DOMINIQUE A : “L’HORIZON”
2 fĂ©vrier 2006. 16h. Locaux du bureau de presse EphĂ©lide, deuxiĂšme arrondissement de Paris. Je patiente dans une piĂšce sobre aux lignes Ă©purĂ©es. Lâimpression de dĂ©ambuler nez lunaire et pieds en lâair dans la pochette du septiĂšme et somptueux album de Dominique A, LâHorizon, qui sort dans un mois. On mâouvre la blanche porte qui se dĂ©tache Ă peine dans tout ce blanc. Dans cette piĂšce, elle aussi toute blanche, assis face to face, Dominique A fini de sâentretenir avec un journaliste qui range ses affaires. Il doit avoir son Ăąge. Le genre de gars qui, jâimagine, le suit religieusement depuis ses dĂ©buts (1992). Le genre de journaliste que jâimagine scolaire (toi surhomme, moi pas) et qui nâa rien dĂ©florer de ce qui mâamĂšne, se contentant dâune petite saignĂ©e consangeek (geekeries qui intĂ©ressent qui ?). Le grand Dom sâoctroie une pause. Sort. DĂ©tend ce corps de danseur. Baleine dans tout ce blanc. Revient. Relax, dĂ©contractĂ©, souriant.
« Panoramix est mon vrai prénom »
Bonjour Dominique. La premiĂšre fois quâon sâest vu câĂ©tait il y a peu Ă la Maroquinerie pour les 10 ans de Prohibited Records. Ton concert y avait Ă©tĂ© Ă©tonnamment court.
Bah ça a duré 15 minutes.
Avec une version trÚs bruitiste de « La peau » avec Yann Tiersen. Vous aviez répété ?
Non, pas du tout ! Mais câest ça qui est bien avec Yann, câest quâil nây a pas besoin de rĂ©pĂ©ter, ça part tout seul. Je lui ai juste dit : « Jâai envie de faire un truc un peu funky ! » (Rires.)
Funky ?!
Ouais, ce qui est funky pour des mecs de 35 balais (rires) ! (LâattachĂ© de presse dĂ©barque et nous apporte deux cafĂ©s) Ah, on nâest jamais tranquille putain ! (« Ok, bon, je me casse », dit-elle, jouant le jeu dâun Dominique de trĂšs bonne humeur.) Merci beaucoup (rires) !
Tout sera comme avant, ton prĂ©cĂ©dent album, diffĂ©rait de tout ce que tu avais dĂ©jĂ fait parce que pour la premiĂšre fois tu avais laissĂ© Ă dâautres le soin de rĂ©aliser, arranger et dĂ©ranger à leur guise tes maquettes. Ce fut une sorte dâalbum rĂ©crĂ©atif ?
Câest une façon de voir les choses (rires) ! Je dirais plutĂŽt re-crĂ©atif !
Oui, aussi !
Bah soit aucun album nâest un disque Ă part, soit ils le sont tous. Pour moi ce nâĂ©tait pas un album qui devait sâinscrire dans le mĂȘme moule que les autres. Enfin, jâaime bien cette idĂ©e de crĂ©er un album en rĂ©action par rapport au prĂ©cĂ©dent et dâun truc qui se construit petit Ă petit. Donc de ne pas casser toute la baraque mais de faire des piĂšces Ă lâextĂ©rieur. LĂ , ce disque câĂ©tait une grande dĂ©pendance (rires) !
Une double dépendance !
Oui, Ă partir du moment oĂč jâai fait appel Ă Gekko et oĂč ils mâont dit oui ils prenaient tout en main et câest vrai que ça a Ă©tĂ© dur mais jâai dit : « Ok » (il sourit en serrant les dents, genre un petit ok, flippĂ©). Et financiĂšrement la maison de disques sâest arrangĂ©e.
Ăa a coĂ»tĂ© cher ?
Non, pas plus cher que prĂ©vu. Ăa a coĂ»tĂ© 900 000 balles. Au bout de 6 albums, comme budget, ça va. Câest un bon budget, je ne vais pas dire le contraire, mais bon aprĂšs il y avait quand mĂȘme 45 bulgares. Il y avait du monde au balcon, si jâose dire. Donc, non, ça nâa pas coĂ»tĂ© si cher que ça, mais voilĂ , câest sĂ»r que câĂ©tait cher par rapport aux ventes.
Par rapport Ă la rentabilitĂ© de lâalbum ?
VoilĂ . Parce que jâen ai vendu 35 000, ce qui est quand mĂȘme dĂ©risoire.
Ăa reste dĂ©risoire par rapport aux ventes dâAuguri ?
Non, câĂ©tait dans ces eaux-lĂ . Je vends 50 000 au meilleur des cas. La MĂ©moire neuve sâest bien vendue, mais câĂ©tait en dâautres temps ! Ă tempora ĂŽ mores ! Je nâai jamais fait un seul disque dâor de ma vie. Ăa viendra peut-ĂȘtre, ou pas, peu importe. Mais si on cumule tout je suis double disque dâor (rires) ! Enfin, bref. Je disais ?
Quâapparemment ça avait Ă©tĂ© dur de laisser « carte blanche » au collectif GekkoâŠ
Oui. Ils mâont appelĂ© dĂ©but septembre, trois mois aprĂšs notre premiĂšre rencontre pour me faire Ă©couter ce quâils avaient faits sur mes maquettes guitare-voix ou piano-voix. Ils avaient maquettĂ© 6 morceaux et câest vrai quâil y avait de quoi sâinquiĂ©ter.
CâĂ©tait dĂ©routant ?
Oui, trĂšs, parce que ça mâemmenait sur des terrains que je nâavais pas du tout prĂ©vus, sur un truc plus « world music » que ce que jâimaginais, et je ne savais pas trop si jâavais envie de ça. En plus moi Ă la base je ne voulais quasiment pas de batterie, mais ils avaient fait appel Ă Martin Parker et quand Martin Parker arrive en studio, tu nâas vraiment pas envie de lui dire : « Tu ne joues pas ». Martin Parker, il a jouĂ© sur LâImprudence, sur Fantaisie Militaire, tu as donc envie de lui donner tout lâespace parce que ce quâil fait câest vachement bien, super beau. Il a une façon presque poĂ©tique de jouer de la batterie. Et puis il y avait aussi Simon Edwards, le bassiste de Talk Talk. Des gens comme ça, câest des cadeaux. Parce quâen plus ils sont au service de ce que tu fais. Jâai donc passĂ© une ou deux nuits blanches, jâen ai discutĂ© avec eux et je leur ai dit banco quand mĂȘme.
Tu avais peur que tes chansons tâĂ©chappent ?
JâĂ©tais prĂȘt Ă ce que mes chansons mâĂ©chappent, mais peut-ĂȘtre pas Ă ce point-lĂ . Et puis je me suis dit : « Il faut le faire car ça ne se reprĂ©sentera peut-ĂȘtre pas deux fois. Je nâaurais peut-ĂȘtre pas autant dâargent la prochaine fois ». Je savais que ce ne serait pas un disque facile, mais jâai dit : « Faisons-le. Faisons-le pour lâexpĂ©rience. » Et puis ça aurait Ă©tĂ© trop triste de revenir Ă autre chose.
Trop triste de regretter ce que ça aurait pu donner ?
Ouais, je me disais : « Bah si on se plante au moins on lâaura fait joyeusement. » On a donc fait le truc et finalement pour moi câest un trĂšs bon souvenir. Il y a des choses que jâaime beaucoup sur ce disque. Je dirai que le truc que je nâaime pas trop sur une moitiĂ© de lâalbum, câest ma⊠câest la voix. Je trouve quâelle nâest pas Ă la hauteur du truc, elle ne porte pasâŠ
Les mots ?
Elle ne porte pas les musiques surtout.
Jâai trouvĂ© quâil y avait un certain fossĂ© entre les musiques et la voixâŠ
Pas sur tous les morceaux. Câest pour ça que jâai trouvĂ© certains commentaires un peu sĂ©vĂšres. Il y a des morceaux oĂč je trouve quâon nâa pas du tout cette sensation de fossĂ© entre la voix et la musique. Par contre il y a effectivement des morceaux oĂč je le sens. Mais je crois que cette mauvaise impression est due au morceau dâouverture (« Tout sera comme avant » â nda). La musique y est assez mafflue et la voix nâest pas Ă la hauteur donc je crois que ça conditionne toute lâĂ©coute du disque. Mais autrement, il y a des morceaux que je trouve bien au niveau de la voix. En fait, je pensais ĂȘtre plus guidĂ© que ça pour la voix et finalement je me demande si Jean Lamoot aimait vraiment ma voix ! Câest ça le truc : si tu ne sens pas⊠Enfin jâavais lâimpression que ses commentaires Ă©taient plus dâordre techniqueâŠ
Que de lâordre de lâĂ©motion et de la voix ?
Ouais, et moi jâaurais voulu quâon me renvoie un truc plus motivant Ă ce niveau-lĂ .
Et ça tâa plu quand, in fine, les journalistes ont trouvĂ© que sur ce disque assez orchestral ta façon de chanter se rapprochait de celle de LĂ©o Ferré ?
Bah en fait câest marrant parce que je crois que câest vrai. Jây ai des mĂ©lodies de voix qui se rapprochent de celles de FerrĂ©, plus que de celles de Brel ou de Barbara mĂȘme. AprĂšs faut voir quâĂ lâĂ©poque FerrĂ© Ă©tait un peu dans lâair du temps. Jâavais participĂ© Ă une compilation en son honneur. Dâailleurs ce cĂŽtĂ© FerrĂ© certains me lâont reprochĂ©. CâĂ©tait : « Mais dis donc, il se prend pour Ferré ou quoi ? » Alors que le but nâĂ©tait pas de se prendre pour LĂ©o FerrĂ©, mais de faire un truc un peuâŠ
AĂ©rien, hors du schĂ©ma couplet-refrain comme lâavait fait Bashung sur LâImprudence ?
VoilĂ , un peu imprudent, arrĂȘter de la jouer petit bras, essayer dâavoir une certaine ampleur. Mais câest lĂ oĂč jâai appris que ma force Ă©tait plutĂŽt la sobriĂ©tĂ© en fait. Je suis plus puissant dans la sobriĂ©tĂ© et la nuditĂ©. Dâautres ont besoin de jouer dans lâĂ©toffĂ©e, de limite sur jouer pour que ce soit vraiment fort et moi mon erreur, ça a Ă©tĂ© de croire que jâavais quelque chose Ă faire lĂ -dedans parce que je ne me satisfaisais pas de tous les compliments que je recevais, jâen voulais plus. En ĂȘtre passĂ© par lĂ mâa servi pour le suivant, LâHorizon, parce que quand il fallait y aller en termes dâarrangements et tout, je crois quâon nâa pas mĂ©gottĂ©. Simplement on Ă©tait moins dans un travail assistĂ© par ordinateur. Jean Lamoot, il dispatche tous les Ă©lĂ©ments sonores quâil a sur lâordinateur et il retravaille. Câest comme sâil avait une palette graphique.
Comme un alchimiste ?
Ouais, un alchimiste du Pro Tools. Il y a vraiment un truc trĂšs magique lĂ -dedans, mais nous sur LâHorizon on Ă©tait plus dans le jeu. Câest-Ă -dire que quand on avait une partie jouĂ©e, on ne cherchait pas Ă la dĂ©couper et la replacer ailleurs. Sur ce disque on a dĂ©placĂ© peu de choses. Jean Lamoot, il fait ça tout le temps, et câest aussi sa force, son talent.
Et ça marche ou pas selon le style de lâartiste.
Exactement. Selon le projet, les chansons.
Peut-ĂȘtre que le collectif Gekko nâaimait pas assez tes chansonsâŠ
Bah si, ils les aimaient beaucoup et ils Ă©taient tout le temps super enthousiastes, mais jâavais le sentiment quâĂ part les anglais personne nâaimait vraiment ma voix. Je nâai pas senti quâils me portaient autant que jâessayais de les porter. Jâai manquĂ© de retour lĂ -dessus. Câest le seul gros reproche que je leur ferais. Car globalement je ne regrette pas dâavoir fait ce disque.
Dâailleurs câest ce que tu dis dans le communiquĂ© de presse de ton nouvel album : « En guise de prĂ©ambule, je suppose que pour prĂ©senter ce septiĂšme disque, LâHorizon, je suis censĂ© dire du mal du prĂ©cĂ©dent, Tout sera comme avant. Oui, on fait comme ça en gĂ©nĂ©ral. On dit quâon ne sây retrouve plus. Que les chansons nâĂ©taient pas toujours trĂšs bonnes. Que le producteur nous a trahis. Quâon nâallait pas fort Ă lâĂ©poque⊠Bon, eh bien non, hĂ©las, rien de tout ça. Je suis toujours fier de cet album. Il va falloir faire autrement. » Tu voulais couper lâherbe sous le pied de ces commentateurs sĂ©vĂšres ?
Oui, pour anticiper sur leurs commentaires. Ce nâest pas parce que je sors un nouveau disque que je vais obligatoirement dire du mal du prĂ©cĂ©dent. Jâai des rĂ©serves sur ce disque mais je lâai réécoutĂ© il nây a pas longtemps et en fait dessus il y a vraiment des choses que je trouve trĂšs trĂšs bien. Je me dis juste que certaines chansons auraient gagnĂ© Ă ĂȘtre faites autrement.
Tu assumes tes erreurs. Tu estimes qu’elles font partie du chemin ?
VoilĂ . De toute façon, des erreurs, on ne fait que ça et puis au milieu, dans le meilleur des cas, il y a quelque chose Ă sauver. Câest mon point de vue : plus jâavance, plus je me dis : « VoilĂ , tu vas accumuler les bourdes mais au cĆur de ces bourdes, si tout va bien, quelques pĂ©pites sortiront ». Jâai souvent dit que je travaillais Ă faire la compilation parfaite. AprĂšs le problĂšme, câest que tout le monde nâest dâaccord sur la compilation. Certains y mettraient les chansons les plus Ă©videntes. Moi jây mettrais plutĂŽt les chansons les plus marquantes.
LâidĂ©e que tu te fais de tes chansons diffĂšre de lâidĂ©e que ton public sâen fait.
Entre ce quâon peut vouloir donner aux gens en se disant : « Ăa leur fera plaisir » et ce qui toi te semble ĂȘtre le mieux par rapport Ă ce que tu as fait globalement de lâĂ©criture Ă la production, le point de jonction est-il exact ? Une vieille chanson comme « Sous la neige » me semble parfaite, tant dans lâĂ©criture que dans la maniĂšre de lâenregistrer. Pareil pour une chanson comme « Le commerce de lâeau ». Je me dis : « Ăa, câest parfait. LâĂ©criture, lâinterprĂ©tation, lâarrangement, le son, tout ça câest super ».
Elles font bloc ?
Oui, dans ces chansons je nâai pas grand-chose Ă bouger. Et leur magie tient au fait quâelles ne sont pas reproductibles. A un truc de lâordre de lâinstant. Tu vois, câest des chansons isolĂ©es. Dans le nouvel album, il y en a une ou deux oĂč je sens ça.
Lesquelles ?
« Rue des marais » et « La relĂšve » ou « Lâhorizon ».
Etrangement quand je tâai vu en solo au théùtre des Bouffes du Nord pour la tournĂ©e de Tout sera comme avant tu nâavais plus rien de FerrĂ©. Au contraire, tu montrais plutĂŽt ton cĂŽtĂ© intimiste et direct Ă la Brel. Ce que ton public prĂ©fĂšre. Cette tournĂ©e a-t-elle Ă©tĂ© capitale dans le processus de crĂ©ation de LâHorizon ?
Oui. Jâavais fait des live en Espagne et en Allemagne oĂč je jouais mes nouveaux morceaux en solo car le groupe nâĂ©tait pas constituĂ©. Jâavais dĂ» rĂ©apprendre Ă jouer les morceaux tout seul, me les rĂ©approprier. Et les concerts aux Bouffes du Nord, câĂ©tait lâaboutissement de tout ça, parce que jâavais tournĂ© pendant un mois comme un malade, que le lieu Ă©tait splendideâŠ
Oui, ce grand mur de briques nues propice aux ombres portĂ©esâŠ
Ouais, bah voilĂ , jâai pris les chansons en main. Mais ensuite il y a eu la tournĂ©e en groupe (avec JĂ©rĂŽme Bensoussan et Daniel PabĆuf aux cuivres et aux clarinettes, David Euverte aux claviers et Vincent GuĂ©rin Ă la contrebasse â nda) et câest lĂ oĂč je me suis dit que je nâavais pas vraiment envie de revenir Ă un truc nu et acoustique totalement en rĂ©action par rapport au prĂ©cĂ©dent. Sur scĂšne, on nâavait pas de batterie, parce que je ne voulais pas fonctionner sur les grosses ficelles. Je voulais au contraire fragiliser les musiciens, quâon se base vraiment sur les rythmiques internes des morceaux et quâon trouve un truc trĂšs fort, Ă©nergique et ambitieux en termes dâarrangements. Et comme ça câĂ©tait super bien passĂ©, quâon avait rĂ©ussi Ă reproduire certains arrangements du disque, Ă part les cordes, je me rendais compte quâavec eux ce serait possible de faire sur certains morceaux quelque chose dâĂ la fois trĂšs orchestrĂ© et de beaucoup plus jouĂ©, naturel. Et je me disais que ce serait trop con de ne pas perpĂ©tuer sur album ce super Ă©tat dâesprit quâil y avait entre nous. Ăa me permettait donc dâenvisager autre chose que le simple retour Ă un album solo. Ce qui me faisait tout autant flipper quâautre chose.
LâHorizon est donc le retour Ă un album trĂšs personnel sans ĂȘtre un album solo.
Câest un album plus recentrĂ© sur ma petite personne et mon petit propos, mais que jâai fait en mâentourant de quasiment tous les gens qui comptent dans mon histoire musicale, câest-Ă -dire Dominique Brusson (avec qui il a coproduit RemuĂ© â nda), des gens de la prĂ©cĂ©dente tournĂ©e, Olivier Mellano (guitares Ă©lectriques â nda), Sacha Toorop (batterie â nda) et Laetitia (BĂ©gout, sa compagne, qui y co-signe deux musiques â nda). CâĂ©tait un peu se faire grandement plaisir avec, je dirais, zĂ©ro dose de danger relationnel.
Il nây en a pas eu ?
Non, ce nâest pas possible parce que je ne suis pas un chieur en studio et que les gens avec qui je bosse Ă©taient tous remontĂ©s dans mon sens.
Cette absence de tensions en studio peut-elle desservir la musique ?
Bah je ne pense pas. Enfin ça dĂ©pend des gens mais moi je nâai vraiment pas besoin dâĂȘtre dans un climat de conflit pour accoucher de quelque chose. Certainement pas. Je ne suis pas de cette Ă©cole-lĂ . Je ne pars pas du principe quâil faille en chier ou ĂȘtre tiraillĂ© de doutes pour que ce soit bien. Les doutes, ils sont lĂ tout le temps, donc nâen rajoutons pas (rires) !
La premiĂšre chose qui mâa marquĂ© dans ce nouvel album câest ta voix. Dans LâHorizon on dirait que tu chantes diffĂ©remment, avec un timbre plus chaud, veloutĂ©âŠ
Ah oui, peut-ĂȘtre, et tant mieux parce que jâessaie de moins bĂȘler quâavant.
Jâai eu lâimpression que tu fais un petit peu ton Jean-Louis MuratâŠ
Ah oui !? à mon Dieu, ma chair ! Vais-je devenir aussi chiant (rires) ?
A qui ou quoi doit-on cette évolution vocale ?
Je pense que câest dĂ» Ă tous les concerts quâil y a eu avant et au fait que Dominique Brusson a lâhabitude de ma voix. Il Ă©tait lĂ pour les concerts, il sait trĂšs bien oĂč sont mes forces et mes faiblesses, il sait donc ce quâil faut faire pour la mettre en valeur. Câest une question de son. Par exemple, sur Tout sera comme avant jâavais beaucoup de mal Ă trouver un Ă©quilibre entre la musique et la voix, Ă tel point quâon avait trouvĂ© un systĂšme oĂč je nâavais plus de casque sur la tĂȘte, jâavais juste deux petites enceintes rĂ©glĂ©es Ă faible volume et je chantais par-dessus. Parce quâon avait remarquĂ© que je chantais plus naturellement sans le casque sur les oreilles. Jâavais une Ă©coute dans le casque qui Ă©tait vraiment trĂšs perturbante, et lĂ je pense que câĂ©tait liĂ© au fait que je nâavais pas eu le temps de trouver le truc qui me convenait. Je ne comprenais pas ce que jâentendais dans le casque. Il avait un son trop bon. Tandis quâavec ces enceintes, jâavais le son que jâavais quand jâallais dans la cabine pour Ă©couter le rĂ©sultat et je retrouvais tout Ă fait mes repĂšres.
Comme quoi, le choix du matos est parfois trĂšs important.
Câest des trucs Ă la con, mais ça compte et ce nâest pas forcĂ©ment le matĂ©riel le plus cher qui va donner le meilleur rĂ©sultat. Dominique prenait bien ma voix parce quâon avait un micro qui est particuliĂšrement adaptĂ© pour ma voix. AprĂšs, il y a le climat. Je me souviens quâon a fait des voix quand on sortait du resto Ă midi. « Tiens, je me ferais bien quelques prises de voix ! ». Jâen faisais 3 dâaffilĂ©es et puis voilĂ , certaines ont Ă©tĂ© faites dans un laps de temps de 3h les 3. CâĂ©tait des trucs dont on se disait : « Boah, de toute façon ce nâest pas forcĂ©ment dĂ©finitif ! » et puis on les Ă©coutait et on se disait : « Tiens, câest bien, câest bien, câest bien ! ». On faisait donc comme ça. Ce que je dĂ©teste en studio, câest la place que prend souvent le chanteur au moment de la prise de voix, genre le moment est important, allumons une bougie, tu vois.
Câest le moment solennel !
VoilĂ , la solennitĂ© du truc, la sacralisation de la voix. Câest Ă©vident que câest important, mais nâen rajoutons pas trop parce que sinon ça va ĂȘtre tĂ©tanisant. Et lĂ le truc, câĂ©tait de se dire : « On fait une voix quand câest le moment. Tiens, lĂ il en faut une pour quâon se repĂšre dans la structure. » On faisait une voix et des fois comme câĂ©tait bien on poussait un petit peu et on faisait une prise voix qui nâĂ©tait pas prĂ©vue. On a donc essayĂ© dâattĂ©nuer au maximum le cĂŽtĂ© solennel de la prise de voix. Câest peut-ĂȘtre aussi ça qui donne ce rĂ©sultat que je trouve un peu plus light, et qui est en fait plus proche de ce que je peux faire en concert.
Au sujet de la voix, jâai lu dans un vieux numĂ©ro des Inrocks que pour toi Murat avait dĂ©bloquĂ© quelque chose en Ă©tant un des premiers Ă chanter-parler en osant le murmure et le silence, mais quâen fait le rĂ©sultat sâĂ©tait rĂ©vĂ©lĂ© moins probant que la philosophie. Que voulais-tu dire par lĂ Â ?
Bah en fait Murat est un peu dans la lignĂ©e de Jean Sablon, qui a Ă©tĂ© le premier Ă chanter trĂšs bas et avec un micro. Mais je dirais que ce que jâaimais beaucoup sur Cheyenne Autumn et ce que jâaime toujours dâailleurs, câest la distance quâil avait dans sa voix, il jouait encore avec, mais pas de façon trop⊠Jâai presque envie de dire « obscĂšne », quoi.
Lover ?
Ouais, le ronron du matou lĂ .
« Le mou du chat » !
“Le mou du chat”, ouais (rires) ! Et puis aprĂšs, câest parti en couilles chez lui parce que en fait, je crois que de la mĂȘme façon quâil nâavait pas supportĂ© dâĂȘtre snobĂ© par les gens du mĂ©tier, un jour il nâa pas supportĂ© dâĂȘtre presque acceptĂ©.
Un type jamais satisfait.
Bah je pense que câest un mec profondĂ©ment malheureux. Je nâai pas envie de lui taper dessus, mais il a longtemps revendiquĂ© cette facette pleine dâaspĂ©ritĂ©s, aride, tout ça, et finalement il est arrivĂ© avec des sons qui sortaient de magasins dâusine, des trucs hyper lĂ©chĂ©s, derniers cris. AprĂšs il nâa pas fait que ça, il y a notamment ses derniers disques oĂč câest quand mĂȘme plus rĂȘche, Ă©lectrique et acoustique. Plus simple. Plus terrien. Mais voilĂ , il y a un vrai Ă©cart entre son discours paysan et rupestre et ses poses vocales qui mâĂ©nervent, ce qui nâenlĂšve rien Ă un certain talent de composition. Il y a certaines chansons sur lesquelles je nâai rien Ă redire.
Restons sur la voix. Jâai notĂ© que certains chanteurs, Ă un moment de leur carriĂšre, nâarrivaient plus Ă supporter leur voix. Câest arrivĂ© Ă Thom Yorke de Radiohead aprĂšs OK Computer. Le succĂšs too much du disque lâavait enfermĂ© dans l’image du super chouineur. Il a donc « cassĂ© le jouet » par la suite. As-tu dĂ©jĂ eu ce problĂšme ?
Oui, il y a 5-6 ans, avec RemuĂ©, je ne supportais plus ma voix, ce quâelle transportait, tout ça. Jâavais envie dâautre chose, je ne savais pas comment faire et comme jâavais envie de chanter malgrĂ© tout, je me dĂ©battais lĂ -dedans.
Tu avais envie de te réinventer ?
Oui et en mĂȘme temps se rĂ©inventer, câest impossible. Tu ne te rĂ©inventes pas, tu te rĂ©acceptes. Mais câest bien parce que le dĂ©goĂ»t de soi, Ă partir du moment oĂč tu le dĂ©passes, tâamĂšne sur autre chose. Du coup, en quelque sorte, tu recapitulises
Recapitalise, tu veux dire ?!
Oui, pardon !
Beau lapsus !
Oui, jâen ai fait un autre tout Ă lâheure, en parlant de lâenfance, jâai dit lâenfonce, mais bon⊠Il est aussi joli celui-lĂ ! Donc oui, tu recapitalises avec une espĂšce de lĂ©gĂšretĂ© supplĂ©mentaire et donc de nouvelles voies. Moi ça fait longtemps que je nâai plus de problĂšme majeur avec ma voix. Il y a encore des jours oĂč jâai du mal avec, mais câest juste des problĂšmes ponctuels.
Ce ras-le-bol de ta voix Ă lâĂ©poque RemuĂ© nâĂ©tait-il pas liĂ© Ă un problĂšme dâimageâŠ
Mais tous les artistes ont un problÚme avec leur image !
Je veux dire : nâen avais-tu pas marre dâĂȘtre considĂ©rĂ© comme un chanteur triste ?
J’ai bossĂ© lĂ -dessus sur RemuĂ© et je me suis dit aprĂšs que l’image, on s’en branle quoi.
Tu as tiré un trait sur ce problÚme ?
Bah, l’image, il n’y a rien de pire qu’essayer de la contrĂŽler. Ou alors il faut vraiment avoir un talent particulier pour ça. Et comme je n’ai pas de talent pour ça, il fallait mieux que j’arrĂȘte de cogiter lĂ -dessusâŠ
C’est ce qui te dĂ©plait chez Murat : quâil ne sâarrĂȘte pas de « cogiter lĂ -dessus » ?
Pfff, je ne sais pas. Oui, je pense qu’il s’est laissĂ© paralyser par ça, mais bon aprĂšs je n’ai pas envie de parler de Murat tout le temps (rires) !
Jâimagine mais câest un bon exemple de ce quâon Ă©voque.
Oui, oui, je ne sais pas. Mais c’est vrai que certains artistes perdent parfois beaucoup de temps Ă essayer de revenir sur une image, alors quâon s’en branle, l’essentiel, c’est la musique et elle ne doit pas ĂȘtre le simple vecteur de ça. Elle peut te permettre de rĂ©tablir certaines choses si tu as envie de les rĂ©tablir, mais ça ne doit pas ĂȘtre le moteur premier, parce que l’image c’est les yeux et quâĂ ce que je sache en musique on s’occupe essentiellement des oreilles.
Toi, tu te vois comme un auteur-compositeur-interprĂšte plus lumineux qu’on ne croit ?
Je pense, mais ce n’est pas pour ça que je me sens obligĂ© de faire des efforts. Tout Ă l’heure on parlait de ça avec une jeune fille, elle me disait qu’elle croyait rencontrer un autiste, mais non, je ne vois pas leâŠ
Le lien ?
Bah si, il y en a forcĂ©ment un, mais la distance que je mets dans les chansons n’est pas une stricte illustration de la personne que je suis.
Ce n’est quâune partie de toi.
Oui, et musicalement cette distance m’intĂ©resse mais elle ne m’intĂ©resse pas humainement.
C’est la diffĂ©rence entre l’homme et l’artiste ?
Oui, je veux dire qu’il n’y a pas de point de jonction Ă©vident Ă faire. En interview, je n’ai pas pour vocation de livrer des trucs ultra confidentiels, ni de cacher quoique ce soit d’ailleurs.
La part des choses se fait naturellement en fait.
Ouais, parce que lâattitude que jâadopte pour que la musique dĂ©gage ce que jâai envie quâelle dĂ©gage n’est pas forcĂ©ment en rapport direct avec la maniĂšre dont j’ai envie de me comporter humainement. AprĂšs, je conçois tout Ă fait que ça soit dĂ©stabilisant pour le public qui se dit : « Tiens, c’est marrant, il a l’air plus sympa que ses chansons ». Bah oui, j’espĂšre bien.
Sur L’Horizon, dans le titre « La pleureuse » tu chantes : « Je serai ta pleureuse ». N’est-ce pas quand mĂȘme un pied de nez en rĂ©ponse Ă un petit problĂšme dâimage ?
Oui, lĂ en l’occurrence, c’est une histoire d’image, tu as raison. Je suis pris Ă mon propre piĂšge. Jâai Ă©crit ça aprĂšs avoir lu un article sur Camille dans Le Nouvel Obs. Le type lâencensait et, puisque lorsque tu encenses quelqu’un il faut dĂ©molir les autres au cas oĂč tes louanges seraient trop faibles, il mettait les pleureuses en opposition Ă sa fraĂźcheur, et câest cool car je crois que j’Ă©tais le chef des pleureuses (rires) ! Sur le coup c’Ă©tait trĂšs vexant et aprĂšs, je me suis dit : « Bah oui, pourquoi pas ? Face au ricanement gĂ©nĂ©ral, jâaccepte dâĂȘtre le diseur de mauvaise aventure, ça a aussi son utilitĂ©. » J’ai donc jouĂ© avec ça pour faire un morceau assez enlevĂ©.
Mélodiquement, le morceau est vaillant !
Oui, il est assez cornes en avant (rires)Â !
Auguri contenait déjà un titre de ce genre, « Les chanteurs sont mes amis », qui était un pied de nez en réponse à ton image de chef de file de la chanson rock française.
Ouais, mais je te dirais que je ne sais pas pourquoi je continue Ă faire ce genre de morceaux parce que c’est des morceaux dont je me dĂ©solidarise hyper viteâŠ
Ils font souvent office de bol d’air dans tes disquesâŠ
Oui, j’ai le sentiment que c’est des oxygĂ©nations, que ça fait des petites bouffĂ©es dans un truc qui sinon serait peut-ĂȘtre un peu trop sclĂ©rosantâŠ
Câest ton cĂŽtĂ© grand dĂ©conneur, quoi !
Ouais, c’est mon cĂŽtĂ© dĂ©conne (rires) !
Comme la presse te dĂ©peint souvent en “patron” de la nouvelle scĂšne rock française, l’idĂ©e câĂ©tait de pousser le vice Ă dire Ă dire que tu es potes avec eux, c’est ça ?
Ouais, enfin je veux dire : ça concerne qui ? C’est vraiment un truc de village, globalement le quidam, il s’en branle, quoi. Et c’est plus gĂȘnant pour les autres que pour moi. Parce qu’Ă partir du moment oĂč tu es citĂ© comme une rĂ©fĂ©rence, mĂȘme si c’est en rĂ©fĂ©rence nĂ©gative, c’est bien parce que c’est la preuve que tu existes aux yeux des gens et exister aux yeux des gens mĂȘme nĂ©gativement ça permet Ă d’autres gens qui ne te connaissent pas d’entendre ton nom et puis un jour peut-ĂȘtre d’entendre un morceau, de se dire : « Ah, c’est ça » et de s’y intĂ©resser Ă©ventuellement. C’est donc toujours une bonne publicitĂ©.
Tu écoutes certains des auteurs-compositeurs-interprÚtes dont on te dit le pÚre ?
Je ne connais pas tout, mais il y a un mec que j’aime bien, c’est Arman MĂ©liĂšs. Son prochain disque est superbe. Autrement, il y a des gens qui ne se rĂ©clament pas de moi mais dont je me sens proche, ça peut ĂȘtre des gens lĂ©gĂšrement plus vieux comme Marcel Kanche ou Philippe Poirier avec qui j’ai dĂ©jĂ bossĂ©. Enfin il y a plein de gens en France que je trouve intĂ©ressants.
Et dans les “lĂ©gĂšrement” plus jeunes ?
Il y a Encre. J’aime bien Encre. Je l’ai rencontrĂ© Ă une carte blanche et j’ai fait un truc sur son projet Thee Stranded Horse. Oui, j’aime bien ce type. Il y a aussi les filles de Mansfield Tya. Il y aussi Le Coq, un nantais dont jâaime vraiment le dernier disque. D’ailleurs c’est Ă©tonnant car je n’aimais pas ses prĂ©cĂ©dents. Tu vois, des gens comme ça. Il y a ces gens qui sont lĂ et Dieu merci, quoi. Je ne me sens pas sur une Ăźle dĂ©serte, loin de lĂ .
Chacun Ă leur maniĂšre, ils continuent d’explorer la voie que tu as ouverte en 1992 avec ton premier album, La Fossette.
Ouais, ce ton qui consistait Ă ne pas avoir peur de ses faiblesses et mĂȘme de les revendiquer. Alors aprĂšs, pour le meilleur et pour le pire. Moi, je ne fais pas de la faiblesse un argumentâŠ
De vente ?
Oui, parce quâil y a des gens pour qui c’Ă©tait ça. Ils se sont engouffrĂ©s lĂ -dedans en se disant : « On va geindre et tout le monde va trouver ça joli. » Je suis plus nietzschĂ©en que ça (rires) !
C’est-Ă -dire ?
Bah je ne sais pas.
Tu te reconnais dans son fameux : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » ?
Bah je ne sais pas dans quelle mesure c’est vrai, mais il y a du vrai. Alors que l’apologie de la faiblesse comme valeur suprĂȘmeâŠ
Câest lâapologie du mal ĂȘtre comme ayant force de vĂ©ritĂ©âŠ
Oui, c’est çaâŠ
Et le mal ĂȘtre ne peut pas ĂȘtre la vision suprĂȘme de la vie.
Donc⊠faut pas déconner (rires) !
Pour autant, il n’y a qu’incarnation, subjectivitĂ©, Ă©motion...
Bah oui, oui, oui. On n’est pas dans un point de vue communautariste par rapport aux choses, on est tous dans un truc individualiste, subjectif, c’est clair. AprĂšs, l’introversion c’est bien joli, mais il faut la transcender. En tous cas, en chanson, pour que ce soit recevable, il me semble. Enfin, ça dĂ©pend, il y a des Ă©tapes, c’est-Ă -dire que si tu dĂ©barques, effectivement, je dirais que tu peux te permettre d’ĂȘtre autocentrĂ©, introverti et de prĂ©senter ça aux gens en disant : « Ăa, c’est moi et je n’en dĂ©rogerai pas. » AprĂšs, libre aux gens de prendre ou pas. Mais si tu continues sur plusieurs annĂ©es Ă ĂȘtre dans un rapport de faussetĂ© par rapport Ă toi et aux gens c’est insupportable. Ăa ne peut fonctionner que sur un ou deux disquesâŠ
Toi, on ne peut pas vraiment dire que tu Ă©tais Ă©gocentrĂ© Ă tes dĂ©buts tellement tu Ă©tais dans l’Ă©pure, l’effacement, mais par ce dogme, cette ascĂšse, c’est comme si tu disais : « Ăa, c’est moi et je n’en dĂ©rogerai pas. » Ăa a changĂ© la donne, non ?
Bah je me suis demandĂ© si j’avais envie de continuer, tout simplement. Et si j’avais envie de continuer â et j’avais trĂšs envie de continuer â ça passait par l’abandon du nombril, ou alors le repositionnement du nombril. Fallait le mettre ailleurs.
Déplacer son centre de gravité.
VoilĂ , c’est ça, tout simplement.
Aujourdâhui dans L’Horizon, Ă part 2-3 chansons, tu dis encore rarement « je ».
Ouais, je te remercie de me le faire remarquer, personne ne me l’a trop dit ça.
En fait ton Ă©criture est trĂšs souvent narrative, ta position celle dâun conteur, ton regard une camĂ©ra grand angle sur des personnages, des situations, des paysagesâŠ
Oui, je suis plus dans une espĂšce de regard en hauteur que dans lâenfermement, lâintĂ©rieur, câest pour ça que ça me surprend toujours quand on me parle de chansons de « chambre ». Câest moins le cas maintenant parce que tout le monde semble avoir dĂ©cidĂ© que jâĂ©tais devenu un chanteur panoramique. Panoramix, câest mon vrai prĂ©nom ! Mais on mâa longtemps parlĂ© de ce truc de la chambre : il est dans sa chambre et tout.
Oui, Ă tes dĂ©buts les journalistes disaient que tu faisais de la « kitchen music »…
Oui, je comprenais par rapport Ă mes dĂ©buts, mais pour Ă©chapper à ça je suis justement rentrĂ© dans des narrations dĂšs le deuxiĂšme disque. Et on me renvoyait encore le truc de la chambre, je me suis donc dit : « Bon, bah voilĂ , je ne vais pas lutter parce que ce nâest pas possible ». Et câest vrai que si tu regardes les chansons, il y en a peu oĂč je dis « je » et quand je dis « je » en plus, souvent il nâest pas question de moi. Sur L’Horizon, nây en a quâune ou deux oĂč je dis « je » et oĂč il est vraiment question de moi, câest « Rouvrir » et « Rue des Marais ».
« Rue des Marais » oĂč tu exhumes des souvenirs d’enfance, des impressionsâŠ
Oui, câest des impressions faussĂ©es par le souvenir et câest marrant, parce que du coup, câest tellement personnel que jâai remarquĂ© que les gens ne le perçoivent pas comme tel. Ils voient ça comme un truc plus universel, alors que lĂ je suis au plus prĂšs de mon histoire Ă moi.
Et il y a cette belle phrase dans la chanson, que tu dis comme si tu tâextrayais de ce passĂ© brumeux : « Plus tard jâĂ©crirai tout / Quand je saurai viser ».
Ouais, la vĂ©ritĂ© fictive se dĂ©place, câest bon de lâatteindre et cette chanson-lĂ est une premiĂšre Ă©tape vers la cible, en fait. Câest assez rigolo. Câest une chanson qui me trouble moi-mĂȘme. Elle est tellement prĂšs de lâos que je me suis longtemps demandĂ© si jâallais la jouer sur scĂšne. Mais un jour un type me lâa demandĂ©e Ă une session acoustique. Alors je me suis dit : « Tiens, pourquoi pas ? » Et puis je lâai jouĂ©e et voilĂ , câest parti. Je peux la jouer pendant 15 ans !
Jâai lu quâĂ tes dĂ©buts tu souhaitais rĂ©ussir Ă faire une chanson sur le courage car tu jugeais que câĂ©tait un sujet difficile Ă aborder, ça donnera « Le Courage des oiseaux » de La Fossette. De la mĂȘme maniĂšre, ton enfance, fantasmĂ©e ou pas, faisait-elle partie de ces « sujets challenge » que tu tâĂ©tais un jour promis de mettre en chanson ?
Non, je ne fonctionne plus comme ça, mais disons que « Lâhorizon » Ă©tait le type de chanson que je voulais Ă©crire depuis pas mal de temps, une espĂšce de faux rĂ©cit Ă©pique avec des noms de lieux et des visions presque ridicules tellement câest⊠entre HomĂšre et les Marvel Comics, Ulysse et Les 4 Fantastiques (rires) !
DâoĂč as-tu tirĂ© les visions de cette vision ?
Dâun voyage que jâai fait au Groenland, alors que jâĂ©tais sur le bateau. CâĂ©tait tellement fou, entre Highlander et Le Seigneur des anneaux (rires) ! Que voilĂ , ce morceau est sorti.
A lâinverse, comme tu le disais, le morceau qui suit, « Rouvrir », est plus intime et autobiographique. Il y est moins question de super hĂ©rosâŠ
Câest marrant parce quâun type mâa dit quâil pensait que câĂ©tait une chanson sur mon attitude vis-Ă -vis de lâindustrie du disque ! Câest la mĂ©taphore utilisĂ©e qui permet ces diffĂ©rents degrĂ©s de lecture. Parce que lĂ , pour le coup, câest vraiment une chanson dâamour. LâidĂ©e câĂ©tait de parler dâune personne qui fait beaucoup dâefforts vis-Ă -vis dâune autre, qui en a un peu marre, Ă un moment donnĂ© elle sent quâelle a besoin quâune porte sâouvre pour elle. Et en fait Ă la fin tu as cette image de deux personnes face Ă face de chaque cĂŽtĂ© dâune porte. Les retrouvailles ne se font jamais parce quâil y a la fiertĂ© au milieu. CâĂ©tait plus une chanson comme ça.
Oui, le rapport homme-femme sous lâangle sentimental, psychologique, mĂ©taphorique. Dans Auguri tu avais pas mal pris ça Ă rebrousse-poil, parlant sans fard de dĂ©sir et de rapport sexuel dans « La peau », « Je tâai toujours aimé », « Le commerce de lâeau »âŠ
Ouais, mais du coup jâai lâimpression que câĂ©tait une façon dâouvrir et de clore le sujet.
En finir avec la chair ?
Bah je trouvais que je nâirais pas plus prĂšs de ce que je voulais dire sur le sujet pour lâinstant. Pour lâinstant, ce thĂšme ne me tracasse pas du tout⊠(La porte sâouvre pour nous dire quâil est temps de conclure et Dominique laisse comprendre quâon nâen a plus que pour 5 minutes afin dâarriver Ă bon port et de se quitter Ă la cool â nda) Tu sais, quand jâĂ©cris des chansons, jâessaie de ne pas trop penser aux thĂšmes que je vais aborder. Aujourdâhui, je ne me dis plus : « Tiens, je vais aborder tel sujet ». Je laisse venir, je suis plus intuitif.
Tu continues Ă Ă©crire dans lâ « état de neutralité » oĂč tu Ă©crivais il y a 15 ans ?
Oui, si je suis gai, je nâai pas franchement envie dâĂ©crire, si je suis triste encore moins.
Il faut un Ă©tat dâ « entre deux » ?
Ouais genre euh ça va ! Et puis neutralitĂ© nâest plus un terme trĂšs juste aujourdâhui parce que je suis super concentrĂ© quand jâĂ©cris, je suis trĂšs excitĂ©, je sens vraiment lâadrĂ©naline monter quand jâai une idĂ©e, ça peut aller jusquâĂ me faire lever du lit pour Ă©crire. NeutralitĂ© nâest donc plus un bon terme parce que lĂ je suis un peu sur les charbons ardents et je sens quâun truc qui vient qui doit ĂȘtre mis sur papier. Mais câest vrai quâil ne faut pas ĂȘtre ni euphorique ni dramatique. Câest marrant parce que je devais faire un « split single » (il dit le mot en riant â nda) avec Edith Frost en Espagne. Je ne sais pas si tu connais, câest une chanteuse folk amĂ©ricaine. On se connaissait un peu et je pense quâelle voulait le faire, mais elle me disait : « Le problĂšme, câest quâaujourdâhui, je suis tellement heureuse que je nâai rien Ă dire. »
Câest dur ça, quelque part. Ce vide, dâun coup.
Oui, mais en mĂȘme temps elle Ă©tait heureuse (rires) !
Oui, de toute façon il ne faut pas se forcer à créer.
Non, et puis je trouvais ça bien, je trouvais ça sain : « Tiens, la fille, elle nâa pas besoin de ça et elle accepte trĂšs bien le fait de ne pas avoir besoin de ça. » Je lâenviais presque.
Toi, tu nâen es pas encore lĂ Â ?
Non, je ne suis pas aussi sain.
Lâinspiration et le besoin de crĂ©er te travaillent toujours ?
Non, pas tout le temps, mais rĂ©guliĂšrement, oui. Tu sais, câest pour tout le monde pareil, lâinactivitĂ©, ça pĂšse. Donc moi, en dehors du fait que chanter et Ă©crire des chansons est mon centre dâintĂ©rĂȘt principal, câest vraiment le sentiment de lâinactivitĂ© qui fait que jâai envie de chanter et de chanter dâautres choses. Et pour avoir envie de rechanter des chansons, il faut en avoir des neuves. Il faut toujours quâil y ait un peu de matĂ©riel neuf qui arrive et rĂ©actualise le vieux machin, qui lui permette de reprendre des couleurs. Câest un jeu dâĂ©quilibre lĂ -dessus. Bon, je suis dĂ©solĂ©, il y a du monde au portillon, je dois aller faire des photos. Salut ! (OFF RECORD.)
Laisser un commentaire
Participez-vous à la discussion?N'hésitez pas à contribuer!