S. HANSCHNECKENBUHL
1er février 2013. 15h30. Un mail. « Ayé, revenue du Franpouille. » C’est Sylvia, le signal que, revenue de loin, cette fripouille d’Hanschneckenbühl est prête à vider son sac, parler de sa vie, de son œuvre, à l’occasion de la sortie de son deuxième album. Oui, ce jour-là, n’écoutant que mon co(e)urage et mon envie de diversion durant mes heures de bureau, toc toc badaboum, tel Dawson ouvrant une fenêtre amie sur le dos d’on ne sait quel arbre, j’ai fugué pour débarquer dans sa boîte : « On se ferait pas une petite interview mail ? »
Sylvia sait dire non. Oui, elle chante en anglais, oui elle fait du rock et oui elle aime les 90’s mais non, elle n’a pas refait Sylvia H. does not sing Christmas. Absolute, Kahlua & Bailey’s va chercher ailleurs. Déjà, ce n’est pas un CD, mais un vinyle, et comme Sylvia aime aussi les sixties, rocker en filigrane, assurant le doux et l’amer, elle a creusé ça, comme un saut de singularité. Les ballades acoustiques sont sur la première face, les titres plus corpulents sur la seconde : 4/4, 31 min de pur songwriting comme une intense désertion, tout est là.
Elle m’avait posé ses conditions. « Pour moi une interview c’est un vrai dialogue. Donc OK pour faire une interview par mail, avec plaisir, mais plutôt par ping-pongs de mails ou sur le chat Facebook (même si c’est vrai que ça prendra plus de temps). Et si tu peux ne pas mettre les noms des groupes ou d’albums en gras, ça me ferait très plaisir, je trouve ça insupportable. » Oui et puis quoi encore ? Rien. Ah si, consulter son « Hanschneckenbio », parce qu’elle « la trouve drôle » et attendre qu’elle soit revenue de Franpouille. Perfecto !
« j’ai parfois l’impression d’être une roumaine qui mendie des frites au Quick »
Bonjour Sylvia. Je viens de lire la bio de ton nouvel album, Absolute, Kahlua & Bailey’s, et de voir que comme celle de ton premier album, Sylvia H. does not sing Christmas, écrite par Jean-Luc Manet, celle-ci est de nouveau signée par quelqu’un de Rock & Folk, Isabelle Chelley. C’est important pour toi ?
Je me suis dit que, tant qu’à faire une bio, autant qu’elle soit bonne. Je ne suis pas spécialement passionnée par les bios de groupes destinées à la presse, mais je ne me voyais pas balancer mon CD promo comme ça, sans rien, démerdez-vous avec ça… J’ai demandé à Isabelle de l’écrire parce qu’elle a de l’humour, qu’elle me connaît bien (et donc n’écrirait pas de conneries) et qu’elle apprécie ma musique. C’était important que ma bio soit écrite par quelqu’un qui comprend ma démarche, et qui n’allait pas raconter que ma musique est « jolie » ou « douce » (Seigneur tout-puissant, « douce »…), me prêter des influences dont je ne connais même pas le nom ou insister sur le fait que j’suis une meuf (ça a quoi d’exceptionnel, c’est le cas de la moitié des humains sur cette planète). Et puis j’aime son écriture. Certains de ses articles dans R&F m’avaient marquée quand j’étais ado. Il était assez rare, à l’époque, que je regarde quel journaliste avait signé l’article que je lisais, encore plus rare que je retienne son nom ou son visage. Pourtant, elle, je savais qui c’était, elle était classe. Elle l’est toujours. Et je n’aurais jamais imaginé qu’un jour elle m’aiderait à monter mes meubles Ikéa ! C’est pourtant ce qui a fini par arriver…
Comment se fait-il qu’une de tes « idoles de jeunesse » en soit venu à t’aider dans cette tâche ingrate (je parle des meubles hein) ?
J’aurais franchement pas pensé que tu allais m’interroger sur ma relation avec une amie ou sur mon mobilier suédois en kit, mais puisque tu y tiens, je vais te répondre. Je fais de la musique avec Basile Farkas (lui aussi journaliste à R&F – nda) depuis dix ans. Je l’avais rencontré via une petite annonce que j’avais passée dans R&F : « Guitariste chanteuse avec compos cherche groupe influencé par les Breeders et les Pixies ». Et il a dû m’appeler parce que j’avais cité le Breeders avant les Pixies. Nous sommes les deux plus grands fans de Kim Deal en France. Et sur ce, nous voilà en 2007, une année où tout le monde jouait à cette appli sur Facebook où tu adoptes un petit animal virtuel et où tu dois lui acheter à bouffer. Tes amis peuvent même venir lui rendre visite et le « peter », ce qui doit vouloir dire « lui faire une caresse ». « Peter » les animaux de tes amis te rapporte de l’argent pour acheter à manger au tien. J’avais un tofu domestique que j’avais appelé Merguez, et j’ai vu qu’Isabelle Chelley (qui faisait partie de nos amis communs) venait le peter de temps en temps. Tu penses si j’étais flattée ! Mais en fait, ce n’est pas le petit tofu Merguez qui nous a réunies. C’était un de ses bouquins, Le Guide de survie des filles rock. Je l’avais trouvé excellent, très drôle, je lui avais écrit via Facebook pour le lui dire et, une chose amenant l’autre, on s’était retrouvées quelques jours plus tard à la terrasse d’un café, devant des margaritas. Comme quoi, les voies du destin sont impénétrables et mènent souvent au bistrot.
Oui, et les question farfelues mènent parfois à de belles anecdotes !
Une précision sur Isabelle Chelley et les articles que je lisais d’elles quand j’étais ado. Un jour, dans les années 90, R&F avait fait un numéro « spécial filles rock » et à cette occasion ils avaient organisé une table ronde. Isabelle y étant le seul individu de sexe féminin, elle avait dit qu’elle ne se considérait pas comme une « fille rock », mais comme un être humain aimant le rock, accessoirement de sexe féminin, que son genre n’avait donc pas tellement d’importance et qu’elle se définissait avant tout comme « journaliste rock ». Elle trouvait insultant qu’on disent des filles qui faisaient du rock qu’elles étaient des « filles rock », comme si c’était une exception. Faire un numéro de R&F « spécial filles » lui paraissait donc incongru. Fait-on des « spécial mecs rock » ? Non, ce serait absurde. Ça m’avait parlé car c’était exactement ce que je ressentais : je voulais être considérée comme un musicien avant tout, être femme ou homme ou chèvre on s’en fout. C’est à partir de là que je me suis mise à suivre ses articles.
Si je ne dis pas de bêtises, comme le nouveau, ton premier album est lui aussi sorti en décembre, décembre 2010. Pourquoi ? Tu aimes bien qu’on puisse s’offrir et faire tourner tes disques durant les fêtes de Noël ?
Tu dis des bêtises, mon premier album est sorti le 31 mars 2009 (rires) ! En fait tu confonds avec la date de sortie de son second single. Comme l’album s’appelait Sylvia H. does not sing Christmas, pour faire un clin d’œil j’avais décidé de le sortir le 24 décembre 2010. Absolute, Kahlua & Bailey’s est bel et bien sorti en le 21 décembre, en tous cas pour ce qui est de sa sortie digitale. Cette fois ça n’avait rien à voir avec Noël, c’est juste que la fin du monde était prévue à cette date, alors je me disais que, quitte à ce que tout le monde crèvent ce soir-là, au moins certains mourraient en ayant écouté de la bonne musique (rires) ! Cela dit, la sortie vinyle est prévue pour février (voire même mars à cause de problèmes techniques sur le test-pressing).
Merci pour ces repères temporels ! Petit flashback d’ailleurs : quelle fut la vie de ce premier album ? A-t-il suscité des chroniques et des interviews ? Et si oui, qu’en retiens-tu ?
Houlà ! Vaste sujet… Sans compter que tu me tends une perche de la taille d’un séquoia… (Explications ici – nda) Comme c’était mon premier album avec des vrais morceaux que j’avais composés dedans, et que je le trouvais réussi, je m’étais beaucoup investie dans sa promo. J’avais beau ne plus avoir l’âge de croire aux contes de fées, je pensais que les gens reconnaîtraient que c’était un bon disque. Ça s’est avéré plus compliqué que ça.
C’est-à-dire ?
Hé bien déjà, la presse papier, quand t’es autoproduit, t’oublie parce qu’un artiste sans label, ça n’achète pas d’espace pub. Ils me l’ont quasiment dit texto l’autre jour. C’est pour ça que les magazines « rock » parlent tous des Stones, d’Hendrix ou de Marley, des trucs sur lesquels tout a déjà été écrit, et qui n’ont plus sorti un bon disque depuis des décennies. En plus, tous les ans leurs maisons de disques rééditent des coffrets à la mords-moi le nœud donc là encore elles achètent de l’espace pub. Je force un peu le trait, certains magazines chroniquent un peu d’autoprods, mais tu ne verras jamais un artiste autoproduit interviewé sur plusieurs pages. C’est d’autant plus triste qu’à l’heure actuelle, l’autoproduction est loin d’être synonyme de médiocrité, tant au niveau technique qu’au niveau de la qualité, disons, artistique. Au contraire, vu que les DA (directeurs artistiques – nda) d’aujourd’hui ne connaissent rien en musique, être signé sur un label est loin d’être un gage de qualité. Ces mecs sortent d’école de commerce et veulent faire un max de fric en vendant des sonneries de téléphone !
Mais si un de ces labels te proposait un chèque, tu signerais ?
Non, je préfère faire mes disques moi-même, sans aucune contrainte. J’ai rencontré un DA d’Universal récemment (pas du tout pour signer chez eux, je me suis d’ailleurs bien gardée de lui dire que j’étais musicienne, j’avais trop peur qu’il me demande de lui faire écouter mes trucs), et le type, mon Dieu, mais comme il était content de lui, et comme il n’y connaissait rien ! Je ne savais plus si j’avais envie de lui mettre des tartes, partir en courant ou me pendre. Pour en revenir à la presse, la seule chronique que j’ai eue dans un vrai journal en papier d’arbre, c’était dans Batteur Magazine. Alors que je ne joue pas de batterie. Le chroniqueur m’avait inventé des influences, et parmi elles le Jefferson Airplane. Totalement improbable. J’ai toujours pas compris.
Et sur le net alors ?
J’en ai bien sûr, mais les blogs valent-ils mieux que la presse officielle ? Je n’en suis pas sûre. Sur leurs blogs, ces gens censés être curieux précisent tous : « Avant de nous envoyer votre CD, assurez-vous qu’il corresponde bien aux genres musicaux défendus par notre webzine. Nous écoutons tout ce que nous recevons mais nous ne pouvons pas répondre à tout le monde. Inutile de revenir vers nous si votre disque n’est pas chroniqué, etc., etc. » À croire que ça les fait chier d’écouter des nouveautés. Ils te hurlent dessus comme si tu passais une audition à la Nouvelle Star, et semblent considérer qu’ils te font une faveur en écoutant ta musique. Du coup, prendre contact avec eux est très humiliant, j’ai l’impression d’être une gamine roumaine qui mendie des frites au Quick. Mais oui, j’ai quand même eu pas mal de chroniques, plus ou moins bien écrites, avec plus ou moins de fautes d’orthographe. Il en est ressorti que 1) ils veulent tous que je change de nom 2) ils n’aiment pas les ballades 3) ils connaissent « Cannonball » et 4) très peu ont l’idée d’écouter les paroles. Résultat, c’est joli et j’ai une voix douce. Bon, il y en a quand même trois ou quatre qui se sont vraiment intéressés à la question et ont été assez professionnels. Il y en a même qui m’ont interviewée ! Du coup, rien que pour eux, ça vaut le coup de continuer à faire de la promo.
Ce que tu dis sur les blogs m’interpelle. Je veux dire, sans le savoir tu me tends à ton tour une perche de la taille d’un sequoia au sens où ici, tu es sur « Par l’autre » et voilà, le problème ne serait-il pas que ces blogueurs cherchent surtout à faire parler d’eux vite fait sur le dos des groupes et qu’ils n’ont donc pas de réelle réceptivité à l’autre, de démarche véritablement « initiatique » ?
Ah, Parlhot ça veut dire « par l’autre ? » Je croyais que ça voulait simplement dire « parlotte ». Hé bien, je sais pas, je pense qu’il ne faut mettre tous les webzines, ni même tous les chroniqueurs d’un même site, dans le même panier. Certains, on a clairement l’impression qu’ils écrivent pour dire qu’ils écrivent. Soit pour s’auto-faire mousser, soit pour draguer les filles, en mode « je suis rock-critic », ce qui leur évite de dire qu’ils bossent chez McDo. Mais ce n’est pas le cas de la majorité. Je pense que la plupart sont de bonne foi, ils font tout de même ça bénévolement. Mais, d’une part, il y a trop de groupes, trop de disques qui sortent, tu ne peux pas écouter attentivement vingt CD par jour ! D’autre part, chroniquer un disque prend du temps. Il faut beaucoup l’écouter, le digérer, et écrire un bon texte prend plusieurs heures. Or ce sont des gens qui ont un boulot à côté. En plus, il leur faut publier beaucoup, pour que le blog soit « vivant » et que les lecteurs continuent d’aller dessus régulièrement. Sur le net, plus tu publies, plus tu es lu et commenté. Je crois aussi que certains veulent chroniquer le maximum de trucs pour donner une « visibilité » aux groupes, pour les aider. Donc, souvent ça donne une écoute superficielle, zéro boulot de documentation et un texte torché en une demi-heure. Mais c’est mieux que rien.
A propos de webzine, tu en as rejoint un, c’est Gonzai. Quand ça s’est fait, comment et pourquoi ?
J’ai connu Gonzaï il y a quelques années, ils avaient fait un papier sur le groupe La Féline, dans lequel j’ai été un temps guitariste. Et puis tu y as écrit un article sur un concert du groupe Bellegarde, à l’OPA, où je tenais la basse. Et juste après, au moment de la sortie de mon premier album, tu y as publié une non-interview de ma pomme. Du coup, j’ai pris l’habitude de passer de temps en temps sur le site. J’aimais le ton, l’humour, le gonzo, le culot, leur façon d’aller très loin dans le détail, et le fait qu’ils n’hésitaient pas à en mettre plein la gueule à des groupes avec une mauvaise foi jouissive. Ça changeait agréablement des autres webzines mous du genou qui copient-collent le communiqué de presse et de la presse papier qui couve deux fois l’an sur Keith Richards, quand c’est pas Roger Waters. Mais, de toute évidence, ils n’avaient jamais entendu parler du code typographique, et le Bescherelle, ils en avaient eu un à l’école mais certains ne l’avaient pas beaucoup ouvert. J’ai donc proposé mes services de correctrice bénévole. Quelques temps plus tard, je suis tombée par hasard sur l’autobiographie de Pascal Nègre. Aucun bouquin ne m’avait autant donné envie d’écrire un article. Je l’ai proposé, il a été publié. Depuis, j’y écris assez régulièrement. Par contre, à mon grand regret, je n’ai plus tellement le temps pour la correction.
En plus de la musique, du journalisme et de ton activité de redresseuse de tort orthographique, comme en témoigne ce site, tu fais des photos. Où en es-tu de cette passion ? Et pourquoi shootes-tu plus particulièrement des décors industriels, genre usines, bâtiments, chantiers ?
La photo, à la base, c’était mon métier : je travaillais dans les labos, à l’époque de l’argentique. Depuis, je continue à prendre des photos, de temps en temps. J’ai beaucoup shooté d’usines parce que je viens de Moselle. (Je crois bien que j’ai photographier toutes les usines du bassin sidérurgique.) J’ai même fait une partie de ma scolarité à Florange. Avant, quand on me demandait : « D’où tu viens ? », il fallait que j’explique : « Entre Metz et Thionville ». Maintenant, malheureusement, je dis « Florange » et c’est pratique, tout le monde voit. Mon père bossait chez ArcelorMittal, ma mère était secrétaire aux Grands Bureaux, ceux-là même qui ont été récemment occupés par les ouvriers en grève. Du coup, j’ai grandi au milieu des hauts-fourneaux, des cheminées qui fumaient, il y en avait même une qui, régulièrement, crachait une grande flamme qui éclairait la nuit. C’était à la fois flippant et magnifique. La cheminée sur la pochette de mon nouvel album, je la voyais depuis la fenêtre de chez mes grands-parents. Quand l’industrie a commencé à se casser la gueule dans les années 80, j’étais encore toute gamine, et tout le monde, ma famille, celles de mes camarades d’école, tout le monde avait peur du chômage. On a vu les usines fermer les unes après les autres, à l’époque tout le monde voulait trouver un emploi à Florange car c’était la seule qui n’était pas menacée de fermeture. Les gens quittaient la région, les boutiques ont mis la clé sous la porte, les centres-villes sont devenus comme des villages fantômes, c’était assez glauque. J’imagine qu’en photographiant les carcasses de ces « cathédrales » qui avaient fait vivre ma famille et toute la région, j’essaie de raconter d’où je viens.
Et aujourd’hui avec ces chansons qu’essaies-tu de raconter ?
J’essaie simplement d’écrire les chansons que j’aimerais écouter mais qui n’existent pas encore. Un truc me turlupine, à propos des paroles : s’il y a si peu de Français qui écoutent les textes des chansons en anglais, comment se fait-il qu’autant de gens parlent de Bob Dylan ? Parce que si t’écoutes Dylan sans faire gaffe aux paroles, t’es tout de même drôlement de la lose !
Oui, mais c’est vrai que souvent les gens qui font de la pop ou du rock en anglais se foutent un peu qu’on leur parle de leurs paroles, pour eux ça passe en second plan. Pas toi ? Tu voudrais qu’on te demande quoi sur tes textes ? Je veux dire, j’ai pas tout capté en détail, mais globalement je les ai trouvé tout à tour voire tout à la fois mordants et sensibles, acides et fleur bleue. Ça parle d’amours déçus, de solitude et de biture…
Exact ! Et d’amours imaginaires, de la nostalgie des choses qui ne sont pas arrivées et de suicide. (« Nationale 3 », devenue « Country Nationale » sur le deuxième album comme « Honky Tonk Women » est devenue « Country Honk » sur Let it Bleed, parle de quelqu’un de très seul, qui tous les matins guette le facteur dans l’attente d’une lettre qui ne vient pas, et envisage de se jeter sous les roues d’un camion, tout en se demandant qui en aurait quelque chose à foutre et elle est tellement habituée à n’avoir d’importance pour personne qu’elle en vient à se demander si le chauffeur du camion se souviendrait d’elle.) Et ça parle beaucoup d’alcool, aussi, c’est pas faux. Rien que le titre de l’album, c’est la recette d’un cocktail appelé mudslide : dans un verre normal (type Nutella), mélangez 1/3 de vodka, 1/3 de kahlua, 1/3 de Baileys. Buvez, et vous vomirez ! Bon, les enfants, ne faites pas ça chez vous, ce truc est l’urine de Satan, je n’en ai bu qu’une seule fois dans ma vie, et j’ai pas eu envie de récidiver. Tout ça pour dire que NON, je ne me fous pas des paroles. Qui sont les groupes qui se cognent de leurs propres paroles ? Juste des mecs qui veulent passer du bon temps à faire du barouf avec leurs potes. Pour quiconque veut faire de la musique qui ne soit pas instrumentale, les paroles comptent autant que l’instrumentation. Prends l’une des meilleures ventes de ces dernières années, l’album d’Amy Winehouse : les paroles sont profondes, brillamment écrites (beaucoup de gros mots), et collent avec la musique. Prends les Stones, des journalistes passent leur temps à analyser leurs paroles, y voir des clins d’œil à tel ou tel truc, faire des ponts entre les paroles de telle chanson et une autre. Pareil pour les Beatles des débuts, qu’on cite généralement en exemple de paroles exceptionnellement niaises. « Please Please Me » parle de fellation, à mots couverts bien sûr. Et ne parlons pas des Who. Townshend était un parolier hors-pair !
Mais pourquoi ce « choix » de l’anglais ?
C’est à cause des chansons. J’ai appris l’anglais grâce aux paroles de chansons. Je me rappelle encore être allée trouver ma prof après le cours, au collège, pour lui demander de me traduire des passages de « Tommy » que je ne comprenais pas. Du coup, les gens qui me disent que les groupes français qui chantent en anglais le font par facilité ou flemme d’écrire des paroles intelligentes, ces gens n’ont rien compris. En ce qui me concerne, et vu que j’ai toujours écouté de la musique anglophone, chanter en anglais m’est venu naturellement. Ce n’est pas pour autant que je ne chiade pas mes paroles. Et j’aime l’effort qu’il faut fournir, quand on est français, pour décrypter des paroles en anglais. Le chant en français m’intéresse moins car les paroles te sautent dessus, tu ne peux pas faire autrement que de les comprendre, alors qu’en anglais ça demande une écoute attentive. Mais qui écoute encore vraiment des disques à l’heure actuelle ?
Et la voix dans tout ça. Ta nouvelle bio, comme la précédente, parle du charme d’une voix dont tu n’aurais pas conscience. Qu’en est-il pour toi ? Depuis quand chantes-tu ? Est-ce un plaisir ?
J’adore chanter ! Je chante depuis toute petite, mais j’ai toujours pensé que ma voix n’avait rien de particulier. Il y a des tas de chanteuses qui ont du coffre, ou un timbre vraiment spécial, ou qui font des trucs techniques incroyables. Moi, je n’ai rien de tout ça alors j’ai longtemps eu des complexes. Et j’ai toujours refusé de prendre des cours, parce qu’on n’est pas à la Starac. Heureusement qu’il y a eu Kim Deal, sinon je pense que je n’aurais jamais eu la prétention de monter sur scène et pousser la chansonnette.
Kim Deal semble t’avoir désinhibé comme un alcool fort. Quels sont les autres choses (disques, rencontres) qui t’ont amenée à faire de la guitare et à écrire tes propres chansons ?
Kim Deal m’a montré qu’on pouvait faire la plus belle musique du monde sans avoir une « grande voix » comme Janis Joplin, ou accomplir les prouesses de PJ Harvey. Quand j’ai appris à jouer de la guitare, laborieusement, c’est plutôt sa sœur Kelley qui m’a aidée à persévérer. Parce que bon, quand tu apprends toute seule dans ta chambre, sans personne pour te montrer des trucs, et que t’essaies de jouer les plans de Keith Richards ou Jimmy Page, t’as vite fait d’injurier l’instrument puis de le poser très loin, pour ne plus jamais le reprendre. Tandis que jouer les solos de Kelley Deal, ça va, c’était à ma portée. Quant à mes propres chansons, je ne me souviens pas de ma première compo, mais je devais avoir 7 ans, par là. C’est comme écrire des histoires, je l’ai fait dès que j’ai su écrire, au CP. Je ne sais pas, c’est venu naturellement. Par contre, montrer ça à une tierce personne, c’était beaucoup, beaucoup plus dur. Mon Dieu, chanter dans un micro devant un groupe ! Ma première audition, à 17 ans, je me suis éclipsée avant d’avoir chanté la moindre note, pétée de trouille. Pour la deuxième, avec le groupe qui est devenu par la suite Little Fury, j’étais venue avec un stock de compos, que je n’arrivais pas à jouer à la guitare tellement j’avais peur. Les premiers mois n’ont pas dû être faciles pour les autres membres du groupe, à devoir sans cesse me rassurer. Je me demande encore pourquoi ils m’ont gardée. Je buvais force bières avant les répètes pour me détendre. Voilà sans doute ce qui m’a poussée à faire ma propre musique : la bière.
Tout s’éclaire, mais comme on dit, pas de génie sans bouteille !
Plus sérieusement, ce qui m’y a amené ce sont les gens avec qui j’ai joué, en particulier Basile Farkas que je voyais presque tous les jours. On écoutait énormément de disques, on faisait des découvertes ensemble, on écrivait des morceaux à quatre mains, on bossait des harmonies vocales, essayant de reproduire celles de Pet Sounds ou du « Who Loves the Sun » du Velvet. On a aussi partagé les plans lose, les concerts pourris, les recherches infructueuses de musiciens. Agnès (Gayraud – nda), de La Féline, que j’ai connue bien plus tard, m’a vachement poussée à enregistrer mes propres trucs. Parfois elle m’obligeait à lui jouer mes chansons, je ne voulais pas trop, mais elle me disait : « Mais SI, allez, elle est trop bien ta chanson, joue-la moi, j’ai envie de l’entendre ! » Moi : « Non, je ne sais pas la jouer à la guitare, puis j’ai un rhume… » Elle : « Mais si tu joues bien ! » Elle croyait en moi, alors que moi, à l’époque, pas tellement. Ulrik (Palud – nda), l’ingé-son et ami qui s’occupait de nos concerts avec La Féline, a été super cool, il m’a proposé spontanément d’enregistrer mes trucs dans son home-studio. Sans lui, mon premier album n’aurait pas existé.
Comme de nombreux premier album, ton premier album rassemblait des compos très anciennes et d’autres moins. As-tu craint après lui que là source soit tarie ?
J’avais encore quelques titres en réserve que je n’avais pas mis sur le premier album parce qu’il m’a fallu faire des choix et que je tenais à préserver un certaine diversité de style (par exemple le morceau « Fighting Against Mountains » a été composé des années avant la sortie de l’album Mountain Battles des Breeders, mais il était dans le même style que « Salt & Wine »). Mais non, à part ça je n’ai pas eu peur de manquer d’inspiration. Si un jour c’est le cas, j’arrêterai de faire des disques. C’est vrai qu’il s’est écoulé beaucoup de temps entre les deux albums, mais j’ai dû arrêter complètement la musique pendant un an pour suivre une formation de SR (secrétaire de rédaction – nda), je n’avais plus le temps ! Mais n’étant pas obligée contractuellement de sortir des disques, ça ne m’a pas embêtée pas plus que ça.
A propos de contrat, tout à l’heure on parlait de la prolifération/fragmentation de la musique « rock » et de la chute des grandes maisons de disques : comme moi, n’ayant plus 20 ans et tu as grandi en admirant des groupes soutenus par des « majors » de même que des groupes adeptes du « do it yourself » cher au circuit « rock indé », du coup qu’est-ce que ça te fait de fonctionner toute seule comme tu le fais, et de sortir ce album par toi-même comme le premier, sans même l’appui d’un petit label indé, et de faire sans doute pareil pour le prochain puisque, comme le dit ta bio, « il est probable que Sylvia Hanschneckenbühl en enregistre un autre dans son salon » ? VDM ?
Dans un futur proche, suite à ma séparation d’avec celui qui a co-réalisé Absolute, Kahlua & Bailey’s, mon salon risque fort de rétrécir et de perdre tout le matériel d’enregistrement qui y était disponible. Pour le prochain, il faudra que je trouve une autre solution (rires) ! Plus sérieusement, je ne sais pas. Cette période est très, très difficile pour les musiciens, ce n’est un secret pour personne. Il n’y a plus que René la Taupe et les morts (Amy Winehouse, Mickael Jackson…) qui vendent beaucoup de disques. A mon niveau, c’est plutôt facile : j’ai un boulot intéressant à côté, enregistrer un album ne me coûte pas grand chose, j’ai des potes ingés-son, ma musique ne nécessite pas de gros moyens techniques, c’est juste guitare-basse-batterie, et j’habite Paris, ce qui est très commode. Mais pour un groupe de province qui utilise beaucoup de matos, ou du matos qui coûte cher, qui a donc besoin d’un camion pour tourner et dont les membres ne peuvent pas avoir de boulot régulier à cause des tournées, c’est l’enfer. Sans label, tu n’y arrives pas quand tu veux tourner. Et même avec un label indé, aussi plein de bonne volonté soit-il, c’est hyper dur. Comme il n’y a plus que les trucs signés sur les majors qui ont les moyens ne serait-ce que d’exister, et que les majors n’ont plus signé un bon groupe depuis Léon Blum, je ne vois pas de solution. À part ne plus aspirer à la célébrité (l’argent, on a tous compris depuis longtemps qu’on n’en aurait pas), et faire de la musique juste pour l’amour de la musique. Pour la beauté du geste, en quelque sorte. Et parce que c’est quand même plus intéressant que le macramé.
C’est quoi ton « boulot intéressant à côté » ?
Je suis secrétaire de rédaction, c’est-à-dire que j’édite les articles, je les corrige, vérifie les infos, réécris au besoin, fais les titres, etc. Je ne te dirai pas pour quels journaux, mais il y en a un auquel j’ai proposé mon CD et où l’on m’a dit qu’on ne chroniquait jamais les autoprods !
Que répondrais-tu à ceux qui diraient que, contrairement au premier, ton nouvel album ne sonne pas très rock ?
Qu’ils n’ont qu’à écouter AC/DC. Dans la démarche mon album est plus punk indé que toute la scène garage parisienne réunie. Être rock, quoi que cela veuille dire, ça n’est pas mettre de la fuzz partout, cogner comme un sourd sur une batterie et hurler dans un micro. On peut être agressif de manière plus subtile. Les gens qui ne le comprennent pas, je ne les force pas à écouter mon machin. Quant à mes morceaux lents, il n’y en a que quatre sur l’album, c’est-à-dire la moitié. Désolée de vouloir faire des choses belles, mais je ne vais pas me forcer à faire des choses dont je n’ai pas envie juste pour faire plaisir à des gens qui veulent pogoter dans la fosse. Et, aussi rock que tu sois, quand ta copine s’est tirée avec un autre mec, t’as plus tendance à écouter « Snow in April » que « Ace of Spades », non ?
En effet. Dans sa bio, ton premier album était sous-titré « ultra violent love songs ». Là, quel en serait le sous-titre ?
Ce n’était pas un sous-titre, mais une réponse tordue au genre musical que les sites comme Myspace me demandaient de préciser. « Indie-pop » aurait été un terme trop large alors que justement, par son opposition dans les termes, . »ultra violent love songs », me paraissait mieux coller. Surtout qu’il y avait ma chanson « Love Song » qui parlait en fait d’un meurtre. Pour le nouvel album il faudrait trouver une autre formule car il n’y a aucune chanson d’amour. Peut-être « songs about things that never happened » ?
J’ai lu une chronique de ton nouvel album sur le net où le mec (ou la nana, je ne sais plus) avait eu la bonne idée d’évoquer Kristin Hersch et ça m’a plu car 1) je trouve ça tout le temps con de comparer chaque nana à guitare à PJ Harvey 2) qui plus est sur ce disque je te trouve proche du registre folk rock doux amère de la Kristin Hersch que j’avais découverte en 2000 en empruntant son Hips and Makers de 1994 à la médiathèque d’Evreux.
J’aime beaucoup Kristin Hersh, que je préfère d’ailleurs en solo qu’avec les Throwing Muses, mais je n’aime être comparée à personne. Globalement, je trouve très conne cette manie qu’ont les gens, surtout depuis les années 2000, de vouloir faire de chaque nouvel artiste « le nouveau machinchose ». Comme si tout avait déjà été fait, et qu’on n’avait plus affaire qu’à de pâles copies. Depuis que les médias font systématiquement ça, j’ai l’impression que les musiciens eux-mêmes tendent à se couler dans un moule : regarde le nombre de petits mecs qui se déguisaient en Pete Doherty il y a cinq ou six ans ! Consciemment ou pas, les musiciens veulent ressembler à telle ou telle rockstar connue, peut-être parce qu’ils savent que pour que leur truc marche il faut qu’ils puissent rentrer dans les cases – ou peut-être simplement parce qu’ils n’ont pas beaucoup de personnalité. Ça ne peut que nuire à la qualité de la production musicale actuelle. Bien sûr, on apprend en copiant ses maîtres, mais une fois la phase d’apprentissage terminée, il faut commencer à penser par soi-même, avoir ses propres idées. Je comprends le besoin, pour un chroniqueur, de donner à son lecteur des points de repères pour qu’il puisse savoir à quoi s’attendre, mais attention à ne pas tomber dans l’excès inverse et finir par ne parler que des influences, et pas du tout du disque dont il est question. Pour en revenir à ma petite personne, la comparaison avec PJ Harvey ne me paraît pas pertinente. J’aime bien sa 4-Track Demos à cause de sa violence hyper brute, j’aime aussi Dry et Uh Huh Her, mais je ne me suis jamais identifiée à cette dame ! Nos paroles n’ont absolument rien à voir, elle est beaucoup plus directe que moi, beaucoup plus girly aussi ! Kristin Hersh, c’est déjà plus cohérent, j’écoutais beaucoup Learn to Sing Like a Star (son septième album solo sorti en janvier 2007 – nda) quelques temps avant d’enregistrer mon album. Mais les structures de nos compositions sont très différentes, nos jeux de guitare aussi. Quant à la voix, j’ai pas encore bu assez d’alcool fort ni fumé assez de clopes pour l’égaler. Mais j’y travaille. Tout le monde a tendance à me rattacher au rock indé féminin des 90’s, sans doute parce qu’ils savent compter et ont remarqué que j’avais 13 ans au moment de la sortie de In Utero, Live Through This, Last Plash, les L7…
Et tout ça, c’était pas rien, je veux dire pas juste un emballement d’ado puisque, comme tu le sais, dans son livre Apathy for the Devil, un vieux briscard de confiance comme Nick Kent affirme que les années 90 ont ramené l’excitation rock des années 70…
Oui, j’ai lu ça ! Et bien sûr, j’ai pris ma claque ces années-là : c’était une période très excitante musicalement, il se passait vraiment un truc, il y avait une vraie liberté et un « Fuck ! » phénoménal, en grande partie parce qu’enfin, enfin, après 40 ans d’existence du rock, les filles avaient le droit de faire autre chose que de se pomponner et chanter de jolies chansons d’amour pour plaire aux types. Elles avaient le droit d’être moches, mal attifées et de faire des doigts d’honneur, alors forcément, comme j’étais ado et pas du genre première de la classe, ça ne pouvait que me parler. J’ai vraiment eu de la chance d’être ado à cette époque. Mais, quand le grunge est arrivé en France, j’écoutais déjà le Velvet et les Stones, les Beatles aussi, et la pop sixties qui passait à la radio allemande, Hollies, Kinks, et même Simon & Garfunkel, des trucs qui étaient extrêmement ringards à l’époque. J’ai eu aussi de la chance de n’avoir pas d’amis pendant tout le collège et le lycée : j’étais totalement indépendante, libre d’écouter ce qui me plaisait, sans me cantonner à un seul style. Quand tu traînes avec une bande, tu dois te conformer, il y a des règles de bon goût, si tu les enfreins tu es exclu, et au final tu ne peux pas penser par toi-même. C’est un truc qui m’a toujours effrayée : je n’écoute pas de la musique pour faire comme les autres, et je ne fais pas de la musique pour appartenir à une « scène » ou à un « mouvement ». Ni pour être sans cesse comparée à d’autres gens. Je ne prétend pas avoir inventé quoi que ce soit. J’écris simplement les chansons que j’ai envie d’entendre. Mais je n’ai jamais suivi une mode, et je n’ai aucune envie d’en inventer une.
Je ne sais pas si tu es « blasée » en tant qu’auditrice mais comme moi, question d’âge, j’imagine que la plupart de tes grandes claques musicales sont derrière toi. Ces dernières années as-tu tout de même eu quelques coups de cœur dignes de ce nom ?
Attends, musicalement, je ne pense pas être blasée, mon Dieu, quelle horreur ! Après, c’est sûr qu’à 30 ans, tu as plus de sens critique qu’à 14. Disons que ce qui sort actuellement à tendance à me sembler un peu terne, calibré pour sa destination, rien qui dépasse du cadre, que ce soit du garage, de la folk ou de l’électro (bon, tu me diras, de toute façon je n’écoute pas d’électro). On dirait que les gens veulent absolument avoir une « bonne production », avec des outils comme ProTools, et gommer toutes les fausses notes, bruits de doigts sur les cordes de guitare, bruits de bouche du chanteur, bruits de la pièce. Résultat, la chanson ne vit pas. Cela dit, il y a quand même deux ou trois disques qui m’ont bien plu récemment : celui d’Anna Calvi, sorti il y a déjà deux ans, le dernier Sallie Ford est, à première vue, une petite tuerie (Untamed Beast – nda), le premier album de June & Lula (Sixteen Times – nda), deux Françaises de 23-25 ans qui écoutent du blues roots et font un curieux folk, en anglais, avec de belles harmonies vocales et, surtout, des paroles limite choquantes. Bon, c’est encore gentillet, elles sont sur une major et font un peu « bonnes élèves », mais leur truc est vraiment surprenant. J’attends la suite. Dans toute l’espèce de scène psyché-garage, il n’y a que Yussuf Jerusalem qui ne me paraisse pas ennuyeux : lui, c’est un vrai méchant, et sonner garage ne l’empêche pas de faire des vraies chansons, qui veulent dire quelque chose. J’ai beaucoup écouté le dernier Spiritualized (Sweet Heart Sweet Light – nda) leur meilleur depuis longtemps, même si Jason Pierce n’a pas l’air de partager mon avis. Le mec qui part en promo pour dire à la presse qu’il n’aime pas beaucoup l’album qu’il vient de faire et qu’il préfère ceux d’avant : Jason, t’es génial. J’ai pris une claque récemment avec I’m Goin’ Away des Fiery Furnaces, sorti en 2009, un putain de bon disque. Kim Deal continue à sortir des vinyles autoproduits qu’elle enregistre toute seule. Sa dernière chanson, « Walkin’ with a Killer », est d’une beauté à couper le souffle. Et puis bon, Eels, j’achète systématiquement ses disques à leur sortie, plus par principe que parce qu’ils sont bons, parce que j’adore le bonhomme, mais le prochain, Wonderful, Glorious a l’air de sonner comme Souljacker, donc bonne nouvelle. Et puis, le meilleur pour la fin, Lil’ One-Arm de The Oubliettes, sorti tout récemment, est un chef-d’œuvre ! J’ai découvert ce truc en lisant une interview de Matt Verta-Ray et Ali Smith sur Gonzaï. Un vrai bijou, super production, crade juste ce qu’il faut et à la fois mélodique. J’adore cet album !
Bon et alors, malgré ton statut d’ « autoprod / lonesome cow-girl », tu vas-tu quand même donner des concerts, ne serait-ce que dans des bars ?
C’est la question que tout le monde me pose, juste après que je leur ai dit que je sortais un disque. Hé bien non, pas de concerts prévus pour le moment (là tu peux me demander pourquoi).
Pourquoi ?
Franchement, jouer sur une sono pourrie chez un marchand de couscous qui a décidé de faire jouer des groupes de rock pour booster ses ventes de bière, et qui n’a aucun respect ni pour la musique, ni pour les musiciens, ça me gonfle. Ces mecs estiment qu’ils n’ont pas à te payer car, de leur point de vue, ils te font une faveur en te permettant « de te faire connaître ». Le pire, c’est qu’il y a tellement de groupes qu’il y a toujours des gens pour accepter ces conditions. Les salles qui se veulent « rock », comme l’OPA ou l’International, c’est pareil, même s’ils te paient juste assez pour que tu puisses prendre un taxi pour rentrer. Chercher un taxi à 2h du mat’ sous la pluie, en portant les amplis, c’était marrant quand j’avais 20 ans et que j’étais dans un groupe de potes. On était ensemble, on rigolait, et chaque mésaventure devenait un bon souvenir. À 31 ans, ça ne m’amuse plus. Sans compter qu’une salle comme l’OPA demande aux groupes de faire un flyer (au frais du groupe, bien sûr), de le distribuer, de communiquer sur les réseaux sociaux, c’est-à-dire de faire leur boulot à leur place, tout ça pour te filer 50 euros et deux malheureux tickets-boisson, tout en te hurlant dessus pendant les balances parce que le batteur joue trop fort. Un jour, pour leur programme, L’OPA m’a demandé trois lignes pour résumer ma musique. Un jour, sur un forum, un type avait écrit à mon propos : « La voix douce d’une taularde en fuite, de superbes mélodies sur deux accords, un songwriting qui n’a rien à envier au célèbre folkeux Iggy Pop. » Je trouvais ça génial ! Mais la meuf de l’OPA n’avait jamais entendu parler du second degré. Elle m’a conseillé d’éviter de me comparer à un musicien reconnu comme Iggy Pop, car ce n’était pas très humble, et que, de plus, même s’il était vrai qu’Iggy Pop avait écrit quelques chansons folk, il était plus connu pour ses titres rock, comme « I Wanna Be Your Dog ». Je ne savais plus si je devais pleurer de rire ou pleurer tout court. J’ai annulé mon concert, et leur ai dit que je ne jouais pas pour des baltringues. Et puis ils ont ces horreurs de limiteurs de décibels. Dans la loge de l’International, il y a même ce graffiti : « Ta mère suce des bites à 96 db. » Bien résumé. Je suis loin de faire du Motörhead, et pourtant ils trouvent le moyen de me dire de baisser le volume. On fait pas de la musique de chambre quoi, merde ! Du coup, si je fais des concerts, ce sera en acoustique et dans les bars « amis », dont les patrons aiment vraiment la musique et respectent les groupes qui jouent (pardon pour le délai de réponse mais mon chat a vomi sur ma biographie de Keith Moon puis a chié à côté de sa litière.)
Ton chat m’offre une transition/conclusion toute trouvée : pour finir c’est quoi ce délire papier peint « tigré noir et blanc » qu’on voit derrière toi dans tes photos de presse ?
Attends, tu ne vas tout de même pas parler du vomi du chat dans l’interview ??! Et c’est pas « tigre », c’est « zèbre » et ça, c’est mon côté glam-rock, héhé !
Ah oui, ton côté Brian Eno période Roxy Music !
Oui, sauf que bon parler de glamour et de vomi dans la même réponse, c’est pas très glam justement. Mais marrant que tu me parles de Roxy Music à ce moment-là : un jour mon chat s’est torché sur le journal de 1995 de Brian Eno (Une année aux appendices gonflés, sorti en 98 – nda)…
Bon bah voilà, on la enfin faite cette interview. Quelque chose à ajouter ?
Oh, je crois que c’est assez complet. Merci beaucoup pour tout ce temps passé.
Photos par Wallendorf, excepté celle de Sylvia live, basse en main, signée Vivien Fossez
Elle a un max de trucs bien pensés à dire et son deuxième disque est vraiment chouette. Merci pour la découverte.
Merci pour ton retour Géo.Si tu aimes son deuxième album, bien évidemment, je te conseille de jeter au moins une oreille à son premier 😉