CHRISTINE AND THE QUEENS : CHALEUR HUMAINE (2)
23 mai 2014. 16h30. Paris 9e. Dans les locaux du label Because. « J’ai juste fait mon coming-out en tant que personne multiple » vient de préciser Héloïse Letissier, plus connue depuis quatre ans sous le nom Christine and the Queens. A une semaine de ses 26 ans et de la sortie de son premier album, l’auteur compositrice interprète met ainsi les tremas sur les i-grec à propos de la question du genre. Pour elle s’assumer artiste c’est, en soi, se montrer comme quelqu’un qui se définit par autre chose que par son sexe. Qui se définit par ce qu’il invente, ouvre, donne à réfléchir, en partage à l’autre. C’est exprimer sa sensibilité et celle-ci n’a pas de frontières toutes tracées, elle est art, plastique.
L’année et demie qui suivra verra son succès (artiste féminine de l’année aux Victoire de la Musique, clip de l’année pour « Saint Claude », plus de 400 000 exemplaires vendus, réédition du disque chez nous, sortie aux Etats-Unis…) et son procès. Surtout dans le milieu rock indé qui n’aime finalement rien tant que certaines choses restent à leur place (que les lignes bougent leur enlève leur pouvoir). Certains l’accusent de se faire mousse et famous en se drapant de la tendance du transgendérisme. Mon dieu, mais c’est l’oeuf et la poule, le fond et la forme : les deux font corps. Parfois c’est à se demander si ces gens auraient vraiment aimé Bowie en son temps et en son heure. Par exemple.
Après, il se passe ce qu’il se passe. On peut en discuter mais quand quelqu’un explose c’est qu’il/elle a quelque chose. Qu’il/elle était faite pour ça. Et justement, merci à elle/Héloïse/Christine, du coup on peut en discuter. Pour ce qui est de l’album, Chaleur humaine, de ses 11 titres, j’ai pris le temps de les réécouter au-delà de la nécessité de cette itw et de tout barnum médiatique, de les réécouter pour ce qu’ils sont (pour moi). Et je les aime vraiment, à part « Ugly-Pretty », qui est un peu trop gay/comédie musicale/Moulin Rouge, pour moi. J’aime ses rythmes, ses mélodies et sa manière d’écrire, concise, poétique. Dans de vraies chansons. Qui a ça aujourd’hui ? C’est dit. C cédille.
« J’ai été traumatisée par la fin de Twin Peaks »
Héloïse, depuis tout à l’heure au fur et à mesure qu’on parle on s’éloigne des questions d’ordre strictement musical pour parler d’autres choses. Moi ça me plaît mais toi comment tu vis ça ? Comment tu vis quand on te parle moins de musique que de disons, psychologie, philosophie, opinion, chemin de vie… ? C’est quelque chose que tu commences à gérer ou à ne pas gérer ? La question de l’identité sexuelle pour mettre le dire clairement.
Euh (claquement de langue), ouais, bien sûr, c’est une question qui revient beaucoup. Euh, je pense aussi que c’est lié à un climat d’ensemble parce que j’arrive à un moment où le genre est une grosse question. Alors après je suppose que c’est aussi un peu inévitable avec ce que j’essaie de défendre. J’essaie de gérer mais c’est compliqué. Moi j’ai pour parti pris de répondre aux questions parce que je trouve que si je peux aider à parler du genre et de la sexualité de manière décontractée, je le ferai. Ceci dit, je me rends compte que c’est souvent cité comme une information un peu sensationnelle alors que pour moi ça fait partie d’une réflexion. C’est donc montré comme quelque chose de plus croustillant que ce que je veux. C’est un peu décontextualisé quoi.
Comme si ta musique importait moins que le côté pipole ou buzz sociétal de tes opinions…
Hé ouais. Après ça dépend des journalistes mais chez certains de ceux qui font ça j’ai la sensation – enfin je sais pas, peut-être que je trompe – que de toute façon s’ils n’avaient pas pu parler du genre, il n’aurait pas parlé de ma musique. Ils n’auraient juste pas écrit sur moi. Parce que ceux qui font ça sont plutôt des journalistes qui s’intéressent à ce que tu représentes à un moment donné et à ce que tu vas pouvoir dire, penser au-delà de ton champ d’action principal. C’est des journalistes qui, dans un magazine féminin par exemple, vont plutôt me parler de mon look et de mes bonnes adresses shopping plutôt que de mon album. Et si c’est pas mes fringues ce sera autre chose, tu vois ?
Oui, le côté égérie parisienne qu’on consulte comme l’oracle dans les rubriques tendances car, le temps d’une saison, elle a le bon tube, le bon âge, le bon look… Toi qui cherche plutôt à faire un vrai truc pop et pas une simple OPA sur les branchés des grandes villes, comment gères-tu le côté potentiellement excluant que génère cette mise en scène médiatique ? Parce que plaire aux médias cools de la capitale c’est une chose, mais c’est un adoubement qui peut aussi être synonyme d’un certain divorce avec un plus large public. Je veux dire, les médias ce n’est pas les gens et la France ce n’est pas Paris.
Mouais bah en même temps moi pfff tu sais je suis nantaise donc je suis pas du tout parisienne et… Ouais, je sais pas si ce phénomène est forcément parisien en fait. J’ai l’impression que c’est un truc constitutif de notre modernité tout court… Et en même temps j’ai l’impression que les gens se sont toujours intéressés à la vie des artistes et tout, en tous cas surtout dans le mainstream ou moi je ne suis pas hein. Après tu peux choisir de te protéger de tout ça ou pas. Moi sans tout déballer non plus j’ai choisi de pas forcément verrouiller. Mais c’est un choix et c’est aussi pour montrer que je reste investie dans la société où je vis. Après pour ce qui est de la fracture Paris / Province, je la sens pas encore. Mais bon, moi déjà je me sens pas parisienne…
Mais j’imagine que depuis que tu as signé chez Because et que tu as sorti ton disque tu vis à Paris, non ?
Oui, bien sûr mais pfff, je me sens pas profondément parisienne. Enfin, je me rends bien compte en discutant avec des parisiens que moi je suis pas parisienne (rires) !
D’accord.
Et puis je sens pas cette fracture parce que dès que je me suis installée à Paris j’ai tout de suite pas mal tourné en faisant des premières parties ailleurs qu’à Paris. Donc voilà, je sais pas, du coup tout ça m’inquiète pas.
Pour revenir à la question du genre – parlons-en puisque tu n’y vois pas d’inconvénient et que ça m’intéresse – j’avais déjà parlé de ça avec Antony Hegarty d’Antony and the Johnsons que j’imagine tu connais…
Oui, bien sûr.
C’était à l’époque de son deuxième album, I Am a Bird Now, quand il commençait vraiment à être médiatisé. Comme pour toi, la question du genre revenait souvent dans les articles qui lui étaient consacrés, comme s’il s’agissait du seul thème de l’album, que tout l’album n’exprimait qu’un coming out transgenre. Et il m’avait dit que c’était une erreur de considérer ce disque sous ce seul angle. Il a été « victime » de ce malentendu, qui en même temps l’a servi.
Ouais, c’est ça qu’est ambivalent.
Est-ce que toi tu dirais la même chose à ceux qui ont tendance à ne voir que ce thème-là dans ton disque ou est-ce que tu le vois vraiment comme le coming-out de tes plusieurs/plurielles pour reprendre l’expression que tu utilisais tout à l’heure ? Parce que comme tu dis, tu en parles quand même pas mal du genre.
Oui, oui, oui, mais en même temps justement j’affirme une certaine manière de ne pas me définir. Affirmer sa bisexualité ce n’est pas faire un coming-out lesbien et j’ai l’impression – peut-être à tort – de pas m’enfermer en défendant une volonté que chacun se définisse par ce qu’il veut. Je cherche juste à essayer de défendre un refus des cases et des catégorisations. La question du genre, c’est de ne pas forcément en avoir ou de pouvoir choisir son genre. Mais ce qui est dommage effectivement c’est que ce soit encore utilisé comme une catégorisation, alors que ce que je cherche justement à dire qu’il n’y en a pas.
Oui, maintenant le problème c’est que les médias ont comme une case « sensation/pipole » pour ce genre de sujet et ça se réduit à la question : « Tel artiste est-il gay, bi ou hétéro ? »
Oui, mais y’a beaucoup de discussion en ce moment là-dessus, je pense que ça peut progressivement évoluer. C’est général. C’est-à-dire que même en musique la question de genre n’aura bientôt plus de sens. Mainstream et indie cohabitent. Enfin y’a une espèce de réflexion… Et moi si je peux aider à…
Tu allais dire : « Si je peux aider à faire tomber les barrières » ?!
Non, mais tu vois je vais pas commencer à avoir peur d’être mal interprétée, je vais pas m’empêcher de répondre, parce que je trouverais ça dommage. Je fais confiance aussi à la personne en face pour comprendre mais c’est vrai que parfois ça marche plus ou moins bien… En tous cas ça me fait pas peur. Et même si c’est vrai qu’on en parle beaucoup de cette question de genre, j’ai quand même l’impression que pour l’instant on écoute ma musique donc ça va, je me sens pas lésée quoi. Peut-être que si ça devient démesuré ça me fera un peu chier mais c’est pas trop le cas.
C’est encore que le début ouais. Et pour ce qui est du genre en musique, tu crois vraiment que la France est aujourd’hui prête à faire d’un projet indé un vrai phénomène pop, mainstream ?
Ah bah le problème c’est de faire ça en France, oui (rires) ! Je pense que c’est ça qui est compliqué. Pour plein de raisons ça me paraît même désespéré.
Des raisons qui sont autant liées au circuit économique qu’à l’évolution des mentalités ?
Ah oui, bien sûr, c’est très compliqué.
D’autres artistes français ont essayé de faire ça dernièrement, je pense à Sébastien Tellier, à Julien Doré, à Lescop… Et j’ai l’impression que ces percées ont quand même été des échecs.
Pour Tellier sur Sexuality à un moment ça s’est quand même vraiment beaucoup ouvert.
Ça a frotté, frôlé quelque chose oui…
Ce qui est compliqué en France – enfin on tape toujours sur la France mais bon – ce qui est compliqué en France déjà c’est que la culture pop est pas si développée que ça, on a un énorme complexe vis-à-vis des américains mais en même temps on regarde tout le temps les américains. Mais encore une fois – enfin je voudrais pas faire l’optimiste.com – j’ai l’impression que là aussi ça bouge un peu. Que ça commence à bouger. C’est con, mais moi déjà le fait que je me sois retrouvée aux Victoires de la Musique sur France 2 et que j’existe avec des références qui sont quand même pointues, rien que ça déjà ça me paraît être un bon signe. Après, je suis pas mainstream, je rentrerai pas sur NRJ.
Dans l’accueil qui t’est réservé on peut se dire pour l’instant que l’effet nouveauté joue, l’effet nouvelle sensation, tendance. Il va falloir voir ce que ça donne et installe sur la durée.
Ah mais ça c’est pour tout le monde pareil. Ça j’ai aussi l’impression que c’est symptomatique d’une société où les gens se lassent plus vite qu’avant donc voilà. Bah on verra. Ce sera le défi hein.
Tu connais Maud-Elisa Mandeau alias Le Prince Miiaou ?
Ouais, je la connais bien.
Ah, c’est peut-être donc pour ça que lors de la sortie de son dernier album, j’ai lu une interview où elle disait qu’elle aimerait bien s’ouvrir à des collaborations et qu’elle pensait à toi et ton sens du groove sur des choeurs. Bref, pour continuer sur le marché français, je me rappelle qu’elle m’avait dit quelle s’y était mal pris pour se « vendre » en tant que rockeuse indé en France et que si elle avait plus finaude, vu qu’elle chante en anglais, elle aurait fait comme la nana du duo John & Jen et de Savages, c’est-à-dire partir à l’étranger pour flouter le fait qu’elle est française – on en revient à la question de l’identité – ça lui aurait permis de s’ouvrir plus de débouchés sans s’entendre tout le temps dire que son projet est cool mais que c’est dommage qu’elle ne chante pas en français.
Tu sais quoi ? Je l’ai eu au téléphone y’a pas longtemps, on a eu une longue conversation sur tout ça et la question s’est posée. Je lui ai effectivement parlé de la meuf de Savages qui a bâtit une carrière qu’elle aurait pas pu, à mon avis, commencer en France. Après pfff bah c’est aussi louable d’avoir voulu rester ! Ça fait carrément résistante, mais je sais qu’elle se pose des questions là-dessus… Alors moi le truc c’est que je pense qu’elle pourrait essayer d’écrire en français, parce que je trouve que le français lui va bien.
C’est ce que je lui avais dit. Parce qu’en faisais elle avait plutôt tendance à écrire en français sur ses deux premiers albums.
Mais c’est sûr qu’il faut peut-être… La question c’est de savoir quel compromis on veut ou peut faire, parce que bon, je dis « chanter en français », mais en même temps malheureusement je pense pas que ce soit en chantant en français qu’on soit forcément playlisté dans les radios mais comme elle existe déjà bien, ça aurait sans doute… Enfin ouais elle m’a raconté que les radios lui disaient : « C’est super ce que tu fais mais c’est con, c’est pas du français. » (Soupir.) Donc c’est sûr que c’est compliqué et même Lescop que je voyais bien, à un moment, devenir un vrai projet pop fort en France, je sais pas si ça a vraiment pris. En fait j’ai l’impression qu’il y a une culture très urbaine en France qui fait que soit tu fais de la chanson française soit tu vas chercher du côté des américains.
Dans ce qu’on nous propose, il n’y a pas vraiment d’entre deux…
Ouais, mais écoute, moi pour l’instant j’ai choisi d’essayer d’être optimiste là-dessus et de pas renoncer à mes goûts… En même temps tu vois moi je suis intéressé par des projets commerciaux, des projets qui sont, comme on dit, à succès, et j’ai une tension entre des goûts hyper spé comme The Knife et de l’autre des choses qui le sont moins comme Beyonce donc ça m’intéresse d’essayer de réfléchir à cette tension-là.
Oui. Parlons de la scène. Sur scène tu danses pas mal. Enfin pas médiocrement hein mais tu chante souvent en dansant, voire entre les passages chantés. Est-ce que tu te serais vu monter sur scène sans ce côté perf que la danse apporte ? La danse n’est-elle pas carrément un alibi, un passe-droit scénique ? Pour « mériter » l’exhibition ?
Bah c’est sûr que j’arrive pas à penser la scène sans avoir un personnage et un spectacle. Moi, je me sentirai pas à l’aise et comme j’ai pas l’impression que ma voix soit ma force, que je suis plus dans quelque chose que j’allais dire « fragile »… Enfin plus largement, c’est la question de la sincérité et de l’authenticité, tu vois ? Arriver en disant juste : « Je suis Héloïse Letissier » ça me pose question parce que ça me pose même question dans ma vie en général. Ça me pose question parce que je me sens pas du tout cohérente d’une minute à l’autre, que je suis tout le temps dans la construction de personnages. La scène a donc toujours été un moment de transformation pour moi, même quand je faisais du théâtre. Bah de toute façon ça me vient de là. Mais oui, c’est sûr, c’est sûr que j’ai besoin d’avoir un spectacle visuel et de danser. Et ça vient de mes goûts aussi, de mon goût pour les shows à l’américaine que j’adore comme ceux de Michael Jackson…
Oui et là on sent que Michael Jackson t’est d’une grande aide !
Ouais, mais je trouve aussi des idées en allant voir des pièces de théâtre. Y’a des metteurs en scène et des chorégraphes que j’adore par exemple et eux aussi me nourrissent. J’aime bien faire dialoguer tout ça. Après ouais, c’est peut-être parce que je me sens pas… Parce que j’ai l’impression que c’est juste ça ma force… Je me verrais pas arriver d’une autre manière en fait.
Récemment un ami compositeur me faisait part de son sentiment sur l’évolution des rapports scéniques entre le public et l’artiste, comme quoi il trouvait que ça s’était renversé, en tous cas dans les petites salles, voire les bars où tu paies pas pour le concert, que maintenant comme tout le monde est un peu artiste, c’était le groupe sur scène qui était redevable au public de bien vouloir accepter de rester debout devant lui à l’écouter, que c’était presque ça la perf aujourd’hui : se déplacer pour rester à regarder un énième groupe tenter d’occuper une scène. Accepter d’être le public, d’offrir son temps de cerveau disponible. Et je suis d’accord avec ça, d’autant plus qu’il est rare d’avoir à faire à un artiste qui propose vraiment quelque chose qui captive scéniquement, qui ait du charisme, qui fasse écran. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Ouais, ouais, c’est intéressant, j’avais pas pensé à ça comme ça. Alors après, des mecs show off (qui veulent « épater la galerie » – nda) y’en a toujours eu. Bowie a toujours été dans des constructions et y’a toujours eu des gens écorchés vifs qui te retiennent l’attention d’une salle. Je pense qu’une fille comme Cat Power par exemple elle a pas besoin de beaucoup d’artifices, tu vois ? Donc je sais pas, je pense que c’est surtout des histoires d’esthétiques et d’envies… Enfin moi j’ai l’impression que ma force est là-dedans. De toute façon si j’étais emmerdé de monter sur scène et que j’avais l’impression de faire l’aumône, je monterais pas sur scène, tu vois ? Il faut un minimum… Enfin c’est compliqué, c’est paradoxal, bien sûr, mais il faut quand même un minimum d’ego et de confiance en soi…
Oui, d’ailleurs j’ai pas du tout l’impression que tu mendies l’attention du public sur scène, au contraire, les deux fois que je t’y ai vu je me suis plutôt dis : « Pas commode, pas sympathique la fille ». Tu n’es pas ultra sympathique sur scène.
Hmmm, c’est vrai. J’étais encore pire avant. Plus ça va plus je suis sympa ! Parce qu’au début j’étais très très… Enfin j’étais pas non plus agressive mais y’a des performers que j’aime beaucoup comme Andy Kaufman parce qu’ils jouent sur le malaise et au début j’étais vraiment comme ça, je faisais des silences de quatre plombes pour que les gens soient vraiment emmerdés. Maintenant plus ça va, moins je fais ça. Mais oui, oui, c’est vrai que… Oui ! C’est vrai que je réclame pas l’autorisation du public. Et après en même temps ça cache euh, ça cache une grande fragilité (rires) ! La petite fleur fragile ! La fleur qui frémit au vent !
Ah ah ah !
Mais non, ça aussi c’est faux, ça aussi c’est faux, c’est pas comme ça, c’est plus compliqué que ça mais bon (claquement de langue). En tous cas moi, c’est ce rapport-là que j’ai à la scène. Moi-même je préfère voir des spectacles un peu show off. Je préfère voir le concert que The Knife a donné à la Cité de la Musique qui n’était pas vraiment un concert, au sens live, mais où des gens dansaient et où d’autres sont partis, indignés, je préfère voir ça qu’un excellent concert classique, au sens guitare basse batterie, où les gens jouent bien. Parfois c’est hyper impressionnant mais ça me touche moins.
On parlait de Michael Jackson. Tu es jeune, tu as quoi ? 26 ans ?
Oui.
Comment on le découvre alors que ado il était totalement passé de mode et qu’il a déjà sorti tous ses disques ? Est-ce qu’on peut passer à côté de Michael Jackson malgré tout ça ?
Est-ce qu’on peut passer à côté de Michael Jackson (rires) ?
Oui, je pose LA question !
Je pense pas qu’on puisse.
Avec quel album l’as-tu découvert ? L’as-tu même découvert par le biais d’un album ?
Nan, moi je l’ai découvert à trois ans grâce à une attraction de Disneyland Paris. Oui, je suis désolé de le dire mais merci Disneyland Paris. J’avais trois ans et il y avait un film en 3D qui s’appelait Captain EO. Je m’en souviens… très bien.
Tu ne l’as donc pas découvert par un disque…
Oui, c’est drôle quand même !
Merci Mickey !
Hé ouais, clair : merci Donald. Et à partir de là l’obsession a commencé. Mais c’est difficile de lui échapper tout court. Parce que pfff de toute façon j’ai l’impression qu’il y a aussi une école Michael Jackson, des mecs comme Justin Timberlake, tout ça, c’est des produits de Michael Jackson, donc on n’en sort pas vraiment. Par contre j’ai pas écouté l’album posthume là…
J’y ai jeté une oreille (Xscape), bof… Mais je repensais à lui dernièrement, j’ai notamment regardé le documentaire de Spike Lee sur les 25 ans de Bad…
Ah oui, moi aussi je l’ai vu… D’ailleurs y’a Kayne West dedans et il est marrant à un moment quand il parle de « Annie, are you OK ? », c’est drôle (rires) !
Ah oui, quand il s’exprime sur le mystère du refrain de « Smooth Criminal » ! Tout le monde se demande qui est la Annie dont Michael Jackson parle…
Ouais, c’est ça. Je ne la connaissais pas mais finalement l’histoire derrière la chanson est marrante. C’es perché d’avoir choisi ce prénom en référence aux poupées de réanimation (les mannequins utilisés dans l’apprentissage du bouche à bouche s’appelle Anne aux Etats-Unis et entre chaque application des soins on répète : « Are you OK ? », et Michael Jackson avait, paraît-il, un intérêt particulier pour l’apprentissage des premiers secours – nda)…
Oui, mais j’ai lu l’article d’un ami qui a une théorie encore plus perchée, c’est qu’il y a un lien entre la Annie de « Smooth Criminal » et la Annie de Twin Peaks.
(Claquement de langue.) Ahhhhhh… D’accord. Ah ouais eh bah ce serait bien, ce serait classe comme parallèle. Twin Peaks, ah oui, c’est sûr. Tu l’as vu la série Twin Peaks ?
Oui, superbe.
La fin est affreuse. J’ai été traumatisée par la fin.
Oui, une fin en forme de « contre-initiation » comme l’explique Pacôme Thiellement dans son essai La Main gauche de David Lynch. Twin Peaks et la télévision. Ce n’est pas pour rien que j’ai choisi Dale Cooper comme avatar de mon activité d’ « inter viewer » sur Parlhot…
(Claquement de langue.) Ah mais oui, avec son dictaphone ! D’accord. Super référence.
Revenons à ton disque. Pourquoi l’avoir intitulé Chaleur humaine, toi qui fais une musique assez froide ?
Tu sais quoi ? C’est drôle en fait parce que moi j’ai pas l’impression… Enfin si, je me rends bien compte qu’elle est froide…
C’est pas de la cold wave non plus hein, c’est pas ce que je veux dire…
(Claquement de langue.) Oui, oui, mais c’est vrai que je me rends pas compte à quel point elle peut être froide quand même. En fait moi je la pense plus chaude qu’elle ne l’est en réalité. Je pense que c’est dû au fait que presque toutes mes références musicales sont froides ! Ecoute, le titre du disque est venue de la chanson du même nom qui pour moi est très importante…
Une chanson sur l’amour physique ?
Ouais, sur l’amour physique mais aussi sur la façon qu’on a de pouvoir s’accepter en aimant et en se donnant à quelqu’un. Et je trouve que ce thème assez symptomatique du projet depuis le début, c’est-à-dire que j’ai toujours eu… Enfin j’étais très malheureuse avant de commencer ce truc-là parce que je me sentais pas… Je suis pas utile aujourd’hui, tu vois, mais avant j’avais pas l’impression d’avoir une place définie, pas l’impression d’avoir quelque chose à donner de précis, du coup je me sentais pas bien parce que j’avais besoin de m’accomplir dans un projet, d’essayer voilà de me donner d’une certaine manière. Depuis j’ai donc réussi à avancer moi en tant qu’humain. Tout bêtement. Enfin, c’est un peu niais à dire mais c’est ça.
Ouais…
Donc voilà, la chaleur humaine ça raconte une facette du projet que j’avais aussi envie de défendre. On parlait du genre et j’ai fini cet album en pleine manif contre le mariage gay. Je suis pas politisée mais même par rapport à ça, je trouvais ça intéressant d’appeler un disque comme ça, même si c’est assez naïf. D’ailleurs la naïveté est peut-être contrebalancée – et je l’espère – par la musique qui est peut-être encore un peu froide comme tu disais. Et j’ai pas non plus fait une pochette avec plein de gens de toutes les couleurs qui me serrent dans leurs bras.
Un délire à la Philippe Katerine !
C’est clair. Là du coup ç’aurait été franchement ironique. En plus à l’époque ça allait pas tant que ça. Et puis ça allait bien avec ce son que je voulais plus chaud, sortir de l’ordinateur comme on le disait tout à l’heure… Voilà, c’est mon côté premier degré généreux qui s’exprime à travers ça (rires) !
Rien à voir mais j’y pense et faut que je le dise : quand j’écoute le refrain de « Saint Claude », au moment où tu chantes « Here’s my station », j’ai une sorte d’hallucination auditive qui fait que j’ai entendu la phrase « Laisse-moi rester femme » de la fameuse chanson d’Axelle Red (qui est un contresens potentiel de tout ce qu’on dit depuis tout à l’heure sur le genre et ses clichés, mais chanson que j’ai toujours halluciné comme faisant volte-face à la fin avec un twist qui disait : « Mais laisse-moi rester femme / Suzanne » alors que non, du tout) !
AHHHHHHH (rires tonitruant et fou – nda) ! Ah c’est chaud ! Euh ECOUTE, c’est la première fois qu’on m’en parle (elle prend son accent de bourgeoise shocked à la Lemercier) ! Merde, maintenant ça va me hanter quand je vais la chanter… (Elle s’y essaie tout bas devant moi et se rend compte que ça colle parfaitement) Ah merde, putain, non ! Tu sais, même les anglais avec qui j’ai bossé, des fois ils comprenaient mes paroles différemment de ce qu’elles étaient et ça c’est l’enfer, le piège, parce que maintenant je pense à ce qu’ils y ont entendu quand je chante. C’est terminé, j’arrête la promo tout de suite (elle fait mine de fondre en larmes – nda) ! Mais tiens, qu’est-ce qu’elle devient au fait Axelle Red ?
Aucune idée.
Non plus. Faudra lui demander de ses nouvelles.
Bon bah cool, je crois qu’on a fait le tour.
Bah écoute, j’espère que t’as assez de choses… (claquement de langue) Mais en tous cas c’est drôle quand même pour Maud-Elisa parce que je l’ai eue au téléphone y’a pas longtemps à ce sujet.
Je l’ai vu y’a pas longtemps en concert à Nantes et je l’ai interviewée juste derrière.
Ah d’accord !
En France, vous incarnez chacune un truc fort à votre manière…
Peut-être. En tous cas, je l’aime beaucoup. J’ai fait sa première partie y’a deux ans, on avait vraiment bien parlé et ça arrive pas souvent de faire des premières parties d’artistes qui sont vraiment sympas et qui prennent le temps de parler et oui, elle est super. Depuis on est resté un peu en contact. Et là la dernière fois qu’on s’est eue au téléphone elle se posait pas mal de questions.
Il paraît, oui. Son attachée de presse m’a récemment fait savoir que Maud-Elisa avait presque envie de tout arrêter.
Ouais, mais je pense pas qu’elle va arrêter. Non. Elle a des ressources.
Oui, elle a envie d’arrêter après chaque disque, chaque tournée. Ça doit lui faire bizarre par contre que toi, la petite jeune avec son tout premier long tu fasses dorénavant des premières parties prestigieuses comme celle de Stromae par exemple (ils ont la même chorégraphe, Marion Motin). En terme d’impact ça doit être quelque chose pour toi.
Oui, en terme d’exposition, c’est tellement familial, tellement large comme public, c’est incroyable. C’est une machinerie ce truc, c’est impressionnant.
Il est lui aussi assez transgenre Stromae…
C’est vrai !
D’ailleurs son nom m’a toujours plus fait penser au verlan déformé de monstre (streum) qu’à celui de maestro…
Mais en même temps Stromae a une manière à lui de maintenir les genres. Quand il joue un garçon et une fille dans son dernier clip (« Tous les mêmes » – nda), y’a un certain stéréotype de la fille et du garçon. Il est pas dans le brouillage, tu vois ? Mais oui, c’est vrai que lui il a un truc personnel assez transgenre, même quand il danse d’ailleurs. Enfin tu vois, moi j’écouterais pas son album, j’aime pas trop mais honnêtement, sur scène, on peut pas dire le contraire, le mec a vraiment quelque chose d’unique. Il dégage quelque chose justement de pas du tout conventionnel.
Et c’est aussi un gros bosseur, control freak (je réaliserai qu’il est aussi, comme elle, auteur, performeur, danseur mais pas du tout musicien, que chez lui la musique est aussi un peu en second plan comme il le montrait dans ses tutoriels vidéos).
Oh bah oui, il a l’air d’être pas mal dans le genre ! Le mec est tellement occupé que lorsque j’étais en coulisses pour sa première partie j’ai pu lui parler que 5 minutes chrono mais il est sympa ! Il a juste l’air fatigué. Putain il s’arrête pas.
Il va bien devoir faire une pause.
Hé ouais (Claquement de langue). N’oublie pas ton dictaphone hein ! (Elle se colle au micro du Zoom comme si c’était une drôle de bête dans un aquarium – nda) J’avais jamais vu un dictaphone comme ça.
(LE BEFORE.)