ILIKETRAINS “HE WHO SAW THE DEEP”
21 janvier 2011. 2h01. Ăa y est jâai enfin envoyĂ© mes questions au groupe de rock anglais iLiKETRAiNS. Elles sont au nombre de 20, dĂ»ment traduites en anglais et disposĂ©es dans un ordre qui, comme dâhabâ, ne doit rien au hasard. Lâinterview fait suite Ă la sortie de leur deuxiĂšme album, He Who Saw The Deep, chez Talitres le 25 octobre dernier. Contrairement Ă leur premier album et plus encore Ă leur premier EP, jâai eu un peu de mal Ă rentrer dedans. Comme le dernier disque de The National, il mâa fallu plusieurs Ă©coutes pour le saisir, ĂȘtre touchĂ©. Je lâavais mĂȘme dit Ă leur RP : « Sean, je l’ai Ă©coutĂ© 2-3 fois et Ă part « Sea of Regrets » j’ai du mal Ă accrocher. On dirait que le groupe a subi une cure dâamaigrissement. Câest plus pop. OĂč sont passĂ©s leurs climats Ă©piques qui prenaient aux tripes ? »
En prĂ©parant cette interview, jâai Ă©tĂ© surpris dâapprendre que David Martin, leur chanteur-guitariste, avait un album solo sous le bras sur le point de sortir. L’info remonte au 1er avril 2010. Je l’ai trouvĂ©e sur leur fan site, qui la tiendrait du NME. Et ce site rapporte donc que cet album solo ferait actuellement le tour des labels pour trouver preneur. Un ponte de chez Warner qui a prĂ©fĂ©rĂ© garder lâanonymat rĂ©vĂšle mĂȘme qu’un bras de fer viendrait d’ĂȘtre entamĂ© pour signer en major. La raison de ce side project ? David serait, de son propre aveu, « fatiguĂ© par le bagage musical de Guy, Alistair et Simon » qui “attendent toujours de lui quâil Ă©crive sur la mort ou les gens morts”. Du coup il aurait tripĂ© dâĂ©crire sur les choses plus fun qui le rendent heureux, « comme les chips et les glaces Ă la crĂšme ». Un morceau de lâalbum porte ce titre.
L’album sâouvrirait sur une reprise du « Smile » de Lily Allen, et Ă lâentendre on aurait la rĂ©vĂ©lation que cette chanson Ă©tait « faite pour son organe de baryton ». Parmi ces 8 titres figurerait un morceau en espagnol, « Mi Nombre Es David », qui serait « la plus haute expression que David ait jamais faite sur son besoin dâĂ©tablir le contact avec les ĂȘtres humains ». « Pendant que sa voix de baryton quĂ©mande inlassablement « How are you ? » » son humanitĂ© affleure quand il dĂ©clare que, malgrĂ© tous ses E.T. tĂ©lĂ©phone maison, « il reste ce type qui se satisferait de trouver refuge dans une salle de bains ». Ce morceau tĂ©moignerait de l’incapacitĂ© de son auteur Ă se dĂ©faire de toutes rĂ©fĂ©rences historico-religieuses car « le David de la chanson pourrait renvoyer au David de la Bible ».
Un autre morceau sâappellerait « Life is the Beginning » et lâalbum, sans pochette pour lâinstant, Lollypops. Le fan site rapporte tout ça sans montrer que les propos de David Martin, comme son projet solo, puissent contenir ne serait quâune (r)once dâironie. Ni mĂȘme ĂȘtre un poisson d’avril. Ou alors le rĂ©dacteur du site fait juste semblant d’avoir tout gobĂ© sans ciller et câest juste moi quâai pas captĂ© son ironie. Si ça se trouve tout ça n’est peut-ĂȘtre mĂȘme qu’une bonne grosse blague du fan site. Reste que ça mâa dĂ©mangĂ© (mince, le groupe serait-il en train de prendre lâeau, les rats de quitter le navire ?), mais jâai jugĂ© bon de ne pas leur parler de tout ça. Pas le moment, ni le lieu. 2 fĂ©vrier 2011. 14h05. Les rĂ©ponses dâiLiKETRAINS viennent de tomber dans ma boĂźte. Elles sont signĂ©es David Martin.
« le groupe parfait pour faire jaillir la noirceur au grand jour »
Bonjour David. Je vous ai vus en concert Ă la FlĂšche dâOr le 17 dĂ©cembre dernier. Vous ouvriez pour White Lies. Ăa fait quoi dâouvrir pour un si mauvais groupe ?
Ahahah ! CâĂ©tait bien. Câest toujours bien de tenter de convaincre un public qui nâa jamais entendu ta musique et dâessayer de lui montrer comment doivent sonner des guitares dark.
A vos dĂ©buts vous avez dĂ©jĂ ouvert pour The Cooper Temple Clause. Jâai toujours trouvĂ© quâil nâavait pas eu le succĂšs quâil aurait mĂ©ritĂ©. Quâen pensez-vous ?
Je me rappelle de les avoir vus sur scĂšne quand ils Ă©taient encore considĂ©rĂ©s comme un jeune groupe et de les avoir trouvĂ©s assez bon. Je nâai jamais Ă©tĂ© vraiment fan de leur musique mais encore une fois câĂ©tait bien de toucher un nouveau public. On a juste fait un concert avec eux. CâĂ©tait vers la fin de leur carriĂšre. De chics types. Ce soir-lĂ on a rencontrĂ© Robert Smith. Il Ă©tait Ă moitiĂ© pĂ©tĂ© et il nâarrĂȘtait pas de dire Ă Alistair, notre bassiste, tout le bien quâil pensait de notre groupe. On sâest vite rendu compte quâil croyait quâAlistair faisait partie de The Cooper Temple Clause. Un grand moment de solitude.
Je vous ai dĂ©couverts en 2006 en voyant votre EP Progress Reform Ă la borne dâĂ©coute dâun grand magasin de disques. Je lâai Ă©coutĂ© parce quâun sticker vous y qualifiait de mĂ©lange entre Nick Cave et de Sigur Ros. Quâen dites-vous ?
HĂ© bien je suis content que tâaies achetĂ© le disque. AprĂšs câest toujours difficile de dĂ©crire sa propre musique, mais jâaime plutĂŽt cette description. Elle nous allait bien Ă ce moment prĂ©cis. Ces deux artistes nous ont grandement influencĂ©s.
Sorti un an plus tard, votre premier album, Elegies to Lessons Learnt, sâachĂšve sur une chanson nommĂ©e « Death is the End ». Est-ce un clin dâĆil au « Death is not the End » de Bob Dylan repris par Nick Cave en 96 sur son Murder Ballads ?
Oui. On a senti quâon devait rééquilibrer les choses. Autant que je sache il nây a rien aprĂšs la mort.
Dans son avant dernier morceau le disque respire le temps dâun court instrumental, « Epiphany ». Jâai toujours trouvĂ© ce morceau Ă©tonnamment proche du « Treefinger » de Radiohead. Connaissez-vous ce morceau ?
Oui. Il est sur Kid A. Quâest-ce que jâai gagnĂ© ?
Ahahaha ! Que penses-tu de ce groupe ?
On aime tous Radiohead. Quâils soient devenus si gros en faisant une musique pop recherchĂ©e et sans compromis est quelque chose de super inspirant pour un groupe comme nous. Jâaime aussi quâils continuent sans cesse de se rĂ©inventer. Jâaurais bien aimĂ© que certains groupes que jâaimais Ă©voluent de la sorte.
Vous avez sorti deux EP, Progress Reform donc et The Christmas Tree Ship en 2008. Que penses-tu de ce format court ? Le prĂ©fĂšres-tu au long format de lâalbum ?
Dans une certaine mesure les EP sont plus relaxants Ă faire. Tu y es plus libre dâexplorer, en mettant des morceaux un peu atypiques qui nâavaient pas leur place sur album. Les affaires sĂ©rieuses commencent avec lâalbum, lĂ câest un sacrĂ© chantier, stressant, chronophage. Mais je pense tout de mĂȘme que nos albums sont meilleurs que nos EP.
Noël dernier vous avez sorti une reprise du « Last Christmas » de Wham! Pourquoi avoir repris cette chanson de Noël en particulier et pourquoi semblez-vous tant aimer chanter Noël ? iLiKETRAiNS serait-il en réalité un groupe de rock chrétien ?
On nous a demandĂ© de participer au calendrier de lâavent du site www.leedsmusicscene.co.uk. On a trĂšs vite choisi ce morceau pour la noirceur quâil cache. On a senti quâon Ă©tait le groupe parfait pour la faire jaillir au grand jour. Mais on nâest pas un groupe de rock chrĂ©tien non, ni mĂȘme des fans de NoĂ«l ! Je dĂ©teste ce gros compte Ă rebours commercial qui dĂ©bute maintenant dĂšs septembre.
Sorti en octobre 2010, votre deuxiĂšme album, He Who Saw The Deep, sonne moins dark et post rock Ă©pique que son prĂ©dĂ©cesseur. Le dĂ©part dâAshley Dean, votre trompettiste qui diffusait des vidĂ©os durant vos concerts y est-il pour quelque chose ou souhaitiez-vous vous affranchir de votre cĂŽtĂ© noise Ă la MogwaĂŻ ?
Non, ce nâest pas ça parce que je nâai jamais Ă©tĂ© un gros fan de MogwaĂŻ et Ashley nâa jamais Ă©tĂ© Ă lâorigine de notre son. Câest juste quâun groupe doit Ă©voluer pour que les choses restent excitantes et jâai senti que nous devions aller ailleurs, relever le dĂ©fi de tenter de faire quelque chose qui se dĂ©marque vraiment de ce quâon avait dĂ©jĂ fait. Au dĂ©but on nâavait aucune idĂ©e de lĂ oĂč on voulait aller. Ce disque sâest donc fait progressivement sur une assez longue pĂ©riode.
QuâĂ©coutiez-vous durant son Ă©laboration ? Des choses tristes et sombres ?
On Ă©coute toutes sortes de musiques et pas que des choses tristes et sombres ! En ce qui me concerne jâĂ©coutais Jeniferever, Mew, Low, The National et Wild Beasts. Ces groupes nous ont aidĂ©s Ă faire de ce disque ce quâil est.
Aimes-tu Interpol ?
Oui, mais seulement leurs deux premiers disques.
Pourquoi ne portez-vous plus de cravates sur scĂšne ?
Parce que cette fois on est partis sur le thĂšme de lâeau. Nos tenues de scĂšnes reflĂštent ça.
Vous ĂȘtes connus pour faire des disques assez « concept ». Robert Scott (explorateur polaire britannique qui mourut en 1912 avec toute son Ă©quipe sur le retour de l’expĂ©dition en Antarctique nommĂ©e Terra Nova), Bobby Fischer (jouer d’Ă©checs amĂ©ricain champion du monde en 1972 qui a fini fou, parano, antisĂ©mite, anti-amĂ©ricain et naturalisĂ© islandais), Perceval (no comment), William Brydon (assistant chirurgien qui fut le seul survivant britannique de la bataille de Gandamak qui eut lieu en Afghanistan en janvier 1842 ) : les thĂšmes historico-tragiques dâElegies to Lessons Learnt puisaient tous dans des figures du passĂ© et avaient tous, semble-t-il, nĂ©cessitĂ© un vrai travail de documentation prĂ©alable. En fut-il de mĂȘme pour He Who Saw The Deep ? Et si oui quel est son thĂšme principal ?
Pour ce disque on sâest inspirĂ© du futur de lâhumanitĂ©. Ce futur va trĂšs vite devenir trĂšs intĂ©ressant et ça nous a semblĂ© naturel de nous focaliser lĂ -dessus aprĂšs nous ĂȘtre si longtemps intĂ©ressĂ©s au passĂ©. Jâai fait beaucoup de recherches sur le changement climatique et câest devenu le thĂšme phare du disque.
Une phrase revient dans deux morceaux du disque, câest « Hope is not enough », la premiĂšre fois dans le morceau du mĂȘme nom, la seconde dans celui qui sâintitule « A Divorce Before Marriage ». Y a-t-il une raison particuliĂšre à ça ?
HĂ© bien les gens semblent croire que certaines avancĂ©es scientifiques vont venir rĂ©soudre tous les problĂšmes posĂ©s par le rĂ©chauffement climatique et quâen attendant on peut continuer Ă consommer autant quâil nous est permis de le faire. Mais non, il nây aura pas de solution miracle. Lâespoir ne suffit pas. On est foutu.
Connaissez-vous lâĂ©crivain français Michel Houellebecq ? Dans son dernier roman, La carte et le territoire, il raconte lâhistoire dâun artiste photographe qui se remet Ă la peinture figurative dans lâidĂ©e de portraiturer des gens dont les mĂ©tiers tĂ©moignent, Ă leur maniĂšre, des diffĂ©rentes mutations de la sociĂ©tĂ©. Il peint donc un gĂ©rant de bar, un architecte (son pĂšre), un prĂ©sentateur de JT (Jean-Pierre Pernaud), un ingĂ©nieur automobile (Ferdinand PiĂ«ch), des informaticiens (Steve Jobs et Bill Gates), des artistes contemporains (Jeff Koons et Damien Hirst) et finalement un romancier (Michel Houellebecq). Et Ă chaque fois, par ce biais, il nous donne lâimpression que ces professions sont dĂ©jĂ comme de lâhistoire ancienne, prĂȘtes pour le musĂ©e GrĂ©vin. Je me suis dit quâil y avait lĂ comme un lien avec votre rapport au passĂ©, Ă lâHistoire et lâhumanitĂ©, que vous pourriez presque faire des chansons sur le principe de ce genre de tableaux. Quâen penses-tu ?
Je nâai pas lu ce livre mais ça semble intĂ©ressant.
Jusque-lĂ vous avez basĂ© vos disques sur des thĂšmes qui visent lâHomme et lâHistoire avec un grand H, ce qui explique pourquoi votre musique est solennelle et propice Ă lâemphase. Pensez-vous pouvoir petit Ă petit changer votre fusil dâĂ©paule et aborder des thĂšmes plus personnels, Ă hauteur dâhomme, comme le fait, par exemple, The National ?
Oui, câest dĂ©jĂ en cours.
Jâai lu que tu tenais Ă ce que votre musique reflĂšte son ancrage gĂ©ographique, chose qui te semblait manquer dans les musiques de Sigur Ros et de Godspeed. Je ne suis pas sĂ»r de comprendre oĂč tu voulais en venir. Peux-tu prĂ©ciser ta pensĂ©e ?
Jâai dit ça il y a longtemps. Jâaime ces deux groupes, et je ne voulais pas que ce soit vu comme une critique. A lâĂ©poque on voulait sâinspirer de certaines choses chez ces groupes tout en y apposant un style trĂšs anglais. Pour moi beaucoup de groupes ont pris leur suite sans rien apporter de neuf.
Le premier single de votre nouveau disque sâappelle « A Fatherâs Son ». Ăa mâa rappelĂ© que beaucoup de chansons de groupes post rock avaient des titres de ce genre. Je pense par exemple Ă Explosion In The Sky avec « A Song For Our Father » et Ă MogwaĂŻ avec « My Father, My King ». Selon toi pourquoi ce thĂšme du pĂšre est-il si prĂ©sent ?
Je nâen sais rien et je ne nous vois pas comme un groupe de post rock.
iLiKETRAiNS est-il un groupe « built to last » ou qui peut bientÎt éclater en milles morceaux comme les Strokes ?
HĂ© bien le groupe existe depuis 6 ans, ce qui est dĂ©jĂ bien plus que la plupart des groupes. Mais je pense quâil faut prendre disque aprĂšs disque. Perso je pense dĂ©jĂ au suivant.
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