SEBASTIEN TELLIER (2) « GAINSBOURG »

15 mars 2008. 15h. Retour chez Record Makers où j’ai rencontré Tellier il y a trois semaines. Même pièce, même homme, même album. Mais actu différente. Si l’artiste et son label y ont reconvoqué la presse c’est pour l’entretenir d’un heureux événement : le 24 mai 2008 à Belgrade, Sébastien représentera la France au concours de l’Eurovision. La nouvelle fascine et afflige. Depuis la sortie de son troisième album, Sexuality, les médias n’ont pas arrêté pas de parler de lui, de son disque qui est une ode au sexe, de ses sonorités électro griffées par un membre de Daft Punk (Guy-Manuel de Homem Christo) et de lui, Tellier, ce dandy post Gainsbourg aux airs de Chabal. Alors qu’un type comme lui issu de l’underground gagne soudainement sa place à l’Eurovision, c’est le pompon pour ses récents détracteurs issus de l’underground. Ils y voient le bien-fondé de leurs soupçons quant à ce disque. Leur ex-chouchou s’y réduirait à l’état de baudruche moderniste, sacrifiant ses chansons sur l’autel de la bêtise de l’époque pour toucher le grand public.

Sébastien ne remportera pas l’Eurovision. Il y chantera « Divine », le morceau farfelu de Sexuality, celui qui évoque autant les Beach Boys de « Kokomo » (1988), popularisé par la BO de Cocktail, que le générique des Bronzés font du ski (1979), « Just because of you », signé Pierre Bachelet. « Divine » dont j’apprendrai qu’il l’a co-composé avec sa compagne, Amandine de la Richardière, comédienne et source d’inspiration de Sexuality (on entend ses râles de plaisir sur « Kilometer »). Sébastien finira 19e sur 25 candidats, ex-aequo avec la Suède. Et derrière la dinde de l’Irlande (15e). Il ne refera pas de telles apparitions télévisuelles. Sexuality ne se vendra pas à 100 000 exemplaires. Aucun de ces morceaux, même remixés, ne sera joué à tue-tête dans les fêtes de village et d’ailleurs. Mais cet épiphénomène Tellier-visuel me fournira le parfait prétexte pour le rencontrer à nouveau et parler de tout ce qu’on n’avait pas eu le temps de parler il y a trois semaines.

« à choisir je préférerais être le nouveau Christophe ! »


Bonjour Sébastien. C’est la seconde fois qu’on se voit pour Sexuality. La première fois, c’était pour le site Gonzai. Ton disque venait juste de sortir. Cette fois, c’est pour le magazine Park pour parler de ta participation à l’Eurovision. Voici le mag.

Ah oui c’est bien ce qu’on m’a dit, c’est un petit peu pipole quand même. Avant il n’y en avait pas de magazine culturel comme ça. C’est pop, c’est fait pour être lu par le plus grand nombre.

Oui, en cela c’est parfait pour toi.

Oui, exactement ! (Il feuillette l’article sur l’actrice Mylène Jampanoï, s’arrête sur les photos – nda) Ah oui, l’autre jour je l’ai vu au Baron elle. Elle était saoule. Totalement saoule (rires) !

Avec ta participation à l’Eurovision tu es reparti pour un petit tour de promo.

Bah oui (rires) !

Tu n’en n’as pas marre ?

Non, franchement ça va. Tu m’as pratiqué, tu sais que je suis un vrai moulin à paroles.

Tu en es à combien de mois de promo avec Sexuality ?

Là, ça fait 3 mois et demi.

C’est la plus longue période de promo que tu ais jamais faite ?

De loin (rires) ! Mais je ne fais pas que ça, je fais aussi des concerts. Remarque, les jours de concert je fais aussi de la promo…

Cette pièce du label Record Makers c’est donc un peu ta chambre en ce moment ?

Oui, je suis souvent ici à fumer des pèt’ ! Mais franchement, ça va. Y’a des mecs qui sont pas à l’aise pour parler, mais moi j’ai toujours un truc à dire et si c’est pas le cas, au pire, je raconte n’importe quoi.

A moment, tu ne t’es pas dit que tout cela devenait absurde, déshumanisant ?

Non, franchement ça va. Bizarrement je le vis assez bien. La promo c’est la folie pour les mecs d’Hollywood qui font de vraies journées de 15h en enchaînant les interviews d’un quart d’heure où on leur pose toujours exactement les mêmes questions et qui répondent donc la même chose au moins 50 fois par jour. Mais moi, ça va parce que je fais des interviews un peu longues. Elles durent en général entre une heure et une demie heure, donc ça va, au pire je dis quatre fois le même truc par jour !

Alors raconte-moi, comment s’est goupillée cette histoire d’Eurovision ?

Déjà ma vision du truc c’est que je suis en mission gouvernementale (rires) ! J’ai l’impression que je vais travailler pour l’État ! Et en fait ça s’est passé extrêmement simplement : après un concert à Beaubourg il n’y a pas très longtemps des gens de France Télévision sont venus me voir pour me proposer de faire l’Eurovision et j’ai dit : « Oui ! »

Qui étaient ces gens ?

Deux personnes de chez France 3. Après je ne me souviens plus comment ils s’appellent, il faudra qu’ils m’excusent d’ailleurs…

Ils te connaissaient déjà ?

Oui, à mon avis ils étaient fans depuis longtemps. Mais ça m’a étonné qu’ils viennent à moi parce que si je me souviens bien les autres années il y avait un concours avec différents candidats pour savoir qui allait représenter la France à l’Eurovision, et les Français devaient voter en téléphonant. Or là ils m’ont directement choisi sans concours ! Donc voilà, je n’ai rien demandé, on est venu me chercher. Après il se trouve que ça colle parce que moi on m’a toujours considéré comme un chanteur intellectuel ou un chanteur pour gens trendy et ça m’insupporte parce que finalement l’underground contrairement à ce qu’on croit ce n’est pas le monde de la liberté d’expression, c’est un truc vachement intellectuel où tout le monde s’observe et se juge. Il y a énormément de codes dans l’underground…

Codes que tu as justement cassés sur Sexuality

Voilà. L’Eurovision c’est donc tellement populaire, tellement l’opposé de l’underground que ça me fait plaisir de pouvoir la faire car ça va me permettre de m’extraire petit à petit du monde underground pour devenir un artiste plus populaire. Ce que je vise. Car à mon sens être populaire c’est être plus proche du cœur que de la réflexion. Et moi je ne fais pas de la musique avec mon esprit, je fais de la musique avec mon cœur. Dans la pop si la chanson plait les gens l’achètent et s’ils n’aiment pas ils n’achètent pas, c’est aussi simple que ça, ce n’est qu’une histoire de sensations. Alors que dans l’underground il y a de la réflexion, de l’analyse et moi je n’ai plus envie de penser et analyser, j’ai envie de vivre dans un monde de pures sensations. C’est pour ça que je n’étais pas à l’aise dans le milieu underground.

Et c’est marrant parce que du coup cette soudaine participation à l’Eurovision arrive comme la cerise sur le gâteau, le truc qui vient un peu exaucer le concept de Sexuality, son désir d’ouverture. Tu aurais voulu le faire exprès, tu n’aurais pas pu !

Oui, c’est vrai. D’ailleurs quand on pense à des gens qui réussissent il faut toujours relativiser car on s’imagine souvent des requins aux dents longues, etc. et ce n’est pas toujours le cas. Pour moi par exemple la meilleure manière de réussir consiste à attendre l’idée, attendre d’avoir de nouveaux fantasmes, attendre de changer. Et c’est vrai que là j’attendais et c’est venu (rires) !

Tu dis que participer à l’Eurovision te permet enfin de montrer ta nature d’artiste « populaire », mais n’est-ce pas d’une certaine façon le comble de la branchitude que de parader dans ce type de programme télévisuel de prime time quand on vient de l’underground. Et n’est-ce pas ce que cherchent les mecs de l’Eurovision depuis quelques années : transformer ce rendez-vous en truc branché…

Je ne dirais pas que c’est devenu branché…

Décalé ?

Voilà, décalé. Il y passe même des gens que moi je considérais comme des freaks. C’est-à-dire que oui, c’est une émission saugrenue, mais moi, même si mon personnage est un peu saugrenu, je ne vais pas à l’Eurovision pour faire « Le bal masqué », même si j’adore cette chanson. Avant, dès que mes concerts étaient terminés, je mettais « Le bal masqué » à fond et ça foutait une bonne ambiance (rires) ! C’était sympa. Donc voilà ce n’est pas parce que c’est l’Eurovision que je vais faire le pitre. Ce n’est pas ce que j’ai envie de faire…

Qu’est-ce que tu as envie de faire ?

Moi j’ai envie d’être dans des torrents de crème glacée quand j’y chanterai « Divine »…

Ah, c’est ce morceau-là que tu chanteras ?

Oui, le titre un peu Beach Boys de l’album.

C’est toi qui as choisi ce morceau ?

Non, c’est eux qui m’ont dit : « Voilà, ce sera celle-là. »

Tu n’y voyais aucune objection ?

Non, ils auraient pu prendre n’importe quelle chanson de mon disque, pour moi c’est pareil, j’aime autant chacune de mes chansons. Après, pour le coup, « Divine » est une vraie chanson pop, elle est fraîche, pleine de vie, archi-fruitée donc je pense que c’est nickel pour l’Eurovision. Mais oui, c’est vrai que depuis quelques années l’Eurovision a un peu essayé d’insuffler une sorte de vibe décalée en s’ouvrant à des mecs un peu spéciaux, en lieu et place des sempiternels mecs blonds avec brushing et dents blanches.

Au point qu’il paraît, entre autres choses, que tu vas concourir contre une dinde !

Ah bon (rires) ?! On m’a dit que Mika représenterait le Liban, mais une dinde, je ne savais pas (il s’agit de Dustin, le candidat de l’Irlande, une marionnette dinde qui chante – nda). J’espère que l’Eurovision ne deviendra pas trop fashion parce que j’y vais justement parce que ce n’est pas fashion !

Oui, attention, malgré toi tu vas peut-être rendre l’événement tendance !

Peut-être. Mais en plus du côté populaire de l’Eurovision ce qui me plait beaucoup c’est l’idée de représenter la France. On en a certainement déjà parlé la dernière fois qu’on s’est vu, mais voilà même si mon disque est teinté de R&B, qu’on y sent à fond cette culture américaine qui m’a toujours influencée, il n’en reste pas moins que j’ai une vision du monde qui est française. Ce n’est pas une vision de franchouillard mais c’est une vision de français d’aujourd’hui, qui n’est pas du tout la même que celle d’un anglais ou d’un espagnol. Une vraie vision française. Et sur mes disques ce que j’exprime, même si je le fais avec un son américain, c’est une idée française, européenne, latine. Représenter la France à l’Eurovision ça me semble donc normal. C’est comme si on m’avait demandé de rénover le quartier des Champs Elysées, qu’on me prêtait une part de notre patrimoine et qu’il fallait que je le soigne en l’honneur de la France. Parce que l’Eurovision ce n’est pas un truc où l’on gagne de l’argent, tu le fais juste pour le bonheur de représenter ton pays.

Et tu penses que t’as de sérieuses chances de gagner ?

Franchement, je ne sais pas, je n’ai pas regardé qui était en lice mais oui je pense que j’ai des chances de gagner. Enfin c’est comme au casino, on ne sait jamais.


A propos de patrimoine français, la dernière fois on parlait de l’importance de ton personnage et tu disais ne pas trop comprendre pourquoi il attire autant les gens. Leur attirance ne serait-elle pas justement liée au fait qu’ils y voient l’héritage d’un personnage qui fait déjà partie intégrante de notre patrimoine et, plus généralement, de l’histoire de la pop : je veux bien sûr parler de Gainsbourg.

Alors c’est vrai que j’ai remarqué que les journalistes et le grand public étaient animés d’une sorte de quête d’une figure comme ça… De toute façon c’est normal : tout existe en permanence. C’est-à-dire que Gainsbourg fini, il y en aura un autre. Mais je ne pense pas que ce soit moi parce que déjà Gainsbourg était un grand génie et moi je ne suis pas un grand génie, et aussi parce que Gainsbourg chantait avec une voix très rauque, très parlée, alors que moi je chante avec une petite voix, plus douce, plus mélodieuse. Je suis donc très loin de Gainsbourg. Après c’est vrai qu’en tant que français, c’est dur de ne pas être influencé par lui… Pourquoi je parle de lui déjà ? Ah oui : est-ce que je suis le nouveau Gainsbourg ?

Oui : es-tu en train de gagner le concours tacite du « nouveau Gainsbourg » ?

Non, il y en a qui veulent s’inscrire à ce concours, comme Biolay, mais pas moi…

Mais ne pas s’inscrire à ce concours est peut-être la meilleure façon de le gagner…

C’est vrai que la leçon de Gainsbourg, si on le considère comme un maître, c’est : « Soyez vous-même, fouillez votre esprit, laissez-vous dériver » et surtout pas : « Imitez-moi ».

Ce que fait donc pas mal Benjamin Biolay ?

Il n’y a pas de problème mais c’est vrai que lui je pense qu’il aimerait bien être le nouveau Gainsbourg. Moi à la limite, s’il fallait à choisir, je pense que je préférerais plus être le nouveau Christophe (rires) ! Et puis je ne peux pas être le nouveau Gainsbourg car lui était dans le concret, il faisait de la poésie concrète, ce qui l’a amené à s’autodétruire or moi comme je le dis souvent maintenant je suis plus dans un trip de bien-être, d’épanouissement, de rêve et c’est le rêve qui me mène à l’épanouissement, c’est le fait de planer…

Tu fais donc le chemin inverse de Gainsbourg.

Exactement. Lui il est parti clean, il a terminé dégueu. Moi j’ai commencé dégueu et j’essaie de devenir clean (rires) ! Bon, après c’est vrai que j’adore fumer des joints, des clopes et que je ne suis pas toujours complètement propre, mais c’est des petits points communs de rien du tout avec Gainsbourg. Je ne pense pas être là pour le remplacer.

Indépendamment de la voix, de l’écriture, de la musique, pour le grand public ce qui a fait Gainsbourg c’est aussi le personnage pop qu’il a réussi à créer, le Gainsbarre qu’il est devenu petit à petit, à la fin, au tournant des années 80, et qui a couronné tout ça sous le signe de la provoc et de l’autodestruction…

Oui, il a créé un personnage mais ça c’est le rôle de tous les artistes…


Récemment celui qui se rapproche le plus de cette trajectoire de l’intime vers l’extime et d’une musique stylée d’homme invisible vers une musique plus cheap où triomphe un chanteur rompu à l’art de la performance et du happening, c’est Philippe Katerine, je trouve. Avec son dernier album, Robot après tout, il a frappé un grand coup. Je dirais donc que s’il y a en un qui est en train de devenir « le nouveau Gainsbourg », c’est lui, Katerine. Qu’en penses-tu ?

Je ne sais pas s’il aimerait bien être le nouveau Gainsbourg. Enfin je n’en sais rien, je ne peux pas parler à sa place, mais c’est vrai qu’il y a ce fantasme qui plane. Ça a été le plus grand génie de ces derniers temps pour nous en France donc ça ne peut que faire rêver certaines personnes. Mais moi à la limite, même si je suis complètement barjot, je suis quand même lucide sur ma musique et très sincèrement je ne pense pas être un génie. Je le clame partout dès que je peux : « Je ne suis pas un génie ».

Gainsbourg se considérait-il comme tel ?

Ça je ne sais pas. Oui, non, peut-être pas. Moi parfois c’est marqué dans des journaux que je suis un génie. Ce n’est pas de ma faute. Et ces gens qui disent de moi que je suis un génie, ils le diront d’un autre mec dans 3 mois.

Point important : pour être le nouveau Gainsbourg il faut que ta nana soit célèbre.

C’est vrai, ma nana n’est pas célèbre. Elle est comédienne et on ne devient pas célèbre avec le théâtre. Après devenir célèbre je trouve ça vulgaire. C’est pourtant ce qui est en train de m’arriver mais moi le rêve de ma vie, comme je le dis souvent, ce n’est pas de devenir rock star, parce que rock star c’est trop difficile, il faut toujours avoir les dents blanches, être bien coiffé, faire attention à son poids, être à l’heure aux rendez-vous, il y a une pression énorme, des millions de dollars en jeu. Non, moi le rêve de ma vie, c’est de m’acheter un territoire immense et d’être le roi de mon propre royaume, d’y vivre avec ma famille et puis voilà. Devenir une vedette, ça ne m’intéresse pas, je passe juste par cette porte pour atteindre mes rêves, qui n’ont rien à voir avec la musique, qui sont des rêves de…

Prospérité ?

Oui, voilà, que la maison soit pleine de fontaines d’Orangina, ce genre de trucs. Mais pas de devenir rock star, ça ne m’intéresse pas, ni vedette. Ce n’était pas pareil dans les années 60, mais maintenant vu ce que c’est devenu, ça a un côté vulgaire, un côté pas noble.

Autre étape obligée pour se Gainsbouriser : écrire pour d’autres. L’envisages-tu ?

Ça, je ne l’ai pas encore fait, à part pour des musiques de films, mais pourquoi pas…

Ton regain de notoriété va peut être t’attirer ce genre de propositions ?

Oui, j’ai d’ailleurs un truc en cours dont je ne peux pas encore en parler, mais avant ça j’avais toujours refusé ce genre de choses car j’avais toujours pensé que ce qu’on me mettait entre les mains c’était des trucs stériles et qu’on attendait de moi c’est que je les féconde. C’est-à-dire que le truc était nul et il fallait que par moi seul, d’un coup de grâce, ça prenne vie, et ça, ça ne m’intéresse pas parce que pour moi travailler avec quelqu’un ça doit être une sorte de mariage artistique. J’ai proposé à Christophe de travailler avec lui sur son prochain disque (intitulé Aimer ce que nous sommes, il est sorti le 30 juin 2008, soit trois mois après cet entretien – nda) mais à l’époque ça faisait déjà deux ans qu’il était dessus – là ça va faire trois ans voire plus – et voilà, il avait déjà toute son équipe et ils avaient déjà toutes les chansons même s’ils ont mis un temps fou à les produire. Mais oui, travailler avec lui j’adorerais.

Mais Christophe aujourd’hui c’est très pointu. Tu ne te verrais pas bosser avec des artistes plus pop voire variétés, comme le faisait Gainsbourg justement ?

Non, encore une fois moi je n’ai pas ce côté-là. Quand on veut être le maître du monde, c’est intéressant d’avoir des marionnettes, mais comme je suis ma propre marionnette, ça y est, mes doigts sont occupés et je m’occupe de moi, je suis mon propre jouet. En plus moi des chanteurs français qui m’attirent il n’y en a pas. J’aimais bien la relation Mylène Farmer / Alizée. Je ne l’aurais pas fait, mais j’ai bien aimé ce côté marionnette. Mais voilà, moi je ne me vois pas manipuler quelqu’un, je n’aime pas aller jouer chez les autres, à part s’il s’agit d’une vraie rencontre comme ce fut le cas avec Guy-Man. Là c’est lui qui a produit mon disque mais si je pouvais faire un truc pour lui sur Crydamoure (label electro-house de Guy-Man et d’Eric Chédeville, alias Rico, co-producteur de Sexuality – nda), je le ferais volontiers.


A ce propos, je ne sais pas si tu as lu ça, mais dans le dernier Chronic’art un journaliste a émis l’hypothèse selon laquelle en produisant Sexuality Guy-Man s’est servi de toi pour s’humaniser et faire l’album sexuel qu’en tant que robot il n’aurait jamais pu faire avec Daft Punk. Que penses-tu de cette théorie ?!

Il y a certainement de ça (rires) ! Parce qu’il n’a évidemment pas produit l’album pour l’argent et la gloire puisqu’il les a déjà. En faisant ça j’imagine qu’il s’est donc offert un peu de liberté même si je ne pense pas du tout qu’il se sente emprisonné dans les Daft. Moi quand je les vois vivre dans leur milieu naturel, je les trouve épanouis et heureux de faire ce qu’ils font (rires) ! Comme je le dis souvent, Thomas (Bangalter, l’autre moitié de Daft Punk – nda) c’est le monolithe des Daft, même s’il a fait plus de trucs avec d’autres gens que Guy-Man, alors que Guy-Man c’est plus un papillon.

J’ai appris que tu avais participé à l’album hommage à Etienne Daho qui est sorti tout récemment (intitulé Tombés pour Daho, il est en effet sorti le 25 février 2008, le même jour que Sexuality). Quel morceau y as-tu repris ?

« Des Heures Indoues ». C’est sa plus belle, je trouve. Tout le monde s’est battu pour l’avoir et moi je l’ai eue tout de suite (rires) !

Qui a décidé de qui allait reprendre quoi ?

Je crois que c’est les instigateurs de la compile. Mais c’est super, moi j’aime bien Daho…

Lui aussi était un lover, un lover un peu froid, années 80, mais lover quand même…

Oui, voilà, et ce que je dis toujours c’est que pour moi les surhommes ce n’est pas des mecs qui ont lu Nietzsche, enfin ce n’est pas des mecs qui ont cette vision-là du surhomme. Car pour moi les surhommes c’est les hommes qui sont presque des femmes, comme Mick Jagger, David Bowie, Michael Jackson, Iggy Pop. Tous ces mecs sont des surhommes parce qu’ils sont pratiquement des femmes. Et dans Daho il y a un peu de ça. Il est très féminin, il a un côté archi-efféminé, il a une vraie sensibilité de femme. Moi quand je le vois je vois plus une femme qu’un homme et c’est un peu son côté supérieur et ça j’aime bien.

Je voulais aussi te parler de Daho pour aborder un aspect de Sexuality qu’on n’a pas eu le temps d’aborder la première fois qu’on s’est vu à ce sujet, c’est son côté très pop FM. Sa manière de concilier la réminiscence de tubes radiophoniques connus de tous avec une culture plus pointue et perchée de musicien pop alternatif…

De toute façon mon album est à mi-chemin entre le superficiel total, que j’analyse comme étant le son FM, et le profond, qui pour moi va être des choses comme le Rock Bottom de Robert Wyatt…

Wyatt auquel ressemble beaucoup le personnage que tu joues dans le film Steak

Oui, mais ce n’est pas moi qui ai choisi, c’est tombé comme ça. Mais c’est vrai que moi aussi je pensais à Wyatt quand je roulais avec mon petit fauteuil et parfois je me disais même : « Tiens il doit bien se marrer quand même parce que c’est assez amusant ces trucs roulants. » Bon après au bout de deux heures ça commence à te saouler. Attends qu’est-ce que tu me demandais avant ? Ah oui, le côté FM, superficiel ! La forme de Sexuality est FM mais le fond pas du tout, parce que faire un album qui ne serait que FM ça serait stérile et faire un album qui ne serait que profond ce serait ennuyeux et comme moi je veux tout, il m’a fallu trouver l’équilibre entre ces deux notions opposées, quelque chose qui flirte avec ces deux extrémités, quelque chose d’à la fois très profond et de complètement cheap. De toute façon on ne peut pas vraiment inventer quelque chose de ses mains. On ne peut pas inventer un accord. Et c’est pareil pour un film : on ne peut pas inventer une histoire. Il y a déjà eu tellement d’histoire sur l’homme et les hommes qu’inventer une histoire paraît impossible. Il ne peut donc y avoir création que dans ce rapport de dosage entre des éléments qui préexistaient à ta naissance. L’art de mélanger les choses est donc très important car réellement créer est impossible.

Écoutes-tu ton propre album pour ton plaisir ?

Ah non, surtout pas ! Une fois j’avais entendu une histoire sur Patrick Bruel. Un mec m’a dit qu’il était passé en caisse juste à côté de lui et qu’il l’avait vu en train d’écouter son live à fond dans son cabriolet (rires) ! Je me suis dit : « Oulala ! » Moi je ne fais pas ça. Dès la dernière seconde du mixage de mes albums, je me mets à les détester. Tant que c’est en travaux, ça va, je suis à fond dedans, je suis même en transe, mais dès que c’est fini ça me pose problème, je ne vois que les défauts. Et puis m’écouter chanter franchement… (rires) !

T’arrive-t-il d’écouter de la musique pour faire l’amour ? Si oui laquelle ?

Quand j’étais ado, j’écoutais beaucoup Appetite For Destruction des Guns and Roses. C’était bon ça. Maintenant que j’ai un peu plus de bouteille, j’écoute Diana & Marvin, l’album de duos de Diana Ross et Marvin Gaye. C’est sur-senti, sur-bon. Aucune chanson ne vient gêner un moment. Sinon j’aime bien aussi écouter Luccio Battisti (mort en 1998, il est considéré comme l’un des plus grands chanteur de musique pop italienne – nda). Mais la meilleure musique pour faire l’amour ça reste quand même le bruit de l’eau, être à côté d’une rivière, à côté de la mer, les clapotis des vaguelettes sur la coque d’un bateau. Rien n’est plus érotique. Après on n’est pas non plus obligé de mettre de la musique. Car pour moi il n’y a pas de disque pour la partie de baise idéale. Il n’y a que des clapotis.


Oublions un peu l’amour et la sexualité. A la sortie de Politics, tu avais parlé d’un projet d’album sur le thème des ZEP (zones d’éducation prioritaire)…

Ah oui, c’est vrai !

Pourquoi serais-tu intéressé par faire un album sur ce thème ?

Parce que pour moi les zones les moins respectées d’un point de vue architectural sont les zones les plus belles. Certes, on y sent moins d’âme mais une belle ville, c’est bien, c’est très amusant, on connaît tous, mais une ville artistiquement intéressante c’est encore mieux. Et j’avais par exemple trouvé ça à la préfecture de Créteil ou dans les environs de Cergy-Pontoise où il y a une bourgade qui s’appelle Cours-Dimanche avec des alignements de maisons vraiment identiques et moi j’adore ça, ce n’est même pas une moquerie. Il y a un côté paradis à perte de vue comme ça qui me fait penser aux affiches de la Scientologie où l’image du bonheur est toujours une route, quelque chose de symétrique. Et voilà, là-bas tout est pareil, on a envie d’être tranquille. Moi j’adore ça.

Et tu voudrais faire une musique qui reflète ça ?

Non, je voudrais faire une musique qui fasse ville nouvelle. Autant là avec Sexuality j’ai fait de la musique où sans même écouter les paroles on se dit : « Tiens, c’est de la musique de cul », autant avec ce projet ce qui serait vraiment chan-mé c’est de réussir à faire une musique où sans même écouter les paroles on se dise : « Tiens, ça fait ville nouvelle ».

As-tu déjà des pistes pour ce qui est de traduire ça musicalement ?

Moi mon début de piste c’est les films de Rohmer. Je ne sais pas comment on pourrait définir les films de Rohmer mais quand Rohmer filme la ville il y a un côté ville nouvelle abominable qui me plait énormément. Il a une « touch » particulière. Parce que c’est ça aussi, je le dis souvent d’ailleurs, mais pour créer de grandes choses – ce que j’espère réussir un jour – il ne faut pas trop regarder en arrière et faire ce qui a déjà été fait. Par exemple si un mec qui écrit des bouquins veut faire un truc aussi gros que Proust, qu’il lit Proust et qu’après il essaie de faire pareil, ça ne fera pas un bon bouquin, ça fera une imitation. Il faut plutôt chercher à s’appuyer sur des choses qui ne sont pas respectables ou qui ne sont pas respectées. Par exemple pour Thriller Michael Jackson s’est appuyé sur les films d’horreurs qui n’étaient pas du tout respecté à l’époque. Ils étaient la risée de tout le monde à part des kids.

Pour faire de grandes choses il faut  investir de nouveaux territoires, c’est ça ?

Oui. Je pense que je suis loin d’être le premier à m’intéresser aux villes nouvelles, mais il se peut que je sois l’un des premiers à vouloir mettre ça en musique. Après je ne sais pas si ce sera pour mon prochain album. Peut-être que le prochain sera un truc d’art contemporain avec mon ami Xavier Veilhan. Je ne sais même pas quelle forme ça prendra, si ce sera un album ou un maxi.

Es-tu encore intéressé par le format album à l’heure où l’on crie partout que les CD se vendent de moins en moins au profit d’une consommation saucissonnés en MP3 de mauvaise qualité gratuitement téléchargeables sur le net ?

Oui alors je ne sais pas si le marché permettra tout le temps de faire des albums mais en tout cas pour moi un album c’est forcément un album concept. Pour moi faire un album sans concept n’aurait pas de sens.

Parce que tu tiens à y développer une histoire et un univers précis ?

Oui. Après chacun fait ce qu’il veut, plein d’albums ne sont pas des albums concept, mais moi il faut que mes albums aient un début, un milieu et une fin. J’essaie de faire ma musique comme on fait un film, avec du suspense, une sorte d’histoire, et inversement j’aime les films qui sont faits comme de la musique, où le rythme des images et la plasticité du son priment sur toute notion d’histoire, de narration classique. Mes films préférés ça va donc être des trucs comme Apocalypse Now. Ça pour moi c’est de la musique, pas du cinéma.

Revenons à l’Eurovision. Tu répètes la prestation que tu vas y donner ?

On ne peut pas parler de concert parce que ça va se faire en play-back, enfin les instruments, pas la voix. Je vais donc chanter en vrai, ce qui est quand même le plus important. A part ça non, je ne fais pas spécialement de répétitions. J’ai juste réécrit quelques phrases du texte en français parce qu’il faut quand même qu’il y ait un peu de français dans la chanson.

Ça va donner quoi le passage réécrit en français ?

« Oh c’est une histoire, une petite amourette, comment mon cœur a succombé », voilà un truc comme ça, teinté d’Eurovision évidemment. Cette chanson pour moi c’est de la crème glacée, il n’y a donc pas à réfléchir.

Tu as choisi ta tenue de soirée ?

Non, je ne me prépare pas en vue de l’événement, tout ça va se faire une semaine avant le passage à la télé. Je vis vraiment ça comme un amusement. Pour moi faire l’Eurovision c’est comme partir en vacances.

Ça ne te stresse pas ?

Non, pas du tout. Autant un concert me stresse que ce soit dans une petite salle ou dans une grande, autant l’Eurovision ça ne me stresse pas. Au contraire le fait que ce soit diffusé devant des millions de gens me rend ça très confortable. Le soir de l’Eurovision tu ne peux pas ne pas briller donc il n’y a aucun souci.

As-tu pris connaissance des réactions suscitées par ta participation à l’Eurovision ?

J’ai juste regardé quelques réactions sur Internet et j’y ai un peu tout vu. Je dirais qu’il y a 3/4 des gens qui sont contents qu’un mec comme moi fasse l’Eurovision et puis le quart restant trouvent ça vraiment bizarre parce qu’ils aiment bien ma musique mais ils pensent que là n’est pas sa place. Mais ça épouse au poil mon trip musique du cœur et pas musique intellectuelle. Il faut que j’aille vers là, je n’ai pas le choix.

2 réponses
  1. yanko
    yanko dit :

    Excellente interview je trouve, la meilleure que j’ai pu lire du mec (dont le seul disque écouté est justement Sexuality, que j’apprécie à petites doses),pour moi la plus dense en tout cas.
    Marrant ce qu’il dit sur Gainsbourg, y a une amorce comme pour signifier que Gainsbourg, ben c’est pas si terrible que ça. Mais je confonds peut-être ce que je pense, et ce qu’il énonce.
    Bien à toi Sylvain

  2. sylvain
    sylvain dit :

    Muchas gracias Yann. Mais allez, avoue, c’est la seule itw que tu as lu de Tellier !
    Je pense qu’il aime Gainsbourg le bougre mais comme on aborde la question sous l’angle du personnage Gainsbourien et de la grande course au nouveau Gainsbourg hé bien naturellement il tempère le schmilblick et se distingue en préférant évoquer Christophe…

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