NEIL HANNON : THE DIVINE COMEDY
20 septembre 2010. 17h. Paris 18e. La Cigale. Dans une loge artiste terne et dépeuplée. Lui (bruit d’un cadeau qu’on déballe) : « Ouch ! » Moi : « Wouw ! Qu’est-ce que c’est ? » Lui : « Lisons plutôt la carte qui s’y trouve. Ah, ça m’est adressé, donc ça doit être pour moi. » Moi : « Alors ? » Lui : « Grand dieu, de l’écriture ! C’est un fan. Voyons voir son offrande (rires). Cool, un album de Mark Hollis. » Moi : « Lequel ? » Lui : « Celui de 1998 » (le seul que l’ex leader de Talk Talk ait sorti en solo – nda) Moi : « Une raison particulière à ce qu’on t’offre ce disque ? » Lui : « Non, pas que je sache, mais j’aime Talk Talk donc c’est cool (en 93, il a repris en acoustique « Life’s What You Make It », single du troisième album de Talk Talk, The Colour of Spring, reprise qui figure sur l’édition limitée d’A Secret History, best of de Divine Comedy sorti en 99 – nda) »
Moi : « Mark Hollis était un grand musicien… » Lui : « Oui, fantastique. D’ailleurs mon manager de tournée était son manager de tournée… » Moi : « On t’offre du vin en plus. Bonne bouteille, bonne musique : tu en as de la chance ! » Lui : « Oui ! » Moi : « C’est bon, la pommade est passée, tu est prêt, on y va ? » Lui (rires) : « Prends cette chaise » Moi : « A la base je voulais aussi te poser des questions sur ta vie parisienne (pour le compte du magazine trimestriel Vivre Paris) mais on n’aura de toute évidence pas le temps… » Lui : « Et je n’ai pas vraiment une vie parisienne. J’aime toujours y venir mais… » Moi : « Ok, parlons donc de musique (le 31 mai il a sorti Bang Goes The Knighthood, dixième album de Divine Comedy qu’il va présenter ici ce soir avec d’anciens morceaux en guitare et piano-voix – nda) » Lui : « Oui, la musique ».
« mes chansons étaient dingues, mes disques des litres de vodka »
Bonjour Neil. Le premier extrait de ton nouvel album, Bang Goes The Knighthood, s’intitule « At The Indie Disco » et en l’écoutant j’ai immédiatement pensé à « The Booklovers » qui figure sur Promenade, ton deuxième album.
Ah oui ?
Oui, je me suis dit qu’à l’époque quand tu étais encore jeune et peu connu ce morceau montrait que tu avais plutôt tendance à parler de livres et de vieux écrivains et que maintenant voilà tu parles de pop musique dans un de tes morceaux. Je veux dire, je ne pense pas que tu aurais fait ça quinze ans plus tôt.
Oui, et bien la différence, si je dois réagir, c’est qu’à l’époque je parlais des gens que j’admirais et qui écrivaient sur de vraies choses. Moi, je ne savais pas comment faire pour écrire sur de vraies choses, donc voilà j’écrivais sur des gens qui écrivaient sur des choses réelles. Maintenant j’écris sur des choses réelles. Je ne suis donc plus, fort heureusement, ce simple fan d’autres écrivains, je suis moi-même écrivain. Tu vois ?
Oui, mais…
Enfin, je ne dirais pas que je suis un écrivain comme eux (rires) mais que j’essaie.
Mais dans « At The Indie Disco » s’il est question de réel, de choses vraies, il est encore pas mal question de nostalgie…
Il y a un peu de ça oui mais… Je pensais à Alan Bennett. Tu connais Alan Bennett ?
Non.
C’est un dramaturge et romancier anglais, vivant, et toujours en activité. C’est un vrai génie. Et il est assez drôle en son genre. Mais assez touchant aussi. Très doué pour faire mouche sur ces détails qui te font tout comprendre. Je me suis demandé ce qu’il écrirait sur le fait d’aller dans une boîte qui passe de la pop indé (rires). Car lui n’écrira jamais là-dessus. J’ai donc dû le faire moi-même. Et voilà, c’est un peu ça qui a guidé l’écriture de ce morceau.
Ce n’est donc pas autobiographique, pas un morceau sur tes jeunes années ?
Ça l’est pour la musique, pour les groupes que j’y cite, mais ça ne l’est pas pour ce qui est d’aller en boîte parce qu’à mon époque aucune boîte ne passait de la pop indé, en tous cas pas dans la partie du monde où j’étais.
On était au milieu des années 80, la « pop indé » faisait ses premiers pas et oui, j’imagine que là où tu vivais, en Irlande du Nord, ce n’était peut-être pas the place to be pour en récolter les premiers fruits ! Mais serais-tu quand même allé dans ces boîtes si elles avaient existé ?
Oui, je pense que j’y serais probablement allé parce que j’écoutais les Pixies, REM, My Bloody Valentine et tout le tralala. A l’époque ce qui se passait c’était plutôt que tu allais dans ces horribles boîtes de nuit provinciales et tu suppliais le DJ de passer un truc bien comme « The Love Cats » ou « Blue Monday » (rires). Et parfois il acceptait, alors plein de jeunes vêtus de noir sortaient de l’ombre et exécutaient une petite danse au milieu de la piste (rires).
As-tu finalement rencontré les groupes que tu écoutais ado, REM, les Pixies… ?
J’ai rencontré REM mais pas les Pixies parce que…Hé bien quand ils se sont reformés je suis allé les voir 2-3 fois en concert mais je n’ai jamais eu de raison pour les rencontrer. Et je ne suis pas très doué quand il s’agit de rencontrer ce genre de personnes. Je ne sais pas quoi dire et eux non plus (rires). C’est donc un peu stupide. Et j’ai rencontré bien assez de mes héros comme ça (rires) !
Bien assez ?
Oui, parce que ce n’est jamais une bonne idée. Vraiment. Tu as toujours une meilleure image des gens quand tu ne les connais pas (rires).
Oui, les rencontrer c’est prend un risque…
Oui, c’est triste, n’est-ce pas ? Tu veux tellement les rencontrer et quand tu les rencontres enfin quelque part ça tue le rêve.
Ça peut mais tout dépend aussi du contexte. Je veux dire, là par exemple je te vois dans le cadre d’une interview. On parle de toi et de ta musique. Dans ce cadre je pense avoir peu de chance que ton attitude me déçoive (d’ailleurs en 94 il a interviewé Jarvis Cocker de Pulp pour Les Inrockuptibles et je pense qu’aucun des deux n’a été déçu)…
Hé bien en un sens, là c’est moi jouant à moi. C’est un rôle, je dirais. Une représentation. Je suis sûr que tu serais déçu si j’étais vraiment moi tel que je le suis quand je suis tout seul. Comme tout le monde, j’y suis ennuyeux, tu vois ?
Non !
(rires)
The Divine Comedy n’a jamais été un vrai groupe. Pourquoi cela ? Et n’est-ce pas dur pour toi de ne pas être dans un groupe ?
Non, parce que j’ai cette horrible manie de tout vouloir contrôler. Je pense que je sais écrire des chansons et que les autres ne savent pas (rires).
Tu n’as jamais voulu que The Divine Comedy soit une vraie aventure de groupe ?
C’est juste que… Regarde, les rares fois où on a essayé, ça a fini en larmes (rires gênés). Donc bon, j’ai essayé, et en 2001, après une dernière tentative j’ai décidé que dorénavant j’aurais des gens qui joueraient pour moi mais qu’on ne me prendrait plus à croire à cette idée de groupe. Ça ne tient pas, ce n’est pas vrai, c’était juste moi, moi et mes musiciens. Attention, c’était des gens adorables. J’ai toujours joué avec des gens adorables, mais quelque chose d’étrange s’est passé et… Tu sais, c’est bizarre de jouer actuellement tout seul parce que alors tu réalises toute l’importance qu’ils avaient… Et c’était veiller à mon bon divertissement (rires) ! Je veux dire, la vie sur la route est assez monotone quand tu tournes sans groupe. Tout ce qu’il te reste c’est les spectateurs et les spectateurs sont des gens misérables (rires) !
Tu ne veux pas d’un groupe mais parfois ça te manque de ne pas en avoir un…
C’est ça. Quand tu n’en as pas, c’est juste qu’au lieu, tu sais, d’enquiller cinq pintes et d’atteindre ton lit en titubant à 3h du mat’, tu finis ton show, tu regardes un peu la télé et tu t’endors (rires).
Ou tu lis un livre…
Oui, mais je veux dire, ça me va ! J’ai 40 ans. Enfin, j’ai presque 40 ans, et de toute façon boire n’a jamais été trop mon truc. J’ai pas mal donné dans les années 90 quand c’était notre heure. Mais ça ne m’a jamais trop plu de faire la fête comme ça.
En un sens c’est donc bizarre car bien que The Divine Comedy n’ait jamais été un vrai groupe, dans les années 90 il était mis sur le même plan que d’autres groupes anglais du moment comme Pulp, Radiohead et The Verve. Quelque part tu n’étais pas sur le même plan qu’eux, n’est-ce pas ?
Hé bien je n’ai jamais su quoi dire à ça parce qu’en plus j’admire la plupart de ces groupes.
Ah oui, notamment ?
Pulp. Pulp est un de mes groupes favoris.
Le Pulp de quelle période ?
De « Common People ». Different Class est juste le meilleur album des années 90… Je viens de lire le livre de Luke Haines, tu sais (songwriter du groupe anglais The Auteurs – nda), ça s’appelle Bad Vibes (sorti en 2009 le livre est sous-titré : « Britpop and my part in its downfall » – nda), et c’est fascinant parce que c’est comme s’il racontait mon histoire, mais du point de vue de celui pour qui tout s’est très mal passé (rires). Il était là 2-3 ans avant moi, je crois (même pas : New Wave, le premier album du groupe, est sorti en 1993 – nda). Et à nos débuts on œuvrait dans des registres très similaires. Et son livre est fascinant. Il y crache dans la soupe, il envoie tout bouler parce qu’il n’a jamais accepté son lot. Son histoire est remarquable. Et ça aurait pu être la mienne (il dit « There but for the grace of god, go I », une phrase de John Bradford, martyr chrétien réformiste, qui la tint à son propre compte quand, alors qu’il était emprisonné dans la tour de Londres en 1555, il vit des criminels emmenés à leur exécution – nda). Je n’arrive pas à croire que vingt ans après mes débuts je sois encore là à faire ce que j’aime. Merci de me garder dans le coin (rires).
Aujourd’hui, après 20 ans de musique en tant que The Divine Comedy, quelle est ton ambition musicale ?
Je veux juste, en quelque sorte, évoluer. J’ai déjà évolué. Je veux dire, je n’écris plus de chansons comme j’en écrivais dans les années 90. Elles étaient vraiment fun, mais pas mal d’entre elles était surtout folles.
Folles ?
Oui.
Mais c’est bien d’être fou et de se lâcher quand on créé !
Oui, absolument ! Et je ne regrette rien.
Lequel de tes albums considères-tu comme étant le plus fou ?
L’album le plus fou ? C’est Fin de siècle (le sixième album, sorti à l’été 98 – nda) parce qu’il n’est que mental… Je veux dire, dans quel état étais-je à l’époque ? Je n’étais même pas drogué ! Ce disque c’était juste le fruit d’un gros pétage de plomb égotique (rires) ! C’est stupéfiant cette montagne de détails et d’étranges chansons qui sont comme nées d’elles-mêmes, sans aucune raison extérieure. Maintenant que je suis un peu plus vieux, je suis plus posé et j’essaie d’écrire de bonnes chansons qui disent un tant soit peu quelque chose… Et qui feront que les gens regarderont peut-être les choses d’un autre œil.
C’est moins grandiloquent, tempétueux, c’est plus la petite tasse de thé…
C’est, comment dire, des repas plus nourrissants, équilibrés. Alors que certains de mes disques des années 90 c’était plutôt des bouteilles de vodka (rires) !
Quel est ton disque préféré de cette période ?
Je ne sais pas. J’aime les chansons de Promenade mais encore aujourd’hui je n’aime pas du tout comment elles ont été enregistrées. Casanova est vraiment fun… et Regeneration contient de bonnes chansons mais… J’en garde un souvenir mitigé parce que j’ai tenté quelque chose et ça n’a pas vraiment fonctionné.
C’est-à-dire ? Tu n’as pas aimé enregistrer ce disque avec Nigel Godrich ? Tout le monde dit que c’est LE producteur pop-rock de la fin des années 90…
Non, j’ai aimé passer du temps avec lui, c’est un bon ami, et j’ai aimé faire l’album avec lui…
Et c’était ton idée de travailler avec lui ?
Oui, on lui avait demandé et heureusement ça l’intéressait (on toque à la porte, l’attachée de presse : « Désolé, faut arrêter maintenant ! », j’acquiesce et on poursuit presque l’air de rien notre discussion pour essayer de boucler ça comme il se doit – nda) mais au bout du compte ça ne m’a pas plu parce qu’à chaque fin de journée j’avais toujours eu 36 000 idées de production que j’aurais voulu appliquer plus que celle d’un autre. Ce n’est donc pas de sa faute, c’est juste que je n’avais pas besoin d’un producteur. C’est la vie (rires) !
Dernière question : à propos de Nigel Godrich et de groupes phares des années 90, as-tu un intérêt particulier pour la musique de Radiohead ?
Ça dépend. Parfois je suis d’humeur oui, et dans ce cas j’opte pour Ok Computer. Pour moi c’est le seul : Ok Computer. Beaucoup de gens disent The Bends (l’album d’avant, le deuxième, sorti en 95 – nda) Mais pour moi ce disque n’est pas vraiment du Radiohead (il dit que ce n’est pas vraiment « Radio-ware », jeu de mots perso difficilement traduisible qui pourrait l’être par « produit Radiohead », ware signifiant marchandise – nda).
« Radio-ware » ?!
Oui, j’aime bien cette expression.
Et pourquoi The Bends ne serait pas du Radiohead ?
Je ne sais pas mais j’aime l’aventure d’Ok Computer.
Il est plus connecté à l’époque ?
Oui, alors que The Bends est encore un peu trop rock’n’roll (rires).
Je comprends. Merci Neil.
Merci à toi, c’était sympa de te rencontrer. (Il fouille le paquet cadeau qu’il avait ouvert au début de notre rencontre et posé entre à ses pieds) Tiens, je n’avais pas vu ça ! Des cigarettes ! Super. J’ai arrêté de fumer (rires). Je pense que j’en prendrai juste une. Juste une (rires) !
Merci à Philippe qui dirige le fan-site A short site about The Divine Comedy pour son aide dans la retranscription de cet entretien.