JEAN-BENOIT DUNCKEL : STARWALKER (2)
17 mars 2014. 11h20. Paris 18e. Brasserie Le Wepler. « AIR, c’est dans mon sang » vient de me dire Jean-Benoit Dunckel, alors qu’on parle librement Ă l’occasion de la sortie de l’EP Losers Can Win, le premier disque de Starwalker, le nouveau projet qu’il a montĂ© avec l’islandais Bardi Johannsson du groupe Bang Gang. Ennui et crĂ©ation, crise de foi et leçon de piano, jus de pomme et rĂȘve lucidre, petits et grands producteurs, Daft Punk et l’oeuvre du temps, l’industrie du disque et des mĂ©dias… Tout y passe le plus naturellement du monde. Et d’AIR il va Ă©videmment bientĂŽt ĂȘtre question.
C’est Ă©videmment par AIR que Bardi a connu JBD. Ils ne sont pas tout Ă fait de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration, Bardi est un peu plus jeune (6 ans), mais pas assez pour ne pas s’ĂȘtre pris les trois premiers albums de AIR de plein fouet au moment de leur sortie, c’est-Ă -dire Moon Safari (98), The Virgin Suicides (2000) et 10, 000 Hz Legend (2001), triptyque de l’« Age d’or » oĂč pourrait figurer la rĂ©Ă©dition de 1999 de leur premier EP, Premiers SymptĂŽmes (1997). Surtout ces deux-lĂ semblent si lunaires, formant une parfaite entitĂ© gĂ©mellaire qu’on se dit â a posteriori â qu’ils ne pouvaient ne pas.
Joint ultĂ©rieurement par mail (en juillet) Bardi confirmera avoir toujours trouvĂ© AIR « formidable » (scoop). « JB » et lui s’Ă©taient rencontrĂ©s Ă un concert, revu via un ami commun, avaient commencĂ© Ă Ă©crire un morceau ensemble (« Bad Weather », qu’on retrouve sur l’EP). Mais aucun n’avait prĂ©vu que les choses prendraient cette tournure. Au dĂ©part, dit-il, « rien n’Ă©tait arrĂȘté ». Il aime toujours collaborer. Ce n’est d’ailleurs pas la premiĂšre fois qu’il compose avec un français. Il a Ă©crit deux disques avec Keren Ann qu’on retrouve aux chĆurs de « Losers Can Win » et deux titres avec Anthony Gonzales (M83) qui ferment le dernier album de Bang Gang, Ghosts from the Past.
Là « tout Ă©tait ouvert » et il a vraiment aimĂ© travailler avec Jean-BenoĂźt. Il l’a trouvĂ© « fun, crĂ©atif et extrĂȘmement talentueux ». Donc voilĂ , aprĂšs quelques essais, ils ont « senti que continuer l’aventure Starwalker Ă©tait la bonne chose Ă faire ». Et comment ! En plus de « Bad Weather » ils sont tombĂ©s sur une pĂ©pite : « Losers Can Win ». Avant que Bardi ne s’y colle « la chanson Ă©tait plus sombre ». On peut entendre ce que ça donne plage 4 de l’EP, c’est « Losers Can Win (All That You’ve Got) ». En la bossant Ă deux « elle s’est Ă©claircie ». C’est devenu juste « Losers Can Win ». Pure magie.
Bardi aime les deux versions du morceau « comme on aimerait autant des jumeaux si on accouchait de jumeaux. » Et c’est vrai que ceux-ci sont durs Ă dĂ©partager tant ils sont finalement trĂšs diffĂ©rents, aussi diffĂ©rents que « Bad Weather » l’est de « Bad Weather (Bloodgroup Remix) », sa prĂ©-version situĂ©e en plage 5 de l’EP. Plus qu’un simple remix, c’est comme un autre morceau, avec sa magie bien Ă lui. Avec l’instrumentale plage 3, « Moral Sex », ça en fait dĂ©jĂ pas mal des moments de magie dans un EP. Le disque est un concentrĂ© de pop-songs Ă©piphaniques. Parfait faire-part.
Et de l’aveu de Bardi, ça y est, ils viennent de finir l’enregistrement de l’album que tout ça prĂ©figure. AnnoncĂ© par un nouvel single vers septembre 2014, il paraĂźtra dĂ©but 2015. Ils en achĂšvent le mix (scoop). Et s’ils ont terminĂ© ce disque c’est qu’ils ont retrouvĂ© la magie du titre « Losers Can Win » sur d’autres titres. Que leur stratĂ©gie de la pure attente de l’inspiration, ce dĂ©veloppement durable, cette non stratĂ©gie, a payĂ©. Qu’il faut laisser le temps au temps. L’air entrer dans le processus de crĂ©ation. Parlons-en d’ailleurs d’AIR, de Radiohead mĂȘme. De ces vraies choses. Il est temps.
« je n’ai pas la prĂ©tention de sauver quoi que ce soit »
« Bad Weather » est une belle chanson pop et «« Moral Sex » un bel instrumental, mais la perle de l’EP c’est bien « Losers Can Win ». Ce morceau a force d’Ă©vidence. N’as-tu pas peur qu’il se retrouve esseulĂ© sur l’album Ă venir, qu’il fasse de l’ombre aux autres morceaux ?
C’est ça le problĂšme. LĂ , j’y arrive pas. On n’y arrive plus. C’est-Ă -dire que pour l’album on tient de super singles mais y’en a aucun dont on est amoureux. Parce qu’ils sont trop commerciaux, catchy, l’Ă©motion n’y est pas. Alors on travaille pour retrouver cette Ă©motion car tant qu’on ne l’aura pas retrouvĂ©e on ne pourra pas sortir l’album.
Pour l’instant aucune date de sortie n’est donc fixĂ©e pour l’album, vous prenez le temps ?
VoilĂ . Et y’a des morceaux qui sont enivrants, curieux, qui ont un univers propre, qui sont lents, qui peuvent pas ĂȘtre des singles mais voilĂ peut-ĂȘtre qu’on est justement le genre de groupe Ă sortir des singles qui ne le sont pas. Peut-ĂȘtre qu’en fait c’est ça la solution (rires) !
Oui, quoi qu’il en soit vous tenez Ă sortir un album. Tu ne te dis pas que ce format est devenu obsolĂšte et qu’il vaut mieux sortir des EP voire des singles  ? Vous tenez encore au « long » ?
Ouais, parce qu’on en est dĂ©jĂ Ă 11-12 morceaux mais je pense aussi vachement à ça en effet, c’est une bonne idĂ©e…
J’en avais d’ailleurs discutĂ© avec Nicolas (Godin, l’autre membre de Air), qui me disait qu’il ne croyait plus au format album (mais dont un attachĂ© de presse de chez Because Music m’a rĂ©cemment dit qu’il avait signĂ© chez eux pour une prochaine sortie de disque). Je ne sais pas quel est ton avis lĂ -dessus. Mais toi et lui ĂȘtes de la gĂ©nĂ©ration album, que ce soit le CD ou le vinyle. Votre musique, quand vous avez commencĂ© Ă la sortir, c’Ă©tait sur CD…
Ăa vient de l’amour du vinyle, c’est ça le problĂšme, c’est que je suis trop amoureux du vinyle. C’est-Ă -dire qu’artistiquement avec Bardi on a vraiment envie d’avoir notre disque en vinyle et de le poser sur la platine et de faire : « Aaaaaah ! ». C’est juste ça. C’est pour ça qu’on veut sortir un album. Si c’Ă©tait pour faire qu’un CD, c’est vrai qu’on le ferait pas. C’est juste qu’on a envie de faire un vinyle donc ce sera peut-ĂȘtre que 8 morceaux, sans remix, 8 morceaux seuls, peut-ĂȘtre mĂȘme sans singles d’ailleurs (rires) ! Peut-ĂȘtre que c’est ce qu’on va faire, ouais. D’ailleurs je vais peut-ĂȘtre faire de mĂȘme pour mon prochain truc pour Darkel…
Parce que tu vas continuer à faire de la musique tout seul sous le nom de Darkel ?
Ouais, j’ai envie de sortir un disque et j’ai dĂ©jĂ plein de morceaux, genre 30, sauf qu’ils ne sont pas finis (rires) ! Mais j’ai envie de faire ça : un vinyle avec une face de 2 morceaux, des morceaux qui durent 10 minutes chacun, et une face avec 3-4 morceaux donc un d’au moins 8 minutes, avoir des formats comme ça, complĂštement fous. Tout Ă l’heure tu parlais du succĂšs de Daft Punk, tout ça…
Oui, du rĂȘve Ă grande Ă©chelle, ce phĂ©nomĂšne trĂšs rare, spĂ©cial, dans une industrie du disque aujourd’hui en crise…
C’est un succĂšs industriel, mais en ce moment je pense vraiment au futur, tu vois, et je me demande ce qu’il restera de tout ça dans 20 ans ou 30 ans. Parfois t’as des chansons, comment dire, qui sont pas des singles, qui sont pas des hits, mais qui restent, qui sont hyper forts. Et mon modeste but, avec Starwalker ou AIR, c’est juste de pouvoir faire une chanson qui s’inscrira dans le paysage musical post 2000, et qui restera, tu vois ?
Oui, mais j’imagine que tu te sais dĂ©jĂ en avoir posĂ© quelques-unes de ces chansons-jalons, non ?
Oui, quelques-unes, et y’en aura d’autres. Par exemple, avec AIR y’a des morceaux qui n’ont jamais Ă©tĂ© des singles, comme le morceau « Alone in Kyoto », qui est le dernier morceau d’un CD (Talkie Walkie, leur 5e album studio sorti en 2004 â nda) et en fait avec ce morceau on n’a rien fait hein ! mais il vit par lui-mĂȘme, il est sur des synchros (illustrations sonores de publicitĂ©s, de films, etc. â nda), il est toujours en train d’ĂȘtre utilisĂ©, il a une vie propre. Et voilĂ , je pense que parfois les morceaux te dĂ©passent, que mĂȘme si ton projet est obscur, comme c’est encore notre cas avec Starwalker, mĂȘme s’il reste obscur, si dessus y’a un morceau qui a une force, il va vivre.
Parfois les morceaux te dĂ©passent et ça donne des reprises pas trĂšs reluisantes comme celle, rĂ©cente, de « Sexy Boy » par Les Plasticines…
Ah ouais, c’est vrai. C’est pas bien ?
J’y ai jetĂ© une oreille par curiositĂ© et j’ai pas rĂ©ussi Ă Ă©couter le truc jusqu’au bout !
Ah ok (rires) ! J’ai pas vraiment Ă©coutĂ© en fait mais quoi qu’il en soit faire l’objet d’une cover, c’est toujours un bon signe.
Oui, mais parfois ça veut dire que ça y est, on est une piĂšce de musĂ©e, on a ses faits d’armes derriĂšre soi. Je ne sais pas ce qu’il en est pour AIR, mais en tous cas pour toi, avec Starwalker, il se passe un truc sur ce « Losers Can Win », vous avez trouvĂ© quelque chose. C’est pas souvent qu’on tombe sur des pop-songs dont on se lasse pas comme ça…
Ouais, je pense aussi. AprĂšs, tout est subjectif hein. Mais c’est trĂšs curieux, tu vois, parce que moi j’ai des enfants â peut-ĂȘtre que toi aussi â ils sont trĂšs jeunes, enfin ils ont 14, 15, 16, 17 ans et en fait l’industrie musicale vise ce genre de consommateurs. Tout est fait pour plaire aux moins de 18 ans. Pourquoi ? Parce que leur goĂ»t n’est pas formĂ© et qu’ils le partagent en envoyant des messages viraux extrĂȘmement puissants sur internet. Le problĂšme avec les consommateurs plus ĂągĂ©s c’est que souvent leur goĂ»t est formĂ© et qu’ils n’ont pas le temps d’envoyer ces messages viraux du coup c’est plus dur et plus cher de promouvoir un groupe pour tenter de les atteindre. Avec quelqu’un de plus jeune tu dĂ©penses moins d’argent et Ă travers lui tu touches 10, 100 voire 1000 consommateurs. VoilĂ , c’est pour ça que l’industrie musicale vise ces jeunes et qu’Ă la radio t’as plus que de l’ « attrape musique », genre hip hop, r’n’b…
Mais justement, ça ne t’inquiĂšte pas ça ? Que la pop n’ait plus les faveurs de la radio ? Il faut avoir les mĂ©dias de masse avec soi pour faire de la pop, avoir la radio, la tĂ©lĂ©, les journaux pour circuler dans l’espace public…
Oui, sinon ça peut pas marcher…
Sinon ce n’est pas Ă proprement parler de la pop…
Non…
Que penses-tu donc de cet assÚchement des horizons médiatiques de la pop ?
En fait j’ai pas la prĂ©tention de pouvoir sauver quoi que ce soit (rires) ! C’est-Ă -dire que ça se passe, c’est l’humanitĂ©, tu vois, et moi en tant que modeste humain je peux absolument rien faire (rires) ! C’est comme quand tu ouvres Courrier International, tu suffoques et t’angoisses sur ce qu’est l’Ă©tat de l’humanitĂ©, mais Ă mon modeste niveau je ne peux rien faire ! Et c’est pareil pour la musique : je peux rien changer. Si j’aime pas ce qui passe Ă la radio, les gens n’en ont rien Ă battre. C’est pas mon avis qui va changer quelque chose (rires) ! C’est ça le problĂšme. Et d’ailleurs, si j’Ă©tais un dictateur et que je pouvais imposer mes goĂ»ts Ă la radio, ce serait peut-ĂȘtre horrible (rires) !
Mais c’est une vraie question : qu’est-ce que va devenir l’industrie pop ? Toi tu es arrivĂ© Ă une pĂ©riode oĂč il y avait encore quelques marrons Ă tirer du feu. Pour la gĂ©nĂ©ration actuelle et celle qui arrive, c’est loin d’ĂȘtre la mĂȘme…
C’est que de la com’, de l’image, du placement de marque. En fait les maisons de disques ont perdu la bataille, Ă peu prĂšs vers 2007-2008, et financiĂšrement elles n’ont plus de pouvoir face aux grandes marques comme Apple, Orange, Yahoo, Google. C’est plus elles les maĂźtres du jeu. Et quelque part c’est dommage parce qu’Ă la base la maison de disque part d’un bon sentiment : prendre l’argent des grosses productions qui cartonnent pour investir sur les projets en dĂ©veloppement. C’est une super idĂ©e. Mais maintenant ça se passe plus. Parce que mĂȘme au niveau du live, qui reste quand mĂȘme quelque chose de pur, les producteurs n’ont plus d’argent pour dĂ©velopper des nouveaux projets. Mais il se passe encore quand mĂȘme des choses, comme Fauve par exemple…
Fauve, c’est un truc que t’aimes bien ? Moi oui…
Comment dire ? C’est pas forcĂ©ment mon style de musique mais ce qui est bien c’est leur dĂ©marche, ce qui est remarquable c’est qu’ils ont commencĂ© live et que c’est un projet qui cartonne sur scĂšne et qui va sortir des disques, comme quoi y’a encore quelque chose. Y’a encore des purs. AprĂšs, qu’est-ce qui se passera quand leur public aura 5 ans de plus, quand ils seront en train de travailler ?
Oui, et je crois qu’ils ont justement clairement conscience du cĂŽtĂ© Ă©phĂ©mĂšre de cette aventure, que c’est comme une folie passagĂšre, un timming bienheureux, une parenthĂšse qui va durer le temps d’un voire deux albums, comme un sursis, et qu’aprĂšs il va falloir passer Ă autre chose, retourner Ă la rĂ©alitĂ©. (Fauve avait d’ailleurs prĂ©vu une suite en forme de deuxiĂšme acte final Ă son album Vieux FrĂšres comme s’ils avaient pressenti que tout tiendrait dans cet arc, qu’ils Ă©taient eux aussi « born to die », mais il y a fort Ă parier qu’ils auront dĂ©jĂ tout dit dans leur premier album, si ce n’Ă©tait pas dĂ©jĂ le cas dans leur 1er EP, et que d’ici là « on » sera dĂ©jĂ passĂ© Ă autre chose â nda). C’est d’ailleurs assez perturbant la conscience que les jeunes groupes d’aujourd’hui ont de cette absence de durĂ©e lĂ . C’est comme si l’aventure pop n’Ă©taient plus qu’un rĂȘve d’ado qu’on assouvit avant de retrouver la vie d’adulte…
Oui, tout Ă fait, mais moi c’est pas fini, j’ai la chance de durer longtemps (rires) ! Moi, ça fait quand mĂȘme 15 ans de carriĂšre, 15 ans que ça marche et je fais aussi de la musique de film, donc voilĂ , c’est cool.
Oui, ça marche pour toi, du coup je me disais : « Pourquoi parle-t-il de losers can win ? »
Parce que j’ai beaucoup d’amis qui sont des gens normaux, avec des boulots normaux, qui sont pas forcĂ©ment riches ou quoi que ce soit, tu vois ? Et puis qu’est-ce qu’ĂȘtre riche ? Ăa c’est une question. C’est des gens normaux, du coup Ă travers eux je vis aussi les difficultĂ©s de maintenant. Par exemple en ce moment il y a beaucoup de chĂŽmage, c’est trĂšs dur de trouver un nouveau boulot, les boĂźtes te jettent ou te foutent au placard. Et en fait c’est ça le message de « Losers Can Win » : c’est « Qu’est-ce que gagner et qu’est-ce que perdre ? Qu’est-ce que la richesse ? » VoilĂ , c’est juste une façon de recadrer les choses en disant que finalement la plus grande richesse qu’on ait c’est son corps et son Ă©quilibre mental.
Et du « sexe moral » ?
Ouais (rires) ! En fait pour ce morceau (« Moral Sex » – nda), on avait le choix : soit en l’appelait « Moral Sex » soit on l’appelait « Banal Sex ». On hĂ©sitait entre ces deux jeux de mot, tu vois ?
Ah oui, j’avais pas fait gaffe !
Au dĂ©part on pensait mĂȘme appeler l’album Moral Sex avec un « M » barrĂ©.
Pour s’assurer quand mĂȘme un petit buzz !
VoilĂ .
C’est marrant parce que, jeu de mot ou pas, dans ton univers musical le thĂšme de l’Ă©rotisme, de l’amour et des femmes va souvent de pair avec l’Ă©vocation non pas de la religion mais d’un Ă©lan spirituel, d’un certain mysticisme…
Ouais, tout Ă fait (rires) ! Pas forcĂ©ment la religion, mais une certaine spiritualitĂ©. Parce que nous savons tous que Dieu n’existe pas, Ă part dans la tĂȘte (rires) ! Il faut regarder les choses en face (rires) ! Mais il existe dans la tĂȘte des gens, il existe culturellement, et d’ailleurs c’est tout son intĂ©rĂȘt. Je pense que l’existence de Dieu dans la tĂȘte des gens a peut-ĂȘtre globalement fait extrĂȘmement de bien Ă l’humanitĂ©.
Ah oui ?
Globalement, ouais. C’est une question philosophique, tu pourrais faire un devoir de philo lĂ -dessus. Par exemple la chrĂ©tientĂ© a donnĂ© trĂšs tĂŽt dans le monde gallo-romain l’idĂ©e que tu devais avoir une femme, Ă©lever tes enfants et n’avoir qu’une seule femme. Parce qu’auparavant je tiens Ă signaler que dans l’Ă©poque barbare l’idĂ©e en gros, c’Ă©tait que le chef de la tribu violait les femmes pour rĂ©pandre sa semence. On vient de lĂ quand mĂȘme. Alors c’est quand mĂȘme un progrĂšs.
Pour la condition des femmes…
Pour la condition des femmes, et pour la sociĂ©tĂ©. AprĂšs, les guerres de religion, c’est clair que ça c’est l’horreur. Mais en fait je pense pas que ce soit Dieu le centre des guerres de religion, c’est juste des grands chefs qui veulent prendre le pouvoir et qui prennent l’excuse de Dieu. Alors voilĂ , avant il y avait les guerres de religion, maintenant ce sont les guerres de pĂ©trole. Et demain la guerre de l’eau va commencer.
En parlant de guerre, ça me fait penser Ă une derniĂšre chose, sur laquelle je vais finir : il y a quelques annĂ©es quand je lisais les interviews de AIR dans les magazines et j’avais comme l’impression que vous Ă©tiez en guerre contre Radiohead…
Ah ouais ? Ah non, pas du tout. En plus Radiohead, on les connaĂźt via Nigel Godrich et si y’a jamais eu une guerre entre eux et nous ils l’ont totalement gagnĂ© ! Nous sommes totalement vaincu (rires) !
Vous ne faites pas la mĂȘme pop, mais j’ai l’impression qu’Ă l’Ă©poque de votre troisiĂšme album, 10 000 Hz Legend, vous avez touchĂ© un peu ce qu’ils incarnaient depuis Ok Computer, c’est-Ă -dire cette idĂ©e d’une musique et d’un album en forme de mĂ©galopole parano-pharaonique, mais aprĂšs vous n’avez pas continuĂ© dans cette voie…
Ouais, c’est vrai, mais je crois que pour 10 000 Hz Legend on Ă©tait plutĂŽt trĂšs influencĂ© par Kid A, le premier album oĂč Radiohead faisait quelque chose de complĂštement expĂ©rimental d’un point de vue Ă©lectro. Y’avait vraiment cette idĂ©e de bidouiller sur de nouvelles machines et on a aussi Ă©tĂ© inspirĂ© par ça pour 10 000 Hz Legend. Mais sur 10 000 Hz Legend, ce qui est gĂ©nial c’est qu’on a combinĂ© de la recherche sur des machines Ă©lectroniques avec d’importants moyens de studio comme des orchestres, des chĆurs, des violons, etc. C’est la scission et le mix entre les deux.
C’est un disque ambitieux. Je ne dirai pas qu’il n’a pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ© Ă sa juste valeur, mais j’ai l’impression qu’il a eu moins d’Ă©cho mĂ©diatique que les autres..
Mais c’est un disque que les fans adorent, ou alors dĂ©testent. Il laisse pas indiffĂ©rent. Et y’a beaucoup de fans de AIR qui sont presque totalement uniquement fans de cette pĂ©riode-lĂ , 10 000 Hz Legend. Parce qu’il y a aussi un cĂŽtĂ© rock, destroy. On avait la volontĂ© de casser les standards, de faire des morceaux qui soient pas du tout normaux. Ils avaient donc toujours une structure en trois parties, genre intro-dĂ©veloppement-conclusion, et on a parfois mixĂ© des parties qui n’avaient rien Ă voir entre elles.
C’Ă©tait un gros chantier !
Ouais !
Dans un autre style, je trouvais que Love 2, le dernier vĂ©ritable album en date de AIR, Ă©tait un trĂšs bel album de AIR, luxuriant, mĂ©lodique, inspirĂ©, et qu’il n’a pas eu l’accueil critique et mĂ©diatique espĂ©rĂ©. Comme si en fait AIR n’intĂ©ressait plus vraiment les mĂ©dias…
Ouais, ouais, mais tous nos albums sont biens…
Perso, je ne dirai pas ça de Pocket Symphony…
Ah ouais ? Il est bien, je trouve, Pocket Symphony. Mais les mĂ©dias, c’est des girouettes, ça tourne. Surtout les mĂ©dias français. Sauf exception, sauf les mĂ©dias arty, les gros mĂ©dias â Ă l’image de ce mĂ©dia dont le nom signifie en fait le contraire de ce qu’ils sont (rires) â ces gros mĂ©dias-lĂ suivent les mĂ©dias Ă©trangers. C’est-Ă -dire que si un artiste français a vocation Ă faire de la musique pour l’international et qu’il ne rĂ©ussit pas, il se fera dĂ©truire par ces mĂ©dias. Par contre un artiste qui rĂ©ussit Ă l’international sera automatiquement admirĂ© et lĂ on dira tout Ă coup que c’est super.
On ne fait pas confiance Ă notre flair. On est comme colonisĂ©, on collabore, on obĂ©it…
Oui, tout le monde a peur d’investir parce que finalement personne ne sait en musique. Et en mĂȘme temps tout le monde sait. C’est une question de flair, oui. Ăa peut venir de partout.