NICOLAS GODINÂ : AIR (2)
24 fĂ©vrier 2012. 10h20. Paris 19e. « Le vrai amour, c’est quand ce qui est vĂ©cu n’est pas dangereux pour les autres » vient de me confier Nicolas Godin. Nicolas Godin ? Oui, l’un des deux membres de AIR, celui qui a les cheveux couleurs tabac Ă rouler. L’amour ? Oui, ça fait quelques vingts minutes que je l’interroge seul Ă seul dans son studio pour le compte du journal Philomag.
Je me demandais si ce genre d’entretien avec ses questions orientĂ©es confessions philosophie de vie serait une bonne porte d’entrĂ©e pour, au passage, obtenir des rĂ©ponses sur des choses que l’habituel cadre d’interview musicale n’aurait pas permis. Enfin j’avais l’intuition que c’en serait une comme quand parler foot avec Richard Ashcroft me l’avait mis Ă l’aise pour mieux parler rock ensuite.
Ça me semble bien se passer. Godin n’est pas le roi de la dĂ©conne mais vraiment disposĂ© Ă rĂ©pondre Ă chacune de mes questions, Ă s’immerger, rĂ©flĂ©chir avec moi, et pas du tout gĂŞnĂ© de parler d’autre chose que du Voyage dans la lune, la BO que lui et Jean-Benoit Dunckel ont faite sur le film de MĂ©liès. Ça doit mĂŞme l’arranger, ça fait 4 mois qu’ils en assurent la promo d’un pays Ă l’autre.
A vrai dire si le disque a Ă©tĂ© reçu unanimement comme un super disque, genre « le retour de AIR au plus haut niveau », c’est que ça excitait toute une gĂ©nĂ©ration de reparler lune, ça remettait le duo en lumière comme au premier jour, celui de Moon Safari, une belle histoire, vieille d’il y a près de 15 ans. C’Ă©tait, oui, ça sentait la nĂ©cro, l’embaumement et end of the story. Et je sens que lui le sait.
Je n’ai pas beaucoup Ă©coutĂ© Le Voyage dans la lune ni regardĂ© le film de MĂ©liès avant de rencontrer Nicolas Godin, je n’en ai pas eu envie, ça ne me semblait pas une aventure, ça ne me disait rien de mes rĂŞves et de ma vie, contrairement Ă Moon Safari, Virgin Suicides, 10 000 Hz Legend, Talkie Walkie et mĂŞme Love 2, le dernier, que je trouve fort joli, sous estimĂ©. Mais je me sens rĂ©glo.
L’avenir nous dira que c’en est bel et bien fini d’AIR. Après les diverses escapades de son comparse avec Darkel et Tomorrow’s World, Nicolas cĂ©dera enfin Ă ses propres sirènes. Et, dĂ©but juin 2015, sortant sur le net le premier single d’un premier album solo prĂ©vu pour l’automne chez Because Music, il dira qu’il a fait ce qu’il avait Ă faire avec AIR et qu’il voulait grandir musicalement.
En allant le rencontrer je me demandais si on m’avait refilĂ© le meilleur interlocuteur du duo, le plus inspirĂ©, perchĂ©, qui a vraiment les rĂ©ponses Ă mes questions. Je n’avais pas encore rencontrĂ© JBD. Ce single viendra confirmer mes impressions eues pendant cet entretien : c’est bien lui, Nicolas, l’Ă©lĂ©ment iconoclaste d’AIR, le plus dandy, fuck off, tranchant, moderne. Sexy boy après tout.
A l’Ă©coute de ce bel « Orca », l’ami Denis Jacquinet connu en tant que auteur compositeur interprète sous le pseudonyme de Jacques Air Volt me dira mĂŞme, avec force points d’exclamations, que c’est exactement ce qu’il attendait d’un mec d’AIR en 2015. « Ecrire tout en contre-point avec des sons actuels, de la recherche, du progressif, loin du formatage actuel. Yeah ! Super ! I’m happy ! »
Je n’en penserai pas moins après ces Ă©tonnantes 2’23’. Issues d’un album dont j’apprendrai par voie de presse qu’il s’intitulera Contrepoint, puisera son inspiration dans 8 Ĺ“uvres de musique classique du 18e siècle, dont Bach, et aura comme « guide spirituel » le pianiste Glenn Gould, ça titillera ma curiositĂ©. En attendant il me reste une vingtaine de minutes avec Nicolas Godin. Reprenons !
« Nous, on n’est pas des amis, on est des musiciens »
Nicolas, quel est le banquet de ta vie ?
Tu veux dire au niveau de la sociabilité ou au niveau de la nourriture ?
Comme tu le sens !
Venant d’un milieu bourgeois, je dirai dĂ©jĂ que pour moi le banquet Ă©voque un truc plombant. Ça fait tout de suite mariage de convention (sourire), la grande table, le machin. Et puis pour ce qui est des mets moi je suis fou de nourriture japonaise. Je connais des endroits au Japon oĂą c’est limite pas concevable comme expĂ©rience tellement t’as un feu d’artifice au moment oĂą tu manges. C’est une expĂ©rience proche de l’épiphanie. Et sinon, oui, l’amitiĂ© passe par le fait de se retrouver autour d’une table et ce que j’aime dans Paris c’est moments oĂą on sort dĂ®ner et on refait le monde avec ses amis. C’est un des grands plaisir de la vie pour moi.
Quel que soit l’âge.
Oui, quel que soit l’âge, quel que soit le milieu, c’est vraiment un des grands plaisir de la vie. Il ne faut pas ĂŞtre matĂ©rialiste et il faut privilĂ©gier ces moments-lĂ parce que finalement c’est la seule richesse qu’on ait. La richesse matĂ©rielle n’est qu’illusion. Nous qui habitons Ă Paris on le voit bien parce que quand on achète un appartement on s’aperçoit qu’il y a au moins eu 5, 6, 7, 8 propriĂ©taires avant nous et qu’après nous y’en aura autant. Rien ne nous appartient. En revanche on est riche des moments d’amitiĂ© et d’extrĂŞme sociabilitĂ© et je pense que c’est la seule chose qui vaut le coup d’être vĂ©cue.
Qu’en est-il pour toi du partage musical entre vous et votre public. J’imagine qu’il doit lui aussi valoir le coup d’être vĂ©cu, non ?
Oui, et en ça je me suis dĂ©couvert altruiste parce qu’en fait en tant que musicien nous on Ă©tait plutĂ´t des gens isolĂ©s. Au lycĂ©e on se rĂ©fugiait dans le monde de la musique. Mais en jouant les morceaux sur scène j’ai dĂ©couvert Ă quel point on pouvait donner du plaisir aux gens et ça m’a Ă©normĂ©ment redonnĂ© de l’amour propre. J’étais très très fier de ça, très heureux de me voir avoir ce rĂ´le-lĂ dans la sociĂ©tĂ©. Finalement c’est une grande rĂ©compense de faire quelque chose qui donne du bonheur aux gens. On a toujours fait de la musique parce qu’on Ă©tait un peu les vilains petits canards et tout d’un coup on se retrouve Ă soulager les gens pendant une heure et demie, Ă leur faire oublier leurs problèmes et leur faire du bien et je trouve que c’est une des plus belles rĂ©compenses qu’il m’ait Ă©tĂ© donnĂ©e dans la vie, faire ce mĂ©tier pour ça.
Etre sur scène pour donner du plaisir aux gens n’est-ce pas un exercice qui a certaines limites ? Je me rappelle du DVD Eating, Sleeping, Waiting and Playing que vous aviez sorti en décembre 1999 après votre première tournée mondiale…
Ouais, ouais, ouais (sourire) ! A l’Ă©poque, j’avoir pas encore compris ça. Il m’a fallu au moins trois tournĂ©es pour que je comprenne ça. LĂ comme c’était la première tournĂ©e, j’étais un peu dĂ©passĂ© par les Ă©vĂ©nements. Le fait de prendre confiance en moi, d’acquĂ©rir de la maturitĂ© et de l’expĂ©rience m’a permis de voir le bon cĂ´tĂ© des choses et je me suis rendu compte que ce cĂ´tĂ© altruiste est un des plus beaux rĂ´les qu’on peut jouer dans une existence, quoi.
Ce film documentaire sur votre première tournée pointait l’écueil de se faire happer par une routine machinique et de devenir soi-même une machine, lessivé.
Ouais, mais il faut se dĂ©passer sur scène, donner le meilleur de soi-mĂŞme, et il faut avoir fait de bonnes chansons comme t’es heureux de les jouer. Si tes chansons sont solides et si tes harmonies sont bien goupillĂ©es entre elles, t’auras toujours plaisir Ă jouer cette mĂ©canique. Parce que tu seras pris dans la magie des grandes chansons. Par contre si t’es pas fier de ton travail, là ça peut devenir un autre engrenage. Mais regarde les Rolling Stones qu’ont 50 ans de carrière, quand ils jouent une de leurs fabuleuses chansons cette magie opère toujours, je pense. Enfin j’espère. En tous cas moi, sans ça, je le ferais pas. Au nom de la libertĂ© dont je parlais tout Ă l’heure j’aurais aucune raison d’être sur scène si je m’y faisais chier. Je m’en foutrais complètement. J’ai pas besoin d’être sur scène…
Surtout qu’on ne peut pas dire qu’AIR soit le prototype du groupe de scène, le prototype du groupe qui joue une musique incarnĂ©e…
Alors de plus en plus, parce qu’on commence Ă avoir un grand rĂ©pertoire et que justement, on est heureux de jouer nos morceaux sur scène. En plus, Ă cause d’internet, le disque est devenu de moins en moins important dans la vie des gens or quand tu fais de la musique tu veux faire quelque chose qui soit important pour la sociĂ©tĂ© sinon y’a pas de plaisir Ă le faire, quoi. Faire un disque si les gens s’en foutent parce que y’a plus de magasins, plus rien, c’est un peu con, quoi. Donc beaucoup de l’avenir de la musique va se concentrer sur la scène.
Oui, mais Ă titre personnel tu ne t’en fous peut-ĂŞtre pas du dĂ©sintĂ©rĂŞt pour le disque ?
Si. Parce qu’avant en fait quand tu faisais un album t’avais derrière l’idĂ©e de faire une oeuvre d’art or aujourd’hui le fait que cette oeuvre d’art n’ait plus de place dans le marchĂ© ça nique tout pour moi. Ça me coupe l’envie, quoi. Moi, j’achète plus de disques par exemple. J’ai perdu ce goĂ»t d’acheter des disques.
MĂŞme des vinyles ?
Oui, j’écoute surtout des chansons, des trucs comme ça, via YouTube. Et le fait que le support physique ait globalement disparu ça me donne moins envie d’en fabriquer, tu vois ? Je pense que c’est comme un peintre : si sa toile n’existait plus et si sa peinture était destinée à être juste vue à travers des écrans, je sais pas si il aurait envie de peindre. C’est bizarre, quoi.
Mais le geste musical d’AIR existe-t-il hors album ?
Bah oui parce qu’on a qu’une vie et peut-ĂŞtre que c’est une nouvelle phase dans notre carrière. On a peut-ĂŞtre moins envie de sortir des disques que de jouer sur scène. En tous cas ce qui est important c’est d’Ă©viter la routine, de pas se forcer Ă faire un album tous les 2-3 ans. Nous, on en a fait des albums, on en a fait des beaux, je pense qu’on en a mĂŞme faits qui appartiennent Ă l’histoire de la musique, qu’humblement on a mis notre petit cailloux…
Dans l’histoire de la pop ! Avec quels disques d’après toi ?
Je pense que c’est le cas avec Moon Safari ou avec des chansons comme « Sexy Boy » ou « Virgin Suicides » (il veut parler du morceau phare de sa BO, « Playground Love » – nda). C’est des petits classiques, quoi. Donc dĂ©jĂ , quand t’es musicien t’es content d’avoir fait ça. Après la musique, y’a tellement de manière de la vivre…
Tu n’as donc pas le sentiment qu’il vous faille encore apporter un bel album d’AIR ?
Non, parce que moi je fais ça en fonction du dĂ©sir que j’ai quand je me lève le matin, j’ai pas l’envie de laisser une ?uvre, ce que je veux c’est faire quelque chose qui m’intĂ©resse et si ça m’intĂ©resse plus de faire un disque, je le fais plus, je m’en fous complètement, voilĂ quoi.
Quelle maxime souhaiterais-tu transmettre Ă tes enfants ?
L’expérience est une lanterne qui n’éclaire que soi (il cite/paraphrase Confucius – nda).
AĂŻe ! La transmission on oublie alors.
Oui, je pense qu’on ne peut rien transmettre aux enfants ! Ce qu’on peut juste faire c’est vivre sa vie, il en restera toujours quelque chose pour les enfants qui nous ont cĂ´toyĂ©s. Par exemple si tu les mets au contact du Beau tout le temps, Ă la fin il en restera quelque chose, par contre si tu leur montres quelque chose en leur disant : « C’est beau » et en leur expliquant pourquoi, je sais pas s’ils vont en retenir grand-chose. Je suis donc pas trop dans la transmission, tu vois. Je pense qu’il faut juste les faire baigner dans un environnement. Moi c’est comme ça que j’ai appris, par l’exemple. J’étais très entourĂ© de gens brillants qui ont toujours laissĂ© les enfants vivre leur vie et finalement on en a tous retenu quelque chose.
De quoi n’as-tu pas encore accouché ?
Euh… (Long silence.) Je sais pas parce que la musique c’est du ressenti et en clair moi je suis un bon musicien, c’est mon domaine et donc…
Un album solo peut-ĂŞtre ?
Ouais, nan, le truc c’est qu’on ressent des choses et qu’on se demande après comment les gens vont aussi pouvoir ressentir ce ressenti. Donc avec un instrument on cherche Ă exprimer cette idĂ©e. C’est extrĂŞmement abstrait, on se dit pas : « Tiens, je veux accoucher de ça » Ce qui va sortir, c’est la surprise Ă chaque fois. On sait pas sous quelle forme ça va exister. On sait juste que la forme finale doit correspondre Ă ce qu’on ressentait. Donc je peux pas vraiment dire qu’il y a quelque chose qui me manque. J’ai pas d’objectifs, voilĂ .
Pas un thème ni un concept actuellement en tête ?
Non.
Tu n’as juste pas accouché de ta nouvelle surprise ?
VoilĂ .
Et faire un album solo, comme l’a fait ton comparse Jean-BenoĂ®t, ça te dirait toi ?
Euh en fait moi non parce que c’est pas moi. C’est juste j’entends des sons dans ma tête et j’ai envie de les entendre dans les enceintes. Alors après si Jean-Benoit veut le faire avec moi on le fait avec AIR et si il veut pas, je peux aussi le faire de mon côté, mais tu vois c’est pas comme ça vraiment que je résonne.
Musicalement, c’est ça qui vous différencie ?
Je pense, oui. En plus je pense que si je devais faire quelque chose hors d’AIR ce serait pour prendre des vacances d’AIR, pas rĂ©pĂ©ter le mĂŞme système : faire des photos, faire des clips. Au contraire, je chercher au contraire Ă m’échapper de tout ça, quoi.
Tu en as envie ?
Oui, j’ai envie de vivre la musique d’une manière autre que dans les contraintes d’une carrière à la AIR en fait. Ce serait pour ça que je ferais des choses en solo. Pas pour faire du AIR avec un autre nom.
Je vois. Le fonctionnement de AIR est d’ailleurs assez mystĂ©rieux, dans les compositions on ne sait pas qui fait quoi…
Oui, il l’est aussi pour nous parce que c’est une alchimie. Quand on est tous les deux en studio il se passe un truc, c’est très bizarre. Quand on est tous les deux on est comme une troisième personne, une sorte de magie opère et on en est tĂ©moin. TĂ©moin impuissant je veux dire.
Et cette alchimie continue ?
Ouais, après ce qui nous lie c’est quand mĂŞme : « Est-ce que ce qu’on fait est bien ? » et c’est ça qui est important, c’est pas tellement : « Est-ce qu’on doit continuer ? » ou « Est-ce qu’on doit se sĂ©parer ? » Si on a des choses Ă dire on les dira, si on n’a plus rien Ă dire on se taira. Qu’on ait envie ou pas d’être ensemble, je veux dire, c’est pas ça qui compte, vraiment on s’en fout un peu. Nous on est des musiciens et mĂŞme si on s’est connu très jeune, on n’est pas Ă proprement parler – Ă©tymologiquement parlant – des amis. Moi par exemple ça me viendrait pas Ă l’idĂ©e de faire de la musique avec des amis, ça me ferait mĂŞme chier, tu vois ? Nous, on est des musiciens et quand on se met ensemble on devient une super machine musicale. C’est une expĂ©rience assez passionnante Ă vivre mais si un jour elle se met Ă tourner Ă plat, c’est clair qu’on sera plus ensemble. C’est uniquement ça le moteur.
Donc a priori la symbiose artistique entre vous est toujours d’actualitĂ©. Ce qui le semble un peu plus, c’est votre aura mĂ©diatique, le dĂ©sir qu’AIR suscite. Entre la fin des annĂ©es 90 et le dĂ©but des annĂ©es 2000 votre musique et votre imagerie incarnait quelque chose de l’Ă©poque, de sa modernitĂ©. Mais Ă mesure que vous vous ĂŞtes installĂ©s et ĂŞtes entrĂ©s dans l’âge adulte, vous ĂŞtes devenus comme des musiciens « classiques » et vous ĂŞtes sortis des radars. D’ailleurs avec la BO du Voyage dans la lune que vous venez de publier vous faites explicitement la bande son d’un film passĂ© qui appartient au patrimoine, comme si vous Ă©chappiez de plus en plus Ă votre Ă©poque…
Non, je pense que ce qu’il y a de très bizarre avec la vague musicale qu’on a appelĂ© la French Touch, c’est que tous ces groupes – que ce soit Daft, nous, Phoenix, Tellier – ont une espèce de rapport Ă©troit Ă la nostalgie. Et on cultive ce pĂ©chĂ© mignon, c’est la source d’inspiration de nos musiques. Nos styles diffèrent mais ils sont tous axĂ©s sur la nostalgie. Les groupes des autres pays ne sont pas comme ça.
C’est un rapport au rĂŞve, au paradis perdu, Ă une grandeur perdue ?
Ouais, on fait de la musique nostalgique, c’est bizarre (l’attachĂ©e de presse ouvre la porte, signe que ça fait plus de trente minutes qu’on y est et qu’il va falloir conclure – nda). Très bizarre. Regarde les Daft avec Albator… c’est bizarre (il veut parler des clips de Discovery, leur deuxième album, tous rĂ©alisĂ©s par le père du Corsaire de l’espace – nda). Je sais pas pourquoi mais les groupes français qui ont marchĂ© ont tous puisĂ© quelque chose de la nostalgie d’un paradis perdu et ils ont fait une carrière lĂ -dessus, oui. Phoenix c’est exactement ça aussi. Et… c’est très bizarre. Nous c’est pareil : on est en plein dedans. Vraiment. On est tous pareil. Je vois mĂŞme M83 lĂ , et c’est ça : le pĂ©chĂ© mignon de faire carrière sur la nostalgie.
Oui, et cette nostalgie est bien incarnĂ©e par la lune, ce morceau de Terre qu’on regarde dans le ciel. Elle vous dĂ©fini pas mal cette lune-carne… !
Ouais, ouais (sourire).
C’Ă©tait d’ailleurs assez caricatural de vous voir faire la BO du film de MĂ©liès Le Voyage dans la lune. Dans tous les articles les journalistes vous parlaient d’une boucle bouclĂ©e avec votre premier album, Moon Safari. Quel regard tu portes sur ça ?
Bah je trouve ça assez juste en fait.
Quel est ton truc pour corrompre la jeunesse ?
Oh la la, corrompre la jeunesse… ?! La société corrompt la jeunesse. Parce que quand on est jeune on est libre, on fait des choses incroyables et après on oublie ce qui se passe, pourquoi on perd tout ça, tout notre temps, toute notre imagination, toute notre originalité…
Quand je dis « corrompre », je veux dire dĂ©tourner Ă ton propre compte, subvertir…
Euh bah encore une fois quand on est libre ça n’existe pas la subversion. C’est-Ă -dire que moi, par exemple, je comprends pas les rebelles. Nous contre quoi on pouvait bien se rebeller ? On a toujours fait ce qu’on a voulu. Tu vois, toutes ces notions de corruption/rĂ©bellion, c’est mĂŞme pas dans notre champ de vision parce que depuis le dĂ©but y’a jamais eu de carcan pour nous.
Dirais-tu que ton truc pour pour sĂ©duire les jeunes est justement liĂ© Ă la nostalgie d’un monde meilleur que tu laisses planer dans ta musique ?
Je sais pas. Je me suis jamais posĂ© la question. En plus moi j’ai un problème, c’est que j’ai toujours vu les enfants avec la connerie des adultes et les adultes avec la bĂŞtise des enfants. Quand j’Ă©tais enfant je voyais les enfants avec la mĂ©chancetĂ© des adultes et quand je suis devenu adulte j’ai vu les adultes comme des enfants puĂ©rils. Du coup pour moi les notions de jeunesse et de vieillesse sont complètement floues. Pour moi la notion d’âge est transversale, elle se dilue Ă tous les stades de l’existence, quoi.
La belle mort pour toi ?
Euh, bah je dirai sans souffrance. Oui, je sais, c’est enfoncer une porte ouverte mais bon…
Partir sans souffrance au son d’une belle musique ?
Ouais. Ça me rappelle une très belle phrase… Comment il s’appelle cet Ă©crivain ? Qui a fait L’objet du scandale ? C’est un canadien. De la première moitiĂ© du 20e siècle. Il a aussi Ă©crit Un homme remarquable. Un Ă©crivain fabuleux… (fin du suspense, c’est Robertson Davies – nda). Tu vois, comme j’ai bu hier, ce matin j’ai pas toute ma tĂŞte. Bref, et donc Ă un moment le hĂ©ros d’Un homme remarquable, qui est un type assez fascinant, une espèce de mec gĂ©nial, un puriste, mais dans le bon sens du terme, pas dans le sens fasciste, au moment oĂą il se sent mourir il s’assoit chez lui au milieu de toutes ses Ĺ“uvres d’art – parce que c’était un peintre soi-disant faussaire mais pas vraiment en fait parce qu’il ne copiait pas des tableaux, il faisait juste les siens Ă la manière du 18e siècle – et bien ce type au moment de mourir il s’assoit sur son canapĂ©, elle arrive et il dit : « Ah ! c’est donc ça la mort ? » Et ça, j’ai trouvĂ© ça fabuleux, quoi. Il faut que tu lises ce bouquin, il faut que tu retrouves cet Ă©crivain. C’est un mec assez gĂ©nial. Un grand barbu, canadien. J’ai tous ses livres. Je les ais tous lus.
Dernière question avant que je me dise : « Ah ! C’Ă©tait donc ça d’interviewer Nicolas Godin !? ». C’est bizarre car j’ai souvent fait un parallèle entre AIR Ă Radiohead, comme si vous Ă©tiez les deux revers d’une mĂŞme mĂ©daille, pile la France et face les Etats-Unis, enfin le Royaume-Uni, le monde anglo-saxon et une certaine modernitĂ©, tu vois ?
Ouais.
Toi, quel est ton rapport Ă Radiohead dont tu as peut-ĂŞtre rencontrĂ© des membres par l’intermĂ©diaire de leur producteur Nigel Godrich, qui a produit Pocket Symphony ?
Euh… C’est bizarre. Enfin, Radiohead on a une grande admiration pour eux artistiquement et en mĂŞme temps… VoilĂ c’est des… ils ont quelque chose de… (Long silence.) Je sais pas. Nous on est tellement unique, je pense que je pourrais mĂŞme pas me comparer eux…
Au-delĂ d’une comparaison qui n’a peut-ĂŞtre pas lieu d’ĂŞtre, qu’est-ce qu’ils t’Ă©voquent en tant que mĂ©lomane et auditeur ?
Comme nous, eux ils savent jouer. Je veux dire, avant on exigeait beaucoup des musiciens et depuis 300 ans Ă chaque gĂ©nĂ©ration cette exigence diminue. Quand t’écoutes France Inter et que tu vois ce qu’on attend d’un musicien au niveau connaissances, technique, capacitĂ©s et habiletĂ© musicale, ça n’a plus rien Ă voir avec ce qu’on leur demandait y’a 300 ans. Et eux, c’est des bons musiciens, c’est des bons compositeurs. C’est lĂ , pour moi, qu’il y a une connivence entre nous.
C’est dans cette exigence commune d’élever le niveau esthétique en pop musique ?
Ouais, et nous on est parfois super frustré quand on écoute de la musique en tant que matière première parce que y’a pas assez d’accords et pas assez de sophistication dans l’écriture.
D’accord.
Voilà (il se lève, se dirige vers la porte de sortie – nda) !
Bah merci.
C’était mieux d’avoir fait ça en live (il ouvre la porte , passe vite à autre chose – nda).