VIOLENS (1) “AMORAL”
20 novembre 2010. 16h00. FlĂšche dâOr. « Alors câest toi le mec de Caroline ? », me balance ma fichue conscience alors que je prends place en face de Jorge Elbrecht (guitare/chant), Iddo Arad (synthĂ©/chĆurs) et Myles Matheny (guitare). Il est plutĂŽt bien bĂąti. Il porte un anneau Ă lâoreille. Une raie au milieu blindĂ©e de gel. Emane de lui une sorte de charisme eighties et de nature introvertie que jâai du mal Ă cerner (Michael Hutchence en plus manga effet minet ?). Quâest-ce qui fait quâun groupe de rock indĂ© cesse un jour dâĂȘtre un simple groupe de rock, indĂ© ou non, pour incarner quelque chose dâautre qui le fait tomber dans un phĂ©nomĂšne de masse ? Cette Ă©nigme sâavĂšrera au cĆur de cet Ă©change (est-ce la musique, lâattitude, la gueule, le nom du groupe, ce que veulent les jeunes ? sans doute la rencontre de tout ça). AprĂšs coup, je ne peux dâailleurs mâempĂȘcher de penser que, parlant ainsi, Jorge avait lâexemple de MGMT en tĂȘte, tout en pensant aussi fortement Ă sa bonne Ă©toile : son groupe, Violens, et leur premier album, Amoral. (LE OFF.)
« Violens câest le gars qui saisit un Ă©tat de guerre, camĂ©ra au poing »
Bonjour les gars. Comment allez-vous ? Depuis que votre disque est sorti on entend pas mal parler de vous et vous multipliez les concerts un peu partout. Essayez-vous de livrer un concert différent chaque soir, en changeant la set-list, ou en partant dans des impros ?
J : Non, pas trop. GĂ©nĂ©ralement ça nous prend quelques concerts pour parvenir au moment oĂč le truc est rodĂ© et coule tout seul, on prĂ©fĂšre donc faire le mĂȘme show plusieurs dates de suite. Je pense que les groupes qui sont capables de proposer un concert diffĂ©rent chaque soir sont ceux qui ont un staff de 20 personnes avec eux, pour gĂ©rer le son, les lights, les instruments. On nâen est pas encore lĂ . Mais parfois on change des petits trucs dâune tournĂ©e Ă lâautre.
Tourner, ça reste un plaisir ou certains soirs ça vous gave ?
J : Disons que si ça faisait genre 8 mois quâon tournait on commencerait peut-ĂȘtre Ă sâennuyer mais jusquâĂ prĂ©sent on a juste enchaĂźnĂ© des petites tournĂ©es dâune semaine ou deux, donc ça va. Surtout quâon joue souvent avec des amis donc câest cool. Câest un peu des vacances Ă mi-temps. On a de la chance.
M: Pour lâinstant, et de loin, notre lieu favori est la France. On y a fait nos meilleurs concerts.
Ah, câest le poncif que les groupes rĂ©pĂštent sans cesse !
J : Peut-ĂȘtre, mais franchement ici on est bien traitĂ©, les gens sont super gentils.
M : Oui, et la France est belle, lâarchitecture magnifique.
I : Et puis avec lâAngleterre câest lĂ que notre musique est la mieux accueillie. On y est plus connu quâaux Etats-Unis, et comme on y mange mieux quâen Angleterre, voilĂ quoi !
Vous avez dâailleurs rĂ©cemment sorti une version française du titre « Violent Sensation Descent » en duo avec la trĂšs francophile Caroline Polachek du groupe ChairliftâŠ
I : As-tu entendu le morceau Ă la radio ?
Non, mais je nâĂ©coute pas la radio. Et vous ?
M : Non plus. Ăa ne sert Ă rien dâĂ©couter la radio aux Etats-Unis, rien de bon nây passe.
Comment vous ĂȘtes-vous rencontrĂ©s ?
J : On se connaĂźt depuis quâon est mĂŽmes. On a grandi ensemble Ă Miami. Mais ça ne fait que deux ans quâon fait de la musique ensemble Ă New York.
Jorge, avant tu avais un groupe nommĂ© Lansing-Dreiden, avec qui tu as sorti deux albums et deux EP entre 2003 et 2008. Pourquoi lâavoir stoppĂ© et montĂ© Violens ?
J : Il y a deux ans ça jâai fait une sorte de break. Je voulais faire le point sur mes envies, sortir moins de disques et lancer un nouveau projet qui, au-delĂ du son, aurait un vrai univers. Une fois que jâai eu assez de nouveaux morceaux sous le coude je me suis donc mis Ă cogiter au nom de ce projet, son imagerie, etc. et jâai alors appelĂ© des amis pour le jouer live. Câest comme ça que Violens est devenu ce quâil est.
Pourquoi avoir choisi ce nom de groupe, Violens ? On en parlait tout Ă lâheure avec votre attachĂ© de presse et il a ouvert mes chakras en m’apprenant qu’il s’agissait d’un jeu de mots entre « violons », « violence » et « lens » (focale) alors que moi comme beaucoup d’autres journalistes français, je crois, j’y avais spontanĂ©ment lu lâĂ©quivalent anglais de « la violence ». En quoi diriez-vous que ce nom illustre bien votre musique ?
J : La transcription nâest pas littĂ©rale car, par exemple, notre musique nâa pas de violons, mais elle lâest dans lâesprit car notre musique dĂ©gage un sentiment de tristesse et dâagressivitĂ©. DâoĂč ce mĂ©lange de violons et de violence.
M : Violens est un mot plein de nuances qui nous permet mĂȘme de faire une musique gaie, par moments. Ce qui nâaurait pas Ă©tĂ© possible si on sâĂ©tait appelĂ© Violence.
J : Et il ne faut pas oublier la focale, qui symbolise lâarme. Violens câest aussi le gars qui se coltine le terrain camĂ©ra au poing, qui saisit un Ă©tat de guerre.
Et pourquoi ce titre dâalbum, Amoral ?
J : Ăa renvoie Ă certains choix que tu dois prendre quand tu Ă©cris une chanson et que tu choisis les instruments qui vont lui donner forme. Il y a des Ă©poques oĂč les gens se sont un peu sentis obligĂ©s de choisir un camp. Tu devais faire partie dâune scĂšne, quâelle soit punk, Ă©lectro, etc. Tu ne pouvais pas trop te situer en marge. Aujourdâhui je crois quâon a dĂ©passĂ© cette vision des choses et Amoral Ă©voque ça : le fait quâil nây ait plus de dogmes et que tu puisses juste faire ce que tu souhaites entendre. Que tu puisses piocher partout pour faire ton truc.
Chez vous jâai lâimpression que cette fin de lâesprit de chapelle passe par une certaine jubilation Ă mĂ©langer des influences rock indĂ© Ă des influences autrefois considĂ©rĂ©s comme de mauvais goĂ»t par le milieu rock indĂ©. Par exemple en interview vous revendiquez rĂ©guliĂšrement votre amour de Tear fo Fears…
I : Il y a vraiment de bonnes choses dans Tear for Fears.
M : Oui, nous aimons Tear for Fears!
J : The Hurting, leur premier disque est vraiment bon.
Mais ce nâest pas le genre de groupes qui fait lâunanimitĂ© chez les critiques rockâŠ
J : Oui, ils ont eu des chroniques assassines
I : Tears for Fears ?
J : Oui, The Hurting sâest pas mal fait descendre. Mais bon, quây faire ?
I : Jâai lâimpression que ça ne les a pas touchĂ©s. Ils ont lâair dâaller.
Votre musique semble tirer sa force dâun fight permanent entre dâun cĂŽtĂ© des groupes Ă tendance kitsch mainstream comme Tear for Fears et de lâautre des groupes plus indie rock respectables comme My Bloody Valentine. Etes-vous conscient de ce double jeu ?
J : Oui. Câest dur de concilier les deux, mais ça vaut le coup dâessayer car la pop peut ĂȘtre accessible sans ĂȘtre craignos comme la plupart des choses qui passent Ă la radio. Beaucoup de groupes indĂ©s y arrivent mais ils ne basculent presque jamais dans le mainstream, parce quâils ne veulent pas ou que leur musique nâest pas assez accessible. Et tu trouves trĂšs rarement des groupes mainstream dont tu peux respecter Ă la fois lâattitude, la musique et les textes. Câest dommage que les gamins grandissent en Ă©coutant de la pop qui craint et quâils pensent que câest cool. Je ne sais pas si on y arrive mais on va essayer de changer ça (rires) !
M : Il faut bien que quelquâun sây colle.
Pour lâinstant vous semblez susciter des rĂ©actions tranchĂ©es. Il y a ceux qui vous portent aux nues comme les nouveaux petits gĂ©nies pop et dâautres qui vous reprochent de trop sonner eighties et pas assez 2010. Quâen pensez-vous ?
J : Je pense quâaujourdâhui la pop brasse tellement dâĂ©poques et de styles musicaux diffĂ©rents quâil est quasiment impossible de dire quâun groupe sonne comme telle dĂ©cennie Ă lâexclusion de telle autre. Et puis on a encore trop la tĂȘte dans le guidon pour pouvoir dire ce quâest le son de 2010 si tant est quâil sâen dĂ©gage un plus quâun autre. Câest compliquĂ©. Regarde, prends les synthĂ©s par exemple : Ă posteriori, on peut voir que depuis les annĂ©es 60 chaque dĂ©cennie a eu son propre son de synthĂ©. Or, Ă priori, ce nâest pas le cas aujourdâhui. Les annĂ©es 00 nâont pas eu leur propre son de synthĂ©. LâidĂ©e de nouveautĂ© en musique ne peut donc pas se circonscrire Ă un son particulier. Câest plus subjectif. Plus vaste. Je dirais que ça dĂ©pend juste de ce que les gens de cette gĂ©nĂ©ration ont envie dâĂ©couter. Ce quâauront gĂ©nĂ©rĂ© cette humeur et ce contexte particuliers câest ça quâon appellera aprĂšs coup « le son de 2010 », tu vois ? Et ça, tu ne peux pas le dĂ©crĂ©ter. Tu peux juste faire ce que toi et ton groupe avez envie de faire. Du coup mieux vaut ne pas trop se prĂ©occuper de ce que les gens pensent de ta propre musique.
Vous, quels étaient vos albums phares quand vous étiez jeunes ?
J : Je dirais Isnât Anything de My Bloody Valentine.
M : Jâaimais beaucoup Ziggy Stardust de David Bowie.
Avez-vous vu My Bloody Valentine Ă lâoccasion de leur rĂ©cent retour sur scĂšne ?
J : Oui, câĂ©tait super. Câest ça qui devrait passer sur les ondes.
Aha, tout le monde deviendrait sourd ! Et toi Ido, lâalbum culte de ton adolescence ?
I : Jâavais une grande sĆur, jâai donc grandi en Ă©coutant des groupes comme Depeche Mode, OMD, Tear for Fears.
Diriez-vous que câest lâamour de la musique et de ces disques qui vous a donnĂ© envie dâen faire Ă votre tour ou tout autre chose ?
J : Je pense que câest un mĂ©lange de plein de choses. Par exemple lĂ je te parle de My Bloody Valentine et câest vrai que je nâarrĂȘtais pas dâĂ©couter leur disque et que ça se ressent dans ma façon dâĂ©crire et de jouer de la guitare, mais avant ça, jâĂ©coutais beaucoup Michael Jackson. Je me repassais sans cesse ses singles. Je suis donc aussi fortement influencĂ© par ce cĂŽtĂ© dance, funk, la prod de Quincy Jones, les compos de Rod Temperton.
Dans tout ce cĂŽtĂ© pop eighties qui caractĂ©rise Amoral, notamment dans certains synthĂ©s et certaines parties de saxâ, on ressent aussi lâinfluence dâun groupe culte peu connu : Prefab SproutâŠ
J : Oui, on est de gros fans.
M : Yes, yes, yes, Steve McQueen, jâaime ce disque.
J : Jâaime aussi Jordan The Comeback oĂč il y a « Wild Horses », sacrĂ©e chanson.
Je comprends mieux pourquoi Caroline me lâa citĂ©e en guise de chanson fĂ©tiche lorsque jâai interviewĂ© Chairlift il y a de cela un an !
J : Oui, elle est si belle. Câest une des premiĂšres chansons quâon ait appris Ă jouer ensemble.
Rien que dâen parler jâai envie de la chanter !
J : Je comprends ! Elle a aussi un super rythme.
Jâai interviewĂ© leur leader il y a un peu plus dâun an de çaâŠ
J : Oh, vraiment ?
M : Paddy McAloon ?
Oui, il venait de sortir un album de Prefab Sprout composĂ© en 93 et jâai appris quâen plus des nouveaux disques quâil composait, il avait bel bien dâautres vieux albums achevĂ©s dans ses cartons, dont un concept album sur Michael Jackson alors je lui disais « Sâil vous plait, sortez-le vite, nâattendez pas quâil soit posthume ! »
J : Ce serait bien.
Jorge, on te parle souvent de son, et câest vrai que ta musique traduit une obsession pour le mixâ, la prod, cette dimension architecte sonore, mais comme on le disait, ça reste de la pop, avec des textes chantĂ©s qui disent des choses, et ça on tâen parle moinsâŠ
J : Ăa ne me dĂ©range pas si câest ce que tu veux savoir. Je ne trouve pas important de parler de mes textes. Ce qui ne veut pas dire que je nây accorde pas dâimportance. Tu connais « Jack and Diane » de John Cougar Mellencamp ?
NonâŠ
J : Pour moi câest la pire chanson qui puisse exister. Le mec te raconte lâhistoire de deux ados qui tombent amoureux, qui se baladent et mangent des hot-dog jusquâau jour oĂč tout bascule. Je peux aimer les chansons qui racontent des histoires, mĂȘme si câest casse-gueule, mais lĂ câest tellement mauvais, tellement bourrĂ© de clichĂ©s sur lâAmĂ©rique et de morale Ă deux balles que câen est presque insultant, tu vois ? Du coup nous on cherche Ă insĂ©rer des Ă©lĂ©ments abstraits dans nos textes pour que la narration parte un peu en vrille, comme dans un rĂȘve, un poĂšme.
Jâai remarquĂ© que lâexpression « generation loss » revenait par deux fois dans le disque, la premiĂšre dans le single « Acid Reign », la seconde dans le titre du morceau de clĂŽture. Y a-t-il une raison particuliĂšre Ă cela ?
J : Pas vraiment non. Dans « Acid Reign » cette expression vient plutĂŽt traduire le sentiment quâau fil du temps la quĂȘte de lâexcellence pop sâest un peu perdue en chemin. Que cette ambition semble rĂ©volue. Et jâai appelĂ© le dernier morceau comme ça parce que mon idĂ©e de dĂ©part Ă©tait de le faire sonner comme sâil provenait dâune vieille cassette usĂ©e par de multiples enregistrements. A la fin je lâaurais fait tout Ă coup switcher sur un son ultra lĂ©chĂ©, et tâaurais entendu retentir « generation loss » dans un fade out de fou.
Jâai lu que tu avais composĂ© « The Dawn of Your Happiness » en te disant quâil devait sonner comme un cartoon. Quel genre de cartoon ?
J : Du Bugs Bunny ! (tous se marrent et lui illustre son propos dâune rafale de claquements genoux mains qui traduit bien le cĂŽtĂ© swing chapeau claque vĂ©nĂšre du truc). Je voulais que sa production dĂ©tonne, quâelle soit hypra classe et enjolive chaque dĂ©tail tout en dĂ©gageant un feeling super fun tout du long.
Dans ce morceau comme dans « Full Collision » le groove carnivore de la basse mâa rappelĂ© les SmithsâŠ
J : Oui, je vois, il y a ce feeling rockabââŠ
Lâimagerie de vos clips tourne souvent autour de la mort. Câest en tous cas le cas pour ceux de « Doom » et de « Violent Sensation Descend ».
J : Oui, on devrait en parler à notre réalisateur (tous se marrent).
M : La mort câest assez fascinant, non ?
Oui et malgré son cÎté fun, pysché et baroque, le clip de « Violent Sensation Descend » a quelque chose de vertigineux, sincÚrement effrayant.
J : Tu parles du visage ?
Oui.
J : On voulait que le clip se finisse de maniĂšre Ă©trange. « Et si le visage de la fille finissait par sâĂ©plucher et tomber en lambeaux alors quâon porterait des masques en forme de crucifix ?! » (tous se marrent). Câest un clin dâĆil au film LâExorciste.
Vos masques-cruficix mâont fait penser au jeune groupe anglais These New PuritansâŠ
J : Oh, je nâai pas encore Ă©coutĂ© leur disque mais jâai entendu dire quâil Ă©tait trĂšs bon. Mais pourquoi donc tâa-t-on fait penser Ă eux ? Ils portent aussi ce genre de masques ?
Non, mais ce cĂŽtĂ© catho-terrifiant est inscrit dans leur nom de groupe et leur univers. Et je me suis dit quâavec Amoral, en un sens, vous Ă©tiez vous aussi des « nouveaux puritains ».
J : Oui, dâailleurs on devrait jouer avec ces masques sur le visage. Ce serait bien.
Quel genre de carriĂšre voudriez-vous faire avec Violens ?
J : LĂ -dessus je suis bien incapable de rĂ©pondre. Tout ce que je peux te dire câest quâon ne manque pas dâinspiration. Actuellement on bosse sur 25-30 chansons pour le nouvel album (on pourra tâen faire Ă©couter juste aprĂšs si tu veux, jâai ça sur mon iPhone) et toutes nous excitent tellement quâon pourrait faire un double album. On a donc juste envie de continuer Ă faire la musique quâon aime et que nos disques touchent un public suffisant pour quâon puisse continuer Ă le faire. Câest ce dont jâai toujours rĂȘvĂ©. Jâaimerais que ce groupe ne capote pas au bout de deux disques.
Ouah il est beau le nouveau Parlhot ! Mais pourquoi est-ce que tu ne mets pas le contenu de l’ancien blog dispo ? C’est dommage. Quand Ă Violens, tu as rĂ©ussi Ă aiguiser ma curiositĂ©, je vais Ă©couter tiens
On est tous dÂŽaccord la dessus, balance lÂŽancien contenu sylvain !
PurĂ©e, mais c’est quoi votre blocage sur les vieux articles alors qu’il y en a des nouveaux-lĂ ! (100000000 people can be wrong)
Parce que les nouveaux sont plus beaux et que je me concentre là -dessus. Les vieux, je verrais plus tard. Place au présent ! Biz et merci du commentaire