LE PRINCE MIIAOU : WHERE IS THE QUEEN ?

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3 avril 2014. 18h00. Nantes. Par mail. « Merci d’avoir fillé les blanks », lis-je, soulagé, au bout d’un long scroll down. Maud-Elisa Mandeau/Le Prince Miiaou vient donc de répondre aux questions que je lui avais adressées pour la sortie de son nouvel album, Where is the Queen. Et vite. J’étais dehors quand j’ai vu ça tomber (par le biais de sa RP) sur mon smartphone. J’avais hâte de lire ça. J’avais l’impression qu’en lisant cela j’aurais des nouvelles des étoiles, de l’au-delà, qu’il se passait enfin quelque chose quoi. Je suis rentré dare dare chez moi. Sur mon tel, le fichier ne s’affichait pas.

« Merci d’avoir fillé les blanks », c’est la petite formule clin d’œil – au titre de son deuxième album, Fill the Blank with Your Own Emptiness – que je lui avais glissée en toute fin de questionnaire pour la remercier d’avance de s’être prêtée à l’exercice souvent relou de l’interview par mail. Surtout que là j’avais particulièrement chargé la mule. Je craignais donc qu’elle soit comme réduite au silence par un interrogatoire trop dense, poussé, et que je me retrouve comme un con avec du « blanc » entre mes questions. Qu’elle ne veuille pas en dire plus que ce que ses morceaux disent déjà.

Et, sans être bavardes, les chansons du Prince Miiaou en disent long parce qu’elle s’y met à nu. C’est pourquoi on la compare souvent à ses consœurs anglo-saxones que sont censées être Cat Power et PJ Harvey. Sans doute pour ça que, s’échaudant elle-même à livrer ses affects, elle préfère chanter en anglais et échafauder avec sa gratte et son ordi des murs de sons et d’émotions héroïques comme savent le faire Mogwaï et Arcade Fire. Elle s’ouvre tellement que pour se protéger elle nous en balance plein la gueule. C’était parfois le défaut de ses premiers albums : manque de « vide ».

Son nouvel album ouvre de nouvelles perspectives. Si elle ne concède rien sur le terrain de la langue (english !) et qu’elle crache toujours son venin (bitch !), formellement Maud-Elisa s’affranchi et tord le cou à son péché originel. Fini le grand déballage 90’s, tout est plus ciselé. Des angles accointants avec les univers inattendus de These New Puritans et de Mansfield Tya apparaissent alors, fuyants, jouant avec l’ombre et la lumière. C’est plus mystérieux, évocateur. Mais au fond c’est la même tartine de merde : « Despite of my (r)age I’m still just a rat in a cage » comme dirait Corgan.

A bientôt 30 ans, elle a beau s’être retranchée dans une vie de couple à la campagne avec son batteur et parler d’avantage des autres dans Where is the Queen ? elle en revient toujours à elle, à ce combat intérieur, ce noyau dur, cette menace d’effondrement qui fait voir la fin de l’amour alors qu’on le vit (« Beloved Knife »), oublier à quoi ressemble notre cul alors que c’est le kif (« Country Bliss ») et donne envie de se foutre des beignes tellement on fait parfois nimp’, c’est le bordel. (« Alaska »). Elle est comme ça Maud-Elisa, déestructrice, « Prince Maud-E ». Sincèrement dure avec elle.

Un jour PJ Harvey a dit qu’elle n’aimait pas son corps. J’ai pensé : « Donne ! ». Et c’est ce qu’elle fait en quelque sorte. Elle se donne. Et je crois que c’est pour ça que Le Prince Miiaou lui est comparée. Plus pour le côté cathartique, « Je me livre au mal » que pour le côté « Je suis une nana à guitare ». N’ai-je pas d’ailleurs un jour entendu quelqu’un me dire : « Elle, on dit qu’elle couche » ? Et c’est aussi/surtout pour ça qu’on l’aime Maud-Elisa/LPM, parce qu’elle ne s’aime pas, parce qu’elle se (mal)donne. Pour ça que moi je l’ai dans le viseur. Ce côté « Rape Me ». La biche et la bitch.

Son attachée de presse m’avait dit qu’elle pouvait être « loquace par écrit » mais mettre « parfois un peu de temps à répondre ». L’attachée de presse était en vacances, l’artiste en pleine tournée. C’était pas gagné mais par un petit miracle du jour au lendemain je recevais tout clé en main. Maud-Elisa avaient fait sienne mes questions. Tellement que j’avais l’impression qu’on venait d’écrire un texte « à quatre mains » comme il m’arrive de le croire quand l’échange a vraiment lieu et qu’il vient combler illusoirement – pour un temps – cet espace en nous et entre nous. Heroïnterview.  

« Oui, je suis un peu frustrée… »

 

  © Emmanuelle Brisson

Bonjour Maud-Élisa. C’est bizarre : de t’avoir vu y’a quelques jours en concert à Nantes ça m’a donné envie de réécouter ton dernier disque et du coup je suis vraiment tombé dedans alors qu’avant, après 2-3 écoutes, je le trouvais encore trop chargé et inégal. Ça t’est déjà arrivé une telle expérience ?

Pas vraiment ! Je ne vais quasiment jamais voir de concerts, du coup je suis rarement ramenée à un disque par le biais d’un concert. En revanche, ça arrive souvent que des gens qui n’accrochent pas trop sur mes disques apprécient les concerts du Prince Miiaou (smiley).

En fait, j’ai l’impression que cet album est très construit, plus que ses prédécesseurs même, qu’il a un début (« Happy Song for Empty People »), un milieu (« Aliénore ») et une fin (« Suddenly »). Comment c’est venue cette construction, un peu au hasard, sur le tard ?

C’est curieux, car il a été fait comme les autres, c’est-à-dire sans concept, sans logique. Je cumule des morceaux qui ont un lien parce qu’ils sont faits par la même personne, mais c’est à peu près tout. Dans mon cas le tracklisting arrive toujours au dernier moment, celui du mastering. J’avais depuis longtemps l’idée de mettre « Happy Song… » en premier (de part l’ouverture « grandiloquente » limite second degré des cuivres). En revanche pour le reste c’est assez naturel. Il faut trouver un rythme dans le déroulé d’un disque, alterner des choses calmes et d’autres plus rythmées ou plus agressives, faire une pause dans la densité. Dans l’album « Aliénore » a par exemple le rôle d’intermède et « Suddenly », par pur hasard, celui de conclusion aussi bien dans les paroles que dans sa construction, c’est pour ça qu’on l’a mis à la fin. Dans le cas de cet album, on n’a pas hésité très longtemps sur l’enchaînement des morceaux car pour un bon déroulé il n’y avait pas 50 solutions.

Cet album est même, je crois, ton premier à ne compter que 11 morceaux pour moins de 40 minutes de musique, ce qui fait qu’on peut l’écouter en boucle. C’était volontaire de faire court ? Ta vision de l’album a changé ? Et est-ce que ça a été une souffrance de couper ?

Depuis deux disques déjà je me dis : « Je fais un album court ». Sur Safety First tout comme sur Fill The Blank With Your Own Emptiness j’ai toujours mis LE morceau de trop, voire deux morceaux de trop. Ces morceaux (qui ne sont jamais les mêmes selon les avis, ce qui rend le choix difficile !) peuvent étouffer un disque, lui faire perdre de sa cohérence et de sa tenue mais à chaque fois je n’arrivais pas à me décider et du coup je gardais tout. Pour Where is the Queen, je m’y suis tenue ! Je me rappelle que pour me décider je suis allée regarder les durées d’albums de pleins d’autres artistes que j’aime et tous faisaient moins de 40 minutes, ce qui m’a rassuré sur le fait que j’avais le droit de le faire (je ne sais pas si c’est une bonne logique !)

A propos de douleur, après une intro cuivrée majestueuse et baroque qui m’a évoqué certains climats d’Hidden de These New Puritans, l’album s’ouvre donc sur « Happy Song for Empty People » et là, à tous les niveaux ça dégaine, le riff est imparable, il a la carrure d’un hit et l’ensemble du morceau semble avoir valeur de manifeste. C’est quoi ? Une réaction au morceau de Pharrell Williams qui enterre le credo du rock indé, « happy being sad », sous-entendu la tristesse est la vérité, en proclamant profondément l’inverse : « Happiness is the truth » ?

Non, ce n’est pas une réaction au morceau de Pharrell Williams ! à l’époque « Happy » n’existait pas encore (je le sais, je sortais juste l’épouvantail « Happy » pour générer une forte réaction – nda). « Happy Song for Empty People » est un morceau que j’ai composé après un rendez-vous dans une maison de disque. L’attitude et le discours sur la musique de mon interlocuteur m’a rendu triste mais m’a surtout vraiment mise en colère, d’où le fait que la couleur de ce morceau soit rock et que la batterie « tabasse ». Le titre du morceau est ironique, j’avais la sensation que c’est ça que me demandait ce directeur de maison de disque : « Faire des chansons joyeuses pour des gens vides », comme si les gens étaient débiles. J’ai conscience que ma musique et que les musiques dans ce genre ne sont pas pour tout le monde, certains me disent même que bien que ce que je fais leur plaît et qu’ils trouvent ça qualitatif, ils ne pourraient pas l’écouter chez eux car c’est trop « prise de tête ». Je dois constamment me battre contre la tentation de faire des morceaux plus légers et plus joyeux pour plaire, contre la tentation de faire des compromis pour que mon projet marche plus. J’ai toujours voulu faire et vivre de ma musique et non pas de la musique au sens où je ne veux pas vivre de n’importe quelle musique. En tant qu’auditrice j’écoute surtout des choses barrées et mélancoliques et, toujours en tant qu’auditrice, je suis vraiment reconnaissante que des artistes comme Radiohead, James Blake ou Portishead n’aient jamais succombé à la tentation de faire de la musique légère. J’ai vraiment besoin de ce genre de musique plus absconse. Absconse, ma musique l’est aussi et parfois ça me décourage de la défendre et d’accepter que c’est une musique de niche et que je ne remplirai probablement jamais de grandes salles (je ne parle pas de Zénith !), du coup dans ces moments-là je suis tentée de faire des choses qui plairaient à un public plus large. Je ne suis pas contre l’idée de faire des morceaux plus légers, léger ne veut pas dire mauvais et si un morceau léger me vient je ne lutte pas. Je veux juste faire les choses pour les bonnes raisons et j’aime à penser que si un jour je fais de la musique légère et joyeuse ce sera parce que ce c’est ce que j’ai envie de faire, pas pour vendre plus ou pour répondre à des exigences de maisons de disques.

Le riff de « Happy Song for Empty People » me produit un sentiment de déjà entendu. Après avoir longtemps cherché pourquoi j’ai enfin trouvé et réalisé qu’il me renvoyait à un morceau de Texas, « Beliefs », sur leur album Mother’s Heaven. Connais-tu ? Es-tu du genre à écouter un groupe comme Texas ? 

Non je ne connais pas ce morceau… ! Je n’ai jamais écouté Texas, je ne connais que leur tube « Black Eyed Boy ».

Le Prince Miiaou performing in Paris © Mauro Melis

A l’occasion de ton concert à Stereolux, comme tu l’as présenté avant de l’interpréter, j’ai appris que « Bro » était un morceau pour ton frère et que celui-ci était ton ingé-son en studio comme sur scène. Pourquoi lui avoir consacré une chanson ?

Parce que je suis souvent méchante avec lui ! Et que c’était un moyen pudique de lui dire que bien qu’il m’énerve comme un frère peut énerver sa sœur et inversement, je m’en veux quand je lui fait du mal. C’est pas toujours simple de travailler avec un frère ou une sœur, surtout dans un domaine passionnel comme la musique ou bien lors des concerts qui sont des moments de stress et de pression. Il me cite souvent la chanson d’Anthony and the Johnsons « You Are My Sister » pour me dire qu’il m’aime. On va donc dire que c’est ma réponse en musique.

Chez vous, la musique est une histoire de famille ? C’est comme ça que vous êtes tombés tous les deux dedans, via vos parents, ou c’est plutôt pour échapper à l’environnement familial ?

Oui, c’est une histoire de famille pour mon frère et moi, mais pas du tout pour mes parents qui ne sont pas vraiment mélomanes bien qu’ils apprécient la musique et en aient toujours mis à la maison quand nous étions enfants. Ils nous ont offert l’opportunité de prendre des courts d’instruments, une activité extra-scolaire comme une autre. Je n’ai pas tenu très longtemps mais mon frère a été plus réceptif et il a continué la musique après avoir arrêté les leçons de solfège. Moi je m’y suis surtout mise pour traîner avec lui et ses copains, et puis au bout de 6 mois, comme une drogue, c’était devenu une passion avec tout ce que ça peut avoir de tumultueux…

Comment tes parents voient-ils ce que tu fais ? Leur regard est-il important pour toi ?

Ma mère n’était pas très rassurée à l’idée que l’on veuille en faire notre métier, et comme mon frère avait arrêté ses études d’anglais pour devenir ingénieur du son, derrière ça n’a pas été évident pour moi de leur vendre le fait que je ferais de la musique, du coup on avait un deal, je devais aller au bout de mon Bac +5. J’ai eu de la chance car le milieu professionnel, notamment Bernard Lenoir et Les Inrocks, s’est « intéressé » rapidement à mon projet, du coup je me suis lancée dans cette voie et je n’ai jamais eu à chercher un autre travail. Le jour où Bernard Lenoir m’a diffusé dans son émission sur France Inter (institution pour mes parents) ma mère a commencé à y croire ! Mon père, quant à lui, m’a toujours dit : « Si tu travailles, comme dans n’importe quel domaine, il n’y a pas de raison que tu n’y arrive pas ». Ce qui est important pour moi ce n’est pas tellement qu’ils apprécient ce que je fais mais surtout qu’ils m’encouragent (ce qu’ils font énormément) et ne s’inquiètent pas trop pour moi.

Sujet peut-être tabou mais je tente : comment ça se passe financièrement pour toi ? Quand tu sors un disque et que tu pars en tournée, combien ça te rapporte ? T’arrives à savoir combien ça te fait rapporté au mois ? J’imagine que tu n’as pas vendu plus de 10 000 exemplaires de chacun de tes albums. Je me trompe ? La synchro pub de « Turn Me Off » dans le spot télé pour la banque ING Direct ça avait mis du beurre dans les épinards ?

Haha, la première chose que m’a appris mon manager qui avait affaire à une fille très honnête et un peu naïve : « Ne dis jamais combien tu gagnes ! » Je dirai simplement que mes parents ne s’inquiètent pas trop pour moi pour le moment (smiley).

Dans « Aliénore » qui est au centre de l’album, ce qui ne semble pas anodin, on entend ce qui semble être la voix de ta grand mère laissant un message sur ton répondeur. Pourquoi un tel morceau ? A-t-il été en quelque sorte inspiré par ce qu’avait fait Christophe sur le morceau « It Must Be a Sign » qui figure sur son dernier album Aimer ce que nous sommes ? Écouterais-tu un type comme Christophe ou juste ta grand-mère ? Il n’y a pas de raison à un tel morceau ! Il n’y a jamais de raison pour un morceau. Je connais peu le travail de Christophe, peut-être que je devrais m’y pencher davantage. « Aliénore » est un morceau que j’ai fait en plusieurs temps : j’avais toute l’intro guitare basse réverbérées depuis 2012 quand j’ai commencé à me remettre à composer et puis j’ai essayé de le développer pendant longtemps, sans y parvenir. Je l’ai laissé tombé et j’ai réussi à le terminer quand j’ai eu l’idée de mettre ce message vocal laissé par ma grand-mère. Tout s’est emboîté après. Il a plutôt été inspiré par Talk Talk, notamment leur album Spirit of Eden.

Suis-tu la scène « chanson française » ? A l’époque de Safety First, tu as fait des premières parties de Benjamin Biolay. Est-il fan de toi ? Es-tu fan de lui ?

Je n’ai jamais trop su comment et pourquoi on s’était retrouvé à faire ses premières parties au Casino de Paris… On m’a dit qu’il aimait ce que je faisais et que c’était son choix… Mais je ne sais pas si il est fan de ce que je fais, j’ai eu beau le croiser plusieurs fois, finalement on n’a jamais vraiment parlé de nos musiques respectives. J’aime certaines choses de lui, certains morceaux, certains textes, mais je connais finalement assez peu… Je connais mal la scène française semble-t-il !

L’irruption de la voix de ta grand-mère marque, si je ne m’abuse, l’unique intervention en français du disque. Sur les deux albums précédents, il y avait toujours quelques titres en français. Je pense à « Hawaï Tree », « No Compassion Available », « American Extract », « Blabla » sur Safety First, « J’ai Deux Yeux » sur Fill The Blank… J’aimais beaucoup. Ça ne te manque pas d’écrire en français, cette poésie là, ce dire-là, toi qui dis sur Wikipedia (oui, je te suspecte de l’avoir écrit toi-même, j’y reconnais ton style) que tu chantes « principalement en anglais, le français étant réservé pour parler » ?

L’article de Wikipedia n’a pas été écrit par moi, en revanche il reprend des phrases tirées de mes bios qui pour le coup, elles, sont de moi ! Disons que pour moi l’écriture en français vient ou ne vient pas. Pour ce disque j’ai fait un titre en français, chanté, qui s’appelait d’ailleurs « Where is the Queen ? » mais il n’était pas assez abouti pour que je le mette. Non, le français ne me manque pas, je crois que c’est une obsession de français de vouloir absolument que les artistes chantent dans leur langue d’origine. Je n’aime pas trop les contraintes et j’ai parfois l’impression que, comme une adolescente, plus on me dira que je dois ou devrais chanter en français et moins je le ferai ! La pudeur y est également pour beaucoup, c’est plus simple pour moi de raconter des choses en anglais, de mettre une distance entre les mots et moi et entre mes mots et le public. Mais peut-être que ça reviendra…

Doit-on s’attendre à découvrir prochainement le morceau inabouti « Where is the Queen ? » en face B ou en téléchargement sur ton site ?

Non ! Je le réécoute parfois mais j’ai déjà passé tellement de temps dessus sans parvenir à l’achever… Ce morceau comme bien d’autres restera au stade de démo je pense.

4. LPM visage triste

Cet éloignement du français, serait-il aussi lié à ton envie de toucher le public anglo-saxon et de fuir la chanson française pour faire vraiment « rock indé » ?

Non, je ne pense pas du tout que le fait de chanter en anglais permette de toucher davantage les anglo-saxons. François and the Atlas Mountains est le parfait exemple de projet en français signé sur un label anglais et qui résonne en Angleterre. Chanter en anglais alors qu’on est français, si c’était un calcul de ma part, ce serait le plus mauvais des calculs ! Car les français (radio, médias, public confondus) boudent les artistes français qui chantent en anglais et les anglo-saxons ont un tel vivier dans leur propre pays qu’il est difficile de se démarquer outre-Manche et outre-Atlantique… Si j’étais anglo-saxonne ça pourrait éventuellement mieux se passer pour moi en France. Ça me sidère, mais combien de fois des professionnels du milieu musical m’ont dit : « Ah, si seulement tu étais anglaise ou américaine… ce serait tellement plus simple. » Moralité, si c’est une chance incroyable d’être musicienne en France du fait de notre système d’intermittence et de la qualité du réseau des salles de concerts tant au niveau technique qu’au niveau de l’accueil, la mentalité chauvine et le « protectionnisme culturel » pourraient me donner envie de fuir à l’étranger. Je comprends l’intérêt de protéger notre patrimoine et la langue française pour lutter contre une uniformisation du monde, en revanche j’ai plus de mal à comprendre que certaines radios ou journaux fassent des focus sur des artistes émergents anglo-saxons et inondent leur pages et ondes de projets anglo-saxons au détriment de projets français sous prétexte que ces derniers chantent en anglais (sauf si ces choix se basent sur des critères artistiques et qualitatifs bien évidemment).

A propos de rock indé, j’ouvre une parenthèse (je ne fais que ça en fait) : j’ai appris que tu as consacré ton mémoire de DESS en politique culturelle à la question du « post-rock ». Que raconte-t-il et que t’a-t-il apporté ?

Il se raconte sur 100 pages et ça fait plus de 8 ans que je ne l’ai pas lu ! Mais globalement, ça raconte que d’après mes recherches et enquêtes (c’était pas une thèse de doctorat non plus hein !) le post rock n’est pas un style musical définissable d’un point de vue musicologique mais bien plus d’un point de vue sociologique, c’est-à-dire que ce qui fait le style post rock c’est davantage le profil sociologique (schèmes de pensées et habitus, pour sortir le jargon de Bourdieu) des gens qui le font où l’écoutent que des critères musicaux. Pour le dire plus simplement, les disques étiquetés « post rock » se ressemblent beaucoup moins que leurs créateurs ou auditeurs. Ce mémoire m’a apporté une mention et c’est après avoir interviewé Yann Tambour sur son projet Encre pour mon mémoire que j’ai quitté le groupe post rock dans lequel j’étais pour commencer mon propre projet Le Prince Miiaou (smiley).

En quoi cette interview de Yann Tambour dans le cadre de ton mémoire t’a-t-elle donné envie de faire ton propre projet musical ? Et pourquoi avais-tu décidé de l’interviewer lui (bon, j’imagine que l’étrangeté fascinante de son premier album a joué…) ?

Ce n’est pas tellement l’entretien qu’on a fait ensemble qui m’a donné envie de commencer mon projet, c’est sa musique. Je ne la connaissais pas avant de faire mon mémoire. On m’a dirigé vers lui car sa musique était classée en post-rock. Pour « étudier » son profil dans le cadre de mon mémoire j’ai vraiment dû me plonger dans sa musique (je serais surement passée à côté sans le mémoire) et au fil des écoutes j’a trouvé ce qu’il faisait vraiment fascinant et ça m’a donné envie de faire comme lui. « Frénésies Horizontales », le premier morceau que j’ai fait, je l’ai vraiment fait avec l’idée de faire la même chose que ce qu’il avait fait sur son morceau intitulé « Marbre ». Je ne cherchais pas à l’époque à être originale ou à faire quelque chose qu’on n’aurait jamais entendu, je n’avais même pas encore l’idée de faire un projet qui tiendrait la route, je ne voulais pas sortir un disque ou je ne sais quoi, je voulais juste faire un morceau comme le sien. Et puis de fil en aiguille, j’ai fait plusieurs morceaux et puis on m’a donné l’opportunité de les enregistrer alors je me suis dit : « Pourquoi pas ? ».

Qu’en est-il au juste de l’exportation de ta musique ? N’est-ce pas dur de sortir des frontières quand, comme toi, on auto-produit ses disques ? Des majors t’ont-elles déjà fait les yeux doux ? Y’en a-t-il une pour laquelle tu dirai banco ?

On commence tout juste à travailler l’export, il est donc trop tôt pour parler des résultats. Je n’ai pas trop connaissance d’un éventuel public à l’étranger car je ne me suis jamais vraiment posé la question du nombre de gens que ça représente et de leurs provenances. Je vois sur les ventes digitales que ça se vend un peu partout dans le monde mais ça reste anecdotique ! Après je crois que ce serait pareil que je sois auto-produite ou signée. Travailler l’export c’est un travail énorme qui demande beaucoup d’énergie et de moyens. Il y a déjà énormément de travail pour développer un projet tel que Le Prince Miiaou en France, du coup on s’y met doucement, territoire par territoire. J’ai l’impression de jouer à RISK ! Et non, aucune major ne m’a fait les yeux doux !!! Si cette major me laisse faire tout ce que je veux, ne cherche pas à changer ma musique ou mon image et me donne les moyens de faire les choses alors oui, je dirais banco mais je ne crois pas qu’une telle major existe…

Si, comme je l’imagine, tu te sens un peu à l’étroit ici, frustrée de ne peut-être pas pouvoir être plus « reine » de la chose rock indé que tu ne l’es là, te verrais-tu, je ne sais pas, partir à Los Angeles comme Antony Gonzales de M83 ?

Oui, comme je le disais, parfois je me dis que je ferais mieux d’aller vivre à Brooklyn. Je pense souvent à Camille Berthomier, la chanteuse de Savages, qui se fait appeler Jehnny Beth et vit à Londres depuis des années. Je crois qu’elle et son compagnon, qui formaient John & Jehn pour qui j’étais guitariste à une époque, ont compris les choses beaucoup plus tôt que moi et ont réussi à esquiver pas mal de chose en brouillant les pistes. Oui, je suis un peu frustrée parce que je ne comprends pas : la plupart des médias qui parlent du Prince Miiaou me comparent à PJ Harvey ou disent que je n’ai rien à envier à Anna Calvi. Pour ma part, je n’aurai jamais la prétention de me comparer à elles et sans ce discours des médias sur ma musique je ne me dirais pas que je mérite quoique ce soit. Ce n’est pas de la fausse modestie, c’est juste que je suis incapable de juger ma musique et objectivement je ne sais pas ce que je mérite ou non et puis ce n’est pas une compèt’. Mais quand je sors un disque je constate que de nombreux médias en parlent, ce qui me donne a priori une certaine légitimité à faire ce que je fais. J’ai un beau succès d’estime, une belle reconnaissance donc ce qui me frustre c’est qu’une fois « hissée » à cette place de « reine du rock » ou de « PJ Harvey française » selon leurs propos, le projet Le Prince Miiaou semble malgré tout rester en marge de certaines scènes et de certains événements dans lesquels on pourrait penser qu’il aurait sa place… Après, concrètement, je suis déjà très contente de ce qui se passe pour mon projet et même si ça prend du temps, il y a de plus en plus de monde quand on joue en concert, c’est très encourageant.

Tiens, M83, est-ce quelque chose que tu écoutes ? J’ai parfois pensé à lui en écoutant Where is the Queen, dans votre amour partagé d’un groupe comme Mogwaï bien sûr (tiens, ne devrait-on pas l’illusion tremaïque du double « i » du Prince Miiaou à Mogwaï ?) et dans ce désir d’avoir un son très travaillé, pointu, épique. Cette ambition n’est-elle pas un frein pour pouvoir prendre du plaisir à jouer sur scène ?

Oui, j’aime beaucoup M83 surtout son album Before The Dawn Heals Us. Concernant le live, c’était très contraignant avant, mais bizarrement ce disque a été beaucoup plus facile à reproduire sur scène du fait, par exemple, qu’on utilise le même synthé sur scène que celui que j’ai utilisé pour composer, du coup sur scène ce sont les sons du disques. Et puis on a des pédales qui nous permettent de reproduire les pitchs (modifications de vitesse d’un son – nda) tant sur les guitares que sur ma voix. Certains sons de batterie bidouillée (sur « Bro », « Hulrik ») ont été samplés et du coup sont joués sur le SPD-S (pad pour jouer et sampler des rythmes – nda). La batterie est également triggée (c’est-à-dire qu’elle comporte des micro qui remplacent ses sont naturels par d’autres sons, en général plus propres et plus synthétiques – nda) ce qui permet d’être proche des sons qu’on a sur « JFK », par exemple. Ça pourrait être un frein si je n’avais pas pu m’équiper correctement pour la scène, mais le matériel qu’on a nous permet au contraire de nous libérer et donc de s’amuser beaucoup plus qu’avant.

5. Prince Miiaou Fill the Blank

Il y a pas mal de sons assez bizarres sur ce disque, des sons qu’on dirait déformés, trafiqués, électro, aigus, à l’image de ton chant transformé sur « Hulrik ». On dirait que ces sons sont un peu le fil directeur de ce disque. Qu’en penses-tu ? Comment te sont-ils venus ?

Effectivement, je dirais que c’est LE fil conducteur du disque. J’ai changé de logiciel pour composer celui-ci, je suis passée de Cubase à Ableton Live et dans Ableton live il y a une fonction qui permet de pitcher. Un jour, vers le début, alors que j’avais pas mal avancé dans la composition d’un morceau je me suis rendue compte que j’avais tout composé quelques tons trop graves, du coup j’ai essayé cette fonction pitch pour me rendre compte de ce que donnerait le morceau s’il était plus aigu et là j’ai découvert cet effet chimique que provoque le fait de pitcher la hauteur tout en conservant la durée ! Bref, j’ai adoré ce que ça donnait et j’en ai beaucoup joué du coup par la suite. Quant à ma voix, j’étais un peu lassée par mon timbre du coup je l’ai elle aussi pitchée à la manière de Fever Ray pour changer un peu.

Tu parles de ta voix sur cet album, de ses changements de timbre. Quand tu chantes avec ta propre voix, elle a des graves qui me rappellent Cat Power / Chan Marshall. Aimes-tu cet artiste ? Un jour je discutais de Lana Del Rey avec un type, qui m’a dit en gros pour la conspuer : « Lanal Del Rey c’est Cat Power sans les chansons ». Qu’en penses-tu ?

Je ne peux pas dire que j’aime Cat Power, je ne suis pas son actualité ou qui elle est. En revanche j’aime énormément son album You Are Free que je trouve proche de la perfection. Mais je n’ai pas vraiment écouté ce qu’elle a fait avant ou après. En tous cas, je ne trouve pas du tout que Lana Del Rey soit une Cat Power les chansons en moins. Pour moi elles n’ont rien à voir, ni dans la démarche, ni dans leur approche de la musique. Pour moi elles n’ont pas du tout la même sensibilité et ne semblent pas vouloir exprimer la même chose (dans les textes, les visuels, les arrangements). Je trouve ça bizarre de toujours ramener les filles qui font de la musique soit à PJ Harvey soit à Cat Power…

Il paraît que tu es allée chercher l’inspiration à New-York pour ce disque ? Pourquoi ça ? La France suffisait pas ? La « Crystal Haze » ne suffisait pas (car comme je m’en doutais un peu en voyant le titre de ce morceau, c’est une drogue, une variété croisée de cannabis). « JFK » parle de ce séjour ?

Je suis partie à New-York pour changer d’air et m’éloigner de ma vie et du Prince Miiaou. J’ai composé 4 morceaux là-bas dont « JFK » qui parle du moment où il faut tout quitter. Sinon, je ne savais pas du tout que la « Crystal Haze » était une variété de cannabis ! Je ne fume pas, je déteste les psychotropes, je n’aime pas perdre le contrôle.

Où habites-tu d’ailleurs ? J’ai lu que tu étais née dans un petit village de 400 habitants du Poitou-Charentes mais tu as bougé à Paris pour les études. Tu y vis toujours ?

Non, je ne vis plus à Paris depuis 5 ans, je vis à Chalais, un village de 1800 habitants dans le Sud de la Charente.

Ça maintenant deux mois que l’album est sorti et quelques semaines que tu es en tournée avec. Avec le recul, si jamais tu en as, en es-tu satisfaire et es-tu contente des retours que tu as eu ? Qu’est-ce qui change par rapport aux précédents disques ? Notes-tu un changement ?

Il y a eu des hauts et des bas durant ces quelques mois, des déceptions, des bonnes nouvelles… Le disque a eu une belle couverture médiatique pour un projet indé auto-produit, j’ai beaucoup de chance. Comme je le disais plus haut, je constate une nette amélioration au niveau de la fréquentation des concerts et ça c’est ce qui me fait le plus plaisir car c’est concret ! On a fait 4 ou 5 concerts complets les semaines précédentes, ce n’était quasiment jamais arrivé et c’est vraiment le plus important.

Tu en es déjà à ton 3e album commercialisé (le premier, Nécessité microscopique, enregistré en 2007, est-il écoutable ou trouvable quelque part ?). As-tu l’impression d’avoir installé un truc, genre un triptyque, et d’être devenu une « grande » qui mesure le chemin parcouru ? Te vois-tu continuer longtemps à ce rythme ?

(Le premier album n’existe plus et pour le moment il n’est écoutable nulle part.) Si j’avais ce rêve ou cet objectif au moment où je composais ce 4e album, en réalité je me suis très vite rendue compte que ça n’allait pas être aussi simple pour me maintenir au niveau de Fill The Blank, que je repartais presque de zéro mais sans maison de disque et qu’il faudrait à nouveau batailler pour se faire une place. Ça a été difficile un moment, ça m’a découragé et donné (encore une fois !) envie de tout abandonner parce que c’est beaucoup d’investissement et que j’aimerais passer cette marche symbolique qui me permettrait d’être une peu plus « installée » dans le paysage musical français. Ça va mieux maintenant ! Mais non, je n’ai pas l’impression d’être devenue une grande qui peut mesurer le chemin parcouru ! Quant au fait de continuer longtemps à ce rythme, ça dépend des jours, un jour sur deux je me dis que c’est mon dernier album, mais je suis quelqu’un de très pugnace et ça ne m’étonnerait pas que je me remette au travail après la tournée !

J’imagine que ce qui a changé aujourd’hui c’est qu’on ne te demande plus le pourquoi de ton nom de scène. Ça te chagrine ? C’est pour ça que tu as donné un nom bien énigmatique et à rallonge à ton nouvel album (Where is the queen ? – Who is asking ? – I can no tell – She’s gone – Gone where ? – Just gone…) ?

C’est vrai que ce titre à rallonge aurait pu m’éviter la question fatidique de mon nom de scène mais non ! Ça n’a pas suffit à faire diversion. Malheureusement pour moi, on me demande encore beaucoup pourquoi je m’appelle Le Prince Miiaou ! Et les médias ne ce sont jamais autant déchaînés sur le champ lexical du chat que pour ce disque !

Merci Maud-Elisa. Where was the queen ?

Devant son ordinateur dans son bureau depuis plus de 4h car c’était l’interview la plus longue de ma jeune carrière ! (smiley).

© Emmanuelle Brisson

Facebook du Prince Miiaou

Photos 2 et 6 par Emmanuelle Brisson

Photo 3 par Mauro Mélis

 

8 réponses
  1. Eupho
    Eupho dit :

    Superbe interview ! On sent que vous y avez passé du temps. C’est dommage qu’il n’y ai pas l’explication du nom Prince Miiaou, on l’avait jamais entendue ^^

  2. Sylvain Fesson
    Sylvain Fesson dit :

    Bonjour Nicolas, merci pour ton commentaire !
    Tu n’as vraiment jamais entendu le pourquoi du comment de son nom d’artiste ?
    Il paraît qu’elle a trouvé ça dans un conte indonésien…

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