CHRISTOPHE (2) “RADIOHEAD”
8 dĂ©cembre 2010. « Aller je vais pisser un coup⊠» Il y a des phrases comme ça quâon sâĂ©tonne dâentendre. Elles sonnent trop surrĂ©alistes. Pas raccord avec la vie. Comme si justement dâun coup â wake up â on Ă©tait dans le rĂȘve. Que c’Ă©tait ça aussi la vie. Je me rappelle avoir dĂ©jĂ ressenti ça il y a un an ou deux quand jâavais dĂ©crochĂ© mon tĂ©lĂ©phone pour mâentendre dire : « Hello, Mister Wyatt ? ». LĂ il est 22h, je suis toujours avec Christophe, chez lui, Ă lâanimer de paroles et lâĂ©couter parler de ce qui lâanime. Et voilĂ , aprĂšs une heure de discussion câest lâentracte « ⊠parce que c’est ça quand on boit du thĂ©. »
Un type « normal » Christophe. LâOvni tender. Enfin pas du tout le mec archi « chĂ©per » que la tĂ©lĂ© donne Ă voir. On y flatte le « gĂ©nie » pour mieux moquer le « fou ». LĂ , sous cape, dans les talks, câest toujours : « Ouh, public, mate-moi ce type, il fonctionne pas comme nous, on comprend rien de ce quâil dit, un vrai freak, circuits grillĂ©s, cokĂ© de lâesprit. » (PurĂ©e, ça me fait penser Ă tous ces gens qui nâaiment pas Lynch parce quâ « on comprend rien Ă ses films ! ») Câest facile de neutraliser ainsi, chez lâautre, la rencontre du troisiĂšme type quâon ne veut pas voir en soi. A la tĂ©lĂ©, mal entourĂ©, la parole menottĂ©e, le mec ne pourra Ă©videmment rien faire. (Dans les phares de lâengin la biche a toujours lâair dâun martien.) Il paraĂźtra nĂ©buleux. Syndrome JCVD. Câest ça quand on passe Ă la tĂ©lĂ©.
Mais je lâai vu Christophe et câest juste « lâhistoire dâun mec » qui a mis le rĂȘve au cĆur de sa vie et le cĆur au rĂȘve de sa vie. LâOvni true quoi. Et pour ça il prĂ©fĂšre vivre en dĂ©calage. Zapper les passages cloutĂ©s du jour pour sâouvrir les tunnels of love de la nuit. Je lâai vu en concert, le 30 janvier 2010, au Palace. Cameleon lover et voix dâĂ©pines velours, dans son monde de subduction carrossĂ©, il illustrait Ă merveille ce quâil dira en fin de show : « Pour emporter les autres il faut dâabord sâemporter soi ». Mais entre les morceaux, vers la fin du show justement, quand la magie a pris place et que lâartiste peut enfin redescendre, se faire homme et parler Ă ses semblables, il Ă©tait drĂŽle. Oui, avec sa tchatche de funambule, tout en humour lunaire dâun coup â stand up â on se marrait. Et Christophe câest aussi ça. Le mec qui se coiffe dâun nez rouge et qui nous fait une rose en papier â abracadabra ! câest une vraie. Tour Ă tour marionnettiste et marionnette. Car « les choses les plus belles, au fond, Restent toujours en suspension » (« Le Tourne-cĆur »)
22h donc. 8 dĂ©cembre 2010. Montparnasse. Ma sympathy for the Bevilâ porte ses fruits. On a dĂ©jĂ parlĂ© de sa dĂ©couverte des synthĂ©s dans les annĂ©es 70, des ordinateurs dans les annĂ©es 80 et de comment tout ça a naturellement fait mu(t)er son esthĂ©tique musicale comme en tĂ©moignent les albums Bevilacqua (96), Commâ si la terre penchait (2001) et Aimer ce que nous sommes (2008). La suite sâannonce passionnante.
« En ce moment je vise plutÎt un mec comme Thom Yorke »
Christophe, tout Ă lâheure on parlait de lâaccident de voiture de Nick Cave et vous en profitiez pour rappeler, ce que vous faites souvent, que vous avez vous aussi perdu votre permis de conduire il y a quelques annĂ©es. Pour vous ça semble une grosse ruptureâŠ
Ah oui, câest une grosse ruptureâŠ
Ne plus pouvoir conduire renforce-t-il votre obsession du son ?
Non, au contraire, ne plus pouvoir conduire ça mâenlĂšve des…
Des sources dâinspiration ?
Oui, c’est pas pareil.
Vous pensez que si vous pouviez encore conduire votre musique serait différente ?
Je sais pas, câest ce que je ressens hein.
Câest physique ?
Bah oui c’est normal… Ah oui le manque est lĂ hein. Le manque est lĂ .
Mais vous ne voulez pas repasser le permis ?
Non.
Vous vous entĂȘtez Ă ne pas vouloir le repasser ?
Oui.
Pourquoi ça ?
Parce que jâai pas envie de retourner au systĂšme du permis Ă points. J’ai pas envie de ça quoi. Les points c’est pas mon truc.
Et vous ne faites jamais dâinfractions en conduisant sans papiers, comme ça pour le plaisir ?
Non, ça nâa aucun intĂ©rĂȘt. Ce qui compte câest la libertĂ©. Surtout que maintenant yâa des flics Ă tous les coins de rue.
Comment vous lâavez perdu votre permis ? Vous avez trop dĂ©connĂ© au volant ?
Non, jâai juste fait 3 excĂšs de vitesse Ă une Ă©poque oĂč j’Ă©tais en manque de points. Mais moi j’ai jamais Ă©tĂ© pris en Ă©tat d’ivresse, jamais Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© avec un alcootest, jâai toujours Ă©tĂ© clean. Parce que pour aller vite faut ĂȘtre clean. Mais comme dâhabitude, câest toujours les meilleurs qui se font avoir.
En Ă©cho Ă cette passion et Ă sa privation vos albums contiennent souvent des odes Ă lâautomobile. Dans Aimer ce que nous sommes il y a « Stand 74 », dans Commâ si la terre penchait « On achĂšve bien les autos », dans Bevilacqua « Enzo »…
Oui, mais Ă lâĂ©poque dâ « Enzo » je conduisais encore. Je suis mĂȘme allĂ© chez Enzo (Ferrari, pilote qui crĂ©a la firme Ferrari Automibili et mort en 1998, nda) Ă Maranello (en Italie, nda). Malheureusement je lâai pas rencontrĂ© parce que les gens autour de lui c’est des connards qui se prennent pour des stars. Enzo non, lui il est cool. Tout ça, ça le rend malheureux, câest pour ça que moi j’ai personne comme ça autour de moi.
Vous ne voulez pas dâun tel entourage, surprotecteur, castrateur ?
Ah non, certainement pas. Et jâen ai jamais eu.
Vous pensez que câest dangereux pour un artiste de sâisoler de la sorte ?
Je sais pas mais je veux pas vivre ça, je veux vivre autre chose, surtout Ă mon Ăąge hein. VoilĂ . Moi jâai mes secrets⊠Mais aujourdâhui de me raconter je me demande des fois qui ça intĂ©resse. Qui ça peut intĂ©resser que je dise que je kiffe dâĂ©couter un 78 tours sur cette machine-lĂ , que ça me fait dĂ©coller ? Les gens sâen foutent hein.
Je sais pas. Vous semblez avoir un rapport fĂ©tiche, quasi sacrĂ© Ă tout ça, la musique, les voitures, les femmes. Dâailleurs lâimaginaire de votre dernier album a des consonances religieuses, que ce soit par son titre, Aimer ce que nous sommes, ou sa pochette, style vitrail-puzzle. OĂč en ĂȘtes-vous avec tout ça ?
Jâai moins un rapport Ă la religion quâun rapport avec les croix. Yâen a qui portent des tĂȘtes de mort, moi je porte des croix. Yâen a qui dessinent des tĂȘtes de mort, moi je dessine des croix. C’est comme ça. Je sais pas pourquoi. J’ai toujours aimĂ© les croix, c’est fou hein ?
Câest la beautĂ© de lâobjet ?
Non⊠Quoique yâa des croix qui sont magnifiques, mais lĂ je parle de la croix en gĂ©nĂ©ral. Chez moi la croix c’est… J’ai toujours pas compris en fait. Ce que ça voulait dire. Un jour je comprendrai peut-ĂȘtre.
Vous avez reçu une éducation catholique ?
Bah ouais, par mes grand parents, ma grand mĂšre italienne. Jâai fait ma communion bien sĂ»r, tout ça, naturellement.
Une chose qui marqueâŠ
Oui mais je sais pas, je crois que dĂ©jĂ Â Ă l’Ă©poque j’y comprenais pas grand-chose. Mais yâavait un truc comment dire, mystique qui m’attirait assez. En mĂȘme temps je me souviens que quand jâai fait ma communion on a fait une espĂšce de truc oĂč on devait ĂȘtre dans le silence. Mais comme on Ă©tait mĂ©langĂ© aux filles moi je pensais qu’Ă en attraper une. Donc voilĂ , je suis pas non plus le reflet idĂ©al de ce que l’Ă©glise voudrait ! Mais je sais pas, c’est peut-ĂȘtre une erreurâŠ
Une erreur ?
Je sais pas… Qu’est ce qu’on sait ? On sait rien. Câest vrai que la religion crĂ©e pas mal de problĂšmes dans le monde, tellement que câen est fou, mais parfois je regarde des gens⊠en Inde par exemple, toute cette religion comme ça, cette spiritualitĂ© omniprĂ©sente, au quotidien, câest attirant. Parce que la religion c’est pas autre chose : une spiritualitĂ© du quotidien, qui transparaĂźt dans tes pensĂ©es, tes actes⊠Alors que moi j’y pense pas quoi. Pas du tout. (Silence.) Par contre quand jâĂ©tais enfant de chĆur jâaimais bien faire lâenfant de chĆur.
Il y avait une aspiration vers le haut qui vous séduisait ?
Peut-ĂȘtre oui, comme une espĂšce de truc que comment, j’observaisâŠ
DĂ©jĂ lâidĂ©e de lâĂ©cran, du cinĂ©ma, du rĂȘveâŠ
Ouais, le cinĂ©ma de Pasolini, par exemple, tout ça c’est beau.
Et ça donne de beaux textes, comme celui de « Malcom » qui donne son titre Ă Aimer ce que nous sommes avec ce refrain-clĂ© : « Et si le temps mâoffrait / L’aumĂŽne de lui-mĂȘme / Je lâutiliserais / Encore et bien fait / A aimer ce que tu es / A aimer ce que je suis / En somme⊠»
Oui mais ça câest pas moi qui l’ai Ă©crit. C’est un canadien (Daniel BĂ©langer, auteur-compositeur-interprĂšte quĂ©bĂ©cois nĂ© en 1962, nda) qui m’a envoyĂ© ce texte une nuit et je lisais ça comment, comme une Ćuvre d’art.
On disait tout Ă lâheure en Ă©voquant Bashung que vous ne fonctionnez pas comme un auteur-compositeur-interprĂšte. La plupart du temps vous nâĂ©crivez pas vous-mĂȘmes vos paroles. Quel est donc votre rapport aux mots ?
J’Ă©cris beaucoup.
Au quotidien ?
Ah oui, beaucoup. Enfin je sais pas ce que câest beaucoup mais je dois avoir une cinquantaine de pages oĂč je parle de mes thĂšmes, des choses de qualitĂ©, qui moi me semblent belles Ă dire.
Indépendamment de toute musique ?
Ah oui. Mais des fois yâa des films qui se crĂ©ent. Câest arrivĂ© sur Commâ si la terre penchait avec « On achĂšve bien les autos ». Ăa câest un truc que j’avais Ă©crit et que jâavais mis de cĂŽtĂ©. Et un jour je l’ai bougĂ© sur cette musique, j’ai presque rien touchĂ© et ça collait. Câest quelque chose que je fais rarement, mais voilĂ , ça peut donner des choses bancales et intĂ©ressantes de remanier un texte sur une musique. Du coup dans mes albums je fais toujours quelques textes. Mais comme parfois il me manque trois mots ou que je suis pas satisfait dâun couplet que j’ai Ă©crit je prends des aides. Parce que je prĂ©fĂšre prendre quelqu’un et cosigner que de mettre un truc qu’est pas au niveau. A condition que je rencontre la bonne personne. Câest ça en fait : jâsuis pas accrocâŠ
A votre ego ?
VoilĂ . Je m’en fous. Je me connais.
Mais vous nâavez jamais vraiment eu de parolier fixe sur une pĂ©riode donnĂ©e. Pourquoi ça ?
Parce que justement quand je fais de la musique tout doit aller vers le haut, Ă tous les niveaux, mots compris. Câest pour ça que je prends mon temps et que jâaime le changement. Ah oui. Je change. Toujours. Pour ĂȘtre surpris et prendre lâinspiration oĂč elle est.
Y compris chez les autres ?
Oui, parce que moi je vois comment les autres travaillent, jâen frĂ©quente, mais je travaille pas du tout comme eux hein. Pas du tout. Moi je travaille par jets, Ă©claboussures, Ă©clats. Alors jâattends la rencontre.
Parmi vos rencontres textuelles il y eu celle de Jean-Michel Jarre au dĂ©but des annĂ©es 70. Peu de gens le savent mais avant de se faire connaĂźtre avec sa synth-pop il a Ă©tĂ© parolier, notamment pour vous puisquâil a signĂ© les textes de deux de vos albums, Les Paradis perdus (1973) et Les Mots bleus (1974). Donc voilĂ , « Les Mots bleus » câest du Jean-Michel Jarre.
Oui. A lâĂ©poque il Ă©tait trĂšs proche de Francis Dreyfus (patron du label Motors, nda), qui lâa beaucoup aidĂ©, et câest HĂ©lĂšne Dreyfus qui me lâavait prĂ©sentĂ©. Je me souviens le jour de la rencontre on Ă©tait square Moncet, ah non, on Ă©tait dans une impasse dans le 17e, Ă cĂŽtĂ© d’un garage Porsche. On Ă©tait bien lĂ . Avec Jean-Michel on avait beaucoup dâĂ©lĂ©ments dĂ©clencheurs en commun. Ma collection de films lui a par exemple inspirĂ© « Senorita ». Parce que câest quelqu’un qui sait observer, il est pas con hein.
Vous restez proche ?
Non, on s’est juste retrouvĂ© lâautre soir Ă la remise des prix SACEM. Ăa faisait longtemps qu’on s’Ă©tait pas vu. Il m’a dit : « Ce serait bien qu’on refasse des trucs ensemble ».
Il a envie de réécrire pour vous ?
Oui, j’avais l’impression.
Vous avez lâair sceptique ?
(Silence.) Oui, parce que pffff je suis dans autre chose…
Et Manset, vous vous verriez travailler avec Manset ? Depuis quelques annĂ©es il semble disposĂ© Ă “donner” des textes, des compos. Jâai par exemple entendu quâil aurait aimĂ© continuer Ă en donner Ă Bashung, comme il avait commencĂ© Ă le faire sur Bleu pĂ©trole (2009). Or lui m’a appris que vous vous ĂȘtiez dĂ©jĂ rencontrĂ©sâŠ
Oui, on s’est croisĂ© Ă lâĂ©poque oĂč il travaillait chez PathĂ© Marconi (dans les annĂ©es 70, nda). LĂ jâallais le voir dans son bureau de temps en temps, pour discuter, mais câest tout.
Pas dâessais concrets ?
Non, on nâĂ©tait pas fait pour bosser ensemble. Parce que lui il Ă©crit ses musiques. Il fait tout tout seul. Donc voilĂ on pouvait pas⊠Mais par contre derniĂšrement jâai rencontrĂ© Marie-Pierre Chevalier, ma manageuse…
Oui, elle mâa parlĂ© de votre rencontreâŠ
Elle est intĂ©ressante. Avec elle jâai fait des choses. Donc voilĂ , en fait il faut observer. Et avoir ce truc qui fait quâon ne laisse pas passer commentâŠ
La magie ?
Ah oui. Parce qu’elle est rare.
Une autre chose rare, câest votre chant, au croisement de quelque chose de fĂ©minin, incantatoire, rital et dâune sorte de gĂ©missement, blessĂ©, primal. Une voix qui se rĂ©duit parfois Ă de pures sonoritĂ©s comme dans le « be bop a lula » dâanthologie que vous dĂ©gainez dans le finish psychĂ© des « Paradis perdus »âŠ
Ah oui. Bah ça les bluesmen lâont beaucoup fait. Câest le cĂŽtĂ© blues hein. Effectivement par la plainte ou par lâonomatopĂ©e leur voix plante le dĂ©cor.
Je me dis que vous pourriez presque faire un album sans mot. Vous y avez déjà pensé ?
J’ai pas mal de choses comme ça. Il y a pas longtemps jâai dĂ©clenchĂ© des trucs sans mots avec ma voix en faisant du son avec un mec qui est dans la musique Ă©lectronique.
Qui est-ce ?
Il sâappelle StĂ©phane mais jâarrive jamais Ă me souvenir de son nom, un parisien trĂšs trĂšs pointu dans cette musique-lĂ . Et on a fait un truc avec un morceau de voix que je lui avais donnĂ©. Un truc de fou quoi. Je pense pas que ce sera sur mon prochain album, mais en tous cas mais pour lâinstant jâai des trucs qui sont quand mĂȘme trĂšs trĂšs⊠Enfin cet album risque d’aller⊠Disons quâen ce moment je suis dans une phase trĂšs dure oĂč je me dĂ©passe un peu. Je suis dans ce mĂȘme Ă©tat d’esprit que jâai toujours Ă chaque fois que je fais des trucs intĂ©ressants. Un Ă©tat dâesprit liĂ© Ă lâenvie de me dĂ©passer, de chercher Ă sortir des Ă©ternels mĂȘmes accords. Dâun groupe Ă lâautre câest toujours un peu les mĂȘmes trucs, c’est Ă©puisant. Aujourdâhui la musique esthĂ©tiquement exceptionnelle est rare.
En France ?
Oui moi je mâennuie un peu de ce que jâentends.
Jâai tout de mĂȘme lu que vous Ă©tiez Ă©tonnĂ© par CamilleâŠ
Ah oui, Camille ouiâŠ
Notamment son morceau « Pour que lâamour me quitte »âŠ
Oui, oui, Camille, putain, elle a attaquĂ© fort hein. Et puis bon, câest pas fini, ca se sent que câest pas fini, ça se voit⊠Et dans les mecs, un quâest intĂ©ressant câest quand mĂȘme Biolay.
Ah oui ?
Bah oui parce quâil est Ă lâopposĂ© des autres, il est instrumentiste, alors jâaime bienâŠ
Comme Manset il Ă©crit ses cordes, tout çaâŠ
Oui, moi je les Ă©cris pas mais je les joue mes cordes. Câest lĂ -dessus que je travaille toujours : les cordes. Beaucoup. Et aprĂšs je les fais Ă©crire. Et ça, ça me plait. Alors que lui il prend une feuille de papier et il Ă©crit le truc quâil entend dans sa tĂȘte. A part ça il a un bel univers, le truc câest que c’est toujours un peu pareil. Mais bon Gainsbourg aussi câĂ©tait toujours pareil !
Câest ce qui me bloque chez lui : sa maniĂšre de reproduire Ă fond le clichĂ© Gainsbourien, ce personnage de beau salaud Ă la trentaine dĂ©clinante, poĂšte maudit et homme Ă femmesâŠ
Ouais, mais il est pas comme Gainsbourg hĂ©hĂ©. Ăa câest aussi le problĂšme des gens. Câest-Ă -dire quâils restent trop bloquĂ©s lĂ -dedans. Donc oui, moi en ce moment yâa rien qui me surprend vraiment. Regarde, mĂȘme un mec comme Nick Cave il vient de faire Grinderman 2, et ça donne pas vraiment la niaque. Pourtant Dieu sait que je lâaime. Pareil, je viens dâacheter le dernier… Ah, comment s’appelle-t-il ? Pas Portishead, ni Radiohead, lâautre. J’arrive jamais Ă trouver leur nom Ă tous les trois : yâa Radiohead, Portishead et…
Massive Attack ?
Non, le quatriĂšme alors.
Tricky ?
VoilĂ . Son dernier disque est pas inintĂ©ressant mais il est pas au niveau, surtout vu les gros moyens qu’ont ces mecs, en plus d’avoir la culture du son. Moi au mĂȘme moment je prĂ©fĂšre un Scott Walker, qui va ĂȘtre plus trash, vraiment dans un univers, ou un mec comme Thom YorkeâŠ
Oui, jâai lu que vous aimiez Thom Yorke. Dâailleurs ça mâa fait tiquer parce que je me suis toujours dit que Radiohead et vous aviez des trajectoires similaires. Vous avez tous deux explosĂ© trĂšs tĂŽt avec un tube â « Aline » pour vous, « Creep » pour eux â comme eux vous avez mĂȘme remis ça quelques annĂ©es aprĂšs â « Les Mots bleus » pour vous, « Karma Police » pour eux â mais depuis vous ne cesser de fuir ça en produisant une musique de plus en plus nocturne et expĂ©rimentale, Ă base de collages, dâarchives, de rĂȘves, de souvenirs et autres failles spatio-temporellesâŠ
Oui, ils vont lĂ oĂč je suis, dâune autre façon.
Comment avez-vous découvert la musique de Radiohead ?
Ah j’ai mis du temps parce que quand jâĂ©tais plongĂ© dans mes ordinateurs et mes synthĂ©s jâĂ©coutais quasi rien. Mais Ă un moment donnĂ© tout a Ă©voluĂ© si vite que jâai eu envie dâaller voir ce que faisaient les autres, notamment ces gars dont on me parlait. Jâai dĂ©couvert leur musique au moment oĂč je faisais Commâ si la terre penchait. Oui, câest lĂ , vers 98-99, que jâai commencĂ© Ă rentrer dans Radiohead. Jâai Ă©coutĂ© leur album de cette pĂ©riode, mais moins que mes copains.
Quels copains ?
Je pense Ă Philippe Paradis (compositeur et compagnon de Zazie, nda). Mais moi je mâen suis vite lassĂ©. Câest l’album solo de Thom Yorke qui mâa remis dedans (The Eraser, nda).
Dâaccord. Et jâai lu que pour votre prochain disque vous souhaitiez collaborer avec lui, Brian Eno et Nick Cave. Vous les avez contactĂ©s ?
Pas encore, non. Non, parce que lĂ je suis encore dans la musique et je pense qu’on contacte les gens une fois quâon a une forme sonore et qu’on se dĂ©merde Ă tout prix pour qu’ils l’Ă©coutent. AprĂšs ils rentrent dedans et ils partagent ou pas. C’est comme ça. Et comme j’ai quand mĂȘme un peu comment, de feeling et de psychologie, je me dis que c’est pas fait quoi.
Vous allez encore travailler avec Christophe Van Huffel, qui vous accompagne sur scÚne et qui avait déjà produit avec vous Aimer ce que nous sommes ?
Oui. Il est bon hein ?
Oui, carrĂ©ment. Je ne le savais pas si Ă©clectique et bidouilleur. Avant de le dĂ©couvrir Ă vos cĂŽtĂ©s je ne le connaissais quâen tant que guitariste de Tanger. Je ne sais dâailleurs pas si ce groupe continue dâexister mais câĂ©tait bien ce quâils faisaient. Musicalement comme verbalement câĂ©tait inventif, ambitieux tout en restant de le domaine de la chanson.
Oui, yâa de bonnes choses dans Tanger. MĂȘme lui le chanteur, Philippe (Pigeard, nda), câest un personnage. SpĂ©cial. A mon avis c’est dâailleurs pour ça que⊠Je veux dire s’il Ă©tait un peu diffĂ©rent, sa musique passerait mieux. C’est humainement que ça coince. Yâa un truc qui dĂ©colle pas chez lui. C’est fou hein ?
Oui, je crois que je vois ce que vous voulez dire. Bon et comment ça se passe pour la sortie de votre prochain album ? Vous vous ĂȘtes fixĂ© une deadline ?
Oui, il devrait sortir en septembre 2011. Ăa me laisse de temps pour m’amuser encore un peu.
Et ça sortira chez qui ?
Mon contrat vient de finir avec AZ (label dâUniversal, nda). Alors je sais pas. Personne sait.
Vous nâavez pas des pistes, des propositions ?
Oui mais moi j’ai jamais Ă©tĂ© accroc à ça. Je laisse comment, le hasard faire les choses, j’aime bien.
C’est une position privilĂ©giĂ©e.
Oui, surtout que j’ai pas besoin d’aller un studio. Jâai assez de choses chez moi pour fonctionner comme un petit artisan. AprĂšs pour tout ce qui est dâenregistrer, j’aime bien partir en Angleterre. Je me suis rĂ©cemment remis Ă partir lĂ -bas pour mixer, dans un studio comme Olympic Studio. Ăa câest des endroits qui me dĂ©paysent et c’est le seul moyen de prendre un vrai recul sur ce que jâai fait. Surtout que je parle pas bien anglais, donc j’ai juste Ă mâasseoir et Ă©couter le mec.
Bon en tous cas me voilĂ rassurĂ©, votre prochain album ne sera pas lâalbum de duos dont on mâavait parlĂ© !
Comment ça ?
Je ne sais plus trop mais jâavais entendu parlĂ© dâun projet dâalbum de duos avec Calogero, Zazie & co.
Ah oui, câest AZ qui voulait ça. C’est-Ă -dire qu’ils Ă©taient pas dingue dâAimer ce que nous sommes. Du coup ils lâavaient un peu placardisĂ©. CâĂ©tait genre : « Nous, on a tout compris, coco t’es pas dans le bon truc ». « Et coco, il t’emmerde, ok ? » Alors je leur ai dit : « Si vous croyez pas en ce disque et que vous ĂȘtes pas capable de le vendre je vais le faire moi-mĂȘme, je vais vous montrer ». J’ai donc prĂ©sentĂ© le disque directement au public sur scĂšne. CâĂ©tait dur, je me suis donnĂ© du mal, mais je suis fier de lâavoir dĂ©fendu comme ça. Ce disque a eu le succĂšs qu’il a eu grĂące Ă la scĂšne. AprĂšs moi le seul duo que j’ai jamais enregistrĂ© je lâai fait avec Adamo, par amitiĂ© et parce que j’aime bien les choses…
Passer de votre univers nébuleux à un univers plus popu ?
C’est ça, ça me plait. Par exemple j’aime bien jouer aux boules. Je sais pas, je suis moi quoi. Et Adamo comment… Bon c’est un mec hyper connu hein, un mec de la chanson populaire mais dans le genre c’est quand mĂȘme un killer. Il en a fait plus d’une hein. Et Ă l’Ă©poque de son album de duos (Le Bal des gens bien, nda) j’Ă©tais pas libre et c’est dommage « parce que pour toi, je lui ai dit, je l’aurais bien fait ». Il mâen a donc reparlĂ© pour son album suivant (De Toi Ă Moi, nda) et on a choisi cette chanson que jâaimais bien.
Au dĂ©but de votre carriĂšre vous Ă©tiez vous aussi un chanteur populaire. Et il y a donc eu « Aline », votre « Creep », le morceau sans qui vous nâauriez pas pu faire carriĂšre en ayant le loisir comme vous lâavez fait de partir dans la chanson expĂ©rimentale, de couper sans cesses les ponts avec ce que vous aviez dĂ©jĂ fait. Sans ce tube quâauriez-vous fait ?
Je sais pas, j’aurais peut-ĂȘtre fait de la mode.
Vous seriez devenu une sorte de Karl Lagarfeld ?!
J’espĂšre bien. Au moins Ă ce niveau. Mais bon on peut pas toucher Ă tout hein. Tout le monde n’est pas David Lynch.
Lynch semble trĂšs important dans votre univers. Au mĂȘme titre que tous ceux quâon a Ă©voquĂ© : Portishead, Radiohead, Tricky, Lou Reed, Alan Vega, Scott Walker, Bowie, etc. Ces gens-lĂ , vous pensez quâils vous connaissent, que votre musique leur parvient ?
En Angleterre pas mal. A un moment y’a des gens comme Archive qu’ont voulu me rencontrer. Je suis allĂ© chez eux Ă Londres. Ces gens-lĂ ce qui leur plait câest ma couleur, mes sonoritĂ©s de synthĂ©s, qui sont pas faciles Ă comprendre. Eux ils peuvent pas faire ça car ils sont vraiment instrumentistes, ils ont pas la mĂȘme approche que moi, qui suis dans une approche fragile. Je fais donc des petites rencontres comme ça mais je travaille trĂšs peu Ă lâĂ©tranger.
Ăa vous frustre ?
Non, je mâen fous complĂštement par contre jâaime cette vie de lâinconnu. Je prĂ©fĂšre lâespĂ©rance Ă la rĂ©compense. Par exemple la soirĂ©e des victoires de la SACEM oĂč on mâa rĂ©cemment poussĂ© Ă aller câest quelque chose qui me parle pas vraiment. Mais si tout Ă coup Bowie ou Thom Yorke mâappelaient en me disant « Jâai Ă©coutĂ© ce que tâas fait », ça ce serait la rĂ©compense. Parce quâil y a de lâespĂ©rance. C’est ça une vraie rĂ©compense, c’est pas autre chose. Un jour jâai jouĂ© avec Gail, la bassiste de David Bowie (Ann Dorsey, nda). Elle, on peut pas imaginer comment elle joue. C’est magique. Quand on Ă©coute ça on comprend tout de suite pourquoi elle a Ă©tĂ© si longtemps prĂšs de Bowie. Donc moi quand jâai rĂ©ussi Ă l’avoir dans certains de mes concerts câĂ©tait comme si jâapprochais un peu Bowie sans vraiment l’approcher. D’ailleurs j’ai jamais emmerdĂ© Gail avec ça en lui disant : « Parle-moi de ça ». Par contre elle a chantĂ© pour moi. ça me tenait Ă cĆur. On a fait ça Ă la CitĂ© de la Musique. Sur « Minuit boulevard ».
En fait on dirait que pour vous, plus quâun rĂ©seau dâinfluences, ces artistes anglo-saxons forment une Ă©trange communautĂ© dâespritsâŠ
Oui, câest des gens qui sont toujours prĂ©sents Ă l’intĂ©rieur. C’est ceux-lĂ qui sont prĂ©sents. MĂȘme si on les connait pas. On a pas besoin de les connaitre car ce qu’ils projettent suffit Ă dĂ©clencher des choses. Parce que ce quâon veut en fait câest juste dĂ©clencher notre propre imaginaire. DĂ©clencher notre propre imaginaire par rapport Ă lâidĂ©e quâon se fait dâeux. Mais sans avoir Ă rentrer dans lâintimitĂ© que ce serait de les croiser. Ăa sert Ă rien. Ce quâest bien câest lâinconnu. Câest ça : lâinconnu connu. Mais bon, comment, y’a plusieurs Ă©tapes quand on fait un disque et jâen suis pas Ă choisir des voix. Musicalement il faut dâabord que je me trouve et ensuite que je trouver des gens, pour les guitares, les pianos, la basse, la batterie. Surtout les pianos. Moi c’est vrai que ce que jâaime bien dans ma musique câest mon approche des claviersâŠ
Oui, plus le temps passe plus jâai le sentiment quâils sont la clĂ© de voĂ»te de votre univers musical, trĂšs mĂ©ditatif, onirique, mystique…
Oui mais Ă condition de leur donner des textures expĂ©rimentales. Donc voilĂ , la barre est quand mĂȘme haute. JâespĂšre que jây arriverai.
Photos : Richard Dumas
C’est ce qui s’appelle un “retour” gagnant-gagnant. Merci-merci Nola.
Tout le temps de cette rencontre,j’Ă©tais lĂ tout prĂšs…Merci pour votre invitation.
Vous dire que l’ambiance de votre conversation avec Christophe est intĂ©ressante tant par vos questions et les rĂ©ponses bien sĂ»r! Un trĂšs bel Ă©change.Un moment calme et tranquille
Cate, merci de vous ĂȘtre joint Ă nous de la sorte đ
(J’ai un doute : dit-on “joint” ou “jointe” ?)
” Pour que ta vie soit moins moche choisis l’Ă©toile et je te la dĂ©croche ”
Celle-lĂ aussi, elle est jolie (et je ne sais pas d’oĂč elle vient aussi !)
Merci Christophe, merci Sylvain !
J’adore lire la parole dĂ©posĂ©e dans un temps qui dure SON temps, pas dĂ©coupĂ©e, pas brimĂ©e pour entrer dans des pseudo formats⊠format quoi !!! đ
J’aime tes entretiens car tu laisses tout ce qui rend vivant⊠les comment / quoi / ah oui / hein de Christophe. Ils sont e.s.s.e.n.t.i.e.l.s, permettent d’ĂȘtre purement dans l’oralitĂ©, le stream of consciousness⊠tout l’unique de chaque ĂȘtre.
“Je prĂ©fĂšre lâespĂ©rance Ă la rĂ©compense.” Beau.
Et tant qu’Ă digresser, une citation qui me vient en lisant ton “Ă©toile Ă dĂ©crocher”
“Si vous avez construit des chĂąteaux dans les nuages, votre travail nâest pas vain; câest lĂ quâils doivent ĂȘtre. Ă prĂ©sent, donnez leurs des fondations.” Thoreau
Ah oui, je voulais aussi dire dommage vraiment que Tanger ne soit plus !
Oui, merci Christophe, car tout cela tient beaucoup à lui en effet, sa façon de parler.
Fasse à ça on ne peut qu’en rendre compte fidĂšlement, comme tu le dĂ©cris si bien.
On se sent redevable d’un truc, un flow, une musique…
Et c’est “marrant” car derniĂšrement, lors d’une seconde interview, Christophe me disait qu’il aimait lui-mĂȘme Ă©couter des artistes parler et que d’ailleurs il prĂ©fĂ©rait limite Ă©couter Duras et Sagan ou Artaud parler que les lire…
Parler c’est dĂ©jĂ Ă©crire et Ă©crire c’est presque parler, et vice versa…
Et tout ça c’est un peu l’idĂ©e de Parlhot…
Mille mercis pour ton commentaire Mina, et cette citation comme une étoile en haut du sapin.
Tu ne peux pas le deviner mais elle illustre pleinement lĂ oĂč j’en suis !
Dommage oui, mais ils ont donnĂ© ce qu’ils avaient Ă donnĂ© je pense… Et puis tient d’ailleurs, bientĂŽt sur Parlhot une longue longue interview de leur ex guitariste en chef, Christophe Van Huffel !