MYTHORPHERLINS

 

12 juillet 2011. 17h. Du PĂ©rou oĂč il tourne actuellement avec le groupe The Narcoleptic Dancers qu’il forme avec sa demi-sƓur Melody Van Kappers, Anton Louis Jr. rĂ©pond aux questions que je lui ai mailĂ©es via son attachĂ©e de presse. Le 22 aoĂ»t, un an aprĂšs leur premier EP, Not Evident, parait leur premier album, Never Sleep. Je l’ai bien Ă©couté : tout y est poppy, tubesque, tout mimi, 13 titres qui filent sous la barre (transversale) des 3 min 30 comme des CD dans l’étagĂšre Billy. ProblĂšme 1 : il y a aussi du pipeau dans l’air. Je sais bien qu’ils ne sont pas actuellement en tournĂ©e au PĂ©rou, qu’ils ne sont pas demi-frĂšre et sƓur, qu’il ne s’appelle pas Anton Louis Jr., qu’elle ne s’appelle pas Melody Van Kappers. Ils ont voulu m’avoir. Ils m’ont eu. But I’m still standing et la balle est dans mon camp.

Tout est parti de la bio, la petite feuille de papier que les services de presse joignent aux disques qu’ils envoient aux journalistes. Elle prĂ©sente le groupe et son disque. D’habitude on ne la lit pas parce qu’on sait que c’est de la pub, qu’on a dĂ©jĂ  l’objet en main et que l’écouter sans prĂ©ambule est le meilleur moyen de s’en faire une juste idĂ©e. Enfin si tant est qu’on soit lĂ  pour la musique. L’amour de la musique. LĂ  pour Ă©crire sur elle et pas pour l’emballage. Par exemple l’autre jour un attachĂ© de presse est revenu vers moi pour savoir si je voulais voir le showcase de tel groupe et en profiter pour les interviewer. Son argument ? L’ « incroyable histoire » d’un gars dont la maquette a charmĂ© le lĂ©gendaire Mark Plati alors qu’il avait quasiment dĂ©cidĂ© d’arrĂȘter la musique et bossait comme serveur dans le bar d’un pote. « Comment ce musicien et son groupe ont-ils rĂ©ussi Ă  faire venir un producteur star chez eux Ă  Montpellier pour enregistrer leur disque et le faire ensuite mixer Ă  New York avec des amis Ă  lui comme la section de cuivres des Rolling Stones ? »

Aha, si le producteur de Bowie (dans les annĂ©es 90) est venu en France pour faire l’apposition des mains sur cet insipide projet pop sixties c’est que, tout Mark Plati qu’il soit, aujourd’hui il a besoin de travailler et de manger. C’est sans doute pour ça que quelques annĂ©es plus tĂŽt, alors que Grandaddy venait de mettre la clĂ© sous la porte, Jason Lytle, leur leader, avait produit l’album des tout aussi insipides popeux rouennais de Maarten. En mĂȘme temps Mark Plati n’a pas produit que des gĂ©nies (The Cure, Hooverphonic, Robbie Williams, Natalie Imbruglia, Louise Attaque, les Rita Mitsouko, Alain Bashung, Émilie Simon, RaphaĂ«l). Bref, on n’attrape par les plumitifs avec du vinaigre, les attachĂ©s de presse le savent, et comme la musique qu’ils nous envoient est souvent merdique ils font miroiter la belle histoire Ă  raconter. Ici la success story d’un nobody. Genre : « Regarde camarade freelance qui galĂšre pour vendre des articles, en voici un beau avec l’angle et tout, les mags vont kiffer ! ». Je ne lui jette pas la pierre, c’est le jeu et c’était bien tentĂ©. Mais non merci, les chansons de The Chase sont vraiment sans intĂ©rĂȘt.

Et puis parfois quand la musique est bonne (« bonne ! bonne ! bonne ! ») la curiositĂ© de lire la bio l’emporte. C’est ce qui s’est passĂ© avec les Narco. Elle disait que ces demi-frĂšre et sƓur Ă©taient « rĂ©unis par un destin incroyable sous le nom de The Narcoleptic Dancers » (ah ce mot, j’aurais pourtant dĂ» m’en douter), qu’ils Ă©taient nĂ©s « à dix ans d’intervalle, dans deux pays diffĂ©rents », elle au Pays-Bas, lui Ă  Saint-Etienne, « sans imaginer leurs existences respectives », mais qu’ils avaient fini par se rencontrer Ă  l’enterrement de leur pĂšre, Johnny Van Kappers. Dans les annĂ©es 70, celui-ci a fait partie de l’équipe de foot des Pays-Bas, son charme et son talent ont mĂȘme fait la gloire « de plusieurs clubs europĂ©ens » et laissĂ© leur « empreinte hors des terrains ». Le triste Ă©vĂ©nement ayant permis Ă  Anton et Melody de dĂ©couvrir « leur passion commune » pour la musique, ils s’étaient « crĂ©Ă© leur duo » et ne s’étaient plus quittĂ©s, « à la recherche de ces annĂ©es perdues ».

Pour une fois ça changeait. Je n’avais pas Ă  faire au groupe de rock formĂ© sur les bancs de l’école pour serrer des filles et tromper l’ennui, ni Ă  la nĂ©nette passĂ©e par le conservatoire et l’opĂ©ra qui avait eu soudainement de lĂącher tout ça en se dĂ©guisant en fĂ©e et en se mettant Ă  faire de la pop. Ce cĂŽté demi-frĂšre et sƓur un peu orphelins et allongĂ©s sur un mĂȘme lit titillait mon imagination. Ça me faisait repenser au parfum de « Lemon Incest » entre la Princesse Leila et Luke Skywalker tout en me rappelant les dessin-animĂ©s de mon enfance : RĂ©mi sans famille, Princesse Sarah, L’oiseau bleu, Jayce et les conquĂ©rants de la lumiĂšre, etc. Ils Ă©taient tous sans papa ou maman. Avec le recul ça me frappe. Ça me frappe comme quand Chuck Klosterman me raconte dans Sexe, drogues et pop-corn qu’une fois adulte il s’est rendu compte que L’Empire contre-attaque Ă©tait « la base fondatrice » de la « GĂ©nĂ©ration X » (Pearl Jam, Nirvana) car c’est « le seul blockbuster de l’époque » qui cĂ©lĂšbre, 10 ans avant, « sur le plan politique et sentimental », « l’échec abyssal des gentils » : « Han Solo est congelĂ© dans la carbonite et arrachĂ© Ă  la princesse Leila, Luke se fait trancher la main et Darth Vader tient l’univers par la jugulaire ».

« Si on l’étudie objectivement, Luke Skywalker n’était pas trĂšs cool », dĂ©veloppe notre cher ami ricain : « il pleurnichait sans cesse », « il a reçu une Ă©ducation exhaustive – via Yoda – sur des choses ayant peu de valeur pratique, comme soulever un rocher par tĂ©lĂ©kinĂ©sie en faisant le poirier », « ses seules aspirations sentimentales ont pour objet une femme qui le considĂšre (littĂ©ralement) comme son frĂšre », « son pĂšre lui met la pression pour reprendre l’affaire familiale » et Ă  la fin ce n’est pas comme dans Rocky « oĂč Apollo Creed gagne Ă  la majoritĂ© mais oĂč Rocky remporte une plus grande victoire pour l’esprit humain ; Darth Vader bat Luke comme Ike battait Tina. » Il n’empĂȘche : pour les enfants de CE2 « Luke Ă©tait Le Mec »,  « celui que nous voulions ĂȘtre ». « Avec le recul, nous aimerions prĂ©tendre qu’Han Solo Ă©tait le personnage le plus dĂ©sirable – c’était lui en thĂ©orie. Mais son cĂŽtĂ© voyou nonchalant est impossible Ă  comprendre tant qu’on n’a pas l’ñge de rĂ©aliser qu’ĂȘtre un connard arrogant est une qualitĂ© sĂ©duisante chez le mĂąle. »

Je n’ai jamais Ă©tĂ© fan de Star Wars, je suis plutĂŽt de la gĂ©nĂ©ration d’aprĂšs, nĂ©e l’annĂ©e de sa sortie en salles mais je me souviens trĂšs bien avoir ressenti ce climat de dĂ©faite dans les dessins-animĂ©s. C’est comme si RĂ©mi et maĂźtre Vitalis avaient Ă©tĂ© mes Luke et maĂźtre Yoda, Princesse Sarah Anne Franck envoyĂ©e Ă  Auschwitz, Raconte-moi une histoire (sans fin) La route de Cormac McCarthy. Comme si ces dessins-animĂ©s avaient voulu flatter l’orphelin cĂ©leste qui siĂšge en chaque mĂŽme, qui se croit adoptĂ©, diffĂ©rent, venu d’ailleurs, qu’ils nous avaient inoculĂ© le dĂ©lice d’ĂȘtre minable, et qu’à travers eux le petit Ă©cran avait secrĂštement cherchĂ© Ă  nous dire : « Je suis ta mĂšre. » (« E.T., tĂ©lĂ©phone, maison ». « Home is were Herta »). Bon, en mĂȘme temps faut pas pousser, quand je regardais Les MystĂ©rieuses CitĂ©s d’or, Esteban me laissait de marbre. Je guettais plutĂŽt les apparitions de Mendoza. Sa cape, son Ă©pĂ©e et sa carrure de conquistador viril m’électrisaient. « A creep », bien sĂ»r, « a weirdo », mais souhaitant dĂ©jĂ  « a perfect body and a perfect soul ». Bref cette bio changeait et son ancrage foot me laissait croire que j’allais enfin pouvoir recaser une pige aussi sympa qu’improbable dans ce beau mag qu’est So Foot. AllĂŽ, Franck ?

ProblĂšme 2 : mon papier commençait mal. AprĂšs 10 pages de recherches sur Google, Ă  part une tripotĂ©e d’articles relayant quasi mot pour mot les infos de la bio, dont pas mal d’articles anglais (chapeau !), je n’avais toujours rien trouvĂ© sur le mystĂ©rieux Johnny Van Kappers, connu pour « sa coupe de cheveux singuliĂšre » et « son dribble nonchalant ». Rien. Pas une ligne sur Wikipedia, pas une vidĂ©o YouTube. Alors avec l’histoire comme quoi les Narco Ă©taient actuellement en tournĂ©e au PĂ©rou jusque fin juillet et que tout ça se ferait donc par mail, ça commençait Ă  faire un peu « J’te mĂšne en bateau ». AllĂŽ, MĂ©lissa ?

Le fake est un drĂŽle d’arme. Cet Ă©tĂ© Trois Couleurs le beau mag de MK2 me l’a rappelĂ©. Ils ont fait un « spĂ©cial jeune cinĂ©ma français ». Leur dossier de cinĂ©astes « surdouĂ©s » prĂ©sentait Rebecca Zlotowski (Belle Ă©pine – pas vu), Mia Hansen-Love (Un amour de jeunesse – pas vu), ValĂ©rie Donzelli (La Guerre est dĂ©clarĂ©e­­ – pas vu), toutes « belles ! belles ! belles ! », ainsi que Teddy Lussi-Modeste (Jimmy RiviĂšre – pas vu), Djinn CarrĂ©nard (Donoma – mon coup de cƓur) et rien de moins que la « next big thing du cinĂ©ma » (« Un prophĂšte » titrait l’article) en la personne d’un ado de 17 ans : Jean-Christophe Kern, « alias JC ». En attendant que cet « épigone contemporain d’Arthur Rimbaud et de Macaulay Culkin » dĂ©barque enfin dans le « cafĂ© cossu, non loin du Palais-Royal » oĂč le journaliste a posĂ© ses miches, celui-ci reparcourt sa bio : « à 13 ans, il entre en stage auprĂšs de David Lynch, qui lui prĂ©sente Kid Frost, dont il rĂ©alise aussitĂŽt le nouveau clip. Sous le charme, le rappeur californien produit son premier film, qui suit les pas d’une fille de bonne famille de L.A. tombĂ©e dans la prostitution. Ce documentaire poignant, rĂ©alisĂ© Ă  14 ans, l’impose immĂ©diatement parmi les auteurs phares de la nouvelle gĂ©nĂ©ration. »

« Mi-effrontĂ©, mi-intimidé », aprĂšs avoir manifestĂ© sa lassitude et commandĂ© un verre de lait pour dĂ©vorer un bol de Miel Pops, il dira avoir filmĂ© son pĂšre trompant sa mĂšre quand il avait 12 ans et montrĂ© la bande Ă  NoĂ«l (« Ils ont commencĂ© Ă  s’insulter. Du coup, j’ai vu l’émotion que le cinĂ©ma pouvait provoquer ») ; qu’il a l’impression d’ĂȘtre plus identifiĂ© par son Ăąge que par son talent potentiel ; que son maĂźtre est Jean-Luc Godard, aka « JLG » mais qu’il aime aussi Les Beaux Gosses de Riad Sattouf ; que son prochain film qui sortira en salles dĂ©but 2012 sera une comĂ©die musicale inspirĂ©e de Shrek et des chorĂ©graphies de Kamel Ouali, etc. Tout ça sentait Ă©galement le beau foutage de gueule. AllĂŽ, AurĂ©liano ?

Je n’ai pas lu leur numĂ©ro de rentrĂ©e, je ne sais donc pas si Trois Couleurs a rĂ©vĂ©lĂ© la supercherie comme leurs confrĂšres de Chronic’art l’avaient fait aprĂšs la parution de leur numĂ©ro 100 % fake qui avait trompĂ© tout le monde en juin 2008 (dĂ©montrant malgrĂ© eux qu’ils parlent tellement de sujets connus d’eux seuls d’une maniĂšre comprise d’eux seuls qu’ils pourraient trĂšs bien tout le temps inventer leurs sujets, on y verrait que du feu). En tous cas l’article de Trois Couleurs en Ă©tait un. Un fake en forme de trouĂ©e poĂ©tique mĂȘlĂ©e d’esprit critique et vice versa (« et vice et versa ! »). Un geste salutaire dans cette pĂ©riode saturĂ©e de storytelling orgasmique sur tout et n’importe qui.  Un geste ambigu Ă  l’heure oĂč chacun se raconte et s’invente (des histoires), oĂč on est tous des bio-man. Mais connaissant Trois Couleurs, aprĂšs s’ĂȘtre bien marrĂ© (« PurĂ©e, plus c’est gros plus ça passe ! »), je ne doute pas qu’ils soient passĂ©s aux aveux – Ă©tape essentielle de cette arme Ă  retardement qu’est le fake. ProblĂšme 3 : de leur cĂŽtĂ©, interview faite, les Chouchou et Loulou de The Narcoleptic Dancers n’ont toujours pas osĂ© rĂ©vĂ©ler leur supercherie.

(INTERVIEW)

4 réponses
  1. yanko
    yanko dit :

    Aucun c’est un peu le problĂšme ! Nan,plus sĂ©rieusement ce serait trop long Ă  Ă©noncer.Ce n’est Ă©videmment pas lui qui me pose problĂšme. Mais je trouve son cas symptomatique du «Comment fabriquer des faux mythes » (pour rester dans le sujet de ton article) : la dĂ©ification (relative) d’un type, qui a (un peu) travaillĂ© avec David Bowie (entre autres), que le « milieu » d’ici se refile et cherche Ă  faire passer publicitairement pour une lĂ©gende pratiquement pour ce seul fait d’armes, comme si la frĂ©quentation d’un supposĂ© « gĂ©nie » lui donnait, par mimĂ©tisme, des dons hors du commun, je trouve le truc un peu gros. C’est sans doute un excellent musicien mais, pour ĂȘtre rapide, je ne trouve rien d’exceptionnel aux albums sur lesquels il a travaillĂ© (enfin rien qui me semble venir de son travail Ă  lui, mais j’Ă©tais pas aux studios non plus).

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