BRMC

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6 fĂ©vrier 2013. 12h00. HĂŽtel Arvor, 9e arrondissement de Paris. « You live by the sword, you die by the sword » (« Qui vit par l’Ă©pĂ©e pĂ©rit par l’Ă©pĂ©e ») conclut Mathieu Pinaud, l’attachĂ© de presse français des BRMC (Black Rebel Motorcycle Club). Venu les interviewer Ă  l’occasion de la sortie de Specter at the Feast, leur septiĂšme album, le gars de OUI FM avait apparemment fini par leur parler d’armes Ă  feu. Sur le point de partir, il en discutait encore un peu en off avec leur bassiste-chanteur, Robert Been (ex Robert Turner). Il lui avait demandĂ© s’il connaissait cet ex-soldat amĂ©ricain qui venait de se faire assassiner. « Tu sais, c’est ce mec qui a Ă©crit une biographie oĂč il raconte son expĂ©rience en Irak, oĂč il aurait snipĂ© 250 personnes. Il dit que c’Ă©tait cool, qu’il adore les flingues et l’AmĂ©rique. Il vient d’ĂȘtre snipĂ© par un autre traumatisĂ© de guerre… » Je savais pas. Robert non plus.

Comme je l’apprendrai en lisant Paris Match, le gars s’appelait Chris Kyle. « Les insurgĂ©s irakiens l’avaient surnommĂ© « le Diable ». Sept fois mĂ©daillĂ©, aprĂšs quatre missions lĂ -bas, ce texan mariĂ© et pĂšre de deux enfants Ă©tait considĂ©rĂ© comme « l’un des plus redoutables tireurs d’Ă©lite de la guerre moderne » (derriĂšre le Finlandais Simo HĂ€yha, Ă  qui on attribue environ 700 victimes lors de la guerre finno-soviĂ©tique de 1939 ou le Russe Vassili Zaytsev, prĂšs de 500 victimes lors de la bataille de Stalingrad en 42). NĂ© dans une famille chrĂ©tienne et conservatrice qui possĂ©dait un ranch, Chris Kyle s’Ă©tait toujours senti « une mentalitĂ© de cow-boy ». Son pĂšre lui avait offert son premier fusil Ă  7-8 ans. Il s’Ă©tait engagĂ© dans les Navy Seals (corps d’armĂ©e « air, terre, mer » super sĂ©lect) à 24. Y avait appris Ă  tirer. Il est mort le 2 fĂ©vrier dernier sous le feu d’un jeune « soldat qu’il voulait « rĂ©Ă©duquer ».

Robert acquiesçait et riait vaguement Ă  l’Ă©coute du journaliste et du RP et devant son air stone et ses banalitĂ©s en-deçà de leurs attentes (« C’est fou tout ce qui se passe aux USA avec les flingues, les gamins qui se tirent dessus Ă  l’Ă©cole. Il y a une telle fascination pour les armes Ă  feu et la NRA est si puissante… »), le frenchy avait comme l’impression de lui apprendre la vie alors il faisait feu de plus belle (« Aujourd’hui aux USA, on ne peut mĂȘme plus avoir de air machine gun ou de desert eagle Ă  cĂŽtĂ© de son assiette, tous ces gros flingues des usines israĂ©liennes. On n’a juste plus le droit de tuer plus de 10 personnes en un coup ! »). Il affichait sa fascination pour tout ça comme si c’Ă©tait cool parce que c’Ă©tait ricain et que l’autre, natural born rocker, allait lui servir une bonne tranche de fantasme. N’avait-il pas Ă©crit une chanson (« Rifles ») sur ça (« Fusils ») ? Mais non, c’Ă©tait bizarre.

J’aime beaucoup les BRMC. Je ne les vois pas comme des dieux tout puissants, des mecs qui jouent avec des flingues, mais ils ont sorti trois premiers albums nickel, qui faisaient mouche Ă  chaque plage (Black Rebel Motorcycle Club, Take Them On On Your Own, Howl). AprĂšs je les ai trouvĂ©s plus faillibles (Baby 81, The Effect of 333, Beat The Devil Tattoo). Ce n’Ă©tait plus le carton plein. Mais il y avait toujours de belles choses. Avec Interpol c’est un des rares groupes de rock des annĂ©es 2000 que j’ai aimĂ© comme j’ai aimĂ© les groupes de mon adolescence (Pulp, Suede, The Verve, Dandy Warhols, Radiohead…). Avec passion. En chevaliers. Alors je les ai toujours suivis, bien que de plus loin. J’ai toujours voulu les interviewer. Les mettre Ă  mon tableau de chasse. Et je suis venu avec mon Ă©pĂ©e DamoclĂšs. Car quand on aime avec passion, on est sans pitiĂ©. En quĂȘte d’adoubement et de vĂ©ritĂ©.

« je ne pense pas que le rock soit un truc de jeunes »

 

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Bonjour Robert.

R (sleepy eyes et cheveux en pĂ©t’) : Bonjour, comment vas-tu ?

Bien ! Je t’avouerai que lĂ  il est encore un peu tĂŽt pour moi mais ça va !

J’aime bien les journalistes français car ils ont toujours l’air aussi fatiguĂ© que moi ! (Oui, j’ai juste envie d’ajouter que : « Toi, t’es pas juste fatiguĂ©, t’es aussi stone, non ? » Mais bon, j’ose pas bien sĂ»r. Comme de lui demander : « C’est quoi cette bouteille de style soda liquoreux que tu tiens Ă  bout de bras entre tes jambes ? » – nda)

Ahahah, tu trouves que c’est spĂ©cifique aux journalistes français ?

Oui, je ne sais pas, ça doit ĂȘtre liĂ© Ă  leur culture de la nuit. C’est des couche-tard. Je ne suis donc pas le seul Ă  me plaindre de faire des interviews si tĂŽt dans la journĂ©e.

Quand ĂȘtes-vous arrivĂ©s Ă  Paris ?

On est arrivĂ© d’Angleterre la nuit derniĂšre et on repart ce soir pour Berlin (Leah Shapiro, la batteuse, arrive – nda).

Bonjour Leah.

Leah : Bonjour.

Nous voilĂ  au complet, allons-y, honneur aux femmes !

Robert (se marrant) : Hey cool ! Honneur aux femmes, oui, ça me va, ça change et comme ça moi je peux encore dormir un peu !

Leah (timidement, genre : « Why not, mais Ă  quelle sauce je vais ĂȘtre mangĂ©e ? ») : Oh yeah…

Leah, tu as rejoint le groupe en 2008. J’avoue que je n’avais pas tiltĂ©. Comment s’est faite la rencontre ?

Je les ai rencontrĂ©s en tournĂ©e. J’Ă©tais dans le groupe qui ouvrait pour eux.

Les Raveonettes ?

Non, un groupe qui s’appelait Dead Combo.

Ah ok.

C’Ă©tait Ă  l’Ă©poque de leur tournĂ©e pour l’album Baby 81. AprĂšs Robert et moi sommes devenus amis, on est restĂ© en contact et j’ai fini par intĂ©grer le groupe Ă  la fin de la tournĂ©e de Baby 81. VoilĂ , c’Ă©tait juste une histoire de musique.

Ils ne t’ont jamais dit concrĂštement : « On cherche un nouveau batteur » ?

Non, ils n’ont jamais formulĂ© les choses ainsi (petits rires) !

Robert : Peter et moi, on l’a vu jouer sur cette tournĂ©e et elle nous a fait forte impression. Elle Ă©tait vraiment intense, dans sa prĂ©sence scĂ©nique et sa force de frappe. J’avais rarement vu ça chez un batteur, que ce soit une femme ou un homme. J’ai donc gardĂ© ça en tĂȘte et on est restĂ© un peu en contact, enfin pas vraiment et aprĂšs… Euh, lĂ  je sais plus ce que je dois dire ou ne pas dire (rires) ! HĂ© bref, Ă  ce moment-lĂ  on avait atteint un stade critique avec Nick (Jago, l’ancien batteur – nda) et Leah Ă©tait la seule personne qu’on avait en tĂȘte donc voilĂ . Et elle a direct montrĂ© qu’elle Ă©tait ce qui nous fallait. Notre premier concert ensemble, on avait jouĂ© pas mal de vieilles chansons je me rappelle, et c’Ă©tait trĂšs puissant. C’Ă©tait 6 mois avant qu’on se mette Ă  composer Beat The Devil’s Tattoo.

Il n’y a donc pas eu d’audition pour ce « poste » ?

Robert : Non…

Leah : Je dirai que si. J’ai Ă©tĂ© auditionnĂ©e mais pas au sens traditionnel du terme, parce qu’en gĂ©nĂ©ral quand une audition implique de tester plus d’une personne. LĂ  c’Ă©tait donc plutĂŽt une audition privĂ©e (petits rires).

Maintenant les BRMC sont devenus ton groupe Ă  temps plein ou tu continues Ă  faire de la batterie ailleurs ?

Non, depuis que j’ai commencĂ© avec eux, je n’ai pas eu… Disons qu’ils travaillent beaucoup donc il n’y a pas vraiment le temps de faire autre chose (petits rires). Ça me prend tout mon temps.

Ce sont de durs patrons (rires) ?

Leah : Oui (petits rires) !

Robert (se réveillant) : Comment ça ?

Leah : Il demande si vous ĂȘtes de durs patrons.

Robert (tout coton) : Noooon… (elle se marre)

Qu’est-ce que ça fait de rejoindre un groupe qui a dĂ©jĂ  10 ans de parcours et qui Ă©tait Ă  la base une histoire de mecs (Robert qui buvait une gorgĂ©e de sa mystĂ©rieuse bouteille manque de s’Ă©touffer et rigole sous cape – nda) ?

Leah : Au-delĂ  de la question du genre, quand tu rejoins un groupe, quel que soit ce groupe, c’est dur de s’y faire une place parce que tu as affaire Ă  des gens qui ont dĂ©jĂ  des habitudes de fonctionnement et ça peut ĂȘtre perturbant quand une nouvelle personne dĂ©barque lĂ -dedans.

Ça l’a Ă©tĂ© pour vous ?

Je ne sais pas, demande-le lui.

Robert (essayant de sortir de sa torpeur) : Hummm… ComparĂ© Ă  Nick Jago c’Ă©tait… C’Ă©tait un environnement des plus adorables. On a eu tellement de moments difficiles en interne avec le groupe d’origine (petits rires jaunes)… Que oui, c’Ă©tait bien d’avoir de nouveau une alchimie musicale et d’ĂȘtre capable de composer sans avoir Ă  se battre pendant 5 heures sur chaque chanson qu’on faisait.

Ces tensions internes ne faisaient pas partie de votre processus de crĂ©ation ? Elles n’Ă©taient pas, en un sens, constitutives de votre rock ?

Non, absolument pas. Je ne vois pas trop en quoi ça aurait pu nous ĂȘtre utile… Hum, la vĂ©ritĂ©, la triste vĂ©ritĂ© du rock’n’roll c’est que tu peux ĂȘtre un glandu total et de ce fait faire du rock’n’roll, mais Ă  un moment donnĂ© si cette Ă©nergie prend le pas sur la musique et ce qu’elle est censĂ©e t’apporter, si ce merdier t’empĂȘche de sortir les chansons que tu dois sortir alors il faut trancher. Mais c’est vrai, tous les musiciens sont fous et incroyablement difficiles, moi compris, vraiment. Mais Leah donne tellement plus qu’elle ne prend… J’espĂšre que Peter et moi aussi… Tu peux devenir fou mais tu peux aussi devenir celui que tu veux ĂȘtre, tu dois juste te rappeler ce que tu dois fais pour y arriver. Être lĂ  et faire le job, c’est tout.

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La plupart des groupes de rock de votre gĂ©nĂ©ration – les annĂ©es 2000 – ont splittĂ© et/ou dĂ©clinĂ© aprĂšs 2-3-4 disques (The Libertines, Editors, The Killers, Kings of Leon, The Subways…) Vous, vous vous ĂȘtes encore lĂ  Ă  sortir votre septiĂšme album. Comment expliques-tu cette longĂ©vitĂ© ? Est-ce liĂ© Ă  l’amitiĂ© entre toi et Peter ? Au fait que, je ne sais pas, vous habitez Ă  San Francisco et pas Ă  New York… ?

Chaque groupe est tellement diffĂ©rent que je ne peux pas parler pour eux… et par respect pour tous ces groupes qui se sont sĂ©parĂ©s, je ne m’avancerai pas Ă  nous comparer Ă  eux… Je n’ai aucune idĂ©e des choses contre lesquelles ils ont dĂ» se battre donc je n’ai aucune idĂ©e de quoi il retourne. Mais le gars qui Ă©tait Ă  ta place il y a quelques minutes a dit qu’on Ă©tait un des groupes les plus malchanceux qu’il ait jamais vu (rires) ! parce qu’avec toutes les choses qu’on a dĂ» endurer ces 13, 15 voire 20 derniĂšres annĂ©es… Il y a du vrai lĂ -dedans, c’est peut-ĂȘtre la seule vraie raison qui fait qu’on est toujours lĂ  Ă  faire de la musique. On a tellement Ă©tĂ© poussĂ© Ă  continuer Ă  se battre et Ă  se battre pour continuer qu’on n’a jamais vraiment eu le temps de se demander pourquoi on Ă©tait encore ensemble Ă  faire ce qu’on faisait. Et quand tu dĂ©passes ça, c’est ce qui tend plus fort et c’est ce qui te fait durer, avancer.

Qu’est-ce que ça vous fait du coup d’en ĂȘtre dĂ©jĂ  Ă  sortir votre septiĂšme album ? Vous sentez-vous dĂ©jĂ  vieux en tant que groupe de rock ?

Je sens qu’on commence tout juste Ă  tenir quelque chose (rires) ! Tu vois ?

Tu veux dire Ă  devenir adulte ?

Non, pas adulte, ça c’est encore un truc loin loin de nous (Leah rigole). La musique prime toujours, tu vois ? C’est un lent processus (rires) !

J’imagine que pour un groupe de rock comme le votre c’est plus facile de trouver des contrats avec des maisons de disques quand on est encore jeune, parce que du coup vous pouvez incarner une relĂšve, mais maintenant que vous allez tout doucement vers la quarantaine, c’est plus difficile, non ?

L : Il n’est pas si vieux (silence – rires)

R : Wouaw ! Non.

Je sais Robert, tu as quoi ? 35 ans. Mais ça n’empĂȘche, ce que je veux dire c’est qu’Ă  cet Ăąge-lĂ , quelque part on n’a plus la mĂȘme image auprĂšs de l’industrie du disque, parce qu’on n’est ni mystique vieux Ă  la Johnny Cash ni jeune loup aux dents longues, ça doit donc ĂȘtre plus dur de faire saliver les gros labels, non ? Parce que vous vieillissez et que le rock est vu comme un truc de jeunes…

Hum… Je ne sais pas si je suis d’accord… C’est une grosse question… Et je ne sais pas… Prends Leonard Cohen et Nick Cave par exemple, comme eux beaucoup de groupes et d’artistes se sont dĂ©veloppĂ©s sur la durĂ©e et ont crĂ©e parmi les plus importantes formes de musique qu’on ait aujourd’hui (Leah acquiesce). On vit peut-ĂȘtre la fin de tout ça d’ailleurs… Hum, il y a un certain Ă©tat d’esprit dans le rock’n’roll et il est utile, parce qu’il est idĂ©aliste, Ă  contre-courant du cours ordinaire des choses. Et ça, c’est le genre de choses, plus tu vieillis, plus ça devient difficile Ă  dĂ©fendre. Que tu sois ou non musicien (rires). C’est le truc d’inventer sa vie soi-mĂȘme et c’est plus facile de se comporter comme un jeune de te comporter comme un jeune, tu vois ? d’ĂȘtre jeune d’esprit, d’avoir toujours le feu, l’excitation en soi et de croire que tu peux amĂ©liorer les choses. Plus tu vieillis plus tu as des chances de devenir cynique, de camper sur tes acquis et ça, c’est la mort de la musique, et notamment du rock’n’roll. Donc oui, je ne pense pas que ce soit un truc de jeunes. Mais bon, je ne suis pas si vieux (rire gĂ©nĂ©ral) ! J’ai 34 ans et j’espĂšre continuer encore longtemps.

Et Leah, commence ça se passe niveau compos ? Tu participes ?

L : Je ne sais pas trop comment ils fonctionnaient avant que j’arrive mais comme pour Beat The Devil’s Tattoo, la plupart de ces chansons sont nĂ©es en jouant tous les trois dans une piĂšce, c’est comme ça que je participe. Au-delĂ  de ça, je ne sais pas quoi dire.

R : HĂ© bien… Comment je pourrais dire ça ? La plus grande qualitĂ© de Nick, qu’il en ait eu ou non conscience (petits rires jaunes), c’Ă©tait d’ĂȘtre capable d’Ă©couter et de sentir oĂč la chanson qu’on Ă©crivait devait aller. De savoir quand on devait la retenir et quand elle devait rejaillir. Sentir ça sans avoir Ă  passer par les mots et dire : « Ok, essayons ça et ça », c’est un don qui suppose une grande capacitĂ© d’Ă©coute. Et Peter et moi sommes sĂ»rement les deux pires personnes au monde pour ce qui est d’expliquer ce qu’on veut qu’une chanson soit, vraiment, lĂ -dessus on est infernaux. On a donc besoin de quelqu’un qui sache Ă©couter ce qu’on ressent. Et Leah a ça. Les chansons du nouvel album comme celles de Beat The Devil’s Tattoo c’Ă©tait donc juste nous trois dans une piĂšce, ne communiquant que par le son. AprĂšs, quand tu composes comme ça, il y a toujours un moment oĂč tu te heurtes Ă  un mur parce que toute la chanson ne peut pas sortir comme ça, dans l’instant, avec son pont, sa chute, etc. D’ailleurs certaines chansons de Specter at the Feast sont nĂ©es de chutes de sessions de l’Ă©poque de Beat The Devil Tattoo, de bouts trĂšs cools sur lesquels on arrĂȘtait pas de revenir pour voir si on pouvait bĂątir des chansons autour. « Funny Games » est venu comme ça.

L : « Lullaby » aussi.

R : Oui, et « Sell It ». A un moment, on doit donc quand mĂȘme s’arrĂȘter et discuter : « Ok, qu’est-ce qu’on va faire de ça ? » Et c’est lĂ  oĂč c’est dur (rires) et c’est lĂ  oĂč Leah fait de son mieux pour interprĂ©ter ce qu’on dit. C’est comme ça qu’elle participe, par son jeu et ce don instinctif qu’elle a de savoir oĂč la musique doit aller. Ça nous permet de toujours Ă©crire comme on a Ă©crit nos premiers albums.

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Ce nouvel album a-t-il été dur à faire ?

L : On l’a dĂ©marrĂ© trĂšs doucement


R : Oui, un long labeur (petit smile).

L : C’est ça (Robert se marre) !

Plus qu’avant ?

R : Purée, oui.

L : Oui.

R : C’est le disque le plus dur qu’on ait jamais fait
 En fait, la derniĂšre annĂ©e qu’on a passĂ© sur la route a Ă©tĂ© la plus dure qu’on ait traversĂ© Ă©motionnellement. Chacun Ă©tait en train de comprendre et de digĂ©rer beaucoup de choses bien plus importantes que la musique et que ce qu’on allait bien pouvoir faire pour cet album. La musique, c’est ce qu’on sait le mieux faire, mais il y a tout le reste (rires), et lĂ  tout le reste s’est mis sur notre route. Ça devait passer en premier.

L’album contient des morceaux aux atmosphĂšres trĂšs diverses. Au dĂ©part on a un peu l’impression d’avoir affaire au monstre de Frankenstein !

L : Au quoi ?!

R : A la crĂ©ature du docteur Frankenstein… Le journaliste d’avant a exprimĂ© cette idĂ©e d’une autre maniĂšre…

Ah oui, laquelle (rires) ?

R : Hey, ne vole pas son interview (au mieux le journaliste a dĂ» parler de « best of » ou d’album « de la maturité » – nda), c’Ă©tait son interview (rires) ! Mais oui, je vois ce que tu veux dire, et je pense qu’il y a quelques Ă©lĂ©ments qui font que ce disque a quelque chose du monstre de Frankenstein.

Pour moi, c’est un peu comme s’il y avait plusieurs facettes de BRMC cousues ensemble.

L : Oui.

R : Oui, qu’on aime ça ou pas, c’Ă©tait toutes les choses par lesquelles on est passĂ©es Ă  cette Ă©poque et c’Ă©tait un bon challenge de trouver comment lier tout ça pour que ce ne soit qu’une piĂšce, un mouvement. La plupart des journalistes ont trouvĂ© que ça s’enchainait bien, que lorsqu’on Ă©coutait l’album on ne pouvait que l’Ă©couter en entier, et c’est le plus beau compliment qu’on pouvait nous faire car, que tu ressentes ça comme ça ou pas, pour nous c’Ă©tait l’objectif. On ne voulait pas que ça sonne comme une collection de chansons disparates. Un truc tout raccommodĂ©.

C’est pas un concept album mais on sent qu’il a un dĂ©but, un milieu et une fin. Il y a mĂȘme des morceaux assez planants, progressifs. Vous ne serez pas en train de virer « prog rock » ?

L et R (d’une mĂȘme voix) : Prog rock ?!

L : Mon Dieu (rires) !

R : Peut-ĂȘtre que ce sera pour le prochain album !

L : Oui, peut-ĂȘtre qu’on se dirige vers ça, je ne sais pas.

Ça va peut-ĂȘtre vous paraĂźtre Ă©trange mais quand j’ai Ă©coutĂ© cet album, et ça m’est dĂ©jĂ  aussi arrivĂ© avec les prĂ©cĂ©dents, j’ai parfois pensĂ© aux Smashing Pumpkins…

L : Ha ! (un petit « ha », étouffé)

R : C’est marrant que tu me parles de ça parce que je pensais Ă  eux l’autre soir. Je ne les ai jamais Ă©coutĂ©s et, je ne sais plus pourquoi, mais je me suis dit que je devrais aller m’acheter certains de leurs disques.

Tu n’as jamais Ă©coutĂ© les Smashing Pumpkins ?!

R : J’ai entendu leurs singles. Ils font typiquement partie de ces groupes dont je me suis toujours dit : « Je m’y plongerai plus tard ». J’aimais bien leur son au dĂ©but, mais petit Ă  petit ça m’a moins plu.

Oui, c’est parfois d’aimer un groupe qui dure et qui Ă©volue (rires) !

R : Oui. Et voilĂ , j’ai eu une pensĂ©e subite pour les Smashing Pumpkins, genre : « Je suis peut-ĂȘtre passĂ© Ă  cĂŽtĂ© de quelque chose. » Tu aimes, toi ?

Leurs deux derniers albums m’ont moins emballĂ©s, ils ont progressivement perdu la singuliĂšre mixture sonore qui les distinguait, mais oui j’aime ce qu’ils ont fait. Et j’ai l’impression que vous vous rejoignez parfois sur la dimension « heavy » de votre son, ce cĂŽtĂ© noir, pyschĂ©, mĂ©tal, les frappes de batterie bien « fat » et ce dĂ©sir de proposer des disques qui pĂšsent comme une Bible…

L : Oui, je vois.

R : Moi, je sais pas, mais vous avez sans doute raison. Je ferai mieux mes devoirs la prochaine fois. J’aurais Ă©coutĂ© leurs disques.

En tous cas, maintenant que vous avez installĂ© votre son, j’imagine qu’on a arrĂȘtĂ© de vous comparer The Jesus and Mary Chain, non ?

R : Oui, enfin je pense que le truc avec The Jesus and Mary Chain c’Ă©tait moins une histoire de son qu’une question d’image. Je pense que c’Ă©tait plus une question d’image, au fait qu’on avait des cuirs noirs et les cheveux en pĂ©tards. Parce que sinon, le son distordu qu’on avait Ă©tait notre propre son. Donc oui, aprĂšs on nous a un peu bassinĂ© avec ça et oui, en effet on a un peu Ă©coutĂ© ce groupe. Mais je veux dire, on pioche un peu partout. Si t’es un minimum malin, tu voles les meilleurs. Beaucoup ne le font pas et c’est une grave erreur (rires) !

A ce propos, j’ai cru dĂ©celer quelques emprunts Ă  U2 sur ce disque. Auriez-vous volĂ© U2 ?

J’aime The Joshua Tree...

Ça s’entend en effet, sur quelques morceaux bel et bien le souffle mĂ©lodique et atmosphĂ©rique de ce grand classique du rock…

Oui, la nature de ces chansons Ă©tait trĂšs ouverte. On sentait que telles qu’elles nous venaient elles avaient besoin d’un large spectre musical. Pour l’enregistrement, on ne s’est donc pas contentĂ© de placer 2-3 micros dans la piĂšce en essayant de capter tout l’attitude et l’Ă©nergie d’un groupe de garage, on a plutĂŽt mis le paquet pour bien prendre chaque instrument sĂ©parĂ©ment et jouer sur chaque nuance des sons. Par exemple, on a essayĂ© que la prise de son de la batterie remplisse l’atmosphĂšre pour te la faire vraiment ressentir. Les morceaux ont Ă©tĂ© faits comme ça, Ă  une plus grande Ă©chelle, comme, je ne sais pas, une cĂ©lĂ©bration de la vie, comme une invitation, pour accueillir les gens. Parce que, comment dire ? Les albums prĂ©cĂ©dents Ă©taient sans doute plus fermĂ©s, Ă©goĂŻstes.

L : Oui, c’est une histoire de jeu. Pour la batterie par exemple, il y avait plein de dĂ©tails dans la façon de jouer qu’on aurait totalement squizzĂ© avec un enregistrement de type garage. On n’est pas vraiment sĂ»r d’avoir envie de virer prog rock (ils rigolent) mais aprĂšs coup on se rend compte que lĂ  on a bien fait d’opter pour un enregistrement high tech.

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Quand je parlais de prog rock tout Ă  l’heure, c’Ă©tait bien sĂ»r pour vous charrier, vous provoquer. Vous n’en ĂȘtes pas encore lĂ , mais ce que je voulais dire par lĂ  c’est que que par moments vous semblez vouloir Ă©chapper au rock en partant dans de longs morceaux plus doux, atmosphĂ©riques, et c’est bizarre parce qu’en mĂȘme temps dans le ventre de l’album vous revenez Ă  un rock plus binaire et rageur que jamais. Pourquoi ? Vous avez peur de trop perdre le rock – et donc les fans – de vue ? C’est pour vous rassurer ?

R : Hum, je ne dirai pas ça…

Ne seriez-vous pas un peu prisonniers de ce genre de musique balisĂ©e qu’est le rock ?

R : Oh, non, on aime ce genre de musique (ils rigolent) ! Le rock, ça va d’Iggy Pop Ă  – mince, que dire dire ? – je ne sais pas moi, Jimmy Hendrix, par exemple. Et c’est le contraste entre tous ces styles de rock, ce mĂ©lange que tu ne peux pas vraiment maĂźtriser qui fait que… Je veux dire, on ne fait pas dans la reconstitution historique. Comme on produit nos disques nous-mĂȘmes sur notre label, nos disques sont des grandes fĂȘtes oĂč on se fait plaisir, que le rĂ©sultat final s’avĂšre bon ou pas. On est libre donc on assume (rires). S’il y a aussi des morceaux trĂšs rock sur ce disque, c’est donc totalement notre choix. Ces morceaux sont venus naturellement. On Ă©tait en train de roder « Lullaby » et « Lose Yourself », on Ă©tait vraiment dans ces morceaux Ă  grande focale, et Ă  un moment on aussi eu juste besoin de ce pur plaisir de cracher le feu, de nous purger de cette colĂšre et de cette frustration, parce qu’on ne l’avait pas fait avec les autres morceaux.

Ok, mais je veux dire, je ne veux pas ĂȘtre blessant…

Non, vas-y, je t’en prie.

Mais quand j’Ă©coute ces trois morceaux trĂšs rock binaire que sont « Hate the Taste », « Rival » et « Teenage Disease », j’ai un peu l’impression d’entendre une caricature de vos premiers brĂ»lots rock (Leah laisse Ă©chapper un petit gloussement mutin)…

R (lui un petit rire jaune) : Euh wouaw. Ok.

J’ai eu le sentiment, mais peut-ĂȘtre que je me trompe (aprĂšs quelques rĂ©Ă©coutes la sĂ©vĂ©ritĂ© de mon jugement aura tendance Ă  s’estomper), qu’aujourd’hui ce que vous aviez Ă  donner se situait plus dans les autres morceaux, panoramiques. Qu’en penses-tu ?

Hum, j’aime que tu me parles franchement (petits rires nerveux). J’apprĂ©cie beaucoup. (Silence, il cogite, accuse le coup.)

L (venant Ă  sa rescousse) : Chacun va forcĂ©ment avoir sa propre expĂ©rience du disque et tout le monde n’aimera peut-ĂȘtre pas tout, je ne m’attends d’ailleurs pas Ă  ce que tout le monde prenne tout en bloc, mais voilĂ  la musique est lĂ , et les gens peuvent s’y frotter.

Je vois, mais ce que je demande, clairement, c’est : « Comment pouvez-vous encore accoucher de chanson rock aussi binaires et bileuses » ? Cela fait-il vraiment partie de vous ?

R : Oui, absolument…

Ce n’est pas un petit rĂ©flexe contractuel histoire d’avoir de nouvelles cartouches vĂ©nĂšres pour secouer en live ?

L et R (d’une mĂȘme voix) : Non !

R : Notre question c’Ă©tait juste : « Pourquoi et surtout comment mĂȘler ces chansons plus dures Ă  un ensemble de chansons plus douces et panoramiques ? » Parce que finalement, il y avait cette nĂ©cessitĂ© de les mettre. Ces chansons ne viennent pas de la tĂȘte…

Mais du ventre…

R : Oui, des entrailles de la bĂȘte, et cette facette fait partie du groupe, et elle s’Ă©tait exprimĂ©e d’elle-mĂȘme. A un moment j’ai pensĂ© l’ignorer, je me suis dit : « Et si on les mettait de cĂŽtĂ© pour faire un disque qui serait plus doux du dĂ©but Ă  la fin, un disque qui mette les gens dans une seule humeur, un seul Ă©tat ? » Mais ça n’aurait pas vraiment reflĂ©tĂ© tout ce qu’on ressentait Ă  cette Ă©poque, et j’ai pensĂ© qu’il Ă©tait prĂ©fĂ©rable d’ĂȘtre fidĂšle Ă  nous-mĂȘme plutĂŽt que de juste montrer notre beau profil.

En premier single, vous avez tout de mĂȘme optĂ© pour un morceau assez soft…

R : Soft ?

L : « Let The Day Begin » ? Tu trouves ça soft ?

J’imagine que c’Ă©tait impossible de choisir un titre vraiment reprĂ©sentatif d’un disque aussi variĂ© mais disons que « Let The Day Begin » fait partie de ses morceaux assez « classic rock »…

R : Par soft, tu veux sĂ»rement dire lumineuse ou optimiste…

VoilĂ .

L : Ah ok.

R : Pour nous soft qualifie plus souvent une balade… C’est une reprise d’une chanson de mon pĂšre. Il avait un groupe dans les annĂ©es 80 qui s’appelait The Call et aprĂšs sa mort (d’une crise cardiaque dans les coulisses du Pukkelpop festival le 19 aoĂ»t 2010 – nda), on s’est dit qu’on allait lui rendre hommage en reprenant une de ses chansons. On ne savait pas laquelle choisir, on a donc travaillĂ© un petit moment pour trouver la chanson qui exprimerait notre sentiment de deuil mais aussi de gratitude envers la vie. Qu’il y ait Ă  la fois la lumiĂšre et les tĂ©nĂšbres. Et « Let The Day Begin » exprime trĂšs puissamment ce message de noirceur et d’espoir qu’on voulait transmettre aux gens.

Une derniĂšre question puisqu’on me fait signe de conclure. Quand j’ai interviewĂ© Interpol, Paul Banks m’a dit qu’il considĂ©rait son groupe comme une marque. Diriez-vous que vous considĂ©rez aussi les BRMC comme une marque ?

J’ai constatĂ© que dans le monde dans lequel on vit, pour exister, un groupe devait ĂȘtre transformĂ© en marque (rires) et il y a plein de choses que je dĂ©teste dans cette industrie et je vois aussi le rock’n’roll actuel comme Ă©tant Ă  99 % de la merde, mais dans tout ça il y a toujours 1 ou 2 % de vrais groupes et de belles choses, ça peut ĂȘtre un moment prĂ©cis dans une chanson, quelques secondes et ça me fait oublier les 99 % de merde habituelles donc voilĂ , c’est pour ça que j’accepte d’ĂȘtre une marque et de me vendre…

L : Que veux-tu dire par « marque » ?

J’avais bien aimĂ© comment Paul Banks m’avait expliquĂ© sa vision de la chose, il m’avait dit que lĂ -dedans pour lui il y avait l’idĂ©e de gang, de force, de machine et que le nom de son groupe vĂ©hiculait ça contrairement Ă  Stevie Nicks and the blablabla’s…

R : Stevie Nicks est une marque…

Oui (rires) ! C’est, vrai, mais vous voyez l’idĂ©e, non, cette histoire de tout qui dĂ©passe la somme des parties, de quelque chose de grand qui inspire les gens, comme une Ă©glise…

R : Hum…

L : Comme une Ă©glise ?!

R : Oui, oui, c’est cool, c’est comme, je ne sais pas, Stevie Nicks si elle cherche une maison de disques, elle n’est plus considĂ©rĂ©e comme un simple individu, mais comme une marque et elle sera marketĂ©e pour ĂȘtre vendue d’une certaine maniĂšre. Et Interpol ou n’importe quel autre groupe de gens qui se rĂ©unissent pour faire quelque chose qui soit tant que possible plus fort que ce qu’ils feraient tout seuls, ils font juste un travail collectif et c’est un peu cynique d’appeler ça une marque…

Parce qu’on est habituĂ© Ă  voir ce terme d’un point de vue cynique, capitaliste et mal intentionnĂ© mais on pourrait aussi imaginer une marque qui serait bienveillante…

L : Bien sûr.

R : Appelons plutĂŽt ça un groupe. Il suffit d’enlever une lettre (brand/band en anglais – nda) et le tour est jouĂ© (rires) !

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Photos par Anna Dabrowska : www.annadabrowska.com