NIGEL GODRICH

3 octobre 2012. 17h. Paris 2e. Balto. « Qu’a-t-on fait de si spécial depuis qu’on est ado ? Récemment à la radio, j’ai entendu une interview du guitariste de Radiohead où il parlait de leurs débuts, du fait qu’il s’était écoulé près de dix ans entre la formation du groupe et la sortie de leur premier album, qu’avant ils avaient un nom tout pourri et qu’ils sonnaient comme un groupe de folk rock, voire surf rock. Il était si sincère et maintenant qu’ils sont ce qu’ils sont c’était vraiment bizarre de penser qu’ils avaient été ça. A côté on n’a encore rien fait. » (Dominic Aitchison, bassiste de Mogwai, à la sortie d’Hardcore Will Never Die)

« Comment tracer une droite entre des morceaux comme « Creep », « Paranoid Android », « The National Anthem » et « Lotus Flower » ? C’est comme les Beatles : tu ne peux pas. Je pense que ces gars sont avant tout des artistes du spectre musical. Et grâce à Godrich ils ont évolué comme les Beatles. Par exemple à leurs débuts les Beatles ne savaient pas se servir de l’équipement d’un studio mais grâce à l’aide de George Martin ils ont alors pu se mettre à expérimenter des sons bizarres, et c’est ce qui fait qu’ils sont encore célèbres 40 ans après. » (Jason McGerr, batteur de Death Cab for Cutie, période Codes and Keys)

Alors que je m’apprête à rencontrer Nigel Godrich, dans ma tête ces souvenirs d’interviews se marient difficilement aux commandements que la RP vient de m’édicter : « Tu ne lui parleras ni de son travail de producteur ni de son rôle dans Radiohead, juste Ultraista. » Là, clairement, si je compte obéir autant que je décampe. Mais fuir devant cette chance de rencontrer Nigel Godrich, cette chance qui m’est tombée dessus « like a feather in a perfect world », cette chance unique ? Car à la fin de cet entretien écourté de 30 min à 20, leur attachée de presse me fera croire qu’on pourra aisément poursuivre par mail : non.

Nigel n’aura pas le temps parce qu’il sera barré avec Radiohead, puis aux USA pour tourner des épisodes de From The Basement, puis ailleurs en tournée avec Ultraista et que, deuxio, comme elle me l’écrira, « désolé, mais c’est aussi qu’il ne veut vraiment pas répondre aux questions qui le prennent trop personnellement à parti or les vôtres… ». Ah ! sont en retard et ça me saoule de poireauter une heure comme de patienter en ouvrant la VIE de Keith. Papy, elle me dit rien de ma vie, ta vie de bluesman, or celle… Je peux pas partir. Je dois rester, ruser. Godrich is my Nig’. Et si… Ah ! mais les voilà, pas en retard en fait…

« Je ne me considère plus comme un producteur »

 

Bonjour Laura, bonjour Joey, bonjour Nigel.
Laura, Joey, Nigel : Bonjour.
Nigel : C’est bon, ça tourne, ça enregistre bien ?

Oui, oui, je pense.
Nigel : Je dis ça parce que récemment on a fait une interview avec un type, on parlait depuis bien une heure et demie et soudainement il est devenu tout blanc parce qu’il s’est rendu compte que son dictaphone n’avait pas démarré. Il a donc dû se remémorer tout ce qu’on s’était dit et taper tout ça très rapidement, brrr !

Je sais ce que c’est, ce genre de problèmes m’est déjà arrivé ! Vous allez donc jouer au Silencio ce soir. Quelles sont vos impressions quant à cette salle ?
Laura : Ça semble merveilleux !
Nigel : Je ne connaissais pas et on cherchait une petite salle…

C’est donc vous qui avez choisi de jouer là ?
Nigel : Oui, en fait on a un ami qui connaissait la salle et qui nous en a parlé en pensant que ça pourrait nous intéresser d’y jouer. Mais bon, c’est juste pour un petit concert de présentation…
Joey : Oui, c’est un type de L.A., où on habite, qui nous a dit : « Hey, je travaille pour ce club, si jamais vous avez des groupes à leur proposer… »
Nigel : Oui, et on cherchait une petite salle à Paris, assez intime et sélect. C’est pour ça qu’on a trouvé que cette salle serait parfaite pour présenter notre album (rires) !
Joey : Oui, surtout qu’on est très branché club (rires) !

D’accord, vous avez donc fait le bon choix (dans ce rire collectif, les bières arrivent, enfin ma bière, pour eux c’est chocolat chaud)  !
Laura : Hier on a fait un concert gratuit dans un pub à Gand en Belgique, c’était plein, le bordel !
Nigel : Donc oui, on mixe les ambiances et les lieux. Bref, tout ça pour dire qu’on ne connait pas trop la réputation du Silencio.

Vous savez quand même que c’est un club sélect designé par David Lynch ?
Nigel : Oui, et ça semble beau. Tu y es déjà allé ?

Oui, pour y voir des showcases comme le vôtre.
Nigel : Ok.
Laura : Tu y as vu quels groupes ?

Dernièrement Chairlift
Nigel : Ah oui ? .
Laura : Bien.
Nigel : Et le son était bon ?

Oui, mais ils étaient en configuration piano-voix-boîte à rythmes donc c’est dur à dire et j’ai toujours un peu de mal à me prononcer sur l’acoustique des salles…
Nigel : Mais ton avis de pur spectateur m’intéresse. Tu avais aimé ce concert ?

Oui.
Laura : Cool.
Nigel : Donc oui, bon, ce n’est peut-être pas le meilleur lieu qu’on n’aurait pu trouver. Mais bon c’est juste des petits concerts comme ça. On a aussi joué à Amsterdam…
Joey : Ce soir ce sera notre troisième concert, c’est ça ?
Laura : Oui, en tout et pour tout.
Nigel : Notre quatrième en fait.
Joey : Ah ! quatrième, pardon.

Seulement votre quatrième concert ?
Joey : Oui, si zappes que j’ai déjà tourner avec REM et 2-3 autres broutilles…
Nigel : Joey ne parle pas de ça.
Joey : Oh ! pardon.
Nigel : Je plaisante (rires) !

Nigel et Joey, qu’est-ce que ça vous fait de monter enfin un groupe ensemble, vous qui avez quarante ans passés et êtes tous deux des hommes de l’ombre de la pop music ? Vous vous sentez de nouveau comme de jeunes premiers ?
Nigel : Oh ! Euh, comment on se sent ? En fait, on a fait ce disque de façon très fragmentaire. C’était plein de bouts dispersés sur une longue période de temps. On a commencé sans Laura. Elle est arrivée après, sur le tard. On n’a donc pas toujours été un groupe de trois personnes qui jouent ensemble. Là on est début octobre donc ça doit faire un mois qu’on est un vrai groupe… On a dû finir de donner forme aux morceaux en les jouant tous les trois. Et ce n’est pas si facile, après on a dû apprendre nos propres chansons en les jouant encore et encore.

Parce que quoi, au départ c’était juste toi et Joey qui vous échangiez des fichiers entre Londres et L.A., des idées par mails ?
Nigel : Non, non, on a joué ensemble.
Joey : Oui, on a joué ça ensemble
Nigel : On a joué les morceaux ensemble car on tenait à faire une musique électro organique. Ça aurait pu être plus expérimental, cérébral, mais on ne voulait pas que ce le soit. Ça aurait été moins intéressant de se cantonner à une musique faite par ordinateur ou une musique trop froide. On s’est donc dit : « Et si on essayait de mettre du chant là-dessus ? » Et on pensé à Laura.
Laura : Oui, c’est là que je suis arrivée. On s’est rencontré dans un pub de l’Est de Londres où je donnais un concert.

Tu avais déjà un groupe ?
Laura : Non, j’avais déjà fait plusieurs collaborations mais là c’était plus un projet solo. Et Nigel et Joey  m’ont fait écouter ce qu’ils faisaient et j’ai trouvé que c’était de la bonne musique
Joey : De son côté elle nous avait apporté ce qu’elle faisait, un mélange de chant et de samples, de boucles répétitives, mais ça restait de la pop, du chant associé à de la musique. On a donc pensé qu’elle se prêterait bien à chanter sur ce qu’on bricolait de notre côté depuis plus d’un an et demi ! C’était un long processus.
Nigel : Oui.

Et vous vouliez une voix de femme ?
Joey : Oui, on voulait plutôt une voix légère, lumineuse, inspirante…
Nigel : Hum, oui, je pense que je voulais une fille. Laura, tu veux bien t’en aller deux secondes pour qu’on continue sur ce sujet ? (rire collégial) Non, disons que je trouve juste qu’il est plus facile de trainer avec des filles car dans ce milieu, quand tu n’es qu’entre mecs, ce n’est pas la même ambiance et tu peux vite t’esquinter la santé. Tout est plus « familial » quand tu as une fille dans le groupe. Je le pense vraiment.
Laura : Pour combien de temps ?

Ce chant féminin n’était pas censé apporter une note de séduction, de désir ?
Nigel : Il a augmenté mon désir. Paix à mon désir. Je désire moins maintenant (rire collégial, Laura incluse, qui, surprise, semble avoir du mal à digéré la boutade). Non, je pense que c’est une histoire de dynamique de groupe. Oui, voilà, et on se fait définitivement vieux aussi, vieux et aigri donc on a besoin de jeunes femmes.

Et les morceaux du disque étaient globalement finis quand Laura est arrivée ?
Nigel : Oh, non, non, non, non, non.

Il y a donc eu un ping-pong entre vous trois ?
Laura : Oui, une assez longue partie.
Nigel : Oui, parce que là tout ce qu’on avait c’était ce qu’on avait fait avec Joey en jammant et après on a édité et séquencé tout ça en petits morceaux pour les recoller ensuite, en parler, chanter dessus, ajouter des motifs… C’était un long processus, tout ça remonte à loin et on a eu le temps d’y réfléchir parce qu’on n’avait pas de deadline, personne dans un label pour nous demander des comptes sur ce qu’on faisait, on faisait juste ça pour le plaisir. Ça fait du bien. Parce qu’en même temps on est sur d’autres projets plus stressants et plus cadrés pour d’autres.

Et vous passez finalement sur des ordinateurs pour éditer, séquencer. Ce n’est pas dur parfois de faire de la musique sur ordinateur ?
Nigel : Euh, non, en fait c’est trop facile.

Oui, c’est ça : n’est-ce pas trop dur au sens où c’est finalement devenu trop facile ? Parce que tu peux indéfiniment faire et défaire le morceaux, l’enrichir, le rallonger… Nigel, toi qui est aux manettes, n’es-tu pas parfois fatigué par cette façon de faire ?
Nigel : Oui, mais je pense que lorsque tu as tout ce pouvoir que te permet la machine, il faut aussi savoir se dire : « Ok, stop, c’est quoi cette chanson ? Si on passe des mois à la triturer sur ordi c’est qu’elle n’est pas bonne et on ne va pas réussir à transformer la boue en or. »

That’s the way pop goes !
Nigel : Oui, exact, c’est ça ! Il doit se passer quelque chose d’immédiat, qui fait que ça te plait. Oui, je veux dire, tu vois, c’est bizarre parce qu’on fait ça et hop on est là à Paris pour en parler, c’est bizarre. Vraiment.
Joey : Oui, drôle de sujet de discussion pour un jour de pluie comme aujourd’hui à Paris (rires) !

Un vrai temps d’hiver !
Nigel : C’est ça, mais j’aime l’hiver.
Joey : Je pense qu’on s’est trop habitué aux ordinateurs, qu’ils sont devenus trop partie prenante du paysage musical. Il ne faut pas tout mélanger. Il y a la musique d’un côté, celle qu’on joue et le travail sur ordinateur doit rester une autre partie du processus, réservée à l’enregistrement.
Nigel : Rien ne remplace les gens. On s’enrichit et s’inspire vraiment en travaillant avec d’autres. Et Joey et moi, vu nos parcours dans la pop, on sait bien ça.

C’est le fruit de votre travail de producteur ?
Nigel : Oui, mais ce soir on joue au Silencio, c’est nous les stars (rires) ! Il ne faut pas que j’oublie de me brosser les dents ! Il faut que je garde mon calme sinon je vais m’évanouir et vous devrez me réanimer !

Et, dans une certaine mesure, être un groupe qui comporte deux producteurs…
Nigel : Et deux bons, attention !

Je veux dire, l’idée de production a évolué…
Nigel : Exactement.

Aujourd’hui comme tout le monde fait de la musique sur ordinateur tout le monde est plus ou moins le producteur de sa musique. Quel regard portez-vous sur cette évolution de la notion de production musicale ? Les rôles semblent s’être un peu fondus…
Nigel : Oui, presque. J’ai pour coutume de dire qu’un producteur est quelqu’un de payé pour faire de la musique. Et aujourd’hui il n’y a plus vraiment d’argent. Donc maintenant, c’est plutôt : tu fais de la musique donc tu es un producteur, tu vois ? La définition de ce mot a changé, mais toute l’industrie a changé. Les raisons de continuer à faire ça ont changé. J’ai été producteur mais maintenant si j’y pense, je me demande à quand remonte la dernière fois où j’ai vraiment produit un disque. Je ne raisonne plus en ces termes. Je ne me vois plus comme un producteur.

Comment te vois-tu alors ? Sound designer ?
Nigel : Non, c’est plus que je fais juste de la musique. Quand j’ai commencé, quand un groupe voulait se faire produire, il n’avait pas le matériel donc il allait par exemple voir Steve Albini qui lui était supposé avoir tout le matériel et il produisait le groupe. Ça ne marche plus comme ça. C’est vraiment la fin de ce système qui faisait que telle personne était producteur ou mixeur. Aujourd’hui, ce n’est pas comment tu fais ça qui compte, ce qui compte c’est que tu peux faire ça toi-même donc tu es un producteur. C’est pareil pour Laura et son projet solo : en un sens elle se produisait elle-même. C’est une nouvelle façon de voir les choses. Tu ne considères plus les rôles de la même manière. Les règles ont changé. Et c’est aussi ça que j’ai appris avec elle : c’est une musicienne, je suis un musicien, tout est mélangé. Et honnêtement, je n’aimerais plus produire de groupes aujourd’hui. Ça ne m’intéresse plus. Enfin je crois. C’est du passé tout ça. Je préfère faire mes propres expérimentations musicales.

D’accord. Tu souscris Joey ?
Joey : Oui, j’allais dire que j’ai l’impression que c’est pareil pour moi. Quand je vois tous ces groupes qui font de la musique sur laptop, et je ne dirai pas de nom, mais oui, ça ne m’amuse plus de faire ça : enregistrer des groupes.

Cette réflexion sur l’évolution de la musique et de l’industrie musicale me fait penser à une interview de Billy Corgan que j’ai lue sur récemment sur internet (titrée « What I Learned as a Rock Star« , elle est initialement parue l’été dernier dans The Daily Beast). Il y parlait notamment de la Pitchforkisation de la pop music et du fait qu’aujourd’hui s’il y avait un nouveau Kurt Cobain il ne pourrait pas émerger en tant que nouveau Kurt Cobain parce que si Pitchfork le repère ça voudra dire qu’il a tous les outils de réseau social de cette génération et qu’il n’est donc plus rebelle, marginal…
Nigel : Je ne suis pas d’accord avec ça. Je ne suis pas du tout d’accord. Corgan dit des bêtises (là, et ce n’est pas non-intentionnel de ma part, il faut savoir que Godrich en profite sans doute pour se venger du fait qu’en juin dernier Corgan a dit qu’il pissait sur Radiohead et leur musique pompeuse : en effet, en réaction à je ne sais quel classement des meilleurs guitaristes rock du monde, et en réaction aussi au manque d’éclat de son nouvel album dont il assurait la promo, interviewé par Antiquiet, le leader des Smashing Pumpkins a tenu à rappeler que dans le monde dans lequel il a grandi, Johnny Greenwood n’est pas meilleur que Ritchie Blackmore de Deep Purple et que donc il pisse sur le système de valeurs actuels qui n’a de cesse de placer Radiohead au-dessus-tout, rappelant par là les bonnes vieilles guéguerres USA vs UK qui agitèrent jadis la pop – nda), il est un peu idiot, parce que son opinion reflète ce qu’était ou ce que devait être une icône pop dans les années 90. Il n’arrive pas à comprendre que les choses ont changé (rire général). Le truc de Nirvana c’est qu’ils pensaient qu’ils étaient des losers, leur musique véhiculait ça et toute une génération se ressentait comme ça. Tout ça s’est engouffré dans une faille du système et ça l’a fait dérailler. C’était un vrai accident industriel et je pense juste qu’il est plus difficile que ce genre d’accident arrive aujourd’hui.

Aujourd’hui comment faire dérailler le système, comment le subvertir quand on en fait irrémédiablement parti ? 
Nigel : Mais tu n’as pas à chercher à faire ça. Le problème de beaucoup de gens aujourd’hui c’est qu’ils font de la musique parce qu’ils  veulent qu’on les regarde mais la meilleure manière d’attirer l’attention sur toi reste encore de te tirer une balle. Tu vois ce que je veux dire ? Je crois que les vrais artistes n’ont pas à de mener ce combat. Mais je comprends ce que tu veux dire : la structure qui permettait de faire émerger et de supporter ce genre de personnes n’existe plus mais je crois que les artistes influencent le système autant qu’il les influence et chaque nouveau système implique son détonateur. Donc voilà, si quelqu’un comme Kurt Cobain passait par là, on le saurait. Mais chaque système ne tolère qu’un Cobain. Et comme on a changé de système, il n’y aura pas de nouveau Kurt Cobain.

Le raisonnement de Billy Corgan est faussé à la base.
Nigel : Exactement. Aujourd’hui ce serait un autre type de personne à un autre type d’endroit, quelque chose de complètement différent, de tellement différent que Billy Corgan ne pourrait sans doute pas le voir. Et c’est pour ça que rien ne se passe à ses yeux (à ce moment-là je repense à ce que disait Geoff Barrow, instigateur de Beak et de Portishead dans le Voxpop de l’été dernier : « Sur le plan musical et plus largement sur le plan artistique, je suis fermement convaincu que quelqu’un va arriver et secouer un peu les choses, entraîner un mouvement de la jeunesse qui emportera tout le monde sur son passage, avec un message socio-politique qui aura un impact sur les consciences. Je crois vraiment que ça va arriver. Tenons-nous prêts. »)

Mais ce n’est pas rien, ça signifie qu’il nous faire le deuil de l’idée de rock alternatif…
Nigel : Oui, il faut sortir le rock alternatif de la tête, cette idée des mecs qui jouent de la guitare. La raison de sa mort c’est que cette musique ne va plus nulle part. Il faut évoluer et aujourd’hui le changement a plus lieu dans la musique électronique. Mais bientôt ce sera vieux et ennuyant et il faudra trouver un moyen de faire de la musique qui ne soit ni électronique, ni lié aux guitares, autre chose. Mais on ne peut pas le prévoir parce qu’on y réfléchit avec nos vieux bagages.

Oui et Joey et toi, comme moi d’ailleurs, on est de cette génération rock alternatif, donc pour nous c’est intéressant de réfléchir à ça…
Joey : Oui !

Je veux dire, comment continuer à faire et à aimer cette pop tout en sachant qu’elle n’a plus rien de rebelle, subversif, vous voyez ?
Nigel et Joey : Oui…

Ça revient un peu à ce qu’on disait tout à l’heure l’air de rien à propos du Silencio : aujourd’hui vous vous retrouvez à jouer dans un lieu sélect, chic, branché…
Nigel et Joey : Oui…

Ce qui est bien dans tout ça c’est qu’en 2012 la seule question pop qui vaille c’est :  quelle qu’elle soit, cette musique me touche-t-elle ou ne me te touche-t-elle pas ?
Joey : Oui
Nigel : Exactement, mec.

Il n’y a plus vraiment de partis pris idéologique qui tiennent…
Nigel : Oui, c’est ça. C’est juste : cette musique est-elle bonne ou pas ?

On est dans le pur plaisir de la chose.
Nigel : Oui et c’est assez bizarre car quand on repense à ces années de rock alternatif, comme tout était assez idéologique, tranché, et qu’il fallait choisir son camp, ça faisait que tout ça était aussi beaucoup une question de pose parfois, de la mode. Mais voilà, c’est passé de mode car ça y est, ça s’est établi. Tout s’installe à un moment ou un autre et est dépassé, intégré, digéré.
Joey : La preuve : avant quand un disque sortait c’était un événement…
Nigel : Oui, et par exemple ce que je veux dire c’est que peu importe que tu aimes ou non notre disque. Si tu n’aimes pas, ça va, c’est ok, pas de souci. Mais si on s’était dit : « Ok, faisons un disque de rock alternatif. » Tu nous aurais dit : « Hé vous avez fait un truc binaire, pourquoi ? » Et je t’aurais dit : « J’ai fait ça parce que j’ai vraiment ressenti que je devais prendre position contre le monde d’aujourd’hui donc j’ai fait ce disque pour trouver la forme qui me permette et te permette de saisir ce monde dans lequel on vit. » Tu vois ? Tout ça c’est derrière nous. Je crois que le dernier disque sur lequel Joey a travaillé et qui revendiquait un peu ça c’était un album des Smashing Pumpkins et je crois qu’il ne préfère pas en parler alors qu’il a aimé y participer (rire général) !

Oui, Joey, tu as quelques batteries sur Adore des Smashing Pumpkins ?
Joey : Oui.
Nigel : Donc tu vois le problème c’est ce dogme « alternatif » qui fait que tu cherches à te positionner en marge. Bref, tu vois ce que je veux dire ? Je suis compréhensible ?

Oui.
Nigel : Ok, bon bah maintenant motus, j’ai trop parlé.

Qui écrit les paroles dans Ultraista ?
Nigel : Ah, les paroles ? C’est un peu tout le monde mais surtout Laura.
Laura : Oui.
Nigel : On a des méthodes collectives bien spéciales !

Vous vous faites des chocolats chauds et vous discutez des sujets à aborder ?
Nigel : C’est ça, sous une grosse couverture (rires) ! (La RP sonne le glas, clap de fin.)

Une dernière question : que signifie votre nom de groupe, Ultraista ?
Nigel : C’est le nom du mouvement poétique avant-gardiste de l’Espagne, qui remonte au début du 20e siècle. L’écrivain Jorges Luis Borges en faisait partie. Il était Ultraiste (né en 1919 ce mouvement mourra en 1922 peu après que Borges y ait consacré quelques textes théoriques et restera en marge de l’avant-garde européenne faute d’avoir proposé un principe esthétique original. Fortement influencé par le Dadaïsme, le Cubisme français, le Créationnisme chilien et le Futurisme italien, il prônait « toutes les tendances sans distinction, pour peu qu’elles expriment un désir de nouveauté » et se distinguait juste par « une vision fragmentaire et non plus unitaire du fait poétique » qui reposait sur la juxtaposition de vers libres entre eux – nda). J’ai découvert ce mot en lisant un de ses livres. J’ai bien aimé sa vibration.

Son pouvoir d’évocation poétique ?
Nigel : C’est ça. Parfois les gens nous demandent : « Avez-vous le manfieste Ultraiste avec vous quand vous jouez ensemble ? » Bien sûr que non, mais ce nom sonne bien et c’est pour ça qu’on l’a pris, parce qu’on le trouve beau, il ne faut pas y voir autre chose.

(OFF RECORD.)

2 réponses
  1. CVH
    CVH dit :

    ULTRAISTA, un album soigné.
    Du vieil électro Trip-Hop dépassé.
    Parfait pour habillage de pub’s…. ou déshabillage, tout dépend du produit à réclamer.
    Assez peu de trouvailles dans la production, le son, en fait.
    Une chanteuse comme toutes les autres… du moment (académies de stars) et d’avant (radio-karao-crochet).
    Un disque ennuyant.
    Pas de révolution ici !
    Nous n’allons pas le garder, ni le regretter.
    Mais le groupe a l’air sympathique.
    Au Silencio ça tourne…

    Par contre, l’itw est vraiment bien, tu arrive bien à glisser pour décrocher les infos que tu veux.
    Et c’est du plaisir pour nous, lecteurs.

  2. Sylvain Fesson
    Sylvain Fesson dit :

    Oui, j’ai essayé de lui faire un peu ma danse du boxeur/intervieweur pour le mettre un peu dans les cordes/off record… j’espérais décrochais quelques points à ce petit jeu ! Bien content de voir que, si ce n’est pas le ko, j’ai quand même touché à plusieurs reprises. Pour le reste, l’album, oui, pas de débat, on est d’accord…

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