NICOLAS GODIN : AIR (1)
24 fĂ©vrier 2012. 10h00. Paris 19e. « 1, villa Marcel Lods, passage de lâAtlas, code 19## », relis-je hiĂ©roglyphĂ© sur mon carnet. C’est ça, au niveau du 21 rue de lâAtlas, qui remonte depuis le boulevard de Belleville Ă l’angle du Cafe ChĂ©ri(e) et sa belle devanture rouge presque pomme d’amour. Le portail s’ouvre. Je suis bien arrivĂ© : studio de l’Atlas.
Dans la cour, filtrant la lumiĂšre, des arbres planent comme des rĂȘves dont on aurait du bien Ă se souvenir. Au dĂ©tour du regard, d’un pas le bĂątiment apparaĂźt, au centre, comme un gĂąteau glacĂ© fruits rouges. Un chĂąteau dans le ciel. En plein coeur du 19e, on se croirait en plein coeur du 16. Il n’y a personne et Ă chaque pas on s’attent Ă entendre la musique d’AIR.
C’est lĂ , depuis fin 2007, que le cĂ©lĂšbre duo versaillais a ses bureaux. Ils ont tout fait faire par un acousticien français renommĂ© qui a eu pour tĂąche de leur bĂąti run studio sur-mesure, juste un lieu agrĂ©able avec assez de matos pour qu’ils puissent bosser finger in the noise comme s’ils bullaient chez eux. Un lieu rien que pour eux deux. Ambiance Caprice des Dieux.
La premiĂšre fois qu’ils y sont allĂ©s, ils rentraient de tournĂ©e, ils ont dĂ©paquetĂ© et c’Ă©tait : paf ! plug and play. Presque instantanĂ©ment, dans l’ignorance complĂšte du voisinage a pris forme « So Light Is Her Footfall », le dĂ©but d’un nouvel album. Dans la foulĂ©e ils ont recrutĂ© un jeune ingĂ©-son pour pouvoir ne se consacrer qu’Ă l’Ă©criture et la production de Love 2.
Il s’appelle Louis Arlette. Alors que j’arrive enfin Ă entrer le bon code d’entrĂ©e du « bat gauche RDC gauche », c’est sur lui que je tombe. L’attachĂ©e de presse m’avant vantĂ© sa participation violonnĂ©e lors de l’hommage au Velvet Ă la CitĂ© de la musique le 7 juillet dernier avec deux Supergrass, Colin Greenwood, Nigel Godrich et Nicolas Godin (AIR) j’embraye lĂ -dessus.
C’est parfait pour meubler. Nicolas, avec qui j’ai interview, n’est pas encore arrivĂ© et je n’ai pas du tout le nouvel AIR en tĂȘte. Donc oui, ça me dit bien de tourner autour de cette accointance AIR / Radiohead plutĂŽt que de le brancher naĂŻvement sur la B.O. que ses partons ont pondu pour la version restaurĂ©e du Voyage dans la lune de MĂ©liĂšs et les 150 ans de sa naissance.
Sorti depuis une semaine et saluĂ© par une presse qui a enculĂ© les mouches du storytelling en disant que c’Ă©tait un chef d’oeuvre parce que c’Ă©tait encore une histoire de lune comme dans Moon Safari, leur premier album, ce septiĂšme album studio prĂ©sentĂ© comme « cosmique, psychĂ©dĂ©lique et dense » est surtout inĂ©gal, foutraque. Sans intĂ©rĂȘt rĂ©el. Dispensable.
S’y distingue 11 plages, deux guest de charme, Victoria Legrand de Beach House et les sĆurs d’Au Revoir Simone, et surtout un morceau Ă mon sens, « Seven Stars » avec sa voluptueuse dĂ©robade mĂ©lodique typique d’AIR et son feeling stellaire martial Ă la Joy Division. Quatre minutes sur 31, ça fait maigre. On est loin, loin, loin de la socquette de Virgin Suicides.
En mĂȘme temps on s’en fout, on n’est pas la pour parler musique. Enfin encore moins au sens « actu »voire « promo » que jamais puisque, Ă la base, je suis lĂ en tant que journaliste pour Philosophie Magazine. J’ai pour mission de soumettre Nicolas Ă un petit questionnaire de Proust version philo, le questionnaire de Socrate. Mais le parlhoteur n’est jamais loin.
« Dans quoi sommes-nous quoi ? »
Bonjour Nicolas. As-tu un rapport privilégié à la philosophie ?
Euh, Ă©coute, moi non, jâĂ©tais déçu par son enseignement Ă lâĂ©cole.
Ah oui ? Comment ça « déçu » ?
CâĂ©tait pas pĂ©dagogique, câĂ©tait mal expliquĂ©, et câĂ©tait enseignĂ© vachement trop tard. Parce que moi jâĂ©tais en filiĂšre scientifique, du coup jâai fait philo qu’en TerminaleâŠ
Tu étais déçu, tu avais donc des attentes de ce cÎté-là ?
Ouais, parce que je trouve que câest quelque chose qui devrait pouvoir sâenseigner de maniĂšre structurĂ©e, logique, avec un programme prĂ©cis, des choix expliquĂ©s aux Ă©lĂšves, une mĂ©thode, quoi. Ăa me semble la moindre des choses pour faire de la philosophie. Au lieu de ça câest nâimporte quoi, t’as des profs un peu tous tarĂ©s et l’enseignement nâa ni queue ni tĂȘte. Je
trouve quâon devrait apprendre la philo, je sais pas moi, dĂšs lâadolescence, en 5e ou 4e, commencer avec les bases, les notions simples, indispensables.
Tu as donc développé plus tard ton propre rapport à la philosophie ?
Oui, aprĂšs en tant quâadulte tu te mets Ă lire des bouquins. Ou alors tu vois, je fais du jogging alors quand je cours je mâĂ©coute des podcasts. Comme ça je me suis tapĂ© tout Michel Onfray. C’est un universitaire qui parle en public donc câest assez marrant. Et ce qui est trĂšs trĂšs bien câest quâil expose son point de vue au dĂ©part, sa thĂšse, tu peux donc recontextualiser tout ce quâil dit Ă la lumiĂšre de sa propre personne. Ce quâil dit nâest pas objectif, mais il le sait, il te dit juste quelle est sa vision des choses. Par exemple lui, il est clairement anti-Platon et anti-chrĂ©tien donc il va dĂ©rouler toute une histoire de la philosophie sous cet angle en disant que lâHistoire est Ă©crite par les vainqueurs et que toute la tradition philosophique a donc Ă©tĂ© obscurcie par lâhĂ©ritage platonique et chrĂ©tien. AprĂšs, pour contrebalancer ce point de vue, tu peux donc Ă©couter des philosophes de droite comme Luc Ferry, qui fait aussi des podcasts, etc. Et quand tu mĂ©langes tout ça tu arrives finalement Ă te faire ton idĂ©e, quoi.
Comment tu t’es orientĂ© au tout dĂ©but de tes lectures philosophiques ?
Ăa commence par Le Monde de Sophie, tu sais, qui explique la philosophie aux jeunes et en fonction de ça tu repĂšres les noms et tu vas voir les auteurs. Il y a des auteurs qui sont quand mĂȘme incomprĂ©hensibles si tâes pas aidĂ©. Surtout si les thĂšmes sont pas expliquĂ©s. Je pense Ă Nietzsche par exemple. Son concept de nihilisme a Ă©tĂ© dĂ©formĂ©. Ce quâon entend aujourdâhui par nihilisme câest le contraire de ce que Nietzsche voulait dire. Yâa donc plein de piĂšges comme ça dans lesquels les gens tombent en croyant comprendre quelque chose dâune thĂšse philosophique alors quâils sont Ă lâopposĂ© de ce que lâauteur voulait dĂ©montrer. Et ce qui est marrant câest de voir Ă quel point les philosophes qui rĂ©flĂ©chissent sur une Ă©thique pour bien rĂ©gler leur vie et ĂȘtre libre ont tous eu des vies de fou. Câest incroyable, câest comme si un mĂ©canicien avait toujours sa voiture en panne, tu vois ? Ce serait bizarre quand mĂȘme (rires) ! Câest marrant de voir ce que ces mecs qui cherchent la vĂ©ritĂ© se sont complĂštement Ă©garĂ©s dans leur vie personnelle. A ce niveau-lĂ , la philosophie est assez marrante.
Venons-en donc à ce questionnaire de Socrate. PremiÚre question : quel est ton démon ?
Euh⊠(Long silence.) Bah alors lâespĂšce dâĂ©cueil, le gros Ă©cueil, justement philosophique â on se demande mĂȘme parfois si la philosophie nâa pas Ă©tĂ© inventĂ©e pour Ă©chapper Ă cet Ă©cueil â câest la peur de la mort. La philosophie nâest-elle pas la seule maniĂšre que les hommes ont trouvĂ©e pour accepter lâidĂ©e de la mort. La mort câest un des gros non-sens de lâexistence.
La mort, câest donc ton dĂ©mon ?
Je pense, oui. Oui, mais je pense que câest un dĂ©mon commun Ă toute lâhumanitĂ©, aussi bien pour ceux qui, comme moi, lâadmettent que pour ceux qui ne lâadmettent pas. Ăa pĂšse quand mĂȘme sur leur vie, je pense, sans quâils en aient conscience. Câest vraiment une espĂšce de questionnement perpĂ©tuel et quotidien, une espĂšce de grande absurditĂ© quoi, un truc vertigineux. Assez vertigineux, ouais.
Tout Ă lâheure tu parlais de Michel Onfray et de Luc Ferry, d’un mĂ©lange de penseurs qui te permettent de te bĂątir ta propre pensĂ©e, t’Ă©clairer. Y’a-t-il tout de mĂȘme, parmi eux, un penseur prĂ©cis qui t’accompagne ?
En fait pour moi Michel Onfray et Luc Ferry câest pas du tout des penseurs, câest des gens qui mâont donnĂ© des repĂšres et une sorte de chronologie pour ordonner mes recherches. En gros : savoir quels sont les philosophes de quelle Ă©poque et quelles sont les tendances de chacun. Alors, aprĂšs, tu peux aller vers ce qui tâintĂ©resse. Ce sont des passeurs, mais pour moi ce sont en aucun cas des penseurs, surtout dans le cas dâOnfray. Lui tu peux vraiment avoir une vision nietzschĂ©enne de ses cours parce quâil explique Ă quel point la transmission du savoir est liĂ©e Ă la psychologie de celui qui transmet et lui dans son histoire personnelle, câest gros comme une maison, tout ce quâil dit est dictĂ© par son vĂ©cu. Et câest assez touchant finalement. Assez mignon. Parce que derriĂšre ce grand orateur on voit toutes ses failles, sa fragilitĂ©. Dâailleurs ce qui est trĂšs intĂ©ressant et lĂ oĂč il est courageux, câest que comme câest des cours en public il fait souvent des lapsus. Il fait pas un enregistrement en studio oĂč il y aura eu un montage, non, il est devant une assemblĂ©e donc yâa tout qui sort et ça câest assez fantastique.
T’es dans un livre philosophique en ce moment ?
Euh, Ă©coute, non, pas vraiment. Mais jâen lis de temps en temps parce que câest intĂ©ressant. J’aime les gens qui disent des choses issues dâune pensĂ©e. Comme Pascal, qui va avoir une thĂ©orie et qui va lâexprimer. Et des gens comme Jean-Luc Godard qui disent des choses fantastiques mais juste pour le plaisir de dire des choses fantastiques. Yâa pas de fondement, ça peut mĂȘme ĂȘtre une grosse connerie mais câest tellement bien dit quâil faut que quelquâun le dise. Et lui il faut quâil le dise et il fait des phrases qui tuent, quoi. Mais en fait, moi ce qui mâintĂ©resse c’est plus lâHistoire que la philosophie. Câest-Ă -dire que si je mâintĂ©resse Ă Sartre et Ă Camus câest parce que câest des choses qui font partie de lâhistoire de lâhumanitĂ© et ça ça mâintĂ©resse. C’est pour ça que je vais aussi adorer lire une biographie de Churchill ou de TalleyrandâŠ
Les trajectoires des grands hommes ?
Oui, voilĂ , comment les ĂȘtres exceptionnels sont confrontĂ©s Ă leur siĂšcle et aux Ă©vĂ©nements quâils traversent. Câest assez passionnant, j’adore savoir ce qui s’est passĂ©, ce qui a marquĂ© et lĂ -dedans les philosophes rentrent en ligne de compte mais voilĂ , sinon jâai pas une façon philosophique de voir les choses, je suis complĂštement dominĂ© par la philosophie, je pense pas avoir une habiletĂ© Ă la comprendre et Ă lâassimiler de maniĂšre assez complĂšte.
Quel est le sophiste qui tâexaspĂšre le plus ?
Euh, alors pour que te je dise pas une grosse connerie soyons bien clair sur ce que tu entends par sophiste.
Aujourd’hui on dirait que c’est quelqu’un qui a pignon sur rue mĂ©diatiquement et dont l’opinion, les points de vue sont hautement respectĂ©s ? Bref, qui l’ouvre Ă tout bout de champ et sĂ©duit par le discours !
Bah je dirai Sartre. Je pense que je pourrais changer d’avis en me plongeant dans son oeuvre mais câest vraiment quelquâun qui, comme ça, vu de lâextĂ©rieur, a lâair assez exaspĂ©rant.
Pourquoi ?
Parce que avec ses idĂ©es, câest lâagitĂ© du bocal comme dirait Onfray. Tu vois, l’existentialisme faudrait que je me plonge vraiment dedans parce que pour moi, vu d’ici, ça semble enfoncer une porte ouverte quoi. Mais bon, câest peut-ĂȘtre pas le cas Ă l’Ă©poque… Câest comme quand on considĂšre l’hĂ©ritage de mai 68. Aujourd’hui, on se dit : « Mai 68, ouais, pfff… » mais ça c’est parce qu’on vit Ă une Ă©poque de libertĂ©, on nâa pas connu avant. Donc tu vois pour avoir une vraie opinion sur Sartre faudrait vraiment que je me plonge dans son oeuvre, chose que jâai jamais faite, parce que lĂ vu de lâextĂ©rieur, son existentialisme câest typiquement le genre de propos qui glissent sur moi.
Quelle est la question qui te tourmente ?
Alors moi câest la question du contenant.
Ah oui ?
Oui, pour moi câest vraiment le mystĂšre : « Dans quoi sommes-nous quoi ? Dans quoi est contenu lâunivers ? » Cette notion dâinfini, câest vraiment la question. Elle mâobsĂšde depuis mon enfance. Comme jâai grandi Ă Versailles, jâavais des cours de catĂ©chisme et je demandais Ă ma prof : « Dans quoi sommes-nous quoi ? » Alors elle Ă©tait complĂštement effarĂ©e (rires) ! Je lui disais : « La Terre, c’est dans le systĂšme solaire, le systĂšme solaire, c’est dans lâunivers, mais lâunivers, c’est dans quoi ? » De pas savoir dans quoi tout ça repose, je me disais : « Si ça se trouve rien n’existe ». Ăa câest vraiment la question qui mâobsĂšde.
Tu penses que cette question est au cĆur de ta musique, qu’elle la constitue ?
Musicalement, câest encore un autre dĂ©bat mais yâa une question fantastique dans la musique (il sâen va Ă cet instant fermer la porte du studio qui Ă©tait restĂ©e entrouverte â nda), c’est qu’on a vraiment lâimpression de toucher quelque chose, c’est-Ă -dire qu’on a justement lâimpression dâĂȘtre dans une autre dimension oĂč on est en contact avec un monde parallĂšle. DĂ©jĂ , yâa pas dâĂ©cole de composition donc tu te demandes d’oĂč vient ta compo. Mais surtout la musique nâest pas palpable, elle est quand mĂȘme dans lâespace mais elle n’est pas palpable et ça câest trĂšs bizarre. Aussi, ce qui est bizarre câest dâĂȘtre en contact avec quelque chose qui nous dĂ©passe et dâavoir lâhabiletĂ© en Ă©tant musicien de comprendre en quoi elle nous dĂ©passe. Câest assez passionnant de voir ça.
Composer câest Ă©crire, fermer, clore. Surtout en pop oĂč le format est court et balisĂ©âŠ
Euh ça, je sais pas… Ce qui est trĂšs bizarre dans la musique c’est qu’elle allie deux notions fondamentales de lâhumanitĂ© justement : le spirituel et le mĂ©canique. Câest-Ă -dire que par exemple quand tu regardes un prĂ©lude ou une fugue de Bach, tu rĂ©alises que câest quelque chose dâextrĂȘmement mĂ©canique, tout sâimbrique de maniĂšre parfaite et lĂ tâas vraiment lâimpression dâĂȘtre un scientifique qui pourrait voir avec un microscope super puissant comment les choses s’emboĂźtent Ă lâintĂ©rieur dâun atome. Donc tâas lâimpression dâĂȘtre au cĆur de lâessence, de lâĂȘtre, et en mĂȘme temps du coup câest extrĂȘmement spirituel, câest-Ă -dire que t’as lâimpression de toucher Ă la notion de Dieu, parce que câest quelque chose qui te dĂ©passe complĂštement. La musique fait cohabiter ces deux mondes. Cette symbiose-lĂ , tu ne l’as pas partout. Une montre Suisse par exemple, c’est beau mais câest pas spirituel, câest juste la perfection absolue des mĂ©canismes entre eux. Inversement, si tu vas Ă la messe ou si tu vas Ă la mosquĂ©e, lĂ il nây a rien de mĂ©canique, câest purement spirituel. La musique, elle, rĂ©unit les deux. Je trouve ça magnifique et je suis trĂšs trĂšs heureux dâĂȘtre musicien Ă cause de ça justement. On y est complet.
Pour toi quel est le lieu qui se rapproche le plus de la cité idéale ?
Ahah ! Jâallais dire : la coupe de lâimmeuble dans La Vie mode dâemploi de George PĂ©rec. Ăa mâa toujours fascinĂ©. D’ailleurs câest marrant parce que cette histoire de coupe, ça me renvoie Ă cette notion du Moyen Age qui faisait que les diffĂ©rentes classes sociales cohabitaient entre elles au sein du mĂȘme habitat. Au rez-de-chaussĂ©e t’avais les artisans ou les gens des classes dĂ©favorisĂ©es et au deuxiĂšme ou troisiĂšme Ă©tage t’avais les possĂ©dants. Câest assez fascinant de voir Ă quel point le monde va vers la compartimentation alors quâon est parti dâun truc oĂč on vivait ensemble. Cette notion sâest complĂštement perdue. Donc je dirai que la citĂ© idĂ©ale est plus dans le temps que dans l’espace aujourdâhui, plus dans le passĂ© que dans le prĂ©sent, plus une notion de la citĂ© telle quâon lâa eue yâa mille ou deux-mille ans quâune rĂ©alitĂ© prĂ©sente, tangible. Oui, j’ai plutĂŽt lâidĂ©e dâune citĂ© des millĂ©naires passĂ©s, celle oĂč les hommes se regroupaient pour ĂȘtre unis et plus fort grĂące Ă cette union.
LĂ on est dans le 20e arrondissement de Paris, prĂšs de Belleville, un quartier oĂč rĂšgne encore un certain mĂ©lange entre les populations et les classes socialesâŠ
Oui, mais je dirais que ça câest qu’une question pour qu’il n’y ait plus quâune seule classe Ă Paris parce que comme Paris ne peut plus grandir, qu’il y a plus de place pour construire de nouveaux logements et que plus en plus de gens veulent y vivre, les classes dĂ©favorisĂ©es vont fatalement ĂȘtre progressivement rejetĂ©es en dehors de Paris. Yâa vraiment que les endroits oĂč yâaura des immeubles pourris qu’on les trouvera encore mais ce sera vraiment des niches.
CâĂ©tait important pour toi et Jean-BenoĂźt dâinstaller votre studio dans ce quartier ?
Alors je veux pas qu’on nous voit comme adeptes d’une quelconque secte mais pour nous ce qui compte câest les vibrations. Et moi jâaime pas du tout les quartiers bobos, mais quand on est arrivĂ© ici on nâavait pas dâa priori sur le quartier et jâai tout de suite senti que lĂ on serait bien pour faire de la musique. Mais ici Ă lâĂ©poque y’avait rien, aucun mur. Par terre t’avais de la terre et dâoĂč on est tu voyais la rue de lâAtlas. On Ă©tait lĂ dans la boue et on voyait jusquâĂ la rue, les voitures rouler et descendre. En fait c’Ă©tait un grand terrain vague, yâavait que des piliers et tout ça câĂ©tait dĂ©truit. Mais une sociĂ©tĂ© a achetĂ© tout le terrain et l’a amĂ©nagĂ© pour faire des logements. Et Ă cet endroit-lĂ , jâai senti de bonnes ondes. D’ailleurs ça se sent lĂ , non ?
Bah Ă©coute, je me sens plutĂŽt bien oui, c’est cool…
Je me suis dit : « On se sent bien, on va avoir de lâinspiration, on va avoir des idĂ©es » et en tant que musicien c’est trĂšs important que lâendroit oĂč tu es puisse tâinspirer.
Quelle est la chose la plus grotesque que tu es faite par amour ?
Oh, moi je trouve quâon fait rien de grotesque par amour. Au contraire, câest tout ce qui nâest pas fait par amour qui est grotesque. Et quand on est artiste on est libre donc tout ce qu’on fait Ă©chappe justement au grotesque. On n’est pas soumis Ă la mĂȘme hiĂ©rarchie des choses : ce qui est important pour nous nâest pas ce qui est important pour les autres, et du coup ce qui nous semble grotesque câest la vie des gens en gĂ©nĂ©ral. Nous on est des gens libres. Câest-Ă -dire quâen gros on fait tout ce qui nous passe par la tĂȘte.
Vous ne faites que les choses par amour ?
VoilĂ , en gros. Oui, mĂȘme dans mon quotidien en gros câest ça oui. On nâa pas de contraintes.
Et c’est parfois chiant de pas avoir de contraintes ?
Euh, on ne peut pas savoir parce quâon est comme ça depuis toujours. Bon si au lycĂ©e on avait des contraintes et on voyait bien que la musique Ă©tait une maniĂšre dâĂ©chapper à ça. D’en faire comme d’en Ă©couter. On Ă©tait fou de musique depuis lâadolescence… Mais voilĂ , ensuite moi jâai jamais vraiment travaillĂ©, j’ai jamais Ă©tĂ© sur le marchĂ© du travail, ni dans lâentreprise ni dans la sociĂ©té⊠Nous on arrive partout comme ça, comme on est et oui, on trouve ça grotesque les gens qui ont des contraintes, qui doivent rentrer dans un moule, quoi… Et comme on a cette mentalitĂ© du coup c’est pareil dans les relations amoureuses, on ne fait que ce quâon choisit. On ne se laisse rien imposer. Et ça câest merveilleux.
Ce genre de comportent peut ĂȘtre violent pour les autres, non ?
Non, parce qu’on fait tout par amour du coup câest des grands moments de partage. L’amour pour moi câest quand les gens se font du bien. Donc en fait ce quâon appelle ordinairement lâamour pour moi câest pas vraiment de lâamour, câest plus des comportement dĂ©terminĂ©s par des mĂ©canismes psychologiques ou psychiques. On le voit bien dans toute la littĂ©rature avec tous ces problĂšmes deâŠ
De projection amoureuse…
Oui, cette idĂ©e de lâamour qui est la projection dâun idĂ©al romantique complĂštement con. En fait, les gens croient ĂȘtre dans l’amour mais ils reproduisent surtout un modĂšle dâaprĂšs-guerre du couple, avec la femme, le mari, les enfants, lâappartement, quelque chose de trĂšs moderne finalement, trĂšs rĂ©cent dans l’Histoire, et je sais pas si les gens sont heureux comme ça.
Lâamour nâest pas rĂ©ductible au couple.
Oui, et quand tu rĂ©alises que t’es plutĂŽt attirĂ© par quelquâun qui te fuit tu vois bien quâil sâagit dâun mĂ©canisme psychologique qu’on transcende dans ce qu’on appelle l’amour et qu’il s’agit plus dâamour propre et de blessures narcissiques. Et que c’est ça qui nous poussent Ă aimer. Mais le vrai amour c’est autre chose, et quand câest ça qui est vĂ©cu ce nâest pas du tout dangereux pour les autres. C’est gĂ©nial.