CHRISTINE AND THE QUEENS : DURE A QUEER

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23 mai 2014. 16h00. Paris 9e. Dans les locaux du label Because. « Je fais pipi et j’arrive » me lance HĂ©loĂŻse Letissier, claquant la bise au journaliste qui vient de l’interviewer. A tout juste 26 ans, celle qu’on connaĂźt plus sĂ»rement sous le nom Christine (and the Queens) assure actuellement la promo de son imminent premier album prĂ©vu pour le 2 juin. Et de chaleur humaine, il en Ă©tait fortement question avant que je pĂ©nĂštre dans la piĂšce oĂč elle s’est retranchĂ©e ce matin pour faire face aux assauts de la presse puisqu’elle parlait avec Stephen des Aulnois, le crĂ©ateur – et c’est tout un programme – du « premier mag français sur la culture porn et la gĂ©nĂ©ration Youporn ».

J’ignore quelle a Ă©tĂ© la teneur de son Ă©change avec la jeune star mais le mec sort ravi. Smile banane. Et elle « contente » que Le Tag ait pensĂ© Ă  elle parce que sans ĂȘtre totalement surprise elle se disait que par rapport au projet c’Ă©tait pas « Ă©vident » qu’il pense Ă  elle « mais en fait si, apparemment ». Je me dis qu’il faudra que j’aille lire ça. Ça m’intrigue. L’attachĂ© de presse me prĂ©sente en tant que journaliste de Philomag et de Parlhot mais je prĂ©cise que je ne suis finalement lĂ  qu’en tant que journaliste de Parlhot, Philomag ayant dĂ©clinĂ© sur le fil ma proposition de la soumettre Ă  leur questionnaire de Socrate. « On ne va donc parler que musique, lui dis-je, pas trop déçu ? »

Oui, car HĂ©loĂŻse/Christine m’intrigue. M’inspire un sentiment d’attraction-rĂ©pulsion et/ou de rĂ©serve. Depuis le dĂ©but que j’entends parler d’elle. Et ça fait un moment que j’entends parler d’elle. Depuis ses dĂ©buts presque. Au dĂ©part c’Ă©tait plus de la rĂ©serve d’ailleurs. C’Ă©tait genre : « C’est quoi cette jeunette qui excite Les Inrocks avec son Ă©lectro pop colorĂ©e et son blaze show off anglophile ?! C’est quoi ENCORE ?! » Ouais, je suis souvent comme ça devant la pop, suspicieux de prime abord. Suspicieux devant l’Ă©ternel syndrĂŽme gogo gadget de la pure nouveautĂ© en la matiĂšre. Suspicion qui doit rejoindre une mĂ©fiance innĂ©e envers l’afflux perpĂ©tuel de marchandises.

Oui, et suspicion envers tout ego qui n’est pas le mien et si ça ne vous fait pas ça, c’est que vous ĂȘtes un bĂ©ni, oui, oui. Moi on ne me marche pas dessus comme ça. Je me rappelle que ça m’avait fait ça quand j’avais vu Gaspard Proust vers ses dĂ©buts, sur la scĂšne de l’EuropĂ©en. Il Ă©tait arrivĂ© tout seul avec son air misanthrope, nous parlant de lui-mĂȘme, jeune blanc bec, nous parlant de haut comme ça, comme s’il avait tout compris, qu’il allait rĂ©inventer le fil Ă  couper le beurre. C’Ă©tait agressif, comme un hold up. Je m’Ă©tais direct braquĂ©. Instinctivement. Quelque chose en moi avait dit : « Non. » J’avais fini par rendre les armes. Chapeau. Ça s’est passĂ© comme ça avec Christine.

IncitĂ© par un DA qui Ă©tait sur le coup Ă  l’Ă©poque, j’avais Ă©tĂ© voir quelques vidĂ©os d’elle sur YouTube, dont sa reprise de « Who is it ? » de Michael Jackson. C’Ă©tait en 2011 quand elle mangeait son pain noir, donnait encore des petits concerts, jouait par exemple Ă  la Loge rue de Charonne avec AgnĂšs de La FĂ©line seule en scĂšne elle aussi. Il y avait quelque chose de bizarre Ă  la voir faire son show devant ces quelques personnes avec sa bande son diffusĂ©e derriĂšre elle, et son corps, son chant. Quelque chose de chaud, oui, de presque obscĂšne. Parce qu’elle faisait ça comme si ça vie en dĂ©pendait, comme si les gens n’Ă©taient pas lĂ , qu’elle Ă©tait dĂ©jĂ  star. Michael en son miroir.

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Deux ans plus tard, pour la sortie de son troisiĂšme EP, le premier signĂ© chez Because – le plus gros label indĂ© qui soit – pour fĂȘter ça elle se produisait au trĂšs hype Silencio designĂ© par David Lynch. Et j’avais Ă©tĂ© Ă©coeurĂ©. ÉcoeurĂ© par tant de contrĂŽle et d’artifice dans le minimalisme. EpaulĂ©e par deux danseurs en justaucorps – un petit, un grand, un blanc, un noir – et sa musique toujours en pilotage automatique, comme un tapis de course derriĂšre elle, elle s’Ă©tait livrĂ©e Ă  une Ă©tonnante dĂ©monstration de force. Ses danses, ses tracks, tout faisait masse, non grĂące. Surtout dans ce contexte chic, fake. Elle voulait tellement plaire sans s’abaisser Ă  le faire. Tellement Ă©pater.

Donc oui, c’Ă©tait sĂ»r, j’allais rencontrer une Camille bis, une casse-couille en puissance, Madame-je-sais-tout et qui n’a pas tort. Elle a un peu le profil que l’auteur de « Ta Douleur ». Le profil de la tĂȘte bien faite mais pas trop belle qui a envie de te la mettre profond, pour bien que tu vois qu’elle n’est pas belle, non, elle est pire (KookaĂŻ (c)). Mais ses chansons ne me flashaient pas autant que celles de la Dalmais, n’Ă©taient du mĂȘme singulier calibre. En dehors de deux reprises (« Amazoniaque » d’Yves Simon et « Photos Souvenirs » de William Sheller) et une compo, les 15 titres de ces EP (MisĂ©ricorde, Mac Abbey, Remark Music, et Nuit 17 Ă  52) roulaient des syllabiques anglaises.

HĂ© oui, je ne me laisse pas marcher dessus par n’importe qui, encore moins si c’est vendu aux forces de l’ImpĂ©rialisme anglo-saxon ! Non, mais j’ai toujours ce rĂ©flexe de trouver que ça fait trop fan de d’Ă©crire en anglais quand on est français. Enfant de. A la botte de. C’est peut-ĂȘtre en moi un rĂ©sidu du suprĂ©matisme des LumiĂšres (hypothĂšse romantique), ou juste mon cĂŽtĂ© rĂ©ac’ (hypothĂšse I’m a crap). Mais bon j’avais aimĂ© quelques titres, comme « iT », « Cripple » et « Narcissus is Back »). Au-delĂ  de son visagisme Ă©touffant je n’Ă©tais pas insensible Ă  sa vibe Ă  la Anthony Hegarty feat. Francis and the Lights. Et puis elle s’est mise au français et j’ai commencĂ© Ă  baisser la garde.

« Nuit 17 Ă  52 » donc. La brĂšche. La flĂšche. Au-delĂ  du ludisme. Au-delĂ  du miroir (mĂȘme si le clip se vautre encore lĂ -dedans). Une prose concise, concept, sophistiquĂ©e, mais un saut dans l’Ă©motion qui prĂ©figurait dĂ©jĂ  le « Saint Claude » qu’on allait bientĂŽt prendre pour ce qu’il est : un vrai, beau morceau. Comme gravĂ© en nous. Oui, moi je ne me laisse pas marcher dessus par n’importe quel ego, il me faut des preuves qu’il ouvre sur quelque chose. LĂ  quelque chose en moi a fini par me dire : « Oui. » Quelque chose de chiropractique, pierrot lunĂ©, que « Saint Claude » achĂšvera de sculpter. « Tu peux. » Je suis souvent nigaud mais quand je m’ouvre, je m’ouvre. Je suis entrĂ©.

Dans son commentaire de L’Evangile de Saint Thomas, Osho (1931 – 1990) dit qu’il « faut d’abord parvenir Ă  un ego trĂšs cristallisĂ© », que « c’est le premier temps de la vie d’une personne qui mĂ»rit bien », et qu’il faut ensuite « le laisser tomber ». Que si on ne parvient jamais Ă  cet ego cristallisĂ©, l’abandon de soi ne pourra jamais se faire car « Comment abandonner ce que vous n’avez pas ? » (Bah oui, bien dit le philosophe sex guru hindi.) A trop vouloir se faire plus grosse que le boeuf, j’imaginais que la petite nantaise allait Ă©clater. (Ben non.) Elle a explosĂ©. En 4 ans sec (2010 – 2014), sa fĂŒhrer de vivre a payĂ©. Chapeau. Et j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© : elle a pas fait sa Camille en itw.

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