant ne pas faire de marge sur ce projet, dispo en tĂ©lĂ©chargement grâce Ă une autre sociĂ©tĂ© française, Believe Recordings. Et pour cause, pour lui « la musique est un moyen de crĂ©er de l’Ă©motion sur le site » et de distribuer de plus en plus d’artistes pour se lancer dans la production de spectacles, Ă©ventuellement « en possĂ©dant des salles ». Quand il prendra enfin le micro en toute fin de confĂ©rence on aura droit Ă un exposĂ© prĂ©cis de ce que j’appelle la « sextoyisation publicitaire de la pop ». Son rĂ´le de cadeau Bonux. C’est un type Ă©lu plusieurs fois businessman et homme de marketing de l’annĂ©e qui parle :
« Nous on fait notre travail de distributeur, qui est d’essayer d’accompagner les artistes et on le fait avec les marques. Ça va en choquer que je dise ça, mais pour moi les artistes sont des marques. Ils attirent une audience, gĂ©nèrent un dĂ©sir et Iggy Pop est une marque exceptionnelle puisque c’est le dĂ©sir absolu. Je crois que toutes les femmes adorent Iggy. Nous, en tant que distributeur, on va donc essayer de mettre son album en scène le plus qualitativement possible. On est allĂ© le voir en Floride, on a fait un film, il est sur la porte de Vente PrivĂ©e lĂ , et c’est un petit chef d’œuvre. Iggy lit un livre sur la plage Ă Miami. VoilĂ , c’est des choses que les maisons de disques ne font plus et que nous on sait faire. »
« Aussi vous le savez, la vie n’est pas facile, les cd coĂ»tent cher, nous on le vend Ă 7 euros (+ 2,50 euros d’envoi postal), donc on est sur des prix très bas, c’est pour ça qu’on touche un large public. Il y a autre chose, c’est que Carrefour et la Fnac ne peuvent pas vendre d’albums s’ils ne sont pas complètement formatĂ©s. Par exemple, CharlĂ©lie Couture voulait un boĂ®tier de 50 centimètres sur 40. Ça, aucun distributeur ne l’aurait pris car ils n’ont pas de bacs pour les mettre. Nous, on l’a fait et on en a vendu 25 000 ex. On s’adapte Ă tous les formats. LĂ , on va faire Jean-Marie Bigard et s’il veut vendre une sĂ©rie de slips roses avec son album, on le fera. Cette crĂ©ativitĂ© plait bien et c’est la force de Vente PrivĂ©e. »
Avec 15-16 millions de membres dans huit pays europĂ©ens et 2-3 millions de visiteurs/jour, le gars a le pouvoir. « J’ai un mĂ©dia plus fort qu’un mĂ©dia normal, explique-t-il calmement, parce que moi je viens Ă vous alors que pour les autres c’est vous qui devenez venir Ă eux » (Lagardère spirit). Et c’est la première fois qu’il associe au site un artiste international et aussi rock alors oui, il est fier. Comme Kronenbourg/Pression Live qui se paiera la star pour un concert privĂ© au Casino de Paris (blablabla notre bière est une « icĂ´ne » comme Iggy Pop car c’est « la bière du rock », « une marque vraie, authentique depuis 350 ans », blablabla, le sketch), Granjon est fier et s’emporte un peu sur cette histoire de slip. Mais que dire ?
Les temps changent – c’est le cĂ´tĂ© bizness de la force – mais j’aurai beau dire, que ce soit le concert au Casino de Paris ou la confĂ©rence au Bristol, je serai bien content d’en ĂŞtre et musicalement, journalistiquement et personnellement, j’en profiterai (in fine on sait plus qui encule qui, la vie quoi). Par exemple lĂ pendant 33 minutes je vais enfin pouvoir poser 2-3 questions Ă Iggy Pop. Alors je vais pas me gĂŞner et demander le micro autant de fois que je pourrai. Je suis pas seul. D’autres sont dans les starting block. Soligny vient de finir son speech et on est lĂ comme des nanas devant une boutique avant le dĂ©but des soldes. PrĂŞts Ă se battre pour le « mic » et rire Ă chacun de ses rires. It’s free Igg’ time. FIGHT !
 « Tu veux me punir, c’est ça ? »Â
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Dans le livret de l’album, expliquant pourquoi vous avez repris « Les Passantes » de Brassens, vous dites que, comme n’importe quel homme, vous ĂŞtes sans cesse torturĂ© et ragaillardi par la beautĂ© des femmes et que cela conduit Ă un cercle de dĂ©faites et de rĂ©signations. Une femme pourrait-elle vous suffire ?
Oui, une belle femme qui est assise juste en face de vous (rires) ! (A sa compagne, Nina Alu, nigĂ©ro-irlandaise et ex hĂ´tesse de l’air qu’il frĂ©quente depuis plus de dix ans et qui se distingue par des yeux bleus qu’on dira azurĂ©s, des seins qu’on dirait siliconĂ©s et un fuselage de travesti Ă faire tomber : ) Écoute bĂ©bĂ©, je parlais plus de l’idĂ©e de la chose. Je suis plus beaucoup plus vieux que ma femme. J’avais dĂ©jĂ eu plein d’histoires alors qu’elle en Ă©tait encore Ă pleurer et sucer son pouce (rires) !
« La Javanaise » et « La Vie en rose » sont assez connues Ă l’international. C’est moins le cas, je crois, de « Et si tu n’existais pas », « Les Passantes » et « Syracuse ». Quand les avez-vous dĂ©couvertes ?
Je crois que c’est quand j’Ă©tais Ă Paris en 2009 pour la sortie de Preliminaires. J’y ai rencontrĂ© deux gars qui ont commencĂ© Ă m’alimenter avec toutes ces chansons et j’ai dĂ©cidĂ© de faire ce disque pour avoir quelque chose de marrant Ă fredonner dans les aĂ©roports (rires) ! Je connaissais dĂ©jĂ quelque chansons françaises, mais par exemple je ne connaissais pas « La Javanaise « . L’autre jour j’ai dĂ©couvert une autre chanson de Gainsbourg tiens. Un truc reggae qui s’appelle « Relax Baby Be Cool » (lance-t-il d’une voix couillue). Donc il en a fait une en anglais et c’est assez drĂ´le (rires) ! Je me souviens que la première fois que j’ai entendu du Gainsbourg c’Ă©tait avec « Moi je t’aime, non plus » (sic). A l’Ă©poque j’étais dans les Stooges, on n’avait pas d’argent et on Ă©tait tous dans une mauvaise situation Ă Hollywood. Ce jour-lĂ c’Ă©tait le rĂ©veillon de NoĂ«l et j’allais au cinĂ©ma voir Histoire d’O et Venus in Furs, une double projection (rires) ! En chemin j’ai entendu cette chanson dans la rue et j’ai pensĂ© : « Ah, bon groupe, ça groove, ça va au-delĂ de la langue. »
Pendant des annĂ©es, la musique française a eu une très mauvaise rĂ©putation Ă l’étranger. Qu’en pensiez-vous avant qu’on ne vous la fasse dĂ©couvrir ?
Je dirai qu’elle est très largement sous-estimée. Je ne connais pas les noms des artistes en question mais la première chose que j’ai entendue et que j’ai vraiment aimée en musique française c’était de la musique à base d’accordéon, et dans ce pays il y a des accordéonistes qui jouent de la belle belle belle musique. Air est un très très bon groupe par exemple. Ce sont de très bons artistes, très fins. Je suis un gars rock, tu sais, mais j’ai entendu Émilie Simon reprendre  » I Wanna Be Your Dog » et j’ai trouvé que c’était une très très bonne reprise, très originale. Et elle a tout fait toute seule. Bon, après, si tu veux écouter de la bonne musique liturgique, je ne suis pas ton homme. A chacun son ou ses domaines. Mais à part le silence il n’y a pas un genre de musique qui est moins bon ou moins bien qu’un autre.
Pour vous qu’est-ce qu’une bonne reprise ?
Une bonne reprise ? Si tu es l’artiste – ah, je dĂ©teste ce mot d’ « artiste » – mais si tu es artiste et que tu t’apprĂŞtes Ă reprendre tel morceau, tu dois d’abord le ressentir et ensuite ĂŞtre capable d’en faire quelque chose qui ait assez de feeling et soit assez prĂ©sentable techniquement pour que quelqu’un le ressente Ă son tour. Pour que ce soit bon, il faut les deux. Mais c’est surtout une question de feeling… Le jour oĂą j’ai fait enregistrĂ© « La Javanaise », j’ai aussi fait « Pushin’ Too Hard » des Seeds, tu vois ? (quelqu’un fait « Wouah ! » dans la salle et lui de rĂ©pondre en chantant direct avec la voix vĂ©nère de l’Iggy vingtenaire, ce jet d’acide qui saute au visage comme un dĂ©menti en soi aux accusations de tout Ă l’heure et ça Ă©tonne les gens, les secoue, les rĂ©veille d’un coup : ) « Yeah, you’re pushing too hard, you’re pushing too hard on me ! Better listen girl or fuck off ! » Je fais ça bien, tu vois !
La chansons française fait primer le texte sur la musique pour qu’on voit bien ce qui se dit. Issu d’une tradition inverse, pensez-vous ĂŞtre un auteur sous-estimĂ© ?
Oui, et dans les chansons d’amour que j’ai choisies de reprendre les paroles sont plus politiques, leurs significations va plus chercher dans la complexitĂ© des relations humaines. Ça demande d’ĂŞtre subtil, très fin. Ce n’est jamais aussi basique que, tu vois : « Si jamais tu me quittes, je te tue » (dit-il d’une voix d’Undertaker) ou « Non, ne t’en vas pas ! » (d’une voix de pleureuse) ou « Wouaw, mate-moi ce cul ! » (voix de pervers extatique). Ça, c’est les trois lieux communs de la chanson d’amour anglo-saxonne. Au-delĂ de ça, tu deviens bizarre, tu passes à « Summertime ». Dans « Et si tu n’existais pas ? », c’est : « Pourquoi existerais-je ? Pour quoi existerai-je ? Pour qui existerai-je ? ». C’est : « Ok, je pourrais toujours ĂŞtre moi mais alors je devrais me crĂ©er un sens, une raison de vivre, et mĂŞme si j’arrivais Ă faire ça, toi tu resterais toi », tu vois ? Ça va chercher loin. MĂŞme dans « La Vie en rose », je n’ai pas de quoi te chanter tout le dĂ©but de la chanson, lĂ , mais je comprends qu’elle explique pourquoi elle reste avec ce bad guy, ce loser. En gros, elle philosophe lĂ -dessus. J’ai remarquĂ© ça et j’ai entendu beaucoup de bonnes chansons françaises, je m’apprĂŞtais mĂŞme Ă en reprendre d’autres, mais certaines je ne pouvais pas. Par exemple, la version originale de « My Way », « L’Ennui », ah non, pardon, « Comme d’habitude », c’est très bon, mais si je chantais ça me dĂ©primerai tellement… (rires) ! C’est comme « La Belle vie » (de Sacha Distel – nda), c’est loin de moi mais wouah, c’est si simple et audacieux… Je suis donc allĂ© vers celles les chansons qui m’attiraient pour leurs mots, leur jeu avec les mots.
Venant du « punk », vous avez peu de standards pop Ă votre actif, peu de chansons qui passent en radio Ă destination du grand public. N’en Ă©prouvez-vous pas une certaine frustration, voire un complexe ? Et est-ce un peu pour ça que vous avez voulu reprendre ces classiques (Soligny, avant de traduire la question du journaliste, qui a eu la flemme de s’exprimer en anglais : « Tu veux que je me prenne une baffe ou quoi ? ») ?
Oui, exactement, je voulais faire ça avant de mourir (rires) ! Tu sais, quand j’avais 16-17 ans, j’écoutais Sinatra, Ravel, Debussy, etc., donc pour moi tout ça c’est un peu pareil. J’ai juste voulu chanter ça au moins une fois dans ma vie. Dans les chansons françaises qui figurent sur ce disque, il y a un certain minimalisme en termes de structure musicale qui m’attire vraiment, notamment dans « La Javanaise ». Et il y a certaines phrases, tu ne pourrais pas dire ça en anglais, ça ne marcherait pas. Donc, tu vois, j’étais intéressé. (Il se met à chanter : ) « J’en bavé pas vous, mon amour… » (sic)
Après est-il votre album le plus désespéré ?
Oui, parce que « Only the Lonely » qui, je le sais de Sinatra, a Ă©tĂ© Ă©crite pour lui, est aussi une chanson dĂ©sespĂ©rĂ©e, de mĂŞme que « What Is This Thing Called Love » et « Michelle », parce qu’elle a beau paraĂ®tre plus lĂ©gère, dans le fond c’est quand mĂŞme l’histoire d’un mec qui ne peut pas parler Ă celle qui l’aime. Ses mots ne sont qu’une phrase rĂ©pĂ©tĂ©e tout au long de la chanson (rires) ! Donc oui, il y a cette idĂ©e de dĂ©sespoir. Je veux dire : je ne pense pas que j’aurais fait la musique que j’ai fait entre 20 et 30 ans si je n’avais pas Ă©tĂ© un peu fou et dĂ©sespĂ©rĂ©. Et j’ai toujours cette prĂ©disposition.
Êtes-vous stressé quand vous chantez en français devant un public français ?
Oui ! Bien sûr. Tu connais déjà la réponse ou tu te poses vraiment la question ?
Je me pose vraiment la question.
Bien sĂ»r que je stresse. C’est comme ce matin quand j’ai essayĂ© de parler français au room service : « Bonjour, je suis monsieur Pop, je voudrais commander le petit dĂ©jeuner avec du croissant, du cappuccino, blablabla ». J’ai fait une erreur et ils n’ont pas rigolĂ©. Mais j’ai des couilles, je tente, je m’expose !
Vous êtes une icône punk mondiale et voilà que vous sortez un album avec Vente Privée, ce qui peut surprendre les fans. Comment leur expliqueriez-vous ça ?
Écoute, quand j’ai fait toutes ces choses considĂ©rĂ©es comme « punk » (lĂ , sa voix est grave, posĂ©e, ça rigole pas), ça a encore plus surpris que ce que je fais lĂ . C’était : « Mais c’est quoi ce truc ?! », tu vois ? Des gens aimaient, d’autres avaient peur, d’autres riaient, Ă©taient Ă©nervĂ©s mais tout le monde y a prĂŞtĂ© attention. Donc dĂ©solĂ© mais si mes fans sont surpris, ce que je leur dirai c’est que je m’en fous. Je ne rentre pas dans les cases et je n’ai pas envie d’y rentrer. Je le ferai quand je serai mort, tu vois ? Je veux dire, regarde : après demain je vais chanter « Search and Destroy » Ă Marseille. Pourquoi ne pourrais-je pas chanter ceci et cela ? Pour moi, c’est la mĂŞme chose. VoilĂ . (Silence.) Et puis, je ne suis pas une putain d’icĂ´ne !
Je comprends que vous ne vouliez pas rentrer dans les cases mais j’aimerais approfondir ma question…
Tu veux me punir, c’est ça ?
Non, je demande : qu’est-ce qui vous fait penser qu’aujourd’hui il est prĂ©fĂ©rable de sortir un disque avec Vente PrivĂ©e plutĂ´t que sur une maison de disques ?
Ok, je dois vraiment me poser et penser. Ce qui s’est passĂ© c’est qu’avec Preliminaires, mon prĂ©cĂ©dent disque, j’avais enfin fini d’honorer mon long contrat d’artiste solo avec Virgin/EMI. La maison amĂ©ricaine d’EMI aurait aimĂ© que je fasse un album de rock avec un jeune punk en vogue, genre : « Hey, papa ! » (rires) Un truc comme ça. Je leur ai dit que je ne ferai pas ça, que j’avais envie de faire un disque de reprises. Ils pensaient qu’ils ne feraient pas d’argent avec ça, que mes fans n’aimeraient pas. Des gens très sensibles et attentionnĂ©s chez EMI US. Et moi je ne suis pas fait de ce bois-lĂ , je ne suis pas un business man. L’explication va ĂŞtre longue mais tu dois Ă©couter, tiens bon. Après ça, heureusement, j’ai eu le soutien de Virgin France, qui a Ă©tĂ© assez gentil pour me dire : « Oui, on sortira ton prochain disque ». Et j’ai Ă©mis l’idĂ©e, s’ils le voulaient, que je cĂ©derai alors Ă Virgin/EMI les droits de distribution de tout ce que je sortirai ensuite. Mais après j’ai choisi de m’auto-produire, j’ai dĂ©pensĂ© mon propre argent, je me suis vendu moi-mĂŞme, je n’ai pas eu Ă rencontrer tel ou tel gars pour savoir ce qu’il en penserait. Et quelqu’un avec qui je travaille ici en France m’a parlĂ© de vente-privĂ©e ! ImmĂ©diatement c’était juste « Wouaw, oui, ok ! ». C’Ă©tait pas le mĂŞme son de cloche. Et ils croyaient que plus tard la Fnac suivrait, tu vois ? C’était bien de faire ça comme ça. Pour ma carrière solo, pour mes propres disques, je ne pense pas que je retournerai en arrière car j’ai toujours galĂ©rĂ© dans le grand business de la musique et j’ai Ă©tĂ© virĂ© de tous les labels avec qui j’ai bossĂ© jusqu’à ce que Virgin accepte de me suivre. Mais tous ces anciens disques, ils continuent de se vendre et font beaucoup d’argent en licence pour ces labels. La première annĂ©e, ils ont tous fait un flop, la dixième annĂ©e aussi, ça m’a pris 30 ans ! Ce n’est que maintenant que ça commence Ă aller mieux (rires) ! Donc, tu vois, c’est un peu ma rĂ©ponse. Donc c’est juste intĂ©ressant, je ne sais pas, c’est comme, wouaw, c’est drĂ´le, tu m’as poussĂ© Ă penser à ça ! Regarde, retournons au temps de Sun Records et des dĂ©buts d’Elvis. Tu as Memphis, une ville prĂ©cise avec un certain type de blancs et un certain type de noirs, tous vivants d’une certaine façon, formant deux communautĂ©s très diffĂ©rentes. Et arrive cette musique très simple, très spontanĂ©e, qui jaillit ancrĂ©e dans ce terroir, très rĂ©gionale, donc hop elle se met Ă former une culture et ce label se met donc Ă reprĂ©senter quelque chose, ce label devient donc une connexion pour une certaine communautĂ©, tu vois ? Si on accĂ©lère ce processus jusqu’à aujourd’hui et qu’on regarde la façon dont les labels sortent les disques, ces labels sont si grands avec leurs diffĂ©rents dĂ©partements et leurs groupes financiers derrière que ce rĂ´le de connexion avec une communautĂ© ne peut plus se faire. Les mecs sont lĂ pour faire de l’argent et celui qui est censĂ© faire le rĂ´le de connexion, c’est cet homme ou cette femme qui s’appelle le directeur artistique, un soi-disant gĂ©nie du marketing qui dit (voix de commandeur terrifiante genre Big Brother : ) « Je sais ce que les gens veulent et toi tu n’es qu’une merde « ou (voix de Bisounours faux derche : ) « Justin, on t’aime ! » Mais en fait ils jettent plus ou moins de la merde aux murs pour voir si ça colle. Ils ne savent rien. Donc avec Vente PrivĂ©e, il y a des abonnĂ©s qui ne sont pas nĂ©cessairement des fans d’Iggy Pop mais ils vont leur proposer cette musique. Ok, pourquoi pas (rires) ! Je trouve ça bien d’aller vers ces gens. Et pour les autres (grosse voix : ) « Il y aura d’autres points de ventes, bĂ©bé ».
Le format album, c’est-à -dire 10-12 chansons, ça vous intéresse encore ?
Oui, vraiment. Et le reste c’est aussi ok. Je fais les deux. J’aime faire juste trois chansons pour un film comme je l’ai fait il y a quelques annĂ©es pour Bregovic (qui a composĂ© la BO du cĂ©lèbre Arizona Dream de Kusturica, qui comporte le non moins cĂ©lèbre « In The Death Car » d’Iggy – nda) ou sur une chanson pour Deah in Vegas (c’Ă©tait sur leur hit « Aisha » – nda).
Vu le contexte actuel de la musique et des maisons de disques, pensez-vous que vous feriez du rock si vous aviez 20 ans aujourd’hui ?
Oui, oui, je ferai de la musique, absolument. Ça ne me stopperait pas. Quand j’ai dĂ©marrĂ© les Stooges, j’avais dĂ©jĂ une solide carrière en tant que batteur local et comme j’ai arrĂŞtĂ©, que j’ai posĂ© les baguettes, j’ai dĂ» aller gagner ma vie. Et j’ai juste pris beaucoup de LSD, fumĂ© de la marijuana et tournĂ© en rond en me disant : « Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je peux faire ? » Et j’ai eu cette idĂ©e et une fois qu’on a commencĂ© on n’avait que des difficultĂ©s mais ça ne t’arrĂŞte pas si tu ressens que c’est quelque chose que tu dois vraiment faire.
Que pensez-vous de la musique pop d’aujourd’hui ?
Il y a toujours des gens qui font des choses vraiment extraordinaires avec feeling, le genre de choses qu’on ne voit pas tous les quatre matins. Le truc c’est que dans les annĂ©es 60, quand j’ai commencĂ©, et c’est valable jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 70, mĂŞme les plus grosses et les meilleures stars, Beatles Ă part, Ă©taient tout le temps fauchĂ©es. Pour cette raison, ils devaient vraiment continuer Ă progresser. Or, maintenant, c’est parfaitement raisonnable de faire un disque qui marche très bien et de faire un très très bon deal financier et je pense que des gars se sont cramĂ©s comme ça. Il y a tant de pression. Regarde : on vit dans un monde binaire. Tout n’est que 1/0, oui/non. OĂą est le peut-ĂŞtre ? OĂą est le peut-ĂŞtre ? Ce n’est que mon avis, mais c’est ce que je pense.
Quelles artistes écoutez-vous aujourd’hui ?
Tout ce que j’ai fait aujourd’hui c’est de m’entrainer à chanter (et il chante : ) « J’aimerais tant voir Syracuse » (rires) ! Chez moi, pour le plaisir, j’écoute de tout, de la musique coréenne au blues, du jazz des années 20 aux jazz des années 70. C’était les 50 meilleures années pour moi. Après, je regarde ce qui est censé être nouveau. Si c’est heavy metal, en général, bof. Mais j’aime cette petite nana-là , Azelia Banks. Sinon, j’ai passé pas mal de temps sur des îles donc j’écoute pas mal de dancehall. J’écoutz Beenie Man, Elephant Man, Macka Diamond, Sean Paul. Je suis assez open.
J’ai une question qui va peut-ĂŞtre vous paraĂ®tre bizarre mais avez-vous dĂ©jĂ entendu une chanson arabe qui vous plaisait ?
Une chanson arabe ? J’écoute de la musique arabe depuis que j’ai quoi, 17 ans. A l’Ă©poque je travaillais dans un magasin de disques et beaucoup du style des Stooges vient d’une combinaison de la dance de ballet du Lebanon et de la musique d’Afrique du Nord que j’écoutais beaucoup quelques annĂ©es plus tĂ´t, comme celle de Cheb Kaled, un algĂ©rien, et celles des bĂ©douins et des touaregs. J’aimais cette Ă©nergie brute. Ce qui est dommage c’est que certains musiciens touaregs très très bons ont commencĂ© Ă venir en Europe et ils ont dĂ» s’adapter et jouer une autre sorte de musique. Mais oui, j’aime tout ça. Quand on a vraiment commencĂ© avec les Stooges, Scott Asheton jouait des timbales et avec de grosses frappes tribales on essayait de tendre vers ça. Je me suis toujours senti un peu comme un hooligan, un type en marge, mais tout le croissant qui va de la Turquie au Maroc, je suis très conscient de tout ça. Je suis Ă fond dedans. Quand j’étais en hĂ´pital psychiatrique (c’Ă©tait en 1976, avant que Bowie ne vienne Ă son secours, il y a passĂ© près d’un an pour se libĂ©rer de son addiction Ă l’hĂ©roĂŻne car deux ans après ses dĂ©buts solo, il Ă©tait en voie de dĂ©chĂ©ance : il avait perdu ses dents dans une bagarre avec des surfeurs, vivait mĂŞme dans la rue, se mutilait sur scène, etc. – nda), j’Ă©tais avec une fille de Beyrouth, c’est la première personne de lĂ -bas que j’ai vue et elle se prenait pour Angela Davies (rires) !
Vous avez fait beaucoup de choses, beaucoup voyagé, beaucoup vécu : quel rapport au temps avez-vous maintenant ? Vous êtes ami ?
Avec le temps ?
Oui, comment vous gérez ça ?
J’y pense. Je ne sais pas trop comment en faire usage, si je dois le gaspiller ou pas. Tu sais, ça devient vraiment compliquĂ© quand tu arrives Ă mon âge et que tu as des plein d’associĂ©s qui te font : « Iggy fais ci, fais ça et tu pourras vivre jusqu’à 170 ans. » « HĂ©, combien dois-je mettre de cĂ´tĂ© pour vivre jusqu’à 170 ans et ne plus travailler ? » (voix de stentor Big Brother : ) « Tu dois mettre beaucoup de cĂ´tĂ©. » (rires) « Et qu’est-ce qui se passe si je dĂ©pense tout maintenant et que je meurs dans 4 ans ? » (rires) Donc oui, je pense au temps qui me reste, Ă comment je vais gĂ©rer mon dĂ©clin et ma mort. C’est mieux de gĂ©rer ça soi-mĂŞme tant que tu es lĂ . Oui, je pense à ça et je vais beaucoup Ă la plage.
Cet été vous serez sur scène avec les Stooges. Va-t-on encore vous voir slammer dans le public ?
Probablement pas sur les scènes que je ferai cet Ă©tĂ© car elles sont toutes trop grosses, et il y a un moment ou « Wouaw ! », tu vois ? Quand la salle est Ă©norme, c’est genre : « Adoptez-moi ! Ramenez-moi chez vous ! » (rires) Mais oui, je l’ai fait. Les Stooges ont dĂ» faire quelque chose comme 28 concerts l’annĂ©e dernière et j’ai dĂ» prendre 20 bains de foule. Aux concerts oĂą j’étais très excitĂ© j’en ai mĂŞme pris 4 ou 5. Et Ă d’autres, non, c’était plutĂ´t : « Allez, juste un pour toi, lĂ . » (rires).
Et ça vous intéresserait de porter ce disque de reprises sur scène ?
Oui, j’aimerais. Un jour ça se fera peut-ĂŞtre, mais ça serait dans un ou deux ans parce qu’en ce moment je suis engagĂ© dans les Stooges. Et avant qu’il ne passe l’arme Ă gauche, Scott Asheton doit faire un autre disque. C’est important pour lui. Et, tu sais, James Williamson est vraiment, vraiment, vraiment, vraiment excitĂ© de jouer de sa putain de guitare devant tout le monde et d’être celui qu’il est ! Tu vois ? Je veux que ça se fasse donc je dois trouver un contrat pour les Stooges. Ça va prendre un peu de temps, et ce sera une major, et il y aura un gros producteur qui dira genre (retour de la grosse voix : ) « Ce n’est pas assez bon, recommence ! » Tout ça. Donc oui, peut-ĂŞtre en 2014. Mais bon, ce n’est pas comme si ces reprises allaient s’envoler.
Merci à Benoît Rony pour les photos et autres journalistes qui ont participé pour leurs questions.