M83 « BEFORE THE DAWN HEALS US »

18 février 2005. 17h. New Morning. Anthony Gonzalez s’apprête à s’envoler. Dans quatre heures, soutenu par la gratte de Philippe Tiphaine (ex-Heliogabale), la basse de Stéphane Bouvier (ex-Purr) et la batterie de Loïc Maurin (ex- de quelque chose mais je ne sais pas quoi), il décollera en lâchant guitare au poing les fusées électro-rock de Before The Dawn Heals Us, sorti le 24 janvier dernier. Ce sera bien, il y aura même du monde dans cette salle plutôt jazzy du dixième arrondissement de Paris. Mais restera tout de même comme un arrière-goût de pétard mouillé. Comme si on n’avait donné qu’une jument à l’étalon qui pouvait enfiler le cheptel. Du 4/4 Banga au prince qui méritait la belle.

Sur le moment je ne le savais pas car je viens de le découvrir avec ce disque, mais le gars a déjà fait une tournée à travers le monde avec son deuxième album, Dead Cities, Red Seas & Lost Ghosts, qui obtint une bonne note de Pitchfork (je ne sais pas laquelle) et sorti en 2004 aux USA (chez Mute). Avec le nouveau, comme l’indique l’épaisseur de son dossier de presse et la teneur dithyrambique des premiers papiers, il joue gros, apparaît comme le nouveau frenchy capable de s’exporter après Air, Daft Punk et Phoenix. Dans la bataille il a perdu un membre : Nicolas Fromageau. C’est avec lui qu’il a formé M83 en 99 au lycée à Antibes. Mais rien de grave, simples divergences artistiques.

Aujourd’hui Anthony est donc seul à bord et il s’en donne à cœur triste. Son romantisme et sa féérie abattent les cloisons qui rendaient cette electro-shoegaze un peu cérébrale. « Music » de John Miles (mais si, la chanson qui fait « Music was my first love / And it will be my last / Music of the future / Music of the past »), « Your Eyes » de Vladimir Cosma (mais si, le slow de La Boum 2 qui fait « Your eyes / Opened wide as I looked your way / Couldn’t hide what they meant to say / Feeling lost in a crowded room / It’s too soon for a new love »), « Falling » de Julee Cruise (mais si, le thème de Twin Peaks) y car crashent tour à tour Pink Floyd, Daft Punk, Sonic Youth, My Bloody Valentine…

Before The Dawn est un album aussi chargé qu’instantanément jouissif. Morgue sépulcrale, coups de sang cosmiques, synthés fleur bleue : il m’a conquis. En attendant que ce rush électro-prog-rock lui ouvre la destinée qu’appelle l’intitulé galactique de son nom de « groupe » et qu’il se transforme en Super Teddy scénique, Anthony végète dans le calme d’un New Morning désert. Il est là, assis sur ce banc comme dans le trou du cul du monde, une salle de classe après l’heure des mamans, sans manager ni attaché de presse. Il ale visage poupon et la tenue sportswear du type pas encore sorti de l’enfance. Il s’apprête à répondre timidement à mes questions. Là, et déjà ailleurs à la fois.

« Si j’avais le budget, je ferais un truc dix fois plus grandiloquent »

Bonjour Anthony. Depuis le début de M83 en 2001 ta musique semble plus marcher chez les pays anglo-saxons qu’en France. Comment t’expliques-tu ce succès à l’international ?

Je ne me l’explique pas trop en fait ! Mais comme ma musique renvoie à des groupes anglo-saxons, des choses des années 90 comme My Bloody Valentine et Slowdive et d’autres des années 70 et 80, je pense qu’ils sont plus aptes à l’apprécier que les français. Après peut-être qu’en tant que français ma musique leur paraît plus fraîche que d’autres trucs qui sortent chez eux.

Il y a aussi son côté très scénique, non ? Le fait qu’elle soit aussi très puissante et spatiale ?

Oui, sûrement. D’ailleurs ce qui est intéressant dans un concert c’est de dévier par rapport au disque. Nous on est obligé. Nos disques contiennent tellement de pistes qu’il nous faudrait être 20 sur scène pour pouvoir le retranscrire fidèlement. On joue donc plus rock, les guitares en avant. Mais le show est écrit à l’avance, le batteur joue avec des séquences. On ne peut donc pas improviser et se lâcher, à part sur un ou deux morceaux.

Before The Dawn Heals Us est le premier album de M83 que tu as composé seul, sans ton ami Nicolas Fromageau. Est-ce pour ça qu’il sonne plus rock que les précédents, plus electronica ?

On a toujours été d’accord sur plein de trucs avec Nicolas et à l’époque j’avais envie d’explorer d’autres de nouveaux sons et d’autres types de musiques,mais il y avait forcément des concessions. Ce n’est plus pareil quand tu es tout seul, tu oses faire des trucs que tu n’aurais jamais faits à deux. Moi, j’ai besoin de composer seul, ça m’est naturel. Aujourd’hui je ne fais donc plus de concessions et comme j’ai toujours écouté du rock et que j’en écouterai toujours, voilà, j’y reviens forcément. Mais le rock est une musique qui se marie bien aux sons venants d’ailleurs

As-tu eu du mal à appréhender les machines ?

Non, pas trop. Comme je suis assez glandeur, sur mes machines j’utilise à toujours les mêmes sons, mais j’essaye toujours de les bidouiller pour qu’ils soient assez chauds, qu’ils sonnent acoustiques, comme une voix par exemple. Je ne suis pas un fou de synthés. Pour l’instant, je ne focalise pas trop sur les arrangements, plus sur les mélodies. Je fais en sorte qu’elles sonnent assez rapidement. Pour le moment, je ne suis donc pas très difficile, mais je le deviens de plus en plus. Par exemple, pour la suite j’ai vraiment envie de m’appliquer sur les arrangements, de faire un truc assez produit, avec des collaborations.

Cet album semble déjà pas mal produit ! En tous cas il est assez épique, emphatique même. Assumes-tu cette grandiloquence ?

Oui, en musique ça ne m’a jamais dérangé. J’aime écouter des trucs assez orchestrés qui peuvent paraître too much pour certains. Je suis limité économiquement et matériellement, mais si j’avais le budget d’un grand groupe je ferais un truc 10 fois plus grandiloquent que ce que je viens de faire ! Je rêve d’un album super produit, avec plein d’arrangements de voix, qui durerait une bonne heure. J’aime le fait qu’un album dure une heure ! C’est un truc carré et symétrique qui me convient bien.

Tout du long ce Before the Dawn Heals Us brûle d’un véritable un mur du son électro-rock. En l’écoutant j’ai trouvé qu’il exprimait quelque chose de contestataire ou d’utopique comme chez les « post-rockeux » de Mogwai ou de Godspeed You ! Black Emperor. Qu’en penses-tu ?

Je ne suis pas un révolutionnaire dans l’âme, mais je suis un peu radical à propos de la musique. Ça me gêne quand on met de la musique en fond sonore en soirée. J’aime écouter la musique au casque et vraiment fort pour la ressentir. Et j’écoute des trucs assez puissants donc ça vient peut-être de là.

Ecoutes-tu les groupes que je viens d’évoquer, les Mogwai, les Godspeed et même Sigur Ros ?

Oui, je suis super fan de ces groupes, notamment du premier maxi de Sigur Ros. La première fois que je l’ai écouté, ça m’a vraiment mis une claque. Je pense qu’on fait tous partie du même univers.

Il paraît que l’album a été enregistré dans une maison isolée près d’une forêt et que la nuit venue tu réécoutais les enregistrements du jour assis dans cette forêt. Confronter ta musique à cet environnement nocturne était un bon moyen pour voir si elle produisait l’effet escompté ?

Oui ! Quand je compose j’ai pas mal d’images en tête et je trouve qu’on voit vraiment qu’une musique marche si il se passe quelque chose quand on l’écoute à un moment et un endroit précis. Faire ça me donne donc des repères. L’image est très importante dans ce projet. J’aime le cinéma et je n’aime pas les albums à single où tu n’écoutes finalement que deux chansons. J’aime les albums qui s’écoutent avec un début, un milieu et une fin comme s’ils déroulaient vraiment une histoire. J’ai voulu créer un album de ce genre, où on ne puisse pas s’arrêter sur une plage en particulier et où l’auditeur puisse créer ses propres images. Car c’est ce qui me plait en général dans la musique : que chacun soit libre d’y voir ce qu’il veut.

Des critiques ont trouvé que ce disque avait des airs de Jean-Michel Jarre. Qu’en penses-tu ?

J’écoute du Jean-Michel Jarre. Un morceau comme « Soldier Machine », je trouve ça super beau.

C’est ton côté « spectacle sons et lumières » ?

Oui, d’ailleurs un pote m’a dit que je faisais du Vangelis (musicien grec né en 1943 connu pour avoir été l’un des pionniers de la musique électroniques des années 70 au même titre que Jarre, Kraftwerk, Klaus Schulze et Tangerine Dream, et avoir composé l’intégralité des BO de Blade Runner, de 1492: Christophe Colomb et l’hymne de la Coupe du monde de football de 2002 – nda). Je ne déteste pas ce genre d’ambiances.

D’où l’omniprésence d’harmonies vocales mystiques dans Before The Dawn ?

Oui, j’ai toujours été attiré par les chants mystiques, je ne sais pas d’où ça vient mais j’aime bien l’idée de donner une image surnaturelle à la musique. Je trouve ce concept intéressant à exploiter.

Quels sont les groupes français dont tu te sens proche ?

J’aime bien Cyann & Ben (ex-copain de label chez Gooom Disques, ce groupe aujourd’hui décédé a sorti trois albums de post rock entre 2003 et 2006 et remixé certains des morceaux de M83 – nda). Je suis aussi assez fan d’Air, particulièrement de leur deuxième album, 100 000 Hz Legend. J’adore les travaux de Sylvain Chauveau, je trouve qu’il est bourré de talent. J’aime bien Sébastien Schuller aussi. Au-delà de ça, j’avoue que j’ai un peu tendance à n’acheter que des vieilleries des années 70-80. Aujourd’hui tellement de trucs sortent que j’ai du mal à suivre.

Connais-tu Sébastien Tellier ?

Le pote de Air ? Très peu, mais il n’y a pas si longtemps je suis tombé sur un morceau de lui sur la BO de Lost In Translation (c’est « Fantino », un morceau de L’incroyable Vérité, son premier album sorti en 2001 – nda) et j’ai trouvé très bon.

Il dit que pas mal d’idées de son deuxième album lui sont venues en jouant à la Playstation. Es-tu toi aussi influencé par les jeux vidéo voire des bandes dessinées ou des dessins animés ?

Ces choses-là m’ont forcément marquées car elles font parties de mon époque. Je suis d’ailleurs assez fan de jeux vidéo et de mangas, mais je ne dirai pas que tout ça fait partie de mes influences…

Et qu’en est-il du foot ? Il paraît que plus jeune tu en as fait à un assez haut niveau…

Le sport et la musique sont des choses très différentes mais en même temps, avant de faire du foot avec des potes ou mon club, j’aime bien écouter un bon truc bien violent en voiture ! ça me motive. Parfois quand je joue j’ai même des morceaux dans la tête et ça m’aide à rentrer dans le match.

Quand tu dis « violent » tu penses « hard » ?

Oui, je suis fan de hard rock et d’heavy metal !

(SUITE.)

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