MONSIEUR UNTEL : “JOHNNY” (1)
20 mai 2011. 21h. 18e arrondissement de Paris, chez Untel. « Les lentilles corail, tu aimes ? », me demande mon hĂŽte, le nez en cuisine, qui est aussi le salon (tout prince quâil est, mon hĂŽte ne mĂšne pas la vie de chĂąteau). Comme beaucoup de ce qui va suivre, non je ne connais pas, mais je suis tout ouĂŻe, ne demande quâĂ dĂ©couvrir. On papote sur fond de musique classique pendant quâil jongle au four et au moulin. La raison de ce dĂźner : Johnny. Johnny Hallyday.
Johnny câest comme les lentilles : je connais « Ćuf corse », mais je ne les connais pas corail et cuisinĂ©es façon « syrienne » avec des amandes, des raisins secs et du miel. Or câest un peu ça lâOpĂ©ration Johnny de Monsieur Untel : un hit single associĂ©e Ă un programme de tĂ©lĂ© aussi mystĂ©rieux quâambitieux qui, comme une recette de chef, relĂšvent la saveur et la grandeur de lâex idole des jeunes. Ăa mâa donnĂ© envie de mâouvrir Ă Johnny. Et Untel, Ćuf corse (bis).
« AprĂšs plus de 50 ans de carriĂšre », « 47 albums studio et 25 albums live », « plus de 100 millions de disques » vendus, « 40 disques dâor, 22 de platine, 3 de diamant et 8 Victoires de la musique », « 28,4 millions de spectateurs en 180 tournĂ©es » et « plus de 1000 chansons », Johnny « est le plus cĂ©lĂšbre des chanteurs francophones » prĂ©cise, wikip’ aidĂ©, grand seigneur et majordome, Monsieur Untel dans l’intro du cahier des charges de son OpĂ©ration Johnny.
Untel ? Comme son nom lâindique, câest un artiste Ă la fois (trop ?) mĂ©connu car alternatif, conceptuel et tatillon, mais un artiste qui sâadresse aussi au plus grand nombre. Musicien pop, auteur-compositeur-interprĂšte de deux albums, Bien Ă vous, sorti en indĂ© en 1994 et signalĂ© dĂ©couverte Fnac et dĂ©couverte Ă Bourges, et Le Bureau des affaires animales, sorti en digital en 2006, il a tant de cordes Ă son arc, quâil ne se restreint pas au seul champ de la chanson.
Il est aussi (surtout ?) « PDG sans parachute » de PolystyrĂšne TV, label quâil a créé en 1999 Ă Beyrouth sous les traits dâune chaĂźne de tĂ©lĂ© interactive interviewant des personnalitĂ©s de la politique et du show-biz et « artiste-vidĂ©aste (non-encartĂ©) et consultant-expert vestimentaire sporadique de Mme Joly » depuis 2-3 ans. DrĂŽle dâoiseau, Ă©lectron libre, warholien, dandy : voilĂ les mots plus ou bien moins trouvĂ©s quâoseraient Les Inrocks sâils parlaient dâUntel.
En 2003, dans le mag de ma fac, je l’y qualifiais d’« EsthĂšte FilĂ©as Fog, Mister Cocktail mi-star personne ». Look (« important dans ce monde chaotique car c’est ce que tu adresses aux gens, ça fait partie du dĂ©cor de la ville »), chanson (« un art, autre chose que les concerts oĂč tout est question d’orgasme, de flash, d’Ă©phĂ©mĂšre, car tu fabriques de la matiĂšre durable et tu es responsable de la matiĂšre durable que tu transmets aux autres »), Untel m’avait marquĂ©.
LâopĂ© Johnny ? Câest ce qui nous rĂ©unit aujourdâhui. La table dressĂ©e, les pistaches achevĂ©es, les lentilles corail presque prĂȘtes, Monsieur Untel va enfin cesser de bouger comme un insecte (un peu Playmobil et PolnarĂȘve avec sa coupe et ses grandes lunettes), sâasseoir et on va donc sây mettre. Se pencher (sans Optic 2000) sur ce que trament cette chanson et cette Ă©mission de tĂ©lĂ© « transgenre » sur et pour Johnny. A quelle sauce va-t-il ĂȘtre mangé ? Zoom, zoom. Zen.
« c’est comme si la France mâavait commandĂ©e d’Ă©crire pour Johnny »
Bonjour Untel. La derniĂšre fois quâon sâest vu tu mâas appris, Ă©coute Ă lâappui, que tu avais Ă©crit une chanson sur-mesure pour Johnny Hallyday, et quelques semaines aprĂšs tu me mailais un dossier intitulĂ© OpĂ©ration Johnny dĂ©taillant un projet dâĂ©mission de tĂ©lĂ© entre road-movie et tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© axĂ© sur cette quĂȘte : faire Ă©couter le morceau Ă Johnny pour quâil le chante et le sorte en single. Comment tâest venu ce projet fou ?
En fait les choses sont venues les unes aprÚs les autres. Mais tout a commencé sur ma terrasse à Beyrouth, il y a 9 ans, au printemps 2002.
Ăa date ! Mais oui, je me souviens que lorsque je tâavais interviewĂ© en 2006 Ă lâoccasion de la sortie de ton deuxiĂšme album, Le Bureau des affaires animales, tu mâavais dĂ©jĂ dit que tu aimerais beaucoup collaborer avec JohnnyâŠ
Ah câest certain car câest ce jour-lĂ , entre deux araks (« Eau de vie tirĂ©e de la distillation de diffĂ©rents produits fermentĂ©s (riz, canne Ă sucre, sĂšve palmiste, orge, raisin, dattes) » dixit mon Petit Larousse illustrĂ© â nda) et un cafĂ©, quâon sâest mis Ă Ă©crire la chanson pour Johnny. AprĂšs chacun est retournĂ© Ă ses propres projets et câest moi qui ai bossĂ© dessus parce que moi quand jâai une idĂ©e je lĂąche pas le truc comme ça. La preuve : 9 ans plus tard câest ce qui nous anime ce soir !
Tu dis « on », avec qui as-tu commencĂ© Ă lâĂ©crire ?
Brushing des Brushing Brothers (Emmanuel Vilin â nda), un des artistes de PolystyrĂšne TV, Yasmine de Soapkills (duo Ă©lectro pop arabe formĂ© en 97 avec son mari Zeid Hamdan â nda), qui a ensuite fait le projet YAS avec MirwaĂŻs, et moi. Ce jour-lĂ on est Ă la terrasse de mon salon japonais et lâun dâentre nous dit : « Il va quand mĂȘme falloir quâon se sorte un jour ou lâautre de la mouise ! Quâest-ce quâon pourrait et quâest-ce quâon aimerait faire ensemble ? Quel beau projet ? » Et lĂ , ça sort : « Ecrivons une chanson pour Johnny. » Mais la plus belle chanson quâon puisse imaginer pour Johnny.
Câest vrai que ça pourrait aider Ă se sortir de la mouise…
Bah oui. Et puis il est beau Johnny, moi je lâaime. Du coup on rĂ©flĂ©chit et trĂšs vite on se met Ă faire des schĂ©mas Ă partir de tout ce qui le dĂ©finit et constitue sa vie, ses amis, son caractĂšre, un premier travail dâĂ©criture que jâai vraiment poursuivi aprĂšs au niveau du son, des syllabes. Jâai fait tout un travail labial. Je me devais de respecter la maniĂšre dont il aime chanter et les sonoritĂ©s qui lui vont bien pour savoir lĂ oĂč il pourrait mettre sa puissance et ses fragilitĂ©s.
A partir de lĂ tu tâes donc mis Ă beaucoup Ă©couter sa musique ou tu lâĂ©coutais dĂ©jĂ ? Lâautre jour tu mâavouais ne pas ĂȘtre « un vrai fan de Johnny »âŠ
Je ne lâĂ©coutais pas beaucoup par contre ses chansons que jâai toujours aimĂ©es je les chante depuis toujours, et je les chante en concert. Je chante « Le PĂ©nitencier » depuis plus de 20 ans. Pas dans tous mes concerts mais une fois sur deux ou une fois sur trois. Maintenant je chante aussi « Tennessee » et « Retiens la nuit ». Ah, « Retiens la nuit », merci Aznavour !
Quand jâĂ©tais petit je ne comprenais pas ce que ça voulait dire, « Retiens la nuit »âŠ
Câest un peu abstrait ouais. Enfin, câest beau.
Moi jây voyais un prĂȘche contre lâincontinence : retiens-toi de faire pipi au lit !
De lâincontinence, câest moche (rires) !
Bref ! Et donc avec ces chansons cardinales tu Ă©tais entrĂ© dans lâunivers de Johnny ?
Alors yâavait Ă la fois celles que jâavais en tĂȘte, que je jouais, qui Ă©taient des points cardinaux, comme tu dis, et yâavait aussi celles que je dĂ©couvrais chez des gens. Certaines mâont Ă©mu et donnĂ© beaucoup dâindices, de pistes de travail. Alors lĂ il faut mettre des raisins secs et ça va ĂȘtre fabuleux, sucrĂ© salé !
Mais pourquoi avoir mis tant de temps Ă faire ce morceau ? Tu lâas trop sacralisé ?
Euh non. (Silence.) Je voulais la lui donner sans la moindre faille. Câest comme sâil me lâavait commandĂ©e en un sens, que la France me lâavait commandĂ©e ou que je ne sais pas quoi lâavait commandĂ© par moi pour JohnnyâŠ
Ăa y est, on rejoint la mĂ©galomanie dalinienne dont on parlait tout Ă lâheure !
Non, mais rĂ©ellement (rires) ! Câest-Ă -dire que câest pas une affaire dâego dingueâŠ
Je ne condamne pas hein il en faut de lâego !
Et jâen ai un bien sĂ»r. (Silence.) Alors aprĂšs ça va balancer, je tiens pas tellement Ă parler des tocards quâont Ă©crit pour lui mais yâen a un paquet.
Tu veux dire quâavec ce morceau ton idĂ©e câĂ©tait aussi de sauver le soldat Johnny ?
Non, pas le sauver car lâOpĂ©ration Johnny câest pas une opĂ©ration de sauvetage, mais moi en tant quâartiste, je pouvais pas me dire que jâallais juste faire une chanson de plus pour Johnny. Câest Johnny quoi ! Câest une voix incroyable que les dieux lui ont donnĂ©, une Ă©nergie folle, un destin hors du commun, une carriĂšre, la France, un rapport au pays. VoilĂ , câest pas un truc que je pouvais prendre juste pour faire du pognon.
Et tu trouves que câest ce que certains ont fait avec lui : juste prendre le pognon ?
Oui, je pense que sa carriĂšre aurait dĂ» ĂȘtre beaucoup plus riche en chansons incroyables.
Tu trouves quâil est en petite forme ces derniĂšres annĂ©es ?
Peut-ĂȘtre que je me trompe, mais je crois que dĂšs le dĂ©part il a lui-mĂȘme critiquĂ© les chansons que lui faisait chanter Vogue (Untel dit vrai : lâincident avec sa premiĂšre maison de disques survient en mars 1961, un peu plus dâun an aprĂšs la signature de son contrat, quand Johnny, alors ĂągĂ© de 18 ans, est dĂ©jĂ devenu une vedette sur la foi dâun 45 tours, Tâaimer follement, dâun EP, Souvenirs, souvenirs, dâun 33 tours, Hello Johnny, dâun faux live, Johnny et ses fans au festival de RockânâRoll et dâun premier album, Nous les gars, nous les filles, et de concerts agrĂ©mentĂ©s de roulades par terre : nâĂ©tant plus seul sur le marchĂ© du rock, il souhaite des arrangements plus sophistiquĂ©s Ă base de saxo et de claviers pour, par exemple, se dĂ©marquer des Chaussettes noires dâEddy Mitchell, ce quâon lui refusera par les mots qui suivent â nda). Il estimait que la qualitĂ© et le style des titres ne lui allaient pas. Il lâa dit au taulier de Vogue, ils ont eu une discussion un peu tendue devant des journalistes, tout ça, le mec lui a dit : « Ecoute Johnny, tu fermes ta gueule et tu chantes. » Johnny a eu cette rĂ©plique, il a dit : « Comment voulez-vous que je chante en fermant ma gueule ? » Et il lui a claquĂ© la porte. VoilĂ , câest quelquâun qui a sĂ»rement eu une sorte de lassitude de ce mĂ©tier, de tout çaâŠ
Câest intĂ©ressant de connaĂźtre ces prises de bec car on sait que câest un grand chanteur et une bĂȘte de scĂšne mais on ne sait pas sâil a vraiment la main sur la direction artistique de ses disques. A-t-il dâailleurs jamais composĂ© un seul des morceaux quâil a interprĂ©tĂ© ?
Il en a signĂ© certains. Alors sont-ils vraiment de lui ou a-t-il rachetĂ© les droits dâautres gens ? Pour des raisons de business ce serait possible. Mais je pense quâil a quand mĂȘme composĂ©, parce quâil aime vraiment la guitare. Il est dâailleurs supposĂ© ĂȘtre lâauteur de « Cheveux longs, idĂ©es courtes », en rĂ©ponse Ă Antoine (auteur-compositeur-interprĂšte dorĂ©navant connu pour jouer dans les pubs Atoll, les opticiens â nda) qui avait dit vouloir Johnny en cage Ă MĂ©drano (il chante ça en 1966 dans Les Ă©lucubrations dâAntoine, premier album qui le rendit cĂ©lĂšbre : « Oh, yeah ! / Tout devrait changer tout le temps / Le monde serait bien plus amusant / On verrait des avions dans les couloirs du mĂ©tro / Et Johnny Hallyday en cage Ă MĂ©drano », MĂ©drano Ă©tant le nom dâun clown espagnol qui a renouvelĂ© le comique des clowns, fondant le Cirque du mĂȘme nom, avant de mourir en 1912 Ă Paris â nda). Il est crĂ©ditĂ© en tous cas. Alors lĂ je te demande un petit instant car câest un moment un peu dĂ©licat (Il goĂ»te â nda).
Et toi quand tu te mets s Ă Ă©crire cette chanson, tu rentres dans lâunivers de Johnny et tu te mets Ă triper au-delĂ de la chanson comme si tu faisais une thĂšse sur Johnny ?
Ouais, absolument, je rĂ©flĂ©chis. Enfin rĂ©flĂ©chir nâest pas le mot. Car par moments je devenais Johnny, comme une transe⊠Jâai fait des rĂȘves trĂšs Ă©tranges durant cette pĂ©riode.
Tu te rappelles de la teneur de ces rĂȘves ?
Ah oui, par exemple jâai Ă©tĂ© Johnny Ă lâOlympia.
Ah oui ?!
Bien sĂ»r, ouais. Mais bon je pratique la mĂ©ditation, tout ça, donc il mâarrive dâaller assez loin. Jâai dĂ©jĂ Ă©tĂ© une fleur, sentant le vent sur mes pĂ©tales, jâai dĂ©jĂ eu des expĂ©riences de ce genre. Devant des gens qui mâont vu partir avec rien, juste comme ça, tout Ă coup. Et jâai Ă©tĂ© Johnny. A lâOlympia. Je me souviens trĂšs bien que ça ressemblait Ă lâOlympia. Oh, pas longtemps ! CâĂ©tait des Ă©clairs, en dormant. Mais je lâai ressenti. VoilĂ , trĂšs Ă©trange.
Cette OpĂ©ration Johnny nâest-elle pas pour toi un moyen de dynamiter la triste condition de lâauteur-compositeur-interprĂšte dâaujourdâhui ?
Euh précise ?
La derniĂšre fois quâon sâest vu, quand tu mâas fait Ă©couter ta chanson pour Johnny, on parlait des chanteurs dâaujourdâhui. Johnny nâest pas le reflet des chanteurs actuels.
Non.
Ne cherches-tu donc pas en lui, dans le passĂ©, ce qui nâexiste plus aujourdâhui ?
Mais y a-t-il des chanteurs actuels ?
On a plein de chanteurs, mais yâen a-t-il qui incarnent vraiment pleinement lâĂ©poque ?
Alors yâa Johnny. Et plus prĂ©sent que Johnny, cette annĂ©e ça va ĂȘtre difficile. LĂ il va occuper le terrain. Il va enquiller trois Stade de France.
Il paraĂźt quâaucune de ces dates nâaffichent complet ?
Si, celle de son anniversaire, le 15 juin. Les autres peut-ĂȘtre pas mais celle-lĂ affiche complet. Jâai donc pris cette chanson trĂšs au sĂ©rieux, artistiquement et techniquement, dans le sens oĂč, comme je te le disais, jâai fait un vrai travail au niveau des sonoritĂ©s, les percussives, tout ça en accord avec le travail sur la guitare rythmique. CâĂ©tait important parce que la chanson parle beaucoup de guitare. Mais quâest-ce que je fais ? Je ne dois pas dire de quoi elle parle. Chut !
Au dĂ©part avais-tu envisagĂ© de proposer cette chanson Ă Johnny pour quâelle figure sur un de ses futurs au milieu de chansons dâautres compositeurs ?
Non, je ne me voyais pas du tout la placer dans un album avec des chansons dâautres auteurs, je voulais en faire un hit. Parce quâen plus, en 2002, on pouvait encore imaginer faire un peu dâargent avec ce genre de choses, ce qui nâest plus le cas, mĂȘme si Johnny est un client un peu Ă part Ă part dans le sens oĂč son public achĂšte encore des disques. Mais oui, je voulais en faire un 45 tours, vraiment, ce quâelle est dâailleurs pour moi. Ce nâest pas une chanson dâalbum. Par contre câest aussi une chanson de scĂšne. Elle a vraiment Ă©tĂ© faite dans cet esprit : ĂȘtre une chanson de hit et de scĂšne.
Tu trouves quâil en manque ?
Dans le dernier album ?
Par exemple. Tu lâas Ă©coutĂ© dâailleurs ?
Bah jâai pas pu ! Jâai Ă©coutĂ© le dĂ©but, la premiĂšre, Ă moitiĂ©, et puis⊠bah jâai pas pu quoi.
Précise.
Oh je pense pas quâil faille en parler, câest un peu gĂȘnant car jâai pas pu poursuivre lâĂ©coute.
Au contraire, je pense que câest intĂ©ressant dâen parler.
Je trouve ça totalement hors sujet dans le sens le plus grave possible car le sujet câest Johnny et Johnny câest un grand sujet, quelquâun qui touche vraiment la population française dans des endroits dĂ©laissĂ©s par les politiques, les Ă©conomistes, dans cette France quâon appelle parfois la France dâen bas, quâa pas grand-chose mais qui, entre autres choses, a Johnny.
Et tu trouves que son dernier album se moque de ces gens-lĂ ?
Oui, il sâen fout complĂštement. Enfin, il a sans doute Ă©tĂ© fabriquĂ© pour ĂȘtre vendu Ă ces gens, dans lâesprit, souhaitant lâĂȘtre, mais alors câest penser quâon peut faire nâimporte quoi, genre : « Câest pas grave, câest pour des cons ». Je sais pas, jâai un peu eu cette sensation, genre : « Câest pas grave, comme câest son dernier disque avant ses adieux, les gens vont lâacheter. » Non, ils lâachĂštent pas, et jâaime bien quand yâa une espĂšce dâĂ©vidence Ă lâenvers, comme ça.
Moi jâai Ă©coutĂ© le disque, Jamais seul, et au dĂ©part, comme toi, jâai Ă©tĂ© trĂšs dĂ©sarçonnĂ© par ce que lâĂ©quipe de âMâ lui faisait faire. Je me disais : « C’est sacrilĂšge, ils trahissent lâADN de Johnny », mais aprĂšs, comment dire, ça mâa presque Ă©patĂ©âŠ
Ah bon ? Mince, il faut pas que je mâarrĂȘte Ă la premiĂšre chanson alorsâŠ
Bon, tu le sais, je ne suis pas un fan de ce que Johnny reprĂ©sente, et lĂ je me fais un peu lâavocat du diable, mais disons que jâai fini par avoir le sentiment plutĂŽt sympathique que âMâ lui avait justement permis de prendre sa libertĂ© avec ce que Johnny reprĂ©sente. Jâai senti que ce disque Ă©tait fun, vivant, insolent, comme un anti Bleu PĂ©trole, le dernier Bashung qui pĂȘche par excĂšs de zĂšle et odeur de saintetĂ©…
Nom de Dieu ! Nom de Dieu !
Jâai entendu un mec qui chantait avec plaisir comme si on lui avait donnĂ© des vacances, une entreprise profane mais facĂ©tieuse Ă mille lieux du Johnny qui devrait sans cesse honorer ses fans et le pays en sâagenouillant devant son mythe wokânâwollâŠ
Ouais ? Facétieux ? Vraiment ? Merde ! Bah alors incroyable !
Mais câest mâont ressenti du truc, peut-ĂȘtre que je me trompe, que je suis mal placĂ© pour parler de tout ça. Ce disque, je ne lâaurais pas Ă©coutĂ© si tu ne mâavais pas parlĂ© de ton OpĂ©ration Johnny. Ăa mâa titillĂ© et je me suis Ă mon tour immergĂ© dans cette histoire en me penchant sur ce disque. Et puis bon, je ne sais pas si tu as vu, mais tu nâes pas le seul Ă ne pas aimer cet album, il sâest fait lyncher par la critique. Yâa eu retour de bĂąton mĂ©diatique, « Touche pas Ă mon Johnny ! », ça a excitĂ© ma curiositĂ©âŠ
Mais attends, on parle bien de Jamais Seul ? (Dâune voix grave Ă deux de tension, il se met Ă chanter le refrain du morceau-titre – nda) Câest quoi ça ? AprĂšs jâentends ce que tu dis et je ne peux rien dire. Jâai Ă©coutĂ© ce morceau et mon ordinateur est tombĂ© en panne. Câest vrai dâailleurs !
Si je te parle de ce disque rĂ©alisĂ© par âMâ et ses potes câest surtout pour poser le cadre. Parce que voilĂ , par la force des choses, comme elle arrive aprĂšs, ton OpĂ©ration Johnny va ĂȘtre reçue dans ce contexte de dernier album controversĂ©.
Oui, bien que ma chanson ait été faite avant.
Oui, mais les gens vont sans doute les mettre en balance, se disant que dans cette histoire tu joues un peu les justiciers…
Bah câest la chanson qui va remettre les pendules Ă leur place, comme aime dire Johnny.
Il dit ça Johnny ?
Oui. Je vais quand mĂȘme baisser un peu la musique, jâai peur que ça te parasite. Enfin que ça te parasite, câest Mozart, on a les parasites quâon peut mon cher Sylvain ! Yâa une interview trĂšs cĂ©lĂšbre de Johnny par Antoine de Caunes dans Nulle Part Ailleurs, et je sais plus ce que De Caunes lui dit mais Johnny dit : « Jâai remis les pendules Ă leur place ». Alors de Caunes le reprend et lui dit : « Les pendules Ă lâheure, Johnny ». Et Johnny dit : « Câest ce que je dis : les pendules Ă leur place. » Moi, jâadore cet humour !
Tu as dâautres exemples comme ça sur Johnny ?
Ouais, quelques-uns. Johnny, il a beaucoup de recul sur lui et sur lâimage quâon a de lui.
Le film Jean-Philippe en témoigne.
Oui, et câest marrant, yâa pas beaucoup dâartistes populaires qui se livrent à ça.
Le problĂšme câest quâon ne le voit pas beaucoup ce cĂŽtĂ©-lĂ de sa personne.
Ăa ne se voit pas tellement mais quand on sâintĂ©resse Ă lui on sait quâil a beaucoup dâhumour. En fait malgrĂ© la mĂ©diatisation Ă outrance qui le poursuit, il est trĂšs pudique !
Câest une Ă©nigme cette part de Jean-Philippe Smet dans Johnny. Jean Philippe, le film, tournait autour de ce mystĂšre avec son slogan : « Et si Johnny nâavait pas existé ? »
Il était trÚs intéressant, hein ?
Je pense que câest aussi pour ça que son dernier album est intĂ©ressant. Parce quâen fait ma thĂ©orie câest que âMâ a fait un album pour Jean-Philippe Smet.
Ah oui, ça câest trĂšs intĂ©ressant.
Dans son dernier album, Mathieu ChĂ©did devait tuer âMâ, son personnage, et il ne lâa pas fait. Dans ce disque quâil a intitulĂ© Mister MystĂšre, il lâa au contraire maintenu sous respiration artificielle. Et jâai lâimpression quâil a reportĂ© ce « coming out » sur Johnny. Il a assouvit cette pulsion de meurtre Ă travers Johnny. DâoĂč des titres audacieusement neuneus comme « Paul et Mick », « Guitar Hero », etc.
Possible. Le truc câest que le cĂŽtĂ© personnage, moi, je le sens plus chez âMâ que chez Johnny. Je pense que, lĂ -dessus, sur lâimage, yâa beaucoup plus dâhumour chez Johnny que chez âMâ. (Il se met Ă fredonner « Lâidole des jeunes » â nda.) TrĂšs tĂŽt on lui a fait chanter ça, du coup je pense que trĂšs tĂŽt il a eu la sensation dâĂȘtre dans un entre-deux, dâĂȘtre vraiment lui tout en Ă©tant un autre. Et puis aprĂšs faut voir que Johnny et âMâ sont deux gamins qui ont vĂ©cu des histoires trĂšs trĂšs diffĂ©rentes. âMâ est issu dâun confort bourgeois. Johnny câest plus barnum. Un peu dĂ©glingue. Un pĂšre pas lĂ . Tout ça. Chez âMâ, câest le contraire. Le pĂšre trĂšs prĂ©sent. Louis ChĂ©did, tout ça. Bref, la question câest : est-ce que Johnny aime cet album ?
âMâ soutient que Johnny sâest amusĂ© comme un fou Ă faire ce disque.
Mince…
Et comme tu dis quâil a de lâhumour, ça lui a peut-ĂȘtre plu Ă Johnny. AprĂšs, je sais pas, ça se trouve ils lui ont forcĂ© la main Ă coup de pĂštâ : « Viens Jojo, on va Smet bien ! »
Ah bah lĂ tâes au niveau de « Paul et Mick ».
Ouais ! Mais câest peut-ĂȘtre ça qui choque que les gens. C’est quâils ne veulent pas voir que Johnny puisse ĂȘtre consentant dans cette affaire beauf. Ils n’acceptent pas de le voir en Jean-Philippe Smet.
Sauf que câest pas vraiment intime, suprasensible, câest des vannes, non ?
Oui, mais justement, ne serait-ce pas le cÎté beauf et fan boy de Jean-Philippe Smet ?
Câest quoi un « fan boy » ?
LĂ ce serait lâenfant en lui, le fan de rock, un peu gaga qui tomberait le masque aprĂšs toutes ses annĂ©es Ă essayer dâĂȘtre lâĂ©gal français de ses idoles anglo-saxonnesâŠ
Oui mais ça câest parce que âMâ ne sait pas jouer autrement. Il nâa pas un vrai jeu de rock.
Son jeu et son univers sont trop “pop cartoon pĂąte” comme chez Dionysos ?
Oui, il est dans la blague.
Ce qui est marrant câest que âMâ dĂ©fend quasiment cet album comme lâalbum de blues que Johnny a toujours voulu faire !
De blues ?! Pas « Jamais seul » en tous cas ! Câest pas possible, faut que jâĂ©coute le resteâŠ
En tous cas la vraie question câest : Johnny a-t-il voulu tout ça ?
DĂ©jĂ je serai content de savoir quâils se sont beaucoup amusĂ©s ensemble car jusquâĂ prĂ©sent jâavais lâimpression que ce disque lui avait fait plus de mal que de bien. AprĂšs faut savoir que bosser avec âMâ câĂ©tait pas lâidĂ©e de Johnny.
CâĂ©tait lâidĂ©e de qui ?
De Laetitia.
Dâaccord.
Et au dĂ©part quand Johnny lui a demandĂ© ses services, âMâ a refusĂ© tout net donc bonâŠ
Oui, jâai lu une interview dans Snatch oĂč il disait quâil le sentait pas trop, quâau mieux il lui Ă©crirait une chanson sâil trouvait le temps, et je me disais que le mec faisait preuve de luciditĂ© et dâhumilitĂ© Ă voir quâil nâĂ©tait pas lâhomme de la situation.
Câest pas ce que âMâ a dit. Il a dit : « Je vois pas mon intĂ©rĂȘt ».
Son intĂ©rĂȘt ?!
Non, ne cite pas, câest chiant, parce quâaprĂšs blablabla, et âMâ aime beaucoup ce que je fais, câest gĂȘnant. Et puis moi, je ne peux pas dire grand-chose, jâai Ă©coutĂ© quâune moitiĂ© de titre. Mais voilĂ , câest pas que jâai pas reconnu Johnny, câest juste que je trouve que cette chanson a un pathos laborieux et rien qui se dĂ©veloppe, pas une mĂ©lodie. Du coup Johnny arrive Ă peine Ă chanter. Je trouve que câest un vrai manque de respect pour les fans. Regarde, yâa mĂȘme un titre quâa Ă©tĂ© Ă©crit par son coach sportif. On en est lĂ quoi.
Jâai lu ça dans des articles oui, mais je pense que les journalistes se sont trompĂ©s car en regardant les crĂ©dits du disque, en tant que paroliers, Ă part âMâ et Maxime Nucci, je nâai vu que le nom dâun certain Hocine MerabetâŠ
Hocine, ouiâŠ
Qui serait le complice dâĂ©criture de âMââŠ
Que je connais pas, ouiâŠ
Et acteur car j’ai lu qu’il joue un coach sportif dans Les Petits Mouchoirs de CanetâŠ
Ah, ce serait ça le dĂ©lire ? Câest possible. TrĂšs possible. De toute façon, faut rien croire.
Mais nâest-ce pas brider Johnny que de vouloir le forcer Ă respecter ses vieux fans ?
Non, il ne sâagit pas de penser Ă eux ! Mais ne pas penser Ă eux du tout, ça⊠De toute façon, âMâ nâavait pas envie de faire ce disque alors le problĂšme est aussi simple que ça.
Toi, si on tâavait demandĂ© de faire tout un album pour Johnny, tu lâaurais fait ?
Mais câest certain ! ça mâaurait juste pris du temps du coup (rires) !
Oui, environ 12 x 9 ans : plus dâune vie !
Tiens, des baies de goji. Elles poussent sur les hauts plateaux tibĂ©tains. Câest le fruit le plus riche en antioxydants du monde. Je ne sais pas si tu aimes. Sinon je peux te proposer du miel. Il mâen reste peu, mais ça peut rajouter une touche qui peut te faire dĂ©coller.
Tu aurais donc acceptĂ© dâĂ©crire tout un disque pour Johnny ?
Mais jâaurais plus quâaccepter : jâaurais Ă©tĂ© tellement Ă©mu de cette confiance, de cette envie, que je me serais passionnĂ© pour ce travail avec lui. Car voilĂ , lâintĂ©ressant câest aussi ça : travailler avec lui. Du coup je me dis que câest quand mĂȘme fou dâenvisager que ça ne puisse pas ĂȘtre une bonne idĂ©e de travailler avec lui. Câest une rencontre musicale comme on ne peut pas sâen souhaiter beaucoup dans sa vie.
Oui, câest Ă se demander ce qui fait bander âMâ !
Je sais pas. Il a engrangĂ© tellement dâargent sur sa derniĂšre tournĂ©e quâil ne pense peut-ĂȘtre plus quâau pognon et quâil sâest dit quâil en avait assez. Bon appĂ©tit ! Je sais pas si câest bon. Je sais pas ce qui motive le gars quand il dit non.
Oui, câest pour ça que jâai pensĂ© quâil ne se senait pas « lâhomme de la situation ».
Oui, mais alors pourquoi accepter aprÚs ?
Peut-ĂȘtre que Nucci et Merabet lâont convaincu, lui disant quâils se joindraient Ă luiâŠ
Ou alors Warner a fait monter les enchĂšres jusquâĂ ce quâil dise oui. Câest possible. Les mecs se sont dits : « Quâest-ce quâon fait ? Allez, on propose 10 fois le prix. » Et lĂ le mec a dit oui. Ou Johnny lâa appelĂ©. Je sais pas. Mais câest pas grave, moi je suis dans lâOpĂ©ration Johnny. Et jâen parle beaucoup depuis que jâai lancĂ© le projet. Jâen parle avec des chauffeurs de taxi, avec des gens sur les marchĂ©s, etc. et câest Ă©tonnant de voir ce que le peuple, quâon appelle les petites gens, dit de Johnny. Comment tout de suite ils embrayent. Comment ils peuvent parler de plein de sujets en parlant de JohnnyâŠ
Tu parles avec des pincettes de « France dâen bas », de « petites gens ». Tu ne penses pas que ton OpĂ©ration Johnny puisse gĂ©nĂ©rer un malentendu, quâon croit que tu tournes tout ça un peu en dĂ©rision, toi qui est plutĂŽt dandy, parisien et pas un fan pure souche de Johnny ?
Alors câest bien quâon aborde ce point-lĂ . Moi je suis un artiste : je suis le lien entre le peuple et les Ă©lites, quâelles soient financiĂšres, politiques, etc. Je suis ni lâun ni lâautre.
Oui, mais alors quâil est plutĂŽt dans la dĂšche, un artiste peut, par son look, sa culture et ses maniĂšres, donner lâimpression quâil est plutĂŽt du cĂŽtĂ© des Ă©lites. Câest un peu ton cas. Or, le grand public ne te connait pas, il ne sait pas qui tu es ni dâoĂč tu viens.
Si lâon suit mes aventures vidĂ©o sur Internet, on sait quand mĂȘme un peu oĂč porte mon cĆur. Les autres nâont quâĂ chercher. Et ils verront que je suis plus proche de Robin des bois que du duc de je sais pas quoi.
Câest marrant que tu te compares un peu Ă Robin des bois.
Pourquoi ?
Parce que je tâai briĂšvement dĂ©crit comme tel dans mon article pour Snatch !
Câest vrai ?! Ouais, câest curieux. Ouais, câest drĂŽle ça.
Je disais que la presse avait donnĂ© lâimpression dâavoir traitĂ© lâaffaire âMâ/Johnny comme un pendant musical de lâaffaire Banier/Bettencourt, si tu vois ce que je veux dire, mais quâun Robin des bois allait bientĂŽt rendre sa dignitĂ© Ă l’ex idole des jeunes !
(Rires.) Câest bien que tu me parles de ça ! Parce que je suis sĂ©rieux Ă peu prĂšs depuis le dĂ©but mais toi tu lâes pas du tout ! Tâes parti dans un dĂ©lire ? Ah dâaccord. Ah ouais bah trĂšs bien.
Ah mais je suis sérieux !
Yâa rien de plus sĂ©rieux que lâhumour ! Bien sĂ»r. Ah, câest trĂšs trĂšs trĂšs bien. Je vais remettre un petit peu de Mozart, si tu veux bien ! La face 2 des Noces de Figaro ! Câest une excellente nouvelle que cette petite transmission tĂ©lĂ©pathique que nous venons dâavoir et qui a recadrĂ© complĂštement lâinterview.
Mais toi qui aime les causes nobles, justes et folles, tu as un petit cĂŽtĂ© Robin des bois, nâest-ce pas ? Et Zorro mĂȘme, vu que tu avances masquĂ©, « à cheval » sur les mondes ?
Oui. Et comme Zorro je frĂ©quente des gens de tout bord, dont des chevaux. Jâen frĂ©quente dâailleurs beaucoup ces derniers temps. Et je nâai mĂȘme rien contre une bonne poule au pot, tout vĂ©gĂ©tarien que je suis. Ah dâaccord, tâes parti lĂ -dessus. Câest trĂšs trĂšs bien ça. (SUITE.)
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