LA FEMME INTERIEURE (LE PRINCE MIIAOU)

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26 mars 2014. 24h. Nantes. Salle micro de Stereolux. « Tu vas faire un live report ? », me demande Benjamin Mandeau. C’est le grand frĂšre et l’ingĂ©nieur du son de Maud-Elisa, alias Le Prince Miiaou. Je viens de lui ĂȘtre prĂ©sentĂ© Ă  l’occasion de cette soirĂ©e du festival Les Femmes s’en mĂȘlent par deux amis dont il mixe le premier album. Sa sƓur vient de sortir de scĂšne. Alors que ça dĂ©branche tout et qu’on revient Ă  nous, on l’a donc retrouvĂ© pour lui dire combien c’Ă©tait bien, « Merci pour l’invite ». Et je viens de lui tendre ma carte de journaliste musique Ă  Parlhot, d’oĂč sa question sur le report.

Pour la sortie le 27 janvier dernier de son troisiĂšme album Where Is The Queen ? Maud-Elisa a dĂ©jĂ  tournĂ© Ă  Nantes (la CitĂ© des CongrĂšs), la Rochelle (la SirĂšne), Lille (la PĂ©niche), Paris (le CafĂ© de la Danse), Strasbourg (la Laiterie), AngoulĂȘme (la Nef), Joue les Tours (le Temps Machine), Niort (le Camji), BillĂšre (L’ampli). Elle a mĂȘme eu un article dans Le Point qui la qualifie de « conquĂ©rante fragile »), plein d’autres sur des sites bien sĂ»r. Treize dates l’attendent encore jusqu’Ă  octobre dont une Ă  Londres et une Ă  Liverpool. Elle n’arrĂȘte pas, elle est lancĂ©e et moi je me rĂ©veille juste !

Je n’ai reçu et demandĂ© son dernier album qu’au moment de sa sortie. Je me suis rĂ©veillĂ© un peu tard car le prĂ©cĂ©dent, Fill The Blank With Your Own Emptiness, m’avait laissĂ© un impression un peu trop mitigĂ©e. Trop long. InĂ©gal. Gueulard aussi. Mon intĂ©rĂȘt pour elle avait baissĂ© depuis la parution du Safety First EP qui m’avait fait rĂ©aliser, je crois, sa toute premiĂšre interview le 10 septembre 2009. Mais via je ne sais plus quel blog, j’avais fini par tomber sur le single du nouvel album, « Happy Song for Empty People » et ça m’avait repĂȘchĂ©. J’avais trouvĂ© qu’il se passait quelquechose.

TitrĂ© en rĂ©fĂ©rence Ă  Happy Songs for Happy People (2003), quatriĂšme album des Ă©cossais post rock de MogwaĂŻ, le morceau dĂ©boulait comme une tornade. Mais, c’est marrant, la boucle vengeresse de son riff me rappelait un groupe plus pop, mais lui aussi Ă©cossais : Texas. Mais le Texas des dĂ©buts. Car dans cette dĂ©flagration immĂ©diate, je me prenais l’impression de dĂ©jĂ  vu du riff de « Beliefs », qui figure sur Mothers Heaven (1991), leur deuxiĂšme album. AprĂšs cet « Happy Song… » partait ailleurs, mais c’Ă©tait parfait pour fĂ©dĂ©rer avant d’emmener ailleurs. Comme un ouragan. Voleur.

Et l’album partait bien ailleurs. Les cuivres introduisant « Happy Song » avaient quelque chose de la majestĂ© baroque d’Hidden de These New Puritans. SacrĂ©e ouverture. Au milieu, « AliĂ©nore » ouvrait la boĂźte de Pandore du temps qui passe et de l’amour filial qui se perd et passe Ă  la trappe en laissant entendre la faille temporelle d’une voix de grand-mĂšre enregistrĂ©e par un rĂ©pondeur. Grand moment comme l’est « It Must Be a Sign » sur l’Aimer ce que nous sommes de Christophe. Et un peu partout des notes aiguĂ«s, Ă©lectro, bizarres. J’avais demandĂ© et reçu le disque, mais j’Ă©tais pas tombĂ© dedans.

Globalement au bout de 2-3 Ă©coutes je trouvais qu’elle se cachait encore trop dans un trip gros son et chant en anglais, que la petite grenouille se rĂȘvait hĂ©ros rock indĂ© voulant se faire plus grosse que le bƓuf : le syndrome Stuck In The Sound qui m’avait fait copieusement dĂ©tester Pursuit, leur dernier album, plein comme un Ɠuf. Je regrettais qu’elle ne fasse pas plus de chansons en français, il y en avait sur Safety First, son premier album. OĂč Ă©taient les chansons du coup ? Je l’avais dit Ă  son attachĂ©e de presse. D’ailleurs je lui avais aussi demandĂ© de m’envoyer le Fauve. Vieux frĂšres.

Et puis il y a eu ce concert au Stereolux. LĂ , il s’est passĂ© un truc. AprĂšs les prestations dispensables des mexicains de Lorelle Meets The Obsolete et des turques de Kim Ki O, Le Prince Miiaou nous a montrĂ© qu’on peut encore tordre ce qu’on appelle le rock pour en faire un truc bizarre et personnel : une Ă©criture, une Ăąme, une griffe. Il y avait Norbert Labrousse Ă  la batterie, François-Pierre Fol au violoncelle, au claviers et Ă  la basse, Yohan Landry Ă  la guitare, aux claviers et Ă  la basse et elle, Maud-Elisa au chant, Ă  la guitare et au clavier. Elle et, il faut le dire, sa prĂ©sence particuliĂšre.

J’avais dit aux gars de s’avancer quand le concert Ă  commencĂ©. Je voulais ĂȘtre dedans. Vivre le truc. Naturellement, je me suis retrouvĂ© Ă  l’Ă©cart, en marge d’eux, j’ai choisi ma place, j’Ă©tais bien, Maud-Elisa dans le viseur. Mode sniper. Elle a super maigri depuis que je l’ai rencontrĂ© mais j’ai toujours aimĂ© ce qu’elle dĂ©gage. J’aime son visage discrĂštement boudeur, farouche et garçonne Ă  la HĂ©lĂšne FilliĂšres et sa fine structure osseuse et sa timiditĂ©. A un moment, le matos a plantĂ©, pour meubler elle a jouĂ© « Tous les garçons et les filles », puis « Fill Your Blank… ». C’Ă©tait beau. Nu. Fragile.

© Emmanuelle Brisson

De la voir comme ça, j’aurais Ă©crit qu’ « Elle a cet Ă©trange pouvoir / D’effacer toutes les autres filles de mon regard / La Femme intĂ©rieure / J’ai un arc en moi / Qui se tend quand je la vois / La Femme intĂ©rieure / Elle a des airs garçonnes / Qui me dĂ©sarçonnent / La Femme intĂ©rieure / On lui voit les os / Comme au ciel les Ă©toiles / La Femme intĂ©rieure / Je dois m’en dĂ©tacher / Au risque de perdre pied / La Femme intĂ©rieure / La Femme intĂ©rieure / C’est vraiment quelque chose / Comme mon cƓur. » De la voir comme ça, je savais oĂč Ă©tait la reine. J’avais 17 ans. J’aurais Ă©crit un poĂšme.

Je repensais Ă  ces moments privilĂ©giĂ©s oĂč j’avais vu une autre auteur-compositeur-interprĂšte au nom de scĂšne proche du sien en concert, celle qui m’avait inspirĂ© ce premiers vers : AgnĂšs Gayraud, alias La FĂ©line. Je repensais Ă  elle, qui Ɠuvre dans un registre plus pop, intimiste mais qui est toute aussi talentueuse, avec ce feu particulier sous la glace. Je repensais Ă  AgnĂšs qui un jour m’avait demandĂ© quel Ă©tait mon animal prĂ©fĂ©rĂ© et Ă  qui j’avais rĂ©pondu, par bravade et en Ă©cho Ă  son nom de scĂšne : l’animal dans la femme. Je pensais pareil pour Le Prince Miiaou (Cat’s People/This is the graal).

Je suis rentrĂ© chez moi. J’Ă©tais excitĂ©. J’avais envie de rĂ©Ă©couter le disque, Where Is The Queen ? J’ai rĂ©Ă©coutĂ© et il s’est ouvert, j’ai senti ce qu’elle avait voulu faire, quelque chose de plus « moderne » et « de plus neutre au niveau de l’Ă©motion, qu’on ne sache pas si c’est joyeux ou triste » parce qu’avant elle Ă©tait « toujours dans l’un ou dans l’autre » d’une maniĂšre « un peu grossiĂšre », elle avait « sans le faire exprĂšs » « un gros cĂŽtĂ© annĂ©es 90 » comme elle le disait Ă  Lebonair sur concertandco.com (belle interview d’ailleurs, avec de trĂšs belles photos de Lika Banshoya). On Ă©tait donc d’accord.

Et elle aussi s’est ouverte. Elle a demandĂ© Ă  Norbert Labrousse, son batteur et compagnon de l’aider quand elle n’arrivait pas Ă  finir une chanson « au lieu de la jeter comme avant ». Un problĂšme dans l’instrumentation d’un couplet ? Comme il est aussi « multi-instrumentiste et arrangeur », il bossait de son cĂŽtĂ© et lui ramenait des choses, ce qui est notamment le cas sur « Suddenly » ou « Beloved Knife » (« c’est lui qui a trouvĂ© la guitare et la base des couplets »). Un ou deux autres titres ont bĂ©nĂ©ficiĂ© de ses talents. Et ça c’Ă©tait « hyper nouveau » pour Maud-E. Avant c’Ă©tait pas touche.

Aujourd’hui elle se verrait mĂȘme laisser le micro Ă  d’autres voix que la sienne, sur des choses qu’elle ne sait pas faire. Elle pense par exemple Ă  Christine And The Queens parce qu’elle « a beaucoup de groove » (« au lieu de la copier, je prĂ©fĂ©rerais qu’elle vienne le faire et je complĂ©terais derriĂšre »). Et ça ne m’Ă©tonne pas qu’elle pense Ă  HeloĂŻse Letissier, cette autre auteur-compositeur-interprĂšte française plus pop qu’elle. C’est une autre grosse control freak ultra douĂ©e, mais pas attachante comme peuvent l’ĂȘtre AgnĂšs et Maud-Elisa (trop arty hypokhĂągneuse Ă  la Camille pour ça).

Etre attachante, c’est presque le point fort du Prince Miiaou. A 29 ans, elle « fait partie de ces artistes autoproduits qui portent leur projet Ă  bout de bras et de ficelles » et s’improvisent « rĂ©alisatrice, chef opĂ©ratrice, monteuse », comme l’Ă©crira un journaliste de L’Express. En 2011, cette fille d’antiquaire-Ă©bĂ©niste rĂ©alisera mĂȘme 90 boĂźtiers en bois pour les versions promo de son disque. Elle dĂ©pense de l’Ă©nergie et parfois « le manque de qualitĂ© est compensĂ© par le fait que je donne de ma personne », dit-elle. Ça crĂ©e une proximitĂ© avec le public. » La voir live a donc jouĂ© sur ces cordes sensibles.

Certains disques demandent du temps et grĂące Ă  ce show mĂȘme pas parfait j’Ă©tais donc enfin dans la reine. J’Ă©tais au centre de sa toile Ă©minemment complexe et ciselĂ©e, j’en voyais le dessin d’ensemble et les principes gĂ©omĂ©triques et l’Art rĂ©gner comme Maud-Elisa elle-mĂȘme, toute cĂ©rĂ©brale qu’elle est, n’avait pas pu le prĂ©voir. J’aimais cette nouvelle concision, 11 morceaux, pas un de trop, et la mystĂ©rieuse narration des sept teasers vidĂ©o : « AliĂ©nore », « Crystal Haze », « Beloved Knife », « JFK », « Ulrik », « Alaska », « Suddenly ». LĂ  quelque chose s’exprimait. Profond. Art rock.

J’Ă©tais en mode psychopathe, et dans ces moments-lĂ , je suis instoppable, je me fais peur moi-mĂȘme, je veux pĂ©nĂ©trer, savoir, ĂȘtre the one. Je rĂ©Ă©coutais ses anciens albums, y retrouvais de belles choses, et Where Is The Queen, en boucle, encore et encore. Ça me paraissait Ă©vident, oui, oui, j’avais envie d’un truc. Quelque chose s’Ă©tait passĂ©. Je l’ai dit Ă  sa RP. C’Ă©tait comme cet aveu en quittant la salle, quand j’avais remis ma carte au frĂšre, genre : « J’Ă©tais lĂ , cat’s eye, et je kiffe ta sƓur, I need more, que le show continue pour moi seul ». « Et non, non, je ne fais plus de live report. » Interview.

© Emmanuelle Brisson

Facebook du Prince Miiaou

Photos 2 et 3 par Emmanuelle Brisson