LES MARQUISES

1. cover pensée magique

3 fĂ©vrier 2014. 15h54. Par mail. « Cette vieille fĂ©e ne s’est pas penchĂ©e sur Lost Lost Lost… » me rĂ©pond Jean-SĂ©bastien Nouveau, le compositeur lyonnais qui Ɠuvre derriĂšre l’entitĂ© Les Marquises quand je lui demande plus que malicieusement « entre la rencontre de quoi et quoi Les Inrocks ont-ils dĂ©fini Les Marquises ? ». Et je m’Ă©tonne que cette vieille fĂ©e ne se soit pas penchĂ©e, ne serait-ce que le temps d’une petite chronique de disque sur leur prĂ©cĂ©dent « opus », comme ils n’auraient pas manquĂ© de le qualifier. S’y trouve une sorte de (post) rock indĂ© qui convoque tout l’ADN de l’Inrockuptible de base. En tous cas, ils ne devraient pas manquer PensĂ©e Magique.

L’album a peine dĂ©voilĂ© (il sort ce 17 fĂ©vrier), les blogs spĂ© bruissent dĂ©jĂ  beaucoup de ses mĂ©rites, eux qui avaient dĂ©jĂ  portĂ© aux nues Lost Lost Lost (sorti le 2 novembre 2010) et ses six morceaux sans cesse mouvants, anxiogĂšnes, accrocheurs et planants, entre « Third Eye Foundation, Can et Moondog ». Un an aprĂšs, l’objet Ă©tait d’ailleurs ressorti en Ă©dition vinyle avec 8 remix librement tĂ©lĂ©chargeables (Angil, Acetate Zero, Olivier Mellano…), suivi un an plus tard par un disque de version live, de faces B et de reprises (« Oh My Lover » de Polly Jean Harvey, « Au Loin » de Mansfield Tya). Et voilĂ  que contre tout attente je me joins Ă  eux avec f(o)ugue.

Ce premier album j’Ă©tais totalement passĂ© Ă  cĂŽtĂ© Ă  sa sortie. Mais ces derniĂšres annĂ©es j’avais vu le nom de ces Marquises circuler çà et lĂ , fleurir sur tels murs ou lĂšvres amis. Un jour je m’Ă©tais donc dĂ©cidĂ©, j’Ă©tais aller faire un tour sur leur site en me disant que ça allait ĂȘtre vite torchĂ©, que j’allais tomber sur un Ă©niĂšme groupe dispensable, sans doute revival variĂ©toche new-wave vu son blase, que je cocherai la case et que je relĂ©guerai ça fissa aux oubliettes, mais comme ça je saurais et, journalistiquement, ça pouvait pas me faire de mal. Savoir. Et puis je suis toujours rassurĂ© de m’apercevoir qu’il y a beaucoup de boue et peu d’or. Sinon je serais en Ă©tat de guerre-alerte permanent. Ce serait le bordel. HĂ©morragie. Merde, j’avais pas Ă©tĂ© déçu du voyage.

Ça se battait dans tous les sens dans ce Lost Lost Lost. J’ai repensĂ© Ă  plein de choses de haut vol. Et Ă  ce que Chris Martin de Coldplay avait confiĂ© Ă  Rollingstone Ă  propos de Radiohead, que parfois il a « le sentiment qu’ils ont dĂ©frichĂ© le bordel Ă  la machette » et qu’eux sont arrivĂ©s pour « y installer un centre commercial ». Et c’est ça : loin de la pop clean pour tĂȘtes de gondoles et loin des jeunes groupes taillĂ©s pour les jingles pub, lĂ  ça fightait sĂ©vĂšre comme la jungle qui marque certaines plages d’Ok Computer. Ça fritait comme si on avait affaire Ă  un groupe… pas français. Trente minutes de matiĂšre retorse et entĂȘtante. Dans ma tĂȘte j’avais ouvert comme un onglet.

Alors Ă  la mi janvier quand j’ai reçu par voie de presse PensĂ©e Magique, j’ai accusĂ© le coup. « Bien reçu le disque, bien le disque reçu ! » ai-je Ă©crit plus que poliment au RP, lui disant que je n’en ferai pourtant rien et que je botterai en touche en publiant bĂȘtement le clip du premier extrait de l’album sur Facebook. Je n’avais pas envie de me lancer dans une Ă©niĂšme interview. Toujours cette peur de m’ouvrir et d’avoir alors Ă  plonger, Ă©crire, creuser… Arf, ces attachĂ©s de presse qui poussent Ă  la consumation. Et je me mĂ©fiais de celui-ci. Promouvant des artistes du label d’Ici d’Ailleurs, il m’envoyait parfois des choses qui secouent comme Mendelson, Michel Cloup.

Par le passĂ©, si je ne m’abuse, ses envois m’avaient permis de dĂ©couvrir des artistes ou des groupes aussi divers et exigeants que Sandy Mouche, Marianne Dissard, Verone et Jean-Philippe Goude… Mais lĂ  non, les choses avaient changĂ© et je n’avais pas le courage de me lancer dans une Ă©niĂšme interview. Et puis… En fait c’Ă©tait dĂ©jĂ  trop tard, c’Ă©tait en train de faire son chemin jusqu’Ă  moi… J’ai rĂ©Ă©coutĂ© et ça s’est avĂ©rĂ© plus fort que moi comme ça arrive parfois, ça se dessine… « Une interview, pourquoi pas oui… Allez, oui, je le veux ! » Ah fuck, le piĂšge. Jamais en paix. Non, jamais. Tout n’est pas foutu, tout est bien touffu… Merci Jean-Philippe Beraud ! Merci !

« je veux lĂącher l’auditeur dans un truc aventureux »

 

2. jsnouveau10

 

Bonjour Jean-SĂ©bastien. Dis-moi, pour commencer, c’est quoi ce nom Les Marquises ? Ça ne fait pas longtemps que j’ai enfin mis une musique derriĂšre ce nom mais avant quand j’entendais parler de Les Marquises je croyais qu’il s’agissait d’un groupe de vingtenaires adeptes du revival pupute new-wave comme il y en a plein en ce moment.

Je comprends ce que tu veux dire et on m’a dĂ©jĂ  fait cette remarque. J’ai choisi ce nom de groupe/collectif Ă  un moment oĂč j’Ă©tais fascinĂ© par le morceau de Jacques Brel qui porte le mĂȘme nom. Du coup je me suis renseignĂ© sur ces fameuses Marquises et j’ai dĂ©couvert que c’Ă©tait l’archipel d’Ăźles le plus Ă©loignĂ© de tout continent. Cette idĂ©e m’a beaucoup sĂ©duite et fait fantasmer et voilĂ  ! De plus je voulais prendre un nom français et si possible au pluriel pour signifier la multiplicitĂ© des axes qu’aurait le projet.

Du coup j’avais Ă©tĂ© bien frappĂ© quand j’avais dĂ©couvert Lost Lost Lost, votre premier album, car loin de toute vellĂ©itĂ© pop mainstream j’y avais dĂ©couvert un rock hybride et tribale qui m’avait Ă©voquĂ© des groupes (albums) comme Violens (Amoral), Radiohead (Ok Computer) et Bright Eyes (Digital Ash in a Digital Urn). LĂ , pareil : quand j’ai Ă©coutĂ© PensĂ©e Magique je me suis vu dĂ©rouler ce cortĂšge d’impressions et de communautĂ© d’esprit : dense, convulsif, tourneboulant, tintinnabulant, martelant, Ă©pique, Encre, Animal Collective, These New Puritans

Les mots d’ordre dans ma tĂȘte pour rĂ©aliser Lost Lost Lost Ă©taient de faire un disque dense, prenant et intense. Pour PensĂ©e Magique mon but a Ă©tĂ© de faire un disque singulier, tribal, qui Ă©voquerait une Ăźle que je traverserais avec diffĂ©rentes Ă©tapes : l’arrivĂ©e sur la plage, la traversĂ©e de la jungle, la dĂ©couverte d’une clairiĂšre
 Sinon pour tous les disques et groupes que tu cites je ne sais pas trop quoi te dire car je ne n’en connais pas la moitié ! Mais je ne remettrai pas en question ce que t’évoque notre album et je vais aller Ă©couter tout ça !

ParaĂźt que Les Marquises c’est plus un « collectif » qu’un « groupe ». Pourquoi ça ? Et n’est-ce pas un peu triste de ne pas parler de « groupe » ?

En fait Les Marquises est avant tout un projet perso. Je compose et enregistre essentiellement seul chez moi. Mais Ă  un moment du processus j’ai l’envie d’ouvrir mes morceaux Ă  d’autres horizons et lĂ  je fais appel Ă  d’autres musiciens qui viennent jouer, apporter leurs idĂ©es. Mon idĂ©e est surtout de s’entourer des personnes qui serviront le mieux le morceau car le but ultime est toujours de faire en sorte que le morceau soit le meilleur possible. Je n’aime pas trop l’idĂ©e de groupe oĂč chacun a une place et doit participer quoiqu’il arrive. De plus je n’aime pas le cĂŽtĂ© communautariste des groupes, je trouve ça un peu enfermant. J’ai un vrai besoin de me sentir libre et d’aller lĂ  oĂč mon inspiration, mes idĂ©es me mĂšnent, et surtout d’avoir la libertĂ©, la possibilitĂ© de pouvoir collaborer avec pleins de gens diffĂ©rents. Par contre pour la scĂšne nous avons un « vrai » groupe fixe, dĂ©diĂ© aux concerts.

Je ne sais pas trop comment c’Ă©tait pour l’album prĂ©cĂ©dent (c’Ă©tait comment ?) mais PensĂ©e Magique aligne un casting impressionnant. En plus des musiciens qui gravitaient dĂ©jĂ  autour de toi – Etienne Jaumet (The Married Monk, Headphone, Zombie Zombie) au saxophone, BenoĂźt Burello (Bed) au chant – celui-ci rĂ©unirait aussi Jonathan Grandcollot (Maman Brigitte, Plein Soleil) Ă  la batterie et aux claviers, Nicolas Laureau (Don Nino, NLF3) et Johannes Buff (DubaĂŻ) au chant, Martin Duru (Immune, Colo Colo) aux claviers et Ă  la basse, Souleymane Felicioli Ă  la trompette, Julien Nouveau (Immune) aux larsens et percussions et Pierre-Alain Vernette au violon. Les Marquises, c’est un « super groupe » Ă  la française ?

Ça n’est pas encore Les EnfoirĂ©s tout de mĂȘme ! Non, je fais simplement appel Ă  des gens dont j’aime le travail. Et quand c’est des gens qui m’ont marquĂ© comme Bed avec ses deux premiers disques, ça devient une maniĂšre pour moi de lui rendre aussi l’ascenseur et de lui rendre hommage d’une certaine maniĂšre.

Ton frĂšre, Julien, fait donc aussi de la musique. La musique c’est une affaire de famille chez les Nouveau ? Quels sont les albums qui t’ont donnĂ© envie de faire de la musique ?

La musique n’est pas la spĂ©cialitĂ© premiĂšre de mon frĂšre. Son truc, c’est plus l’Ă©criture. Mais on a toujours fait un peu de musique ensemble. Il participe Ă  mes projets en tant que musicien, surtout pour la scĂšne. Mais la musique a une place importante dans notre famille. Notre pĂšre Ă©tait chanteur dans un groupe de rock progressif (Helianthe – nda) et faisait du bal et du coup du matĂ©riel traĂźnait dans la maison. C’est comme ça que j’ai commencĂ© Ă  bidouiller des trucs avec son 4-pistes Ă  cassette. Sinon j’ai des disques cultes c’est sĂ»r, mais je citerai surtout des disques qui ont participĂ© Ă  dĂ©velopper mon dĂ©sir, et ma maniĂšre de faire de la musique : Ok Computer de Radiohead (comme tout le monde ou presque !), Rustic Houses Forlorn Valleys de Hood (grosse grosse claque pour moi Ă  l’Ă©poque), l’unique album de Mark Hollis, Washing Machine de Sonic Youth, le second album de Tindersticks, RemuĂ© de Dominique A et sĂ»rement d’autres que j’oublie. Mais ces disques ont Ă©tĂ© trĂšs importants pour moi car j’y m’y retrouvais vraiment enfin.

3. remué dominique a

Que dirais-tu sur ta dĂ©couverte d’Ok Computer que presque tout le monde dont moi a pris en pleine gueule Ă  sa sortie en 1997 et l’impact que ça a eu sur toi ? Es-tu de ceux qui ont aussi aimĂ© Kid A, voire qui le trouvent « mieux » qu’Ok Computer ?

Ok Computer m’a beaucoup marquĂ© Ă  l’époque oĂč il est sorti, et je me souviens parfaitement du moment oĂč je l’ai Ă©coutĂ© pour la premiĂšre fois. Les premiĂšres choses qui m’ont marquĂ©es furent le son du disque – son grain et l’espace que chaque morceau ouvrait. Je ne sais pas exactement combien de fois je l’ai Ă©coutĂ© mais je l’ai bien usĂ© ! Concernant Kid A, je me souviens aussi parfaitement du moment oĂč je l’ai dĂ©couvert chez les parents de mon acolyte Martin (Duru – nda). Au dĂ©but on Ă©tait un peu larguĂ©, perdu par le tournant du groupe et par les diffĂ©rentes directions empruntĂ©es mais trĂšs vite je l’ai encore plus apprĂ©ciĂ© qu’Ok Computer. Le dĂ©but de l’album Ă©tait pour moi juste parfait dans son enchaĂźnement de titres mais j’ai toujours trouvĂ© que ça se gĂątait vers le milieu du disque avec cet « Idioteque » que je n’aime pas du tout et qui prĂ©figure le cĂŽtĂ© pĂ©nible de Thom Yorke Ă  jouer son torturĂ© sous acides.

Que ce soit dans Lost Lost Lost ou dans PensĂ©e Magique l’utilisation des trompettes dans Les Marquises m’a parfois Ă©voquĂ© celle qu’en fait Robert Wyatt. Est-ce un rapprochement qui te semble farfelu ou Robert Wyatt est-il vraiment quelqu’un d’important pour toi ? Aussi, j’ai toujours trouvĂ© que Kid A (2000) entretenait de troublantes similitudes avec son Rock Bottom (1974). Qu’en penses-tu ?

Je suis un gros fan de Robert Wyatt ! D’ailleurs je l’ai contactĂ© pendant la rĂ©alisation de PensĂ©e Magique. Je lui ai envoyĂ© un disque de dĂ©mos pour lui proposer de chanter sur un ou plusieurs titres. Je n’ai jamais eu de nouvelles mais je suis content d’avoir tentĂ© le coup. Et puis j’avais envoyĂ© le disque avec un dessin d’une personne qui tient un lapin gĂ©ant que j’avais fait spĂ©cialement pour lui, dessin que tu peux voir ici, et l’idĂ©e qu’il l’a sans doute chez lui me plait beaucoup. En tout cas si l’utilisation des trompettes peut Ă©voquer Robert Wyatt il n’y a rien d’étonnant Ă  cela ! AprĂšs, pour ce qui est Ă©ventuelles ressemblances entre Rock Bottom et Kid A, je ne sais pas trop quoi en penser mais je vois ce que tu veux dire. Dans le projet, il y a sans doute des similitudes dans la volontĂ© de croiser une musique dite « pop » avec quelque chose de plus aventureux et « expĂ©rimental » mais les univers me semblent trop diffĂ©rents. Rock Bottom me semble bien plus intimiste et personnel que Kid A qui est pour moi plus l’Ɠuvre d’un groupe alors que Rock Bottom me semble totalement habitĂ© par Robert Wyatt.

Une photo que j’ai trouvĂ©e sur le net laisse penser que Christian Quermalet, songwriter de The Married Monk, a aussi participĂ© Ă  l’enregistrement de PensĂ©e Magique. Est-ce le cas ? Accessoirement, sais-tu si un nouvel album de The Married Monk est en cours ?

Christian – qui a d’ailleurs fait une trĂšs belle reprise de « Sea Song » de Robert Wyatt sur R/O/C/K/Y – n’a pas jouĂ© sur PensĂ©e Magique. Il a fait la tournĂ©e qui accompagnait la sortie de Lost Lost Lost en tant que batteur, mais nous n’avons jamais enregistrĂ© ensemble. Sinon, concernant The Married Monk, Christian maquette en ce moment et ça m’a l’air trĂšs bien engagĂ©. Je ne sais pas quand l’album sortira mais oui, un album est en cours !

A propos de news d’autres groupes, j’ai vu qu’Acetate Zero avait remixĂ© un des morceaux de Lost Lost Lost. En 2008 j’avais flashĂ© sur leur album Civilize The Satanists qui me les avait fait dĂ©couvrir. Comment les as-tu rencontrĂ©s ? Sont-ils toujours en activitĂ© ?

Je connais leur musique depuis plusieurs annĂ©es et c’est assez naturellement qu’au moment de chercher des groupes pour remixer l’album je me suis tournĂ© vers eux. D’ailleurs je trouve leur remix excellent. Mais je ne sais pas du tout oĂč en est le groupe, je ne suis pas trop restĂ© en contact avec eux.

PensĂ©e Magique, dit son communiquĂ©, « n’a que faire des barriĂšres et se paie le luxe d’une totale libertĂ© d’Ă©laboration ». Comment se paie-t-on ce « luxe » ? Vis-tu de la musique et cherches-tu Ă  en vivre ?

Cet album m’a pris beaucoup de temps c’est sĂ»r ! AprĂšs en ce qui concerne la libertĂ© d’Ă©laboration, j’enregistre tout chez moi et fais quasiment tout moi-mĂȘme (en dehors des interventions des autres musiciens), donc je suis totalement libre et n’ai que des contraintes techniques mais j’aime ça. Du coup faire des albums ne me coĂ»te quasiment rien. Sinon je ne vis pas des Marquises non. Pour gagner ma vie je suis employĂ© dans un cinĂ©ma d’art et essai Ă  mi-temps et depuis quelques annĂ©es maintenant je fais de la musique avec mon ami Martin pour une boite d’illustration sonore pour laquelle on fait des morceaux destinĂ©s Ă  ĂȘtre placĂ©s dans des Ă©missions tĂ©lĂ©, des docs, des films, des pubs
 Mais lĂ  je suis en train de rĂ©flĂ©chir Ă  lĂącher mon travail au cinĂ©ma pour ne faire plus que de la musique.

4. Robert+Wyatt+-+Rock+Bottom+-+LP+RECORD-450565

Qu’est-ce que la « pensĂ©e magique » qui donne son titre au disque ? A-t-elle un rapport avec les films de Werner Herzog (Fitzcarraldo, Aguirre, la colĂšre de Dieu) et de Jean Rouch (Les MaĂźtres fous) qui ont inspirĂ© l’Ă©laboration de ce disque ?

La « pensĂ©e magique », dixit WikipĂ©dia, « est une expression dĂ©finissant une forme de pensĂ©e qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de dĂ©sirs, l’empĂȘchement d’Ă©vĂ©nements ou la rĂ©solution de problĂšmes sans intervention matĂ©rielle. » Donc c’est sĂ»r, ça a Ă  voir avec les films de Werner Herzog et de Jean Rouch car c’est une pensĂ©e qui rejoint les croyances de peuples primitifs.

Tu composes souvent avec des images on dirait. Lost Lost Lost avait Ă©tĂ© inspirĂ© par les dessins d’Henri Darger. Peux-tu me dire qui Ă©tait -ce et comment tu composes ?

Henry Darger Ă©tait un artiste d’art brut (mort en 1973 Ă  81 ans, l’Ɠuvre principale de cet amĂ©ricain, qui a travaillĂ© toute sa vie comme nettoyeur de chiottes, est un rĂ©cit Ă©pique en 13 tomes intitulé The Story of the Vivian Girls, in What is known as the Realms of the Unreal, of the Glandeco-Angelinnian War Storm, Caused by the Child Slave Rebellion oĂč, durant 15 143 pages illustrĂ©es de plus de 300 compositions, tours Ă  tours des aquarelles, des dessins et des collages, il raconte la violente guerre entre les « AngĂ©liques » et les « Hormonaux » – nda). Son Ɠuvre m’a en effet inspirĂ© pour l’Ă©laboration de Lost Lost Lost . Son univers est trĂšs ambigu, puisqu’il reprĂ©sente de jolies petites filles toutes naĂŻves qui vivent dans une sorte d’Éden, mais qui sans arrĂȘt sont menacĂ©es par des espĂšces de cow-boys qui veulent les massacrer. Cette tension m’a beaucoup plu et je l’ai trouvĂ©e trĂšs stimulante, inspirante. Je compose chez moi toujours en enregistrant ce que je fais. GĂ©nĂ©ralement je pars d’un rythme, d’une chose que je mets en boucle et je cherche d’autres Ă©vĂ©nements et souvent je ne sais pas oĂč je vais, ce que je vais faire. Puis quand mon bout de morceau trace un chemin, je le laisse reposer pour avoir du recul dessus et mesurer s’il me mĂšnera bien quelque part. Ensuite quand j’ai pas mal de dĂ©mos et qu’une direction se dessine pour un album je m’inspire d’images, de films, j’imagine des lieux pour nourrir l’univers que je construis. Mais ce qui est le plus pĂ©rilleux pour moi c’est de structurer un morceau, de le faire Ă©voluer sans perdre l’intĂ©rĂȘt de l’auditeur en route. Pour moi c’est trĂšs important. Je pense pouvoir emmener l’auditeur dans des trucs un peu barrĂ©s, difficiles d’accĂšs mais pour moi c’est important de les accrocher, de les emmener oĂč je veux assez aisĂ©ment. AprĂšs alors je peux les lĂącher dans un truc aventureux.

Lost Lost Lost contenait 6 morceaux pour 30 minutes de musique. PensĂ©e Magique en compte 7 pour guĂšre plus de temps d’Ă©coute. On pourrait presque parler d’EP, non ?

Non, ces disques sont des albums dans le sens oĂč ils constituent un univers bien dĂ©fini et fini en soi. Ça ne sont pas des collections de morceaux. Les albums sont donc courts car ils sont denses et je n’aime pas le superflu. Dans ces deux disques tout est lĂ . Rajouter des titres aurait affaiblit les albums.

Chaque morceau de PensĂ©e Magique sera semble-t-il accompagnĂ© de son propre clip. Pourquoi donc ? Tu rĂȘves d’art total ?

Non, je n’ai pas envie d’un art total, il faut laisser de la place Ă  l’imagination, sinon ça devient complĂštement dictatorial. MĂȘme si c’est trĂšs tentant ! Les clips ouvrent d’autres horizons, d’autres pistes mais c’est tout. Pour moi ils n’offrent pas UNE image d’un morceau. Ce sont des propositions, des visions et d’ailleurs ça ne me pose aucun problĂšme si un morceau se retrouve avec plusieurs clips. Je suis d’ailleurs super content de tous les clips qu’ont rĂ©alisĂ©s chaque vidĂ©aste pour l’album. En plus ils fonctionnent trĂšs bien ensemble. Tous ces vidĂ©astes sont des amis, de bonnes connaissances,et c’est assez naturellement que je me suis tournĂ© vers eux. Beaucoup d’entre eux avaient d’ailleurs dĂ©jĂ  fait des vidĂ©os au moment oĂč Lost Lost Lost est sorti. Mais, comme pour l’album prĂ©cĂ©dent, je leur avais donnĂ© une contrainte : lĂ  c’Ă©tait de n’utiliser que des images prĂ©existantes.

Lost Lost Lost Ă©tait sorti en autoprod chez Lost Recordings. PensĂ©e Magique franchi un cap en sortant chez le label indĂ©pendant français Ici d’Ailleurs. Pourquoi ce label ? Penses-tu qu’il soit le Lithium des annĂ©es 2000 et qu’Ă  sa maniĂšre StĂ©phane GrĂ©goire poursuive l’exigence esthĂ©tique qui animait Vincent Chauvier dans les annĂ©es 90 ?

C’est ce qui se dit en tout cas ! J’ai pu lire ça plusieurs fois ces derniers temps. Je ne connais pas trĂšs bien le label Lithium (il a rĂ©vĂ©lĂ© Dominique A, Diabologum, Bertrand Betsch, Mendelson… autrement dit ce qui s’est fait de mieux en « chanson rock » Ă  l’Ă©poque – nda), donc je ne peux pas vraiment me prononcer. En tout cas, je trouve la direction artistique de StĂ©phane excellente. Je trouve qu’il ose prendre des risques, dĂ©fendre des projets qui ne sont pas Ă©vidents et les sorties sont finalement assez variĂ©es tout en gardant une bonne ligne directrice. C’est un des labels que je trouve le plus intĂ©ressant. Je le suis depuis trĂšs longtemps. J’envoie mes dĂ©mos Ă  StĂ©phane depuis que je fais de la musique. Du coup quand il m’a contactĂ© pour me dire qu’il Ă©tait intĂ©ressĂ© pour sortir PensĂ©e Magique, j’Ă©tais aux anges. Et puis rejoindre Matt Elliott, Bed, Bastard
 c’est trĂšs chouette !

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