COMME UN GUERI (DOMINIQUE A)
2 fĂ©vrier 2006. 16h. Locaux du bureau de presse EphĂ©lide, deuxiĂšme arrondissement de Paris. Jâattends, parquet au sol, blanc partout ailleurs. Murs, plafond, moulures. Blanc, blanc, blanc. Dans le plan : une porte. DerriĂšre : deux hommes. Lâun journaliste, lâautre artiste. Ils parlent. Jâignore ce qui se dit, si lâartiste tripe ou attend que ça passe, si ça enfonce des portes ouvertes ou fait des Ă©tincelles. Dans quelques minutes ce sera mon tour. On mâintroduira dâun « Je te prĂ©sente untel, il bosse pour untel » et Ă ce signal je devrais faire comme si jâĂ©tais le premier Ă mettre le pied ici. Comme si le confrĂšre sortant nâavait pas existĂ© et me donner entiĂšrement. Tout donner. Pour moi ce ne sera pas dur : câest la premiĂšre fois que jâinterviewe Dominique AnĂ©.
Jâai commencĂ© Ă mâintĂ©resser Ă lui Ă lâĂ©poque dâAuguri. En 2002. Dix ans dĂ©jĂ quâil Ă©tait lĂ , mais jâĂ©tais passĂ© Ă cĂŽtĂ©. En 1999 Ă la faveur dâune borne dâĂ©coute je me rappelle que jâavais jetĂ© une oreille Ă RemuĂ©, son disque prĂ©cĂ©dent, le plus dur, bruitiste, et je me souviens que ça mâavait Ă©chaudĂ©. Rejet de greffe. Je nâĂ©tais pas prĂȘt. Je nây suis toujours pas revenu. Faudrait. Mais ce disque ardu Ă©tait venu corroborer lâimage que jâavais de lui. Et lâimage collait avec le portrait quâen faisait la presse spĂ©, insistant sans cesse sur son cĂŽtĂ© sĂ©dimentaire et daron de la chanson dâici. Comme quoi en la matiĂšre yâavait un avant et un aprĂšs lui. Discours qui collait lui-mĂȘme avec son physique de phallus, dolmen, golem. Hairdresser de tort de la Chose rock.
En 2003, dans le journal de ma fac je lâavais dĂ©crit ainsi. Jâavais montĂ© un dossier de 10 pages sur le genre bĂątard nĂ© de la collusion entre chanson dâici et rock anglo-saxon : la chanson rock. Ăa sâintitulait « Le fight club ». (En couv, ça tapait avec un super dessin de Ken le survivant.) Jây avais parlĂ© des pionniers, de Gainsbourg, Manset, Bashung, Murat, Kat O, et de tous ceux qui Ă la suite de leurs successeurs, Diabologum, Dominique A, Katerine, Miossec, comme me lâavait dit Erik Arnaud, ont « vu quâĂ©crire en français, câĂ©tait pas forcĂ©ment Ă©crire des choses Ă la Pascal Obispo ou inaccessibles comme Brel, Brassens et FerrĂ©. On pouvait aussi Ă©crire ce quâon ressentait sans avoir peur de contracter les mots et de dire un gros mot de-ci de-lĂ . »
Je mâĂ©tais fait plaisir (je pouvais, jâavais crĂ©Ă© le mag), jâavais mĂȘme poussĂ© le vice Ă prĂ©senter les meilleurs « chansonniers » rock rĂ©cents (on dit A.C.I. pour auteur-compositeur-interprĂšte), câest-Ă -dire Houellebecq, Tanger, Fred Poulet, Bertrand Louis, Jeronimo, Cali, Arman MĂ©liĂšs, Alexandre Varlet, Louis (chercher erreurs + absents). Et au milieu, un article, « Beau travail », oĂč jâĂ©voquais un « soldat du close-combat textuel », « bĂȘte noire de tous ceux qui souhaitent entrer dans le secteur », un « tortionnaire du songwriting » qui les renvoie « à leurs Ă©tudes, infantilisĂ©s par une mandale comparative ». JâĂ©tais dur avec Dominique A. CâĂ©tait un a priori.
Faut dire que malgrĂ© son folk ligne claire drivĂ© par John Parish, le collaborateur de PJ Harvey, en 2002 Auguri ce nâĂ©tait pas encore « RELAX, TAKE IT EAAA-EAAA-SY ! ». ça montrait une volontĂ© de sâouvrir (câĂ©tait la premiĂšre fois quâil dĂ©lĂ©guait la prod Ă un autre musicien) et ça avait amenĂ©, chose nouvelle, une certaine sensualitĂ©, mais tout ça au service de textes Ăąpres sur le commerce hommes/femmes, de lâamour vu comme un strict rapport de forces, de corps, pas clair lui. Il y avait mĂȘme de vrais moments de sexe pas cool, presque glauques Ă vrai dire. CâĂ©tait particuliĂšrement le cas dans « Pour la peau », « En secret », « Je tâai toujours aimĂ©e », « OĂč conduit lâescalier ». Ambiance marĂ©e basse sur la nature humaine. Rape me my friend.
Sâils Ă©taient parfois titillĂ©s de calypso, de rumba ou de mambo, musiques quâil avait beaucoup Ă©coutĂ© Ă Bruxelles entre 93-95, pĂ©riode Si je connais Harry/La MĂ©moire neuve, parce quâelles agissaient « comme des antidĂ©presseurs » contre des conditions dâenregistrement dĂ©primantes (« une piĂšce de 3 m2 vraiment trĂšs sombre »), jusque-lĂ ses textes nâavaient jamais Ă©tĂ© de purs moments de dĂ©conne. Et lĂ , donc, la musique nâĂ©tait pas mĂ©chante, les mĂ©lodies affleuraient, mais il y avait des traces de RemuĂ©. En partant, le bouillon sonore Ă©tait restĂ© collĂ© aux textes comme une moule Ă son rocher. Erik A. mâavait parlĂ© de « contractions » et de « mots durs ». LĂ , câĂ©tait en veux-tu en voilĂ Â : « peau », « draps », « sang », « obscurs », « tĂȘte », « lavabo ».
Encore ? « raclure », « noir », « marre », « crachais », « crissait », « évacuez », « cuisine », « glissait », « nage », « manger », « craie trempĂ©e », « rouillé », « longs doigts », « barriĂšres », « articulais », « lĂ©zardes », « abimĂ©es », « sel », « épaule », « plancher », « miteux », « tĂąche », « creusé », « dĂ©teste », « blinder », « égouts », « nez », « bouché », « bruine », « dĂ©bine », « humilier », « faillite », « airs », « salauds », « écoper », « monnaie », « transactions », « dos », « ramer », « boire », « payer », « criblĂ©s », « balles », « dĂ©tail », « douteuses », « remords », « murailles », « fatigues », « prisons », « dĂ©raillent », « bal », « mauvais », « sales », « mal », « travail », « bottes », « pieds », « assoiffĂ©s », « lĂąchent »âŠ
Il nây avait pas que ça. Lâalbum respirait (et nous de mĂȘme) Ă lâoccasion dâune boutade sur sa rĂ©putation de parrain de la chanson rock (« Les chanteurs sont mes amis ») et dâune reprise de Dalida (« Les enfants du PirĂ©e »). Mais câest ça qui restait, de la mĂȘme maniĂšre que ce qui restait Ă lâĂ©coute de Siamese Dreams et de The Bends, câĂ©tait leurs 7 ballades : « Today », « Disarm », « Mayonaise », « Spaceboy », « Sweet Sweet » et « Luna » pour les Smashing Pumpkins et « High and Dry », « Fake Plastic Trees », « (Nice Dream) », « Bullet Proof⊠I Wish I Was », « Black Star », « Sulk » et « Street Spirit (Fade Out) » pour Radiohead. Car câest lĂ que ces deux groupes innovaient et rĂ©volutionnaient leur genre. Mainstream, here we come.
Ces mots, on ne peut plus physiques, câĂ©tait inĂ©dit dans la chanson française, comme s’il exorcisait un « mĂąle » quâil avait jusque-lĂ gardĂ© en dehors de ses disques (et de sa vie ?). Comme une violence masculine. QuâĂ la faveur dâune fin dâamour, câĂ©tait venu le chercher. Ăa donnait quelque chose de bagnard, taiseux. Dans mon imaginaire novice, je lâavais associĂ© Ă IntimitĂ© de Patrice ChĂ©reau (une histoire de corps Ă corps adultĂšre, seul Ă seul, sordide) que jâavais vu un peu avant ou aprĂšs. LĂ , sa musique nâĂ©tait plus seulement sĂ©dimentaire mais Ă sec. Son disque non plus sourd mais sodomite. Comme si Dominique A se faisait harder (better, stronger). D’ailleurs depuis quâil sâĂ©tait rasĂ© ne ressemblait-il pas Ă une sorte dâHPG ?
Sur les photos de lâĂ©poque on le voyait aminci, still standing, mais esquintĂ©, comme rescapĂ© dâune longue maladie (dâamour, amour, nây aurait-il quâĂ©preuve ?). MĂąchoire serrĂ©, il Ă©tait lĂ , une lance, un coutelas, guettant lâinvisible hostile (lâombre du trauma qui git encore en lui, luit ?) sur un rivage dĂ©sert. LĂ , comme une dent qui rĂ©siste, man vs. wild, bercĂ©-lĂ©chĂ© par les dĂ©lices de lâexplosion initiale. Oui, un peu HPG (HP + point G ?) ce Dominique, prĂ©dateur, tĂȘte de pioche. Mais on voyait aussi un bout de mer dentelĂ© et « quatorze lieues de liquide en mouvement suffisent pour donner la plus haute idĂ©e de beautĂ© qui soit offerte Ă lâhomme sur son habitacle transitoire » (Baudelaire, Mon cĆur mis Ă nu). Alors pour ce peu, jâai trempĂ©.
Sur cet Auguri, il y avait enfin commerce de lâeau. De la chair triste, hĂ©las, mais de la chair (merci Parish). Ăa augurait, pour Dominique, de son odyssĂ©e du « lisse ». Sur la pochette du disque on peut dâailleurs voir quâil a lâair plus nunuche, hostie et curĂ© quâil ne sây montre dans le livret. On dirait quâil veut faire le gars accueillant, VRP, genre : « Bienvenu chez moi, laissez-moi entrer ». Alors, intriguĂ©, jây suis revenu. On a fait quelque va-et-vient lui et moi. InfluencĂ© par la grande musique du Bashung de LâImprudence et les envolĂ©es de FerrĂ©, je nâavais pas trouvĂ© le suivant, Tout sera comme avant, Ă mon goĂ»t. Je nây avais pas trouvĂ© le mordant dâAuguri mais câen Ă©tait fait. JâĂ©tais liĂ© Ă Dominique A. CâĂ©tait devenu une idĂ©e.
DĂ©but 2006, je venais de dĂ©couvrir LâHorizon et jâavais de nouveau envie de parler de lui, mais dâune maniĂšre autre, totalement conquis cette fois. Aux journaux jâessayais de vendre un article temporairement intitulĂ© « GĂ©nĂ©ration D.A. » oĂč jâaurais expliquĂ© pourquoi et comment des jeunes groupes et/ou auteurs-compositeurs-interprĂštes comme Encre, Betrand Betsch, Mansfield Tya, Florent Marchet et Un Homme Et Une Femme Project Ă©taient « des fils dâA. ». Je finirai par parler de lui dans Le Journal Français, louant un disque qui « ne rigole pas » mais « respire », sâouvrant « sur une histoire de baleine, de mer dĂ©chaĂźnĂ©e et dâembarcation forcĂ©ment trop frĂȘle – humaine ? – sur de tels flots », « lâobligation de garder le cap » et « le sel des grands espaces ».
CâĂ©tait toujours le poĂšte-chanteur de la luciditĂ© et de la vaillance, mais ce nâĂ©tait plus lâadepte du lyrisme aride quâil avait dĂ©veloppĂ© depuis le pavĂ© dans la mare de La Fossette. Il nâĂ©tait ni dans lâapproche dogmatique qui lâavait intronisĂ©e malgrĂ© lui chef dâĂ©cole de la « kitschen music », ni dans celle branle-bas de combat de RemuĂ© ou celle Albatros gauche de Tout sera comme avant. Non, lĂ câĂ©tait une « invite au voyage », un voyage intime, toujours, de ces moments oĂč il faut partir, quand la mer sâĂ©tend ou se retire, quâil nây a plus que soi, ciel et vent, quâil faut se mesurer aux choses, faire face aux Ă©lĂ©ments. Mais un voyage en team, pour une musique plus ample, atmosphĂ©rique. Le songe dâune nuditĂ©.
Il nâĂ©tait toujours pas dans la facilitĂ© de lâivresse épique mais câĂ©tait un nouveau dĂ©part, une nouvelle peau (aime). Alors quâau mĂȘme moment, Katerine Ă©voquait lâesprit Groland avec Robots aprĂšs tout, Dominique Ă©voquait les paysages du Groenland avec LâHorizon. Câest en partie lĂ quâil a trouvĂ© lâinspiration de ce disque. En partie parce que ces paysages sont surtout mentaux. Comme il lâa dit lors dâune itw-tchat avec les internautes du Monde (et je mâen souviendrai dâautant plus qu’ado, je rĂȘvais de tracer dans celui qui jouxtait le lycĂ©e), « la platitude des champs de betteraves seine-et-marnais » lâa toujours fascinĂ© et « par extension poĂ©tique », ça lâa « amenĂ© Ă chĂ©rir la mer ». Ăme… nĂ©e… sea…
Avec JĂ©rĂŽme Bensoussan (cuivres), Daniel PabĆuf (clarinettes), David Euverte (claviers), Vincent GuĂ©rin (contrebasse), Sacha Toorop (batterie), Olivier Mellano (guitares Ă©lectriques), Laetitia BĂ©gout/Velma (sa compagne, au piano sur les morceaux quâils ont composĂ© ensemble, « Antaimoro » et « Adieu, Alma ») et Dominique Brusson (co-producteur, qui le sonorise sur scĂšne depuis 1997 et qui avait dĂ©jĂ co-produit RemuĂ©), portĂ© par une nouvelle justesse de ton inspirĂ©e par celle de Daniel Darc dans le superbe CrĂšvecoeur, lâauteur de La MĂ©moire neuve sortait son album le plus musical, paysagiste. Transhumant du spartiate au spatial, il se faisait inter-pĂŽles, poĂšte dominant, king Domâ. Mon titre pour Le Journal Français ? « LâAventurier ».
CâĂ©tait marrant : ce journal sâadressant aux expatâ français aux Etats-Unis, via ce petit portrait je lui faisais traverser lâAtlantique. Jâen Ă©tais presque fier, ravi. Jâavais lâimpression dâavoir le champ libre pour donner une image juste de Dominique A, dĂ©lestĂ©e des casseroles du passĂ©, sa dimension de hĂ©ros austĂšre â et donc Ă©litiste, casse-couille â du rock indĂ©pendant français. Suite Ă une bourde de lâicono lors de sa mise en page, lâarticle se trouvera affublĂ© dâune photo de Philippe Katerine pĂ©riode Robot aprĂšs tout. Ăa me semblait paranormal. Jâen Ă©tais confus. Mais ça aussi, câĂ©tait marrant. Je voulais rencontrer Dominique A. Lui parler de son prĂ©sent, de sa mue, des Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents. Car câĂ©tait un homme. Le su(rv)ivant. Comme un guĂ©ri. (INTERVIEW.)
Cali? Erreur de jeunesse?
Merci pour les préliminaires.
C’est parfois plus intĂ©ressant de savoir ce qui motive un journaliste indĂ©pendant Ă rencontrer un artiste que d’avoir la sempiternelle litanie questions/rĂ©ponses minutĂ©e propre Ă cet exercice souvent artificiel.
En plus,mine de rien,il y a moyen de se faire une petite playlist en attendant la suite
C’est ça !
Merci pour ton retour.
Et j’espĂšre quand mĂȘme que l’entretien en tant que tel te plaira
Hey Sylvain tu la connais celle-lĂ ?
http://www.deezer.com/fr/music/track/3767746
Je l’adore !
Je peux pas en dire autant !
Je connaissais pas en fait.
Je suis pas fan du chant…
Peut-ĂȘtre celui de D.A. m’aurait plus plu…