CHRISTINE AND THE QUEENS : CHALEUR HUMAINE (1)
23 mai 2014. 16h00. Paris 9e. Dans les locaux du label Because. « Non mais vas-y, déshabille-toi, y’a pas de problème ! », me renvoie du tac-au-tac Héloïse alors que, déboutonnant ma chemise, je viens de lui dire, clin d’oeil en sus, que j’en resterai au T-shirt. « C’est vrai qu’il fait un peu chaud ici, lourd ». C’est qu’elle est là depuis tôt ce matin pour la promo de son premier album, Chaleur Humaine, et qu’elle vient de parler de ses vidéos et acteurs/actrices porno préférées avec Le Tag Parfait alors je me dis qu’on peut y aller, taquiner. Et qu’il va falloir aussi mouiller le maillot !
Et vaudrait mieux que je me donne à fond car je serai loin d’avoir une seconde chance d’interviewer un jour l’ex petite frenchie qui n’avait alors que trois EP à son actif. Quelques semaines après, alors que la promo aura battu son plein, que les affiches de son disque auront fleuri dans les couloirs du métro parisien et que Philomag regrettera de ne pas avoir accepté ma proposition d’entretien avec elle, ce sera trop tard, elle sera déjà loin. Quand l’album sera réédité fin 2015 et sortira aux USA, son RP me fera comprendre que c’est même pas la peine d’attendre. Ils essaient de calmer le jeu.
D’habitude je ne fais pas ça, je n’ai pas le réflexe business, mais comme je suis uniquement là pour ça et que je viens enfin de les faire, je lui tends ma carte de « pop writer / inter viewer » à Parlhot. J’ai toujours vu son côté queer (celui qui « voit entre », qui est entre…) mais je n’avais pas calculé l’adéquation que ça serait de la lui tendre à elle. « Bonne référence, me sort-elle en voyant le Lou Reed de la pochette Coney Island Baby qui l’illustre. « C’est drôle, on dirait qu’il est déguisé en Klaus Nomi ». Oui, ou en mime Marceau. « C’est vrai. Merci pour ta carte. » De rien. Bien.
« J’ai juste fait mon coming-out en tant que personne multiple »
Bonjour Héloïse, bon je dois t’avouer que j’ai pas pu écouter ton disque 36 000 fois. Je ne l’ai reçu que hier quoi.
Ouais, je comprends. Et du coup t’es là : « Euhhhh ! »
Non, ça va, parce que je connaissais déjà un peu ta musique, j’avais un peu écouté tes EP et j’ai pu m’y replonger, c’est juste que ton attaché de presse m’a prévenu du jour au lendemain qu’il était possible de te rencontrer, donc ça s’est juste fait dans l’impro et la précipitation. En découvrant ton premier album, j’ai surtout été étonné d’y voir si peu de morceaux issus de tes trois EP. Pourquoi ? Ça représente quand même 15 chansons dont certaines auraient méritées d’être plus médiatisées. En gros, tu aurais donc pu te contenter de sortir un best of de tout ça à destination d’un plus large public. Pourquoi n’as-tu pas choisi cette option ?
Ecoute, la question s’est posée forcément, mais en fait je t’avouerai que moi j’étais pas fan de l’idée reprendre autant de morceaux issus des EP. Je voulais qu’un premier album soit un premier album avec des nouveaux titres et pas une sorte de compilation parce que moi en tant que consommatrice je t’avouerai que ça m’énerve un peu quand un album compile presque tous les meilleurs titres des EP. Je considère l’objet EP – même si j’ai peut-être tort – comme un objet en soi et pas simplement comme une étape. Du coup je me dis que si on aime l’album bah on peut revenir vers les EP, et je préfère qu’il y ait un dialogue entre tout ça. Et puis comme j’ai avancé j’avais d’autres envies et d’autres atmosphères à défendre.
Certains morceaux des EP ne te correspondaient plus, c’est ça ?
Ben si, ils me correspondent tous mais c’est vrai que j’ai du mal à revenir vers ce qui a déjà été fait du coup j’ai du mal à retravailler ces morceaux et je préfère en composer de nouveaux, c’est plutôt comme ça que je travaille et finalement on m’a encouragé à le faire aussi. Après, bon, on pouvait pas non plus me forcer à écrire…
Oui, mais j’imagine que t’avais des choses à proposer. Et puis justement, c’est bien, ça permet d’avoir une deadline pour aller de l’avant et se motiver à finir de nouveaux morceaux. Alors après je sais pas si t’as besoin de ça, ça dépend si t’es prolifique et si tu procrastines…
Euh moi j’écris beaucoup alors après j’élimine beaucoup du coup mais j’ai tendance à beaucoup beaucoup écrire. Là, tu vois, j’ai déjà commencé à écrire pour le deuxième album (rires) ! En fait, c’est juste que le temps mort m’effraie donc quand j’ai un peu de temps libre je compose. Et en fait j’ai toujours beaucoup écrit, j’écrivais des textes bien avant de faire des chansons…
Oui, j’ai lu ça dans ta bio, qui est une belle bio pour une fois. J’ai vu qu’elle était signée Arnaud Cathrine. Ceci explique cela.
Hé ouais… Mais oui parce que quand j’ai voulu faire une bio pour le premier EP, ça s’est pas très bien passé, du coup je préférais cette fois me reposer sur quelqu’un qui a déjà une écriture que j’aime. Quitte à avoir une bio, autant avoir une belle bio.
C’est donc toi qui a fait appel à lui ?
Ouais. Et il a été très gentil de me répondre. Mais ouais, ça dépend des gens, mais moi j’ai tendance à penser que l’écriture c’est comme un muscle, plus tu pratiques et plus c’est facile, agréable…
Oui, et plus ton muscle se manifeste magiquement à toi quoi…
Oui, peut-être que du coup y’a comme une inversion qui se fait, oui, c’est lui qui te sollicite, ça peut presque aller jusqu’à une sorte de dépendance.
Dans ta bio il est donc dit que plus jeune tu écrivais et composais déjà des choses mais sans cadre. L’écriture je vois bien comment on peut y venir, c’est facile, la musique un peu moins. Comment ça t’est venu en pratique ? Et quelle était ta relation d’écoute à la musique ?
Euh alors j’ai toujours eu un rapport très très important à la musique. Plus petite j’ai fait du piano et en tant que consommatrice j’ai toujours énormément écouté de musique. D’ailleurs quand je faisais du théâtre, j’étais presque autant obsédée par mettre ma pièce en musique que par le fait de l’écrire donc j’étais clairement vraiment obsédée par la musique, mais je crois que je m’étais pas autorisée à me considérer comme quelqu’un qui écrivait des chansons. D’ailleurs j’en avais pas écrit. Comme le raconte la bio c’est vraiment en 2010 que ce projet est né. C’est vraiment à ce moment-là que je me suis mise à écrire et chanter. Avant j’étais pas du tout dans ces problématiques. Mais (elle soupire – nda), ça m’a fait un bien incroyable. Je pense que j’avais juste besoin de trouver ce medium-là. Parce que je savais que je voulais faire de la scène mais j’avais peut-être pas trouvé le bon moyen d’en faire. Du coup j’écrivais beaucoup. Pfff petite j’ai même écrit des nouvelles et des romans mais bon je pense pas qu’ils soient spécialement bons…
Ah oui, carrément !
Bah en fait je voulais être écrivain quand j’étais plus jeune. Mais plus ça allait plus j’allais vers des formes un peu plus fragmentées. Même moi dans mes lectures je suis passée des gros romans aux formes plus ramassées et aux poèmes tout court. Mon écriture a aussi un peu suivi cette évolution, et finalement la chanson m’a aussi fait beaucoup de bien parce qu’elle m’a obligé à synthétiser les choses et à être forte dans l’image, et tout ça c’est des contraintes qui m’ont tout de suite plu.
Je comprends. Moi j’ai tendance à ne pas voir, enfin ne pas faire de différence entre ce qui serait la poésie moderne, actuelle, et les chansons. Qu’en penses-tu ?
Ouais, ouais, c’est un point de vue intéressant…
Souvent les gens mettent ça en opposition, les poèmes versus les chansons…
Ah oui ?
Oui, je me rappelle par exemple d’une récente interview où Miossec disait que les bonnes chansons étaient de très mauvais poèmes…
Ouch, ah non… Enfin ça dépend du regard qu’il porte sur la poésie… Moi je serai pas forcément d’accord… Après chacun a sa poésie en fonction de ses lectures. Moi par exemple ce que je lis en poésie c’est pas forcément des choses qui s’apparenteraient tout le temps à des textes de chanson mais ça veut pas dire que c’est incompatible. Moi par exemple y’a un auteur que j’adore, et je suis pas la seule, c’est René Char. Pour moi c’est un auteur absolument fabuleux. Et des fois dans ces poèmes tu as carrément des passages entiers qui ressemblent à des chansons. Donc pfff je pense surtout que la poésie a la largeur qu’on veut bien lui donner. Moi j’aurais donc tendance à être d’accord avec toi.
Après voilà, il y a des poèmes qui sont très écrits, concepts, pointus, mentaux et qui sont faits pour la page et d’autres plus déliés, mélodiques qui appellent plus la voix, le corps.
Ouais, c’est vrai qu’il y a des écritures qui sont agréables à lire et d’autres qui sont agréables à dire. En tous cas pour moi la poésie des chansons, elle est autant dans le son que dans le fond.
Oui, et c’est notable dans le texte d’un morceau comme « Saint Claude », qui est très beau, travaillé, et en même temps qui sonne pour ce qu’il est…
Merci, c’est gentil (rires) !
Je le pense !
Bah merci, ça me fait plaisir…
On pourrait se dire qu’il a un côté un peu trop stylisé, maniériste parfois, mais non ça passe…
C’est compliqué de juste apporter ce qu’on veut sans trop s’écouter, c’est tellement facile de s’écouter écrire. Parfois je relis des trucs que j’ai écrits quand j’étais plus jeune et j’aperçois que j’étais autant dans le plaisir d’écrire que dans la volonté d’être lue, de partager, et finalement pour ça faire de la musique et des chansons c’est pas mal parce que ça permet de jamais perdre de vue qu’on nous écoutera. Du coup ça me fait moins m’écouter…
Et comme la musique prend de l’espace émotif, qu’elle dit déjà des choses en un sens, ça force à élaguer niveau texte…
Oui, voilà, y’a des contraintes supplémentaires qui sont très intéressantes à expérimenter, comme le fait que ça doit sonner et que ça ne doit pas être bavard. En tous cas moi j’aime pas quand c’est trop bavard. C’est peut-être lié à mes goûts musicaux, au fait que j’ai écouté beaucoup de pop anglaise, mais moi j’essaie d’avoir une écriture en français assez elliptique…
De pas être verbeuse ?
Oui, voilà, je dis pas que je raconte que des choses importantes mais je suis plus intéressée par quelque chose de concis. Après j’écoute de plus en plus de rap et de hip hop et même en terme d’écriture en français ça m’intéresse. Ça n’a rien à voir a priori mais ça m’intéresse, pour la gestion du souffle, de la musicalité et le côté punchline, de comment mettre quelqu’un par terre avec juste une phrase. Ça c’est hyper intéressant. Enfin bon, je n’en suis qu’au début de l’expérimentation mais je suis assez obsédée par les punchlines en ce moment.
D’accord. C’est quoi ta punchline du moment (sourire) ?
Bah j’en n’ai pas justement, j’ai un mal fou à en trouver des géniales, c’est là qu’on se rend compte que c’est quand même un vrai vrai talent d’être un rappeur (rires) !
Il y a donc l’écriture et il y a le chant, la prononciation, diction. Et c’est marrant parce que dans un morceau comme « Nuit 17 à 52 », je me suis aperçu qu’il y avait des mots que j’avais mal entendus. Que là où tu dis « allongée » j’avais entendu « l’ange délié » et que là où tu dis « le nombre lutte contre l’oubli » j’avais entendu « non-moi lutte contre l’oubli ».
Oh, le non-moi et tout !
Oui, un truc totalement weird, je me disais : « Mais qu’est-ce qu’elle veut dire ?! »
Ahahahah, elle est conceptuelle cette fille (rires et grimace féroce : gnac) !
Ouais. C’est comme dans le morceau « Christine » où j’ai entendu « éclis », un mot bizarre que je ne connaissais pas et qui a fait tiquer le Maître Capello en moi (éclis est le néologisme d’éclats et de débris que Tristan Corbière inaugure dans un poème de son recueil Les Amours jaunes) ?
T’as imprimé les paroles et tout (gros smile) ! J’aime bien glisser quelques mots bizarres oui, et c’est vrai que mon articulation n’est pas non plus très naturaliste et d’ailleurs souvent (sourire) y’a même des gens qui me disent : « Mais des fois on a pas l’impression que tu chantes en français ».
Mais c’est intéressant, ça ouvre des trappes dans le son et le sens.
Oui.
Comme chez Bashung où on ne comprend pas tout le temps tous les mots.
Hé oui. Je pense que c’est assez inconscient mais oui, j’aime bien pouvoir mâcher les mots comme je veux quoi, prendre des libertés avec les prononciations, les étirer, les malaxer quoi. C’est pour ça que Bashung est un de mes chanteurs préférés, et Christophe aussi, parce qu’ils ont des énonciations qui ne sont pas très naturalistes.
Oui, Christophe a aussi une façon très particulière de chanter. Et de parler aussi.
Exactement. Et moi c’est ça qui me fait parfois aimer très fort certains chanteurs français.
Sur cet album tu reprends d’ailleurs « Les Paradis perdus » de Christophe. Et c’est marrant parce que j’ai l’impression que ce morceau, et ce Christophe, celui d’après « Les Mots bleus », fascinent les jeunes mélomanes. J’ai une amie, Agnès Gayraud du groupe La Féline, qui l’a aussi repris récemment. Toi, qu’est-ce qui ta poussé à reprendre ce morceau ?
En fait, il est très très moderne, je trouve. Enfin tu vois, tout à l’heure on parlait d’écriture, de rap et de phrasé et « Dandy / Un peu vieilli / Un peu maudit », c’est déjà un phrasé pas courant… Alors moi le texte je le trouve très beau et en plus ce qui me plaît assez c’est qu’il y fait une allusion aux caves de Londres et que ça fait comme un écho déformé à mon projet (c’est en rencontrant trois travestis dans un bar dit « interlope » de Soho et en leur confiant son désarroi artistique et sentimental que, raconte l’histoire, elle se verra conseiller d’inventer sa vie et lancera donc juste derrière l’aventure Christine and the Queens – nda). Je suis une grande fan de Christophe, surtout de ses derniers albums que je trouve absolument impressionnants. Aimer ce que nous sommes, c’est très très impressionnant. Mais c’est vrai que « Les Paradis perdus » est un morceau qui a un fort pouvoir d’attraction, pour son texte et son instrumentation qui ont quelque chose de moderne. C’est pour ça que je l’ai repris, mais moi je l’ai mélangé avec un autre refrain…
Un truc de Kayne West, c’est ça ?
Oui.
C’était pas assez moderne comme ça ?
Ouais c’est ça et j’ai creusé, j’en ai fait un truc encore plus… L’hybridation m’intéresse de manière générale, que ce soit dans ma vie, dans ma musique et dans mon écriture. De confronter des choses qui sont apparemment pas confrontables m’intéressent. Et à la base cette chanson a déjà un truc étrange dans le refrain, son refrain c’est déjà une rupture…
Oui, d’ailleurs il s’en amuse lui-même, à un moment du morceau il surjoue le truc en prenant une voix très basse, presque grotesque, Quasimodo, monstrueuse…
Oui, c’est ça, c’est monstrueux, très curieux, il installe une ambiance crépusculaire dans le couplet qu’il casse complètement dans le refrain. J’improvise souvent les lignes de chant de mes morceaux. Et c’est en improvisant toute la rythmique de ma ligne de chant sur ce morceau que j’ai fini par me mettre naturellement à chanter ce refrain de Kayne West (celui d’ « Heartless »). Bizarrement, il me paraissait moins en rupture que le refrain initial et ça m’a permis de rester dans l’humeur du couplet que j’adore. En fait c’est comme s’il le prolongeait. Et quand je me suis rendu compte que j’étais en train de faire ça – enfin j’étais pas en transe hein, c’est venu comme ça – forcément ça m’a plu parce que ça me permettait aussi de faire une sorte de statement esthétique. D’afficher ces deux références c’est comme si je parlais du projet.
Plus que si tu avais choisi d’y inclure ta reprise du « Photos Souvenirs » de William Scheller ?
Oui, sans doute…
Mais justement, tu ne penses pas que tout ça fait aussi un peu statement qui se la pète, genre : « J’me me présente, j’suis la nana branché et cérébral qui mixe Kanye et Christophe » ?
Bah ouais, ça peut faire ça. C’est sur que c’est un peu « concept » et tout mais en même temps ça m’enthousiasme, c’est un dialogue que j’aime et pffffff moi ça me fait pas trop peur d’avoir l’air « concept ». Je sais passi t’as vu ma pochette mais elle est quand même assez concept (rires) !
Conceptuelle ? Elle m’a juste fait penser à Morrissey…
Ah bon ?!
Oui, pour ce côté bel androgyne qui tient des fleurs (ou alors il y a malentendu et à l’heure où nous parlons le choix de la photo de pochette s’est momentanément arrêté sur l’artwork qui viendra finalement illustrer la réédition américaine de son album et là c’est en effet plus conceptuel car le bouquet de fleurs sort du corps et remplace la tête)…
Ahhhh, alors ça fait plusieurs fois qu’on me parle de Morrissey, je vois qui c’est, mais je ne maîtrise pas le sujet. Il faudrait que je creuse ça.
A ses débuts avec The Smiths il montait parfois sur scène avec un bouquet de glaïeuls pour symboliser, en gros, l’amour et la violence, le romantisme et la sauvagerie parce qu’il s’en servait aussi comme d’un fouet, fouettait l’air avec, et finissait par les saccager par terre.
Ah c’est cool ! Je savais pas. D’accord alors. Donc oui, je reprends cette posture androgyne à mon compte et c’est peut-être un peu trop évident mais ça me faisait plaisir. C’est un plaisir coupable que je me suis autorisé (rires) !
A propos d’autorisation, quelle a été ta marge de manoeuvre en terme de radicalisme sonore ? Parce que j’ai trouvé que tu avais opéré des changements sur les titres qui figuraient déjà sur tes EP. J’ai l’impression qu’ils sonnent moins pointus, plus datés années 80…
Ah, c’est étrange que tu dises ça parce que justement je voulais sortir de ça. Moi je trouve que mes EP sonnent plus années 80 que mon album… En tous cas pour l’album j’avais plusieurs envies que j’avais pas pu concrétiser sur les EP par manque de moyens, notamment celle d’avoir plus de sons analogiques. Je voulais un son encore plus hybride. J’avais tout fait sur ordi jusqu’à présent et j’en étais à un stade où j’en avais un peu marre, j’avais envie d’en sortir un peu et comme je voulais un son minimaliste, c’est-à-dire avec peu d’instruments, il me fallait des sons qui prennent beaucoup d’espace et qui soient chauds. Enfin c’est des considérations un peu techniques, mais du coup de ce point de vue passer à plus d’analogique était presque capital. J’avais donc l’impression de sortir un peu du truc eighties. Parce que quand tu composes sur ordi t’as tout de suite un son un peu eighties. Mais peut-être que malgré tout j’en sors pas et que c’est en fait une esthétique ancrée en moi depuis quelques années. Mais mon but c’était d’en sortir un peu. Du coup j’ai travaillé avec quelqu’un, pour la première fois.
Avec un collaborateur de Metronomy, c’est ça ?
Oui, un de leur producteur. D’ailleurs moi j’étais un peu sceptique au départ. Déjà en France j’avais fait pas mal de rencontres qui n’avaient pas abouties. Soit parce que le mec prenait trop de place et voulait trop emmener mes maquette ailleurs, soit parce qu’on n’avait juste pas les mêmes références. En tous cas, le côté « Je suis le producteur, tu es l’interprète », ça ne marche pas avec moi. Et puis je suis allée voir Ash Workman, qui a donc produit Metronomy (leurs deux derniers disques, The English Riviera et Love Letters – nda). J’étais un peu sceptique parce que moi j’aime bien Metronomy mais j’aime pas la prod. C’est pas ce que je voulais. Et en fait on s’est entendu sur plein de choses, notamment sur des références assez inattendues. A ce moment-là comme moi il écoutait beaucoup Drake par exemple. Mais surtout y’a eu un vrai dialogue. Il était très respectueux, y’a pas eu de problème d’ego, il m’a apporté ce qui me manquait et voilà. J’avais pas peur d’être control freak avec lui. Parce que je suis à la fois très timide et très control freak…
C’est souvent lié… !
Ouais, c’est vrai ! Du coup le son a effectivement un peu changé mais…
Attends, j’ai pas non plus trouvé que tous les morceaux sonnaient eighties. « Saint Claude » se détache par exemple de ce genre de considérations (elle semble acquiescer). D’ailleurs « Saint Claude » se détache plus largement du disque. Il semble évident qu’il se passe un truc sur ce morceau qui ne se passe pas ailleurs. Est-ce que tu sens ça ?
Hum… Disons que sur le disque y’a des morceaux qui agrippent plus que d’autres et « Saint Claude » fait partie de ces morceaux-là… Mais oui, il y a quelque chose d’autre, parce que bon, ça fait un peu branlette de le dire, mais même moi je me surprend à être ému quand je l’écoute et j’étais contente que ça m’arrive parce que ça m’était pas arrivé jusque-là. Ce morceau s’est donc détaché du reste assez naturellement. Après j’ai justement pas l’impression que c’est un album où y’a des singles…
Oui, mais quand je parle de morceau qui se détache, je ne parle pas de single au sens de tube, je parle juste d’une porte qui s’ouvre sur une esthétique et une émotion plus puissante, enfin présente, qui va chercher ailleurs…
Oui, je vois ce que tu veux dire.
Et dans ton disque pour moi, ça a lieu deux fois, sur « Saint Claude » et sur « Nuit 17 à 52 ». Et c’est peut-être pas anodin que ça se fasse sur deux morceaux en français. Là on est dans autre chose, quelque chose qui se passe pas sur un morceau plus ludique comme « Science Fiction » par exemple.
Oui, bien sûr. C’est le but. « Science-Fiction » n’est pas du tout dans l’émotion. Que ce soit sur scène ou dans son mécanisme d’écriture, c’est une chanson qui n’a pas du tout été écrite pour ça. Mais elle est intéressante parce que ce n’est pas non plus une chansons uptempo entraînante, elle est entre les deux donc c’est un petit peu monstrueux quoi. C’est ludique mais pas suffisamment efficace. C’est vrai que je me rends compte que cet album n’a pas de vrais titres efficaces. Par exemple on m’a souvent fait la réflexion comme quoi cet album n’avait pas de titre comme…
« The Loving Cup » par exemple ?
Effectivement.
J’imagine que pas mal de fans devaient s’attendre à le retrouver sur ton premier album.
Oui, j’ai eu quelques réflexions là-dessus. Après, encore une fois, ce morceau-là ne me semblait pas avoir sa place ici, en terme de propos, d’esthétique, d’enchaînement. Après pour moi y’a deux autres morceaux forts sur ce disque c’est la reprise de Christophe et le dernier morceau (« Here » – nda), mais bon c’est tout personnel hein.
J’y pense : Christophe est-il au courant de ta reprise ? Etes-vous même en contact et vous êtes-vous rencontrés ? Parce que je sais que c’est pas un mec inaccessible…
Non, non, c’est vrai, c’est même quelqu’un d’assez ouvert et, oui, oui, il est au courant et il a bien aimé apparemment. Il paraît même qu’il a demandé mon numéro téléphone pour m’appeler alors bon, j’attends son appel ! Et comme c’est quelqu’un de nocturne je me tiens prête à un appel à 3h du mat’ (rires) ! En tous cas c’est une bonne nouvelle qu’il aime et qu’il veuille m’appeler parce que par exemple pour « Photos Souvenirs » j’avais pas eu de retour de William Sheller.
Oui, je ne sais pas si William Sheller est aussi ouvert que Christophe…
Mais bon, j’aime beaucoup William Sheller aussi.
Il y a un autre morceau en français sur cet album, c’est « Christine ». Si j’ai bien compris c’est même la version française de « Cripple » (issu de son deuxième EP), un de tes morceaux les plus accrocheurs. Pourquoi en avoir fait une VF ?
Pour le coup c’est vrai que c’est un des morceaux les plus solaires… Hé bien ce qui s’est passé c’est que j’ai tout bêtement commencé à défendre le morceau sur scène en Angleterre et je me suis rendu compte que le texte ne pouvait pas marcher. Je pensais que « cripple » voulais dire abîmé à la fois physiquement et psychologiquement, et j’aimais cette ambivalence, c’est pour ça que j’avais choisi ce mot, et le dictionnaire de Google m’avait donné raison. Mal m’en a pris parce que en réalité ça veut dire handicapé moteur.
Merde.
En gros mon refrain voulait donc dire : « J’adore être un handicapé moteur », ce qui n’est pas (elle prend son accent patate chaude de bourge coinçosse – nda) DU TOUT passé à Brighton et compagnie ! Et puis même moi, c’était pas ce que je voulais défendre !
Dommage, « cripple », ça sonnait bien !
Ouais, c’est ça qu’est con. Du coup la question de la réécriture s’est posée et j’ai réécrit une version en anglais qui sera un peu différente de l’ancienne et dans la foulée je me suis essayée à la faire en français. Je me suis justement dit que c’était intéressant parce que c’est l’un de mes seuls morceaux un peu péchus et que ça ne m’était pas naturel de faire des chansons péchues en français. C’était un défi quoi.
C’est marrant que tu l’aies rebaptisé « Christine » car j’ai remarqué dans tes chansons tu te parlais régulièrement à toi-même, ou à Christine, selon le degré de fusion ou d’identification que tu fais entre les deux. (Elle rigole.) D’où vient d’ailleurs ce nom de scène ?
Ecoute, ça part d’un truc très crétin, c’est qu’en fait j’utilisais déjà tout le temps ce nom pour parler de gens dont je me souvenais plus le nom. C’était devenu une blague avec mes amis. A chaque fois que j’arrivais quelque part, on me disait : « Comment va Christine ? » J’étais là : « Christine va très bien ». Donc je sais pas, ça m’a paru évident. Pourtant, je suis pas si fan que ça de ce prénom mais elle était déjà tellement là… Tout s’est fait à l’instinct sur ce projet (rires) ! Tout a été très spontané.
Et ça te fait bizarre que ce prénom et que cet autre prennent tant d’importance dans ta vie ? Tous les gens qui ne sont pas tes intimes doivent t’appeler Christine…
Même les gens avec qui je suis intime et avec qui je travaille m’appellent Christine. Mes managers m’appellent Christine par exemple. Parfois c’est marrant, ça permet des nuances auprès de gens qui m’aiment bien. Quand ça va pas, c’est : « Bon, Christine ! » Tu vois, ce truc-là. Mais écoute, moi ça me chamboule pas du tout, je suis très habitué aux deux prénoms et je pense surtout que j’étais prête psychologiquement à être plusieurs personnes depuis longtemps. En fait c’est un rêve qui se réalise. J’ai juste fait mon coming-out en tant que personne multiple.
(SUITE ET FIN.)
(LE BEFORE.)