M83 « SATURDAY = YOUTH »

15 mars 2008. 17h. Locaux d’EMI. C’est la deuxième fois que je rencontre Anthony Gonzalez. La première fois c’était au tout début de l’année 2005 pour la sortie de son troisième album, Before The Dawn Heals Us. Là c’est pour le suivant, Saturday = Youth, qui sort ce 14 avril. Anthony a beaucoup changé. Ça me frappe quand je le vois. Il s’est considérablement affiné. Envolé son embonpoint de chérubin. Il porte toujours un survêt’ de sport mais plus près du corps, plus fin et marqué de couleurs vives, flashy. L’effet est tout autre. Il s’en étonne quand je lui dis.

En trois ans plein de choses ont pourtant changé pour l’artificier pop français d’M83. Alors que son Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts était sorti aux Etats-Unis un an après sa sortie française, son Before The Dawn y est sorti simultanément, suivi d’une grande tournée américaine en 2006. C’est comme si ce disque avait été un vaisseau spécialement taillé pour ça. Et voilà, les USA sont devenus son playground. Il y a illustré des pubs, des films, remixé Depeche Mode et Bloc Party. En septembre 2005 Mute Records y a même réédité son premier album pour une sortie mondiale.

Saturday = Youth devrait définitivement l’installer comme une pointure hors de nos frontières. C’est en mêlant sa culture indie rock à des choses plus pop, rémanentes de la FM des années 80, qu’il a pris son essor et cet album va encore plus dans ce sens. Par exemple « Graveyard Girl » c’est « L’Aziza » + New Order. Et tout est comme ça : madeleine d’ado. Anthony cite d’ailleurs John Hughes, pionnier du teen-movie (Une créature de rêve, La folle journée de Ferris Bueller, Maman, j’ai raté l’avion, Denis la malice : c’est lui) comme une influence majeure de ce disque.

Cette fois Anthony n’a pas composé seul. Il s’est entouré de son grand frère, Yann Gonzalez, réalisateur de courts métrages (By the Kiss, Entracte, Je vous hais petites filles, sélectionnés à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes), de Pierre-Marie Maulini (guitariste-bassiste), de Loïc Maurin (batteur) et de Morgan Kibby, songwritice de L.A qui lui a fait des arrangements de claviers et prêté sa voix. On l’entend dans les bandes annonces de La jeune femme de l’eau et d’Harry Potter et la coupe de feu. Elle est très présente sur ces 11 titres, plus orientés chanson.

Long trip gargantuesque en mode drive in (& out) vers la voûte céleste, Before The Dawn était un disque orgiaque, un corps dionysiaque. Twin Peaks, La Boum, Le Grand Bleu, Tangerine Dream, Vangelis, Pink Floyd, Jean-Michel Jarre, Dream Theater, Mogwai, Sonic Youth, Daft Punk, Air, My Bloody Valentine, Chemical Brothers : essence du cross-over de l’entertainment pop, tout cela s’y télescopait, générant une vraie cosmosion cérébrale. S=Y est plus radio-friendly, affuté. La France accordera-t-elle enfin à M83 l’accueil public et scénique qui est le sien à l’étranger ?

Anthony me dit qu’il revient tout juste de trois concerts en Australie où il a rodé ses nouveaux morceaux. Il s’envolera ensuite à Londres et Dublin avant 14 dates aux USA. Tous ces concerts me font tilt. Je suis aussi là pour écrire un article pour Park Magazine sur les français « born to be worlwide » qui s’exportent bien 10 ans après l’explosion French Touch. Il est déphasé, fatigué ? L’interview ne s’éternisera pas. Depuis qu’il a changé de statut et vit son rêve d’Actarus à bord du Goldorak qu’il s’est créé, son temps de parole est précieux, compté. Et puis il est aussi expansif qu’il y a trois ans…


« la tristesse m’a toujours fasciné »


Bonjour Anthony. Pourquoi avoir fait produire Saturday = Youth par Ken Thomas ?
Je voulais collaborer avec de nouvelles personnes pour obtenir un son nouveau. Et comme j’adore le son que Ken Thomas a élaboré avec Sigur Ros j’ai voulu travailler avec lui. Ken Thomas, c’est quand même quelqu’un qui a plu de 30 ans d’expérience dans le métier. Il a travaillé avec plein de groupes des années 80 que j’adore comme Cocteau Twins ou Depeche Mode. Mais j’ai aussi travaillé avec Erwan Pearson, un jeune par exemple connu pour ses productions électroniques pour The Rapture. On a joué avec des synthés analogiques et en guitare-basse-batterie. On a juste pris des ordinateurs pour l’enregistrement. En fait on a un peu fonctionné comme lorsque je compose, parce que comme j’ai encore du mal avec les logiciels, que je ne trouve pas encore assez instinctifs, je compose avec des synthés et des guitares. Au final je pense que la combinaison de ces deux types de productions donne un album musicalement riche et en marge de ce qui peut se faire de nos jours.

Tu n’aimes pas le son qui se fait aujourd’hui ?
J’écoute toujours beaucoup de vieilleries. Je me sens un peu perdu dans ce qui se fait aujourd’hui. J’aime bien un groupe comme les Midnight Juggernauts, mais il y a tellement de choses à découvrir ou à redécouvrir dans les années 70-80-90 que je trouve ça bien de se concentrer là-dessus avant de découvrir des nouveautés. Ça me permet aussi de me détacher de ce qui se fait, de me singulariser.

Saturday=Youth sonne plus pop que Before The Dawn
Pour moi c’est important d’essayer de faire sans cesse évoluer le projet et c’est vrai qu’il y a un côté très années 80 dans cet album. Mais ça reste du M83, un disque personnel, avec ma patte, pas juste un hommage aux années 80.

Entre ces deux albums tu as publié Digital Shades Vol. 1, premier volet d’une série d’albums d’hommage à Brian Eno et à la pop planante allemande des 70’s. L’orientation de Saturday = Youth serait-elle une réaction à cette escapade 70’s  ?
Digital Shades a vraiment été une récréation entre mes albums studios. Pour Before The Dawn, on a beaucoup tourné aux USA, on a donné des concerts très noisy. Après j’ai donc tout naturellement eu besoin d’un peu de repos et Digital Shades m’a permis de souffler. Ensuite, effectivement, je suis allé spontanément vers un truc plus années 80.

Les années 80 sont la décennie de ton enfance et de la FM et on dirait que ce disque vise à retrouver la magie des chansons qui passaient sur la FM quand tu étais petit…
J’étais trop jeune pour découvrir cette musique en direct car je suis né en 1980 mais je pense qu’elle m’a inconsciemment bercé. A l’adolescence je suis passé à la musique des années 90, Nirvana, Sonic Youth, Blonde Redhead, etc. Ce n’est qu’après que j’ai découvert la musique des années 80 avec des groupes comme Cocteau Twins, Tears for Fears, Talk Talk, etc. Malgré moi je pense que je suis influencé par toutes ces choses un peu variété ou FM, ça me plait.

Ce retour de la pop mal aimée des 80’s considérée comme cheap, de mauvais goût est un penchant (péché ?) générationnel. Récemment Justice a par exemple sorti une compile intitulée XmasmiX où Gaspard Augé et Xavier de Rosnay ont mis des tubes de leur enfance comme Daniel Balavoine et Rondo Veneziano. Il y a aussi Medhi Pinson, du groupe Scenario Rock qui vient de sortir Histrionics et qui aime bien qu’on dise de son disque qu’il fait le grand écart entre The Cure et Michel Berger. Je pense aussi au The Fortune Teller Said de Rhesus où j’ai senti de vrais morceaux de Cock Robin et de Jean-Jacques Goldman et au Sexuality de Sébastien Tellier qui exhale, enfin exhume tout un pan des eighties, très slow, naïf et estival…
Oui, c’est ça. Par exemple quand j’écoute Tears for Fears il n’y a aucune ironie de ma part, je suis premier degré, ça me fait kiffer. Ça se retrouve donc forcément un peu dans mon disque.

Une chose demeure : tu as encore cédé à ton goût pour les albums « carrés et symétriques » qui durent une bonne heure car celui-ci dure pas moins de 62 minutes…
Le pire c’est qu’en le faisant je me suis dit que j’allais faire un album de 10 titres et de 40 minutes, mais à chaque fois je me sens obligé de rajouter une plage ambiante de 20 minutes. Sans doute que pour moi inconsciemment si un album dure moins d’une heure ce n’est pas un album de M83.

Tu as besoin de bâtir des monolithes ?
Oui, tu as raison, j’ai besoin de me sentir entouré d’un long truc épique sinon je me sens mal. Il faut que j’arrête. Mais j’ai fait des progrès car avant mes albums s’écoutaient plutôt comme un tout, or celui-ci est plus une collection de chansons, un voyage dans les années 80 où on peut facilement passer d’une chanson à une autre car elles ne racontent pas vraiment une histoire.

C’est le côté radiophonique de ton disque. On peut zapper les titres.
C’est ça (quatre singles en seront d’ailleurs tirés : « Couleurs », « Graveyard Girl », « Kim & Jessie » et « We Own The Sky » – nda).

« Couleurs » est le morceau le plus dansant du disque mais il est aussi très triste…
Oui, c’est le track un peu dancefloor de l’album, toujours très typé années 80, avec des percussions à la Liquid Liquid, qui fait aussi partie de mes influences (entre 79 et 85 ces quatre new-yorkais ont sorti trois 33 tours aujourd’hui devenus « séminaux » pour leur mélange de punk et de groove dub-funk – nda). Mais c’est vrai qu’il est aussi gagné par un romantisme et par une mélancolie. Ça, je ne le contrôle pas. J’ai toujours été fasciné par la tristesse. Ça fait partie de moi et du projet M83, même si cet album est plus happy que les précédents.

La pochette du disque montre des jeunes dans un parc baigné de la lumière rasante orangée du crépuscule. Ils portent des tenues colorées customisées dans un style un peu Tecktonik mais ils n’ont pas l’air particulièrement « happy », plutôt  groggy…
C’est cette image de l’adolescence que je voulais donner, une adolescence un peu perdue, désespérée et en même temps pas si malheureuse que ça.

Pourquoi « Samedi = Jeunesse » ?
Parce que quand tu es ado c’est le jour que tu attends parce que c’est le jour où tu vas pouvoir sortir. C’est un jour qui m’a beaucoup marqué quand j’étais ado. L’adolescence elle-même est une période qui m’a beaucoup marqué, en expériences, en rencontres, etc. Cet album c’est une façon de rendre hommage à ces années dont je suis super nostalgique.

Tu te sens encore ado ?
Oui, j’ai du mal à en sortir.

Faire de la pop, ça ne doit pas aider ?
Non, c’est sûr.


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