ELBOW “BUILD A ROCKET BOYS !”
7 avril 2011. 15h30. Je me suis assis en tailleur sous une petite cabane en bois. Jâai ramenĂ© un grand verre dâeau, un pĂ©tard, l’album, le dictaphone. DĂ©pliĂ© mes questions devant moi. Je nâattends plus que mon spirit partner du jour : Guy Carver, le chanteur dâElbow. Ils viennent de sortir Build a Rocket Boys !, leur cinquiĂšme album et sont Ă Paris depuis hier pour en assurer la promo. Normalement je devrais aussi y ĂȘtre, mais jâai pris des vacances.
Je suis dans le sud-ouest de la France. Jây aide un pote qui vient de finir sa maison Ă©colo. De sây installer avec femme et enfants. Câest ambiance brouette, bĂ©tonniĂšre et toilettes sĂšches. Le soleil donne, les oiseaux chantent, paie ton short. Pas le cadre de mes habituelles Parlhot. Ăa me fait donc tout drĂŽle dâĂȘtre lĂ Ă attendre le coup de fil de ce (presque) cĂ©lĂšbre quintet de Manchester. Surtout que je ne devrais pas bosser. Mais je nâai pas pu dire non. Comment ne pas aimer ce disque, ses invitations Ă tout dĂ©brancher, cette grande soufflette de nostalgie et dâespoir mĂȘlĂ©s ? Dans ce cadre de firmaments sans filtre et de rush of blue to the head jâai pu lui accorder tout le temps quâil mĂ©rite. Mâouvrir Ă lui. Et je mâen serai voulu dâavoir passĂ© ça sous silence. Dâavoir manquĂ© cette occasion dâĂ©change. Et puis bon, tout ça, est-ce vraiment du taf ?
“Moi, Barry White du spleen ?!”
Bonjour Guy. Votre nouvel album Build a Rocket Boys ! vient de sortir. Le prĂ©cĂ©dent, The Seldom Seen Kid, fut, je crois, votre disque qui a gagnĂ© le plus de rĂ©compenses et aussi celui qui sâest le plus vendu dans le monde. Cela vous a-t-il compliquĂ© la tache au moment de vous mettre sur son successeur ?
HĂ© bien je pense que si ça avait Ă©tĂ© notre premier album, oui, ça nous aurait collĂ© une sacrĂ©e pression, mais comme câĂ©tait notre quatriĂšme on avait plus confiance. On lâa donc abordĂ© sereinement. En plus on savait que cet album ne pĂątirait pas de difficultĂ©s financiĂšres et de sorties dĂ©calĂ©es sur diffĂ©rents labels comme ça avait Ă©tĂ© le cas pour les prĂ©cĂ©dents. On savait que les gens attendaient ce disque et on savait quâon allait pouvoir toucher plus de gens que jamais. On Ă©tait donc ravi.
Est-ce pour cela quâil y a trois ans quand vous avez gagnĂ© le Mercury Prize vous avez dĂ©clarĂ© que câĂ©tait la chose la plus formidable qui vous soit jamais arrivĂ©e ?
Oui, dâun coup câest comme si tout le monde avait vu quâon avait des couilles, et tout le monde se passait le mot. CâĂ©tait bizarre, toute cette bienveillance, ce consensus gĂ©nĂ©ral. Aucun mĂ©dia ne remettait en cause notre victoire. Mais câĂ©tait super. Ăa nous a apportĂ© plein de belles choses durant lâannĂ©e qui a suivie. Pour lâalbum suivant on sâest donc retrouvĂ© comme dâhabitude, tout naturellement, et on a pris plaisir Ă faire ce disque. Peut-ĂȘtre mĂȘme plus quâaucun autre. On a beaucoup ri.
Il nây a donc pas eu de batailles en studio, crĂ©atives, humaines, rien ?
Non. De toute façon on ne se bat jamais. En 20 ans de vie de groupe on ne sâest jamais mis une seule fois sur la gueule. Individuellement chacun dâentre-nous peut avoir en lui une certaine violence, mais jamais en groupe.
A ce moment-lĂ quâĂ©coutiez-vous ?
Je crois que jâĂ©coutais pas mal The Walkmen et Joan As Police Woman. Et Jolie Holland aussi. Je suis un gros fan, elle est stupĂ©fiante.
Et vous, oĂč vouliez-vous aller avec ce nouvel album ? Juste raconter dâautres choses ? ExpĂ©rimenter dâautres sons ?
Oui, comme Ă chaque fois. On a toujours fonctionnĂ© comme ça et ce nâest pas le moment de changer. On est fier dâĂȘtre un groupe depuis 20 ans mais je dirai quâon reste avant toute chose des fans de musique. On continue de regarder tous les groupes quâon admire et de se dire : « Quâest-ce que je penserais si mon groupe prĂ©fĂ©rĂ© donnait tout Ă coup dans la pop racoleuse ? » VoilĂ , on se pose juste sans cesse la question de notre responsabilitĂ© par rapport Ă ce quâon a dĂ©jĂ fait. On essaie de continuer Ă faire une musique dont on soit fier. Câest ce qui compte vraiment pour nous.
Ces derniÚres années votre regain de notoriété vous a ouvert les stades. Savoir que vous rejouerez dans ces conditions a-t-il affecté la composition de Build a Rocket Boys ?
Je ne peux pas dire que ça ne soit jamais entrĂ© en ligne de compte pendant lâĂ©laboration de lâalbum. Câest une chance pour nous de pouvoir faire ces grandes scĂšnes et aprĂšs tu ne peux pas faire comme si de rien nâĂ©tait. Quand tu entends des milliers de personne reprendre tes chansons en chĆur, ce nâest pas rien, quelque part ça rĂ©sonne (il fait rĂ©fĂ©rence à « Grace Under Pressure », morceau de leur deuxiĂšme album dont le refrain a Ă©tĂ© enregistrĂ© alors quâil le jouait en 2002 au festival de Glastonbury et que des milliers de fans reprenaient avec eux : « We still believe in love, so fuck you ! », nda). En tous cas pour nous ça fait sens. Et on savait que ça allait se reproduire. On ne pouvait donc pas faire autrement quâinclure ça dans notre dĂ©marche. Sur le nouvel album un titre prend clairement acte de cette situation.
Câest « Open Arms », nâest-ce pas ?
Oui. On lâa enregistrĂ© avec la chorale de HallĂ© Youth. On avait fait un festival avec eux il y a environ deux ans et comme on avait adorĂ© cette expĂ©rience on les a rappelĂ©s pour ce morceau. Câest super enthousiasmant de lâenregistrer ça avant tant de jeunes gens rĂ©unis dans cette piĂšce. Je pense que ça transparaĂźt dans le disque.
Artistiquement vous diriez donc que le succÚs ne vous rend pas démago ?
On nâessaie pas de devenir de plus en plus gros Ă tout prix. Et je serai frustrĂ© de faire de la musique formatĂ©e pour les radios et les stades, autant que si je faisais une musique artistiquement inaccessible. On a toujours voulu partager notre musique avec le maximum de personnes, et on a la chance que de plus en plus de gens se sont progressivement mis Ă acheter nos disques et Ă venir nous voir sur scĂšne. Mais nous restons avant tout un groupe dâalbums. PortĂ© sur le songwriting. Ce qui nous importe câest de faire des disques que lâauditeur pourra Ă©couter seul, chez lui. Un disque qui lui tienne compagnie. IntĂšgre la bande son de vie.
A lâinverse ne craignez-vous pas de vous prendre trop au sĂ©rieux ?
Hum, je ne sais pas. Pour moi tout ça reste un processus sensitif. Le fruit de la rencontre de nos goĂ»ts et de nos sensibilitĂ©s Ă tous les cinq. Ce nâest que ça la musique dâElbow. On lâa toujours considĂ©rĂ©e avec le plus grand sĂ©rieux, mais aprĂšs on ne se prend nĂ©cessairement au sĂ©rieux en tant que personne et en tant que groupe. On ne prend pas non plus lâindustrie musicale trop au sĂ©rieux. On sait que ce quâon fait nâest pas la chose la plus importante au monde, mais on fait de notre mieux pour que notre musique apporte joie et rĂ©confort aux gens ordinaires. VoilĂ , je crois que câest ce quâon essaie de faire.
Câest votre cĂŽtĂ© « working class hero » ?!
Ahaha, si tu veux !
Parlez-moi de votre nouveau single, « Lippy Kids ». Quâest-ce quâun « lippy » kid ?
Ăa veut dire arrogant.
Pourquoi lâavoir choisie comme single ?
Avant tout je pense quâon voulait parler Ă tous les gens qui ont toujours achetĂ© nos disques. Montrer quâon aime toujours les chansons subtiles, quâon dĂ©fend toujours les mĂȘmes valeurs. Aussi si ce morceau donne son titre au disque câest parce quâil dĂ©livre une sorte de message qui nous tient Ă cĆur. Je veux dire quâon a vieilli maintenant, la plupart dâentre nous ont des enfants, des maisons, des crĂ©dits sur le dos, et quand tu as ce genre de choses Ă protĂ©ger, que pour rĂ©sumer tu es devenu un adulte, sans tâen rendre compte tu peux te mettre Ă voir les jeunes dâun mauvais Ćil. Un jour je me baladais en ville et Ă lâangle dâune rue jâai vu une bande de jeunes. Tu sais, en train de zoner en fumant des clopes avec leurs sweat Ă capuches. Et je me suis surpris Ă les juger nĂ©gativement sans raison apparente. Ăa mâa perturbĂ©. Je me rendais compte que jâavais eu tort de rĂ©agir comme ça. Je me suis souvenu que jâavais Ă©tĂ© un de ces gosses, que cette pĂ©riode Ă©tait difficile, quâĂ leur Ăąge je me demandais bien ce que jâallais devenir. Câest comme ça que ce morceau est nĂ©. Et si son titre semble sâadresser aux jeunes câest aussi un message aux gens de mon Ăąge. Les jeunes ont besoin de comprĂ©hension, dâencouragement.
Une autre chanson semble particuliĂšrement importante sur Build a Rocket Boys !, câest « The Birds ». Elle figure Ă la fois en ouverture et en avant clĂŽture du disque. Pourquoi ?
« The Birds » est une chanson sur la nostalgie de lâamour. Elle est Ă©crite du point de vue dâun vieux monsieur qui se souvient de sa derniĂšre histoire et de comment elle a pris fin. A son Ăąge il sait quâil nâen revivra plus, que tout ça est dĂ©finitivement derriĂšre lui. Il sait aussi quâon nâest peut-ĂȘtre jamais aussi prĂšs dâune personne que lorsquâon la quitte, quâon en discute avec elle et quâon rĂ©alise que voilĂ , câest la fin. En un sens ça peut mĂȘme ĂȘtre le climax dâune histoire dâamour. Son moment le plus passionnĂ©. Et donc dans la chanson ce vieux monsieur observe des oiseaux dans le ciel. Il repense Ă tout ça, tous ces moments, toutes ces femmes quâil a aimĂ©es. Au fait quâil est seul aujourdâhui. Il regarde ces oiseaux et Ă force ils se mettent Ă prendre la forme de toutes les personnes qui furent ses amis, et ils lui disent : « Quâest-ce quâon va faire de toi ? Tu nâas fait que rĂ©pĂ©ter la mĂȘme histoire. Mais allez, viens avec nous. Regardez en arriĂšre câest bon pour les oiseaux. ». Ils ne le blĂąment pas dâavoir expĂ©rimentĂ© lâamour, la passion, et dâavoir Ă©chouĂ© Ă chaque fois. Ils comprennent et essayent plutĂŽt de lui remonter le moral. En un sens je pense que cette chanson montre bien la situation dâune personne ĂągĂ©e, seule, isolĂ©e. Ce qui peut se passer dans la tĂȘte. On voulait aussi mettre cette approche du texte en avant. On a donc auditionnĂ© de vieux messieurs recrutĂ©s auprĂšs dâagences spĂ©cialisĂ©es et notre choix sâest portĂ© sur ce monsieur, John Mosley.
Au-delĂ de la mĂ©taphore entre les oiseaux et le souvenir amoureux, jâai appris que vous aviez une vraie passion pour lâobservation des oiseauxâŠ
Oui, jâai mĂȘme fait un documentaire pour la BBC Ă ce sujet : A la recherche de la caille sacrĂ©e (In search of the holy quail en V.O, nda).
Avez-vous une affection toute particuliĂšre pour les pop songs qui parlent dâoiseaux ? Quelle est votre « bird song » prĂ©fĂ©rĂ©e ?
Je crois que câest « Black Bird » de Paul McCartney. Et tiens ce matin jâai aussi Ă©coutĂ© « Albatross » de Fleetwood Mac (instrumental de guitare planante signĂ© Peter Green, sorti en 1969 il aurait inspirĂ© « Sun King » aux Beatles, nda).
JâespĂ©rais secrĂštement que vous me citiez « Talk Show Host » de Radiohead !
Oh oui ! Jâaurais pu
Elle ne porte pas de nom dâoiseau mais contient cette phrase : « Floating upon the surface for the birds, the birds, the birdsâŠÂ ». Je trouve que son atmosphĂšre morbide et dĂ©lĂ©tĂšre traduit bien ce sentiment confus quâon peut Ă©prouver en regardant les oiseaux et en pensant Ă ses histoires dâamourâŠ
Je vois. Jâaime cette chanson. Jâaime Radiohead.
Vous avez un jour dĂ©clarĂ© que sans eux il nây aurait pas dâElbow.
Câest vrai !
Vous inspirent-ils toujours ?
Oh oui, ils sont toujours importants pour nous, on surveille ce quâils font. Jâaime la direction que prend leur musique. Leur songwriting ne cesse de sâĂ©purer, je trouve que ça leur va bien.
Avez-vous écouté leur dernier album, The King of Limbs ?
Oui, je lâaime beaucoup. Et jâaime son format, le fait quâil nây ait que 8 chansons, je trouve ça bien. Tous les albums dâaujourdâhui devraient tirer parti de cette durĂ©e.
Un jour Chris Martin de Coldplay a dit quâil avait « lâimpression que Radiohead avait taillĂ© la jungle Ă coups de machette » et quâils Ă©taient arrivĂ©s aprĂšs en y installant un « hypermarché ». Aujourdâhui il donnerait encore sa « couille gauche pour Ă©crire quoique ce soit de la trempe dâOk Computer ». Diriez-vous la mĂȘme chose ?
Hum, je ne sais pas. Je nâai pas cet Ă©tat dâesprit de comparer ce quâon fait Ă ce que font dâautres groupes. Aussi bon soit-il je ne regarde jamais un groupe comme le reflet de nos Ă©checs ou de nos faiblesses. Pour moi faire de la bonne musique et finir un album est dĂ©jĂ un tel challenge que je nâai pas le temps de nous comparer aux autres groupes.
Pour toi la pop musique nâest pas une question de compĂ©tition ?
Non, et honnĂȘtement je trouve rarement des musiciens qui pensent comme ça. Parfois quand tu tombes sur un jeune groupe tu as lâimpression quâil est dans la compĂ©tition. Parce quâil a ses preuves Ă faire il y a parfois de lâarrogance dans lâair. Mais souvent quand tu retrouves ces mĂȘmes groupes quelques annĂ©es plus tard tu tâaperçois quâils ont revu leur jugement. AprĂšs quelques annĂ©es dans la musique ils ont rĂ©alisĂ© que ça ne servait Ă rien de se faire mousser en se comparant aux autres. Chacun essaie juste de faire la meilleure musique quâil peut, de trouver son propre son, câest tout ce qui compte et câest dur. Donc voilĂ aprĂšs quelques annĂ©es la plupart des groupes ont appris lâhumilitĂ©. Mais il y a bien sĂ»r des exceptions.
Vous on vous compare souvent à Coldplay. Tout en reconnaissant que vous produisez une pop plus recherchée, raffinée. Que pensez-vous de cette éternelle comparaison ?
Oui, je vois bien dâoĂč ça vient. On a beaucoup dâinfluences en commun et Chris Martin et moi avons une façon parfois similaire de chanter. Et puis on a Ă©mergĂ© en mĂȘme temps. On est dâailleurs trĂšs amis. Et ils nous ont toujours soutenus. Je peux donc comprendre pourquoi les gens nous comparent.
Jâai lâimpression que ce qui vous rĂ©unit câest aussi un certain feeling gospel, quâon retrouve dans votre musique et votre façon de chanterâŠ
Je ne dirai pas quâon fait de la musique gospel mais jâai Ă©tĂ© Ă©levĂ© dans une famille catholique. Et lâEglise catholique en Angleterre câest quelque chose qui peut sembler ennuyant Ă mourir, et qui lâest parfois, mais câest ce qui faisait que le chant Ă©tait trĂšs prĂ©sent chez moi. Bien que je ne sois plus croyant, tout ça mâa influencĂ©. LâidĂ©e de plusieurs personnes qui chantent ensemble fait partie de mon enfance. MĂȘme mon premier enfant est allĂ© Ă lâEglise.
Elbow nâest donc pas un groupe de bigots ?
Non, nous ne sommes vraiment pas ce genre de groupe. Jâai Ă©tĂ© Ă lâEglise et jây ai pris des choses, certaines valeurs, mais aujourdâhui je nây vais plus. De toute façon je nâai jamais Ă©tĂ© trĂšs croyant. Je crois bien que je suis trop tourmentĂ© et trop bon vivant pour ça. Trop conscient aussi de toutes les mauvaises choses que la religion a causĂ©es. Je nâaime pas les gens trop sĂ»rs de leurs croyances, ceux qui essaient de tâimposer leur vision des choses, qui te disent : « Tu ne peux pas croire ou tu dois croire en telle chose ». Et ils ont beau te parler de la Bible, pour moi ce nâest plus de la croyance, câest du fanatisme, de la bĂȘtise. Mais bon, la religion permet aussi Ă de nombreuses personnes de faire face Ă leur vie. Parce quâau-delĂ de la croyance ce qui compte dans la religion câest aussi et surtout lâidĂ©e de communautĂ©, de transmission, de valeurs.
En mĂȘme temps en Ă©laguant encore votre son comme vous aviez commencĂ© Ă le faire sur The Seldom Seen Kid vous prĂȘtez plus que jamais le flanc Ă ce type de suspicion. Câen est fini des saillies rock voire noise qui parasitait vos grandes arches atmosphĂ©riques ? Je trouvais que ce mĂ©lange faisait tout le sel de votre deuxiĂšme album, Cast of Thousands.
Ah, jâai lâimpression que ce disque a rĂ©veillĂ© le fan de prog rock qui sommeille en toi !
Oui, pour tout dire je trouve que câest votre meilleur albumâŠ
En tous cas câest celui qui oĂč on se rapproche plus que jamais de Genesis et de King Crimson ! Câest dĂ» en partie Ă Ben (Hillier, le producteur du disque, nda). Il Ă©tait vraiment dâavis de nous laisser expĂ©rimenter en studio. Et on voulait vraiment explorer musicalement, pour nous câĂ©tait important.
Jâai aussi entendu que ce disque aurait Ă©tĂ© influencĂ© par votre rencontre avec les DovesâŠ
Oui, ce sont de trĂšs bons amis. Ils viennent aussi de Manchester. Ils ont Ă©mergĂ© un peu avant nous et ils nous ont vraiment aidĂ© au dĂ©but. Je me rappelle quâon Ă©coutait les dĂ©mos de leur premier album (Lost Souls, sorti en 2000, nda) quand on a commencĂ© Ă Ă©crire Asleep in the back (sorti en 2001, nda). Et lorsquâon a Ă©crit Cast of Thousandson tournait avec eux. LĂ , on arrĂȘtait pas de discuter et de faire de musique avec eux. On est vraiment devenu amis. Et on lâest toujours (Jim Goodwin, le chanteur-bassiste de Doves a mĂȘme dĂ©jĂ dĂ©clarĂ© quâaprĂšs en avoir tant parlĂ© avec son pote Guy, et avoir mĂȘme commencĂ© quelques trucs, il aimerait vraiment, sâils arrivent Ă accorder leur planning, sortir un album quâils auraient composĂ© ensemble, nda). Pour toutes ces raisons Cast of Thousands fut un disque trĂšs sophistiquĂ©. Ces derniĂšres annĂ©es on a plus essayĂ© dâĂ©purer la musique, de nâen garder que les motifs essentiels, pour faire des chansons plus pures.
Dans un esprit plus proche de Talk Talk ?
Oui, câest ça !
Avec un morceau comme “Switching Off” vous y accĂ©diez dĂ©jĂ dans Cast of Thousands. C’est un vrai moment de grĂące qui troue littĂ©ralement lâalbum. Parlez-moi un peu de cette chanson, de quoi parle-t-elle ? Comment lâavez-vous faite ?
Elle a dĂ©butĂ©e avec Mark (Potter, nda) Ă la guitare acoustique et moi au chant â on en a dâailleurs fait une version acoustique qui est trĂšs belle. Ensuite, comme dâhabitude, on lâa Ă©toffĂ©e ensemble. Mais au final on a retirĂ© la guitare parce quâon ne lâa jugeait pas nĂ©cessaire. ç, câest quelque chose que tu ne peux accepter que si tu as pleinement confiance en ta place dans le groupe. Et Mark a eu la sagesse dâadmettre que le morceau pouvait effectivement trĂšs bien se passer de sa partie de guitare. LâidĂ©e du morceau est venue dâune discussion que Peter (Turner, bassiste, nda) et moi avons eu un jour dans un bar. On se disait que sâil est vrai que lorsquâon meurt on voit toute notre vie dĂ©filer comme un film alors ce serait bien dâen profiter pour y inclure dĂšs Ă prĂ©sent une scĂšne oĂč on choisirait nos derniers mots, comme ça le moment venu on ne serait pas prix au dĂ©pourvu, on saurait exactement quoi dire. Ce jour-lĂ on a donc dĂ©cidĂ© que nos derniers mots seraient : « Jâai cachĂ© tout lâargent dans le rugugug. »
Ahahahah !
Oui, ça ne veut bien Ă©videmment rien dire. Câest juste fait pour semer le trouble chez notre famille et nos proches (rires) ! Le morceau est donc parti de cette idĂ©e : on peut choisir Ă lâavance la derniĂšre pensĂ©e qui nous habitera au moment de mourir. Et dans cette chanson ce que jâessaie de dire câest que ça y est, jâai trouvĂ© la scĂšne mentale sur laquelle je veux finir ma vie. Câest sur ce doux soir de juin oĂč jâĂ©tais dans cette chambre Ă Ă©couter la radio avec elle et la lumiĂšre du soleil qui perçait encore Ă travers les rideaux. VoilĂ , câest lĂ -dessus que je veux partir. Avec elle.
Je crois bien que c’est aussi le thĂšme de l’Ă©nigmatique “Videotape” de Radiohead…
Ah, peut-ĂȘtre. Je n’ai pas fait attention. Ce sera l’occase de la réécouter !
Bref, musicalement vous voulez donc vous orienter plus que jamais vers ce genre de morceaux, pacifistes, apaisés ?
Oui, pour lâinstant, mais ça ne veut pas dire quâon ne remontera pas le volume un jour !
Vous ĂȘtes dâailleurs des hommes de son. Vous, Guy, vous avez par exemple produit le premier album d’I Am Kloot et co-produit leur dernier single. Vous continuez de travailler pour Skinny Dog, un label indĂ©pendant de Manchester. Et depuis votre troisiĂšme album vous produisez vous-mĂȘme vos propres disques. Pourquoi un tel choix ?
Quand on sâest tous rencontrĂ© on sâenregistrait dĂ©jĂ par nous-mĂȘmes. Et puis Craig (Potter, nda), notre claviĂ©riste, a pris de plus en plus confiance en ses talents de producteur et voilà ça sâest fait comme ça. Au final ça nous permet de fonctionner et de communiquer plus directement entre nous en studio.
Vous produire vous-mĂȘme nâa donc pas Ă©tĂ© motivĂ© par votre dĂ©sir de vous Ă©manciper des pressions artistiques des maisons de disques ?
Non mais câest sĂ»r que ça aide parce que parfois quand on tâoffre les services dâun producteur tu te rends compte quâil travaille plus pour la maison de disques que pour toi. çpeut ĂȘtre source de tensions. Mais je comprends cette intrusion. Financer de la musique est un business risquĂ©. Tu nây fais pas des produits qui rĂ©pondent Ă des besoins concrets, tu manipules des opinions, des sensibilitĂ©s. Câest compliquĂ©. On a donc beaucoup de chance dâavoir quelquâun comme Craig et un label dâenvergure mondial qui respecte nos partis pris artistiques.
Jâai appris que votre premier nom de groupe Ă©tait Mister Soft. Vous vous ĂȘtes ensuite appelĂ©s Soft et que ce nâest quâen 1997 que vous avez optĂ© pour Elbow. Pourquoi tous ces changements ?
CâĂ©tait vraiment dâaffreux noms de groupes (rires) ! Mais Ă nos dĂ©buts notre musique nâĂ©tait pas mieux. On faisait du mauvais funk, car on voulait faire danser les gens, et je chantais comme Thom Yorke. Bref, on sâest dit que si on continuait dâenvoyer des dĂ©mos sous un tel nom on ne mettait pas toutes nos chances de notre cĂŽtĂ© pour ĂȘtre ne serait-ce quâĂ©coutĂ© avant de rejoindre la poubelle. On devait donc au moins changer de nom. On a choisi Elbow. On ne pouvait pas mieux trouver ! Câest aussi classe quâavant !
Il paraĂźt que vous avez tirĂ© ce nom de groupe dâune sĂ©rie tĂ©lĂ© de la BBCâŠ
Oui, câest vrai, ça nâen fait pas moins un affreux nom de groupe !
La sĂ©rie date de 1986, elle sâappelle The Singing Detective et dans celle-ci un personnage dit quâelbow est le mot le plus sensuel de la langue anglaise, non pas pour ce quâil signifie mais pour sa façon de sonner en bouche. Câest lâanecdote que jâai trouvĂ©e rapportĂ©e sur le net. Cela voudrait-il dire que vous avez abandonnĂ© la musique dansante pour une musique plus sensuelle et sentimentale ?
Ahahaha, je ne sais pas !
Moi jâai parfois lâimpression que vous ĂȘtes une sorte de Barry White du spleen rock !
Ahahahahaha, moi le Barry White du spleen rock !?
Oui, à égalité avec Matt Berninger de The National !
Ahahahaha, elle est bonne celle-lĂ Â ! Ce que je sais câest que cette sĂ©rie a Ă©tĂ© un moment clĂ© de mon enfance. Elle contenait plein de ressorts dramatiques et musicaux quâon retrouve beaucoup dans les sĂ©ries dâaujourdâhui. Des choses qui nâavaient pas Ă©tĂ© faites avant. Il y avait aussi des scĂšnes de sexe et de violence assez explicites pour un programme de la BBC. Normalement, Ă mon Ăąge, ma mĂšre ne mâaurait jamais laissĂ© regardĂ© ça, surtout un dimanche soir et Ă une heure si tardive, mais artistiquement cette sĂ©rie Ă©tait tellement innovante quâelle a sans doute jugĂ© prĂ©fĂ©rable que je puisse en profiter. Voir que des programmes de cette qualitĂ© existaient.
En gĂ©nĂ©ral les groupes de pop anglaise comme vous qui cartonnent au Royaume Uni cartonnent presque autant en France. Ce nâest pas votre cas. Chez nous votre notoriĂ©tĂ© reste mitigĂ©e. Comment lâexpliquez-vous ?
Je crois que tout ça est une histoire de mal chance. Comme je te le disais, avant on avait diffĂ©rents labels qui sâoccupaient de nous selon les pays, câĂ©tait donc un peu le bazar. Mais ça y est, maintenant câest rĂ©parĂ©, on est enfin entourĂ© des bonnes personnes. On espĂšre donc prochainement mettre lâaccent sur la France. Pour nous câest trĂšs important, et pas seulement parce que câest lĂ quâon a Ă©crit notre premier album et que jây ai de la famille. çlâest aussi parce que câest un beau pays, qui a beaucoup de respect pour lâart et oĂč plein de gens nous suivent dĂ©jĂ . On a donc vraiment envie de venir jouer plus souvent en France. On y travaille.
Vous avez déjà un concert de prévu ?
Oui, on sera au Festival Main Square dâArras en juillet (en ouverture de Coldplay, nda) et on reviendra peut-ĂȘtre faire une petite tournĂ©e avant la fin de lâannĂ©e. Viens, on ira se prendre une biĂšre !
fucking cool ! belle accroche et comme d’hab, chouette ITW. Tu me donne envie de refoutre le disque dans son lecteur… du bon boulot ! đ
Ah, super. (J’ai mĂȘme tout un texte d’accroche que je publierai plus tard.) Fais tourner !
Bravo pour l’article, qui donne envie de les Ă©couter…
PS : Fut un temps oĂč j’adorais aussi “I like birds”, de Eels !
Tu ne connaissais pas Elbow ? Moi je suis pas sĂ»r de connaĂźtre le morceau de Eels que tu cites. Je vais “voir” ça !