TRUELOVE’S GUITAR (RICHARD HAWLEY)
9 mai 2012. 11h. Paris 18e. Locaux de EMI. « Il fait beau, on fait ça dans le jardin ? » Pour parler de la sortie, il y a deux jours, de Standing at the Sky’s Edge, son septième album solo et premier album sur le label Parlophone, Richard Hawley et sa grande carcasse cuirassée / sun glasses ont envie de se mettre bien. C’est que le rocker de Sheffield a eu un réveil hard. « Tactactac ! » Des travaux près de l’hôtel l’ont fait émerger à 5 du mat’. Alors il a clopé au lit, histoire de se calmer et de passer le temps. Rien d’autre à faire. « Non, pas ici, trop de moustiques ».
Il me propose : « Café ? » (Je pose le dicta : « Tac ! »). Et me demande si je suis nordique. Là-bas, takk signifie merci. « Quand tu voyages beaucoup tu ne peux pas ne pas intégrer quelques mots de chaque langue. Il me les faut pour me faire comprendre, mon anglais est si mauvais (rires) ! ». Déphasé le Hawley, mais bon bougre, de bonne humeur. Il est venu avec un de ses meilleurs potes. Ils se connaissent depuis longtemps, habitent Sheffield. Richard ayant déménagé, maintenant leurs maisons sont à « une largeur de cigarette » l’une de l’autre. « Ding Dong ! »
De lui, je ne connaissais pas grand-chose. Je l’avais découvert avec Coles Corner. Je crois. On devait être en 2008. A l’époque c’était l’album coup de cœur du batteur des Wombats et comme il sortait avec ma coloc’ et que le CD trainait dans le salon je l’avais découvert. En 2005, il avait failli avoir le Mercury Prize. Alex Turner des Artic Monkeys, le vainqueur, avait d’ailleurs déclaré : « Que quelqu’un appelle le 999, on a volé m’sieur Hawley ! ». LOL. But no offense : il a bossé sur deux faces B de ces quatre jeunes rockers de Sheffield, « Bad Woman » (2007) et « You And I » (2012).
J’avais trouvé son folk pas mal mais sans plus. Racé mais ronflant, rasoir. Comme un truc de pré-quarantenaire, un peu terne, profil bas, Pompéi. Et puis j’ai reçu Truelove’s Gutter (2009) et là : Flash ! Tant de finesse, de cérémonial, d’espace : je découvrais un crooner trois étoiles, comme si le mec (surfeur d’argent) évoluait dans un autre temps, plus grand, comme un âge d’or toujours là. Soie des cordes, picking des guitares, baryton de la voix, on aurait dit de sombres Christmas songs : l’enchantement du Très Haut (traîneau ?)
Avec ce sommet de soul rock nocturne et millésime, ça rockcoulait dans les chaumières, mais pas que. Ce disque lui fit faire un vrai saut, critique et public. Le grand mag rock anglais Mojo en a fait son « album de l’année », le titre « Don’t Get Hung Up In Your Soul » a été élu « morceau de la semaine » par Starbucks, « Open Up Your Door » illustré une pub Häagen-Dazs en Angleterre, « Tonight The Streets Are Ours » Exit Through the Gift Shop, le film du graffeur-arty Banksy, nominé en 2010 au festival « indie » américain Sundance. C’était le sixième album d’Hawley.
J’ignorais qu’il en avait sorti autant. J’ignorais (Wikipedia : merci), qu’il avait joué avec Pulp en 2000, après la séparation de Longpips, groupe « Britpop » (comprendre : mid 90’s) et celle, avant cela, de Treebound Story, formé alors qu’il était à l’école. Je ne savais pas qu’il avait travaillé sur un album de Nancy Sinatra, un titre de Robbie Williams (« Clean »), tourné avec REM (2005), qu’il tentait de remettre en selle la carrière de Lisa Marie Presley (elle aux mots, lui aux musiques) et qu’il avait raté une audition de guitariste de scène pour Morrissey (1991) pour y avoir chanté « One Night »… d’Elvis.
Et puis début j’ai pu écouter son septième album, Standing at the Sky’s Edge et cet album m’a frappé. J’en ai direct fait part au RP : « J’en suis à la plage 4 et il déchire ce disque, C’est super psyché ! » Se cabrant, branché sur une pure énergie rock qui le fait lâcher un « Yeah ! » sur « Down in the Woods », dans des soli interstello-telluriques, il m’évoquait un autre Richard du rock, anglais lui aussi, dont il partage les grands thèmes indémodables (« amour », « perte de l’être cher », « rédemption » et autres réjouissances relatives à la « condition humaine », dixit la bio de l’album) mais pas ses fixettes mégalo-christiques (je pense bien sûr à l’ex leader de The Verve, Richard Ashcroft).
Quand j’ai posté son nouveau single, « Leave Your Body Behind », sur Facebook, les like et les comments ont déferlé (exemple : « Ah, cette voix… ZE voice ! »). Idem quand j’ai mailé mon enthousiasme psychédélique à l’ami Bester du site Gonzai : « Oui, disque énorme, d’ailleurs on nous propose une interview, ça t’intéresse ? » Il était prêt à fournir du renfort (Florian Sanchez : merci) pour faire des tofs et dérusher l’interview (« Tac : deal dude ! »). A se demander : autour de ce disque, les grands esprits se rencontrent ?
Oui et non. En fait, quand t’es un artiste qu’on dit « indie », intimiste, t’as pas le droit de muscler ton son et de sonner plus fédérateur. Si oui, l’ « indie police » te tombe dessus. Une fois encore, Magic, le pop mag procédurier du grain et de l’ivraie, a joué ce rôle. Comme Les Inrocks du débuts des années 90 qui prêchaient, citant Tati (« Trop de couleurs nuit au spectateur »), ce journal n’aime jamais tant la pop que lorsqu’elle est de chambre, que ses trésors restent maudits, loin des stades, et bien au frais dans son giron famélique. Le nouveau Hawley y a donc pris cher.
Ça commence par dire que jusqu’ici son œuvre était « exempte de toute défaillance » et Paf ! ça le flingue, déplorant une « incursion surprenante sur les terres peu familières de Black Sabbath » peu « proportionnelle à l’audace » de ce guitariste « autrefois si discret ». Des soli et drones « répandus à la truelle » détruiraient « l’équilibre fragile » des compos réclamant « davantage de parcimonie », des « dégoulinades psychédéliques poisseuses » faisant obstacle à « trois petits bijoux façonnés tout en nuances et subtilité (« Seek It », « Don’t Stare At The Sun » et « The Wood Collier’s Grave »). »
Ahah ! la sentence des chochottes, ceux qui, fiotteux, n’aiment que le creux, pas la crue, l’esquisse des passions, par leur déchainement. Ahah ! le corps exulte : péché sir Hawley ! Tartiner le bousin, c’est dommageable, certes, mais ne l’est-ce pas autant d’y aller avec des pincettes ? Comme en témoignent ses propos rapportés par la bio du disque c’est vrai qu’Hawley ne semble pas y aller avec la dos de la cuillère, il parle de grandes choses, simples et pleines de bon sens et, exposé comme ça, ça frôle forcément la bien-pensance. Tellement qu’on se dit que ces choses mériteraient d’être gardées sous silence.
Par exemple, sur la foi : « On crée des religions pour se convaincre qu’on ne va pas mourir. Elles nous assujettissent et nous rendent mauvais. Tant de dégâts ont été commis dans ce monde par des gens qui tirent leurs connaissances d’un seul ouvrage, la Bible par exemple. Si seulement on pouvait se libérer en réalisant que c’est là notre seul passage sur Terre, on s’occuperait de ce qui compte vraiment. Je pense sincèrement qu’on aurait envoyé un homme sur la Lune il y a mille ans si on avait admis ça. »
Sur les grandes têtes brûlées : « Don’t Stare At The Sun » est une sorte de méditation inspirée par le destin d’Isaac Newton qui décida de fixer le soleil (« Il s’est brûlé les rétines et à partir de cet instant, tout ce qu’il voyait était doré. ») et « The Wood Collier’s Grave » par le Charcoal Burner’s Grave, un vieux monument de Sheffield, « un autre monde » avec « des trucs néolithiques partout » et « des graffitis qui datent de mille ans » et où repose George Yardley, un brûleur de charbon de bois accidentellement mort brûlé en 1786.
Sur la mort : « J’ai passé ma vie entière à regarder les étoiles, mais pour cette personne (un nouvel ami qui venait de perdre sa femme et avec qui il discutait d’astronomie – nda), c’était quelque chose de relativement nouveau. Je lui ai demandé comment cette passion lui était venue et il m’a répondu qu’observer le ciel et les étoiles l’avait toujours intéressé et qu’il essayait de voir le visage de sa femme là-haut. Qu’il puisse convertir cette perte en quelque chose d’aussi beau m’a atteint comme une balle. »
Sur l’amour : « Ça (« She Brings The Sunlight », le morceau d’ouverture du disque qui, comme le dit si justement sa bio, « fore la roche de bruit blanc », « butte sur la plus pure des mélodies » et « explose en mille couleurs psychédéliques et sauvages » – nda) parle du fait d’être attiré physiquement par quelqu’un qu’on aime vraiment. Il y a des gens trouvent ça un peu niais, mais je voulais rendre hommage à ce sentiment : j’ai vraiment envie d’applaudir à tout rompre lorsque ma femme entre dans la pièce où je me trouve, c’est comme une révélation ».
Vu comme ça, et j’en passe, on a l’impression qu’Hawley enfonce quelques portes ouvertes mais musicalement faut pas déconner les gars, on est loin de tout ça et le son envoie bien, just ride it on ! L’intéressé, décontract’ et tout en trait d’esprit, se dit conscient d’ajouter ses disques « à tous les mauvais disques qui ont été enregistrés par des guitaristes » car d’une « certaine manière », il se « voit toujours comme un guitariste ». Mais cet album n’est pas celui d’un tâcheron qui se contente d’envoyer bêtement la purée. Sous le déluge (intermittent) du spectacle sonore, on y distingue et déguste toujours le grand songwriter qui ouvre plutôt les portes de la perception.
Au lieu de s’abreuver à la country et au rock’n’roll que ses parents écoutaient comme il l’avait fait jusque-là, cette fois il s’est reconnecté à tous les groupes qu’il écoutait ado pour « se démarquer d’un point de vue musical » : « Syd Barrett, les Stooges, les Seeds, Strawberry Alarm Clock, le Chocolate Watchband… », ce dont témoignent les passages « raga-rock kaléidoscopiques » de « Time Will Bring You Winter » et l’euphorie steelée MC5 de « Down In The Woods », « la plus brute, sur le plan cathartique, de l’album. »
Le corps et l’âme, la terre et le ciel, la caresse (whisper) et le (22 long) gifle, le technicolor et le suprasensible, le truelove’s gutter et le truelove’s guitar : ce nouvel album (mixé par Alan Moulder : My Bloody Valentine, The Smashing Pumpkins, Interpol, Death Cab…) fait la grande jonction. Et comme le dit la bio : « On prend là toute la mesure de la carrière de Richard Hawley, de l’écoute des vinyles autour de minuit aux premières lueurs de l’aube, qui coïncident avec les premières mesures de cet album. Cette image est parfaite : Standing at the Sky’s Edge est le disque d’un artiste majeur qui s’apprête à marcher en pleine lumière. La « totale » selon Richard Hawley. » (INTERVIEW.)
Bonjour j’aimerais absolument interviewer Richard Hawley !! Je suis un fan absolu, je l’ai vu 4 fois en live ! Comment avez-vous réussi à l’avoir ?
Bonjour Vianney. Ah bah c’est « simple » : je suis journaliste pour des magazines culturels/musique et « en plus » j’ai ce site donc je reçois les news promo des maisons de disques et j’ai donc calé un rdv avec Hawley via son attaché de presse…
Entendu… Il est possible que je vous recontacte la prochaine fois qu’Hawley reviendra en France parce que je tiens dur comme fer à l’interviewer (j’en avais parlé avec son manager lors de sa dernière venue à Paris mais finalement, c’était malheureusement tombé à l’eau)
Entendu Vianney, même si je ne suis pas du tout sûr de pouvoir t’être d’une grande aide, on verra ça.
Merci Beaucoup !