JEAN-BENOIT DUNCKEL : STARWALKER (1)
17 mars 2014. 11h. Paris 18e. Brasserie Le Wepler. « Parlhot, c’est un site coquin ? » me demande avec son air de premier communiant Jean-Benoit Dunckel. JBD, c’est le petit brun du duo français AIR. Celui qui a ce petit quelque chose d’androgyne beau gosse avec ses traits sculptĂ©s, ses yeux bleus et sa mĂšche d’ange pop. L’autre, le rouquin barbu de trois jours Ă l’air, comment dire, plus commun, je-m’en-foutiste, c’est Nicolas Godin. Et Ă 45 ans, il a toujours cet air minot, JBD.
Il est sympa, lĂ , cristallin, JBD. Un peu diamantĂ© dans son haut de survĂšt’ bleu blanc rouge Adidas, un truc comme ça. Il me fait penser Ă Alcor, l’alliĂ© d’Actarus. Avec sa voix un peu zozotante et ses petit rires un peu jaunes, gĂȘnĂ©s (il y en aura beaucoup), il m’Ă©voque mĂȘme un sentiment de « dĂ©jĂ ouï » (un pote ? une connaissance ?). Surtout, plus de 15 ans aprĂšs le premier album du cĂ©lĂšbre « duo versaillais », Moon Safari, Jean-Benoit arrive toujours Ă pondre de pures perles pop.
Car je ne sais pas pour AIR (leur derniĂšre sortie, Le Voyage dans la Lune, Ă©tait une B.O. moins pop Ă tout point de vue que celle de Virgin Suicides) et je ne sais pas pour Nicolas Godin (il n’a encore rien sorti en dehors de AIR), mais Losers Can Win, l’EP de 5 titres (3 compos + 2 remix) que cet ancien professeur de sciences physiques sort aujourd’hui mĂȘme sous l’intitulĂ© Starwalker (son association avec l’islandais du groupe Bang Bang Bardi JĂłhannsson), c’est quelque chose.
C’est la rencontre de deux grands amoureux de LA Pop, spacieuse, gracile, planante. Et de femmes, bien sĂ»r. Diaphanes souvent. Muses. Jean BenoĂźt a composĂ© pour Charlotte Gainsbourg (« 5:55 », « Beauty Mark »), Bardi formĂ© un duo avec Keren Ann (Lady and Bird), Ă©crit le premier tĂ©lĂ©film Ă©rotique islandais, « un truc avec des blagues Ă deux balles », comme il me l’avait dit en 2008. Bref, ces deux-lĂ assument leur « sensibilitĂ© fĂ©minine », comme on dit. Et leur coquinerie.
« Je ne parle que de ça ! » me glisse JBD, ajoutant qu’il plaisante. Mais qu’Ă moitiĂ©. Je me rappelle d’une phrase restĂ©e pour moi fameuse oĂč il disait « Entre 17 et 21 ans, le corps des ĂȘtres humains est en fleur et leur Ă©nergie, intarissable. A ce moment-lĂ , les femmes sont vraiment belles. Aussi, quand tu arrives Ă 30 ans, ça devient insupportable dâassister Ă la perfection de ces « cherry blossom girls. » » C’Ă©tait en 2004 dans la revue Magic ! pour la sortie de Talkie Walkie.
Ensemble ils forment donc Starwalker, « terme parapluie pour identifier leurs travaux communs », prĂ©cise leur communiquĂ©. (Le parapluie, n’est-ce pas un bel objet surrĂ©aliste et Ă©rotique ?). Et ça donne notamment « Losers Can Win », vĂ©ritable pĂ©pite inusable comme ce monde n’en dĂ©livre presque plus (ou alors allez-y, montrez-moi la voie !). Cette ritournelle de 4 minutes Ă peine nĂ©cessitait Ă elle seule qu’on ouvre les (d)Ă©bats. Alors oui, mon cher, Parlhot s’acoquine.
« j’ai l’impression de me rĂ©veiller auprĂšs de quelqu’un que j’aime »
Bonjour Jean-Benoit. Je t’entendais dire Ă Brigitte, ton attachĂ©e de presse que tu Ă©tais content de ce qui se passait autour de Starwalker. Tu commences Ă avoir des retours ?
Ouais. Ăa dĂ©pend des pays, mais en France ça va, en Allemagne bien, trĂšs bon en Allemagne, aux Etats-Unis aussi, en Angleterre bof.
Ah oui ? C’est Ă©trange, non ? Ăa t’Ă©tonne ?
Non, non, non. Les anglais, ils sont trÚs spéciaux.
Comment ça ?
C’est un ensemble de choses… En fait l’Angleterre a perdu sa supĂ©rioritĂ© dans le monde au niveau musical. Maintenant c’est les Etats-Unis qui donnent le ton.
A quand dates-tu cette bascule ? AprÚs la période Blur / Oasis ?
Oui, ça doit faire 10 ans. Mais c’est peut-ĂȘtre plus une question de business. Ils sont peut-ĂȘtre dans une pĂ©riode de repli oĂč ils ne vont pas chercher les projets en dĂ©veloppement chez eux et oĂč ils sont au contraire plus tournĂ©s sur ce qui se fait aux USA. Du coup, faire de la promo en Angleterre nous sert Ă rien parce que c’est la presse qu’on dĂ©croche aux Etats-Unis qui fait qu’on touche les gens en Angleterre. Enfin voilĂ , on verra.
J’ai l’impression que tes derniers disques avec Air ou Tomorrow’s World n’avaient pas eu ce rayonnement international. Tu t’Ă©tais dĂ©shabituĂ© Ă une sortie de disque comme ça, un peu mondiale ? Pour toi Starwalker remet-il une sorte d’excitation de cet ordre ?
Oui, ça remet un peu plus d’excitation, c’est sĂ»r.
C’Ă©tait l’envie ?
Ouais, c’Ă©tait l’envie.
Je veux dire, c’Ă©tait un peu ça l’idĂ©e de Starwalker, former unĂ© entitĂ© et faire une musique qui puisse te permettre de rĂ©apparaĂźtre sur la scĂšne mondiale ou c’est plus « naĂŻf » que ça ?
En fait, le projet est totalement artistique, c’est-Ă -dire que Bardi et moi on s’entend bien et on aime faire de la musique ensemble et je pense qu’on a justement une vision â non pas altermondialiste (sourire) â mais totalement europĂ©enne ou perchĂ©e de la musique. C’est-Ă -dire la vision d’une musique ni anglaise, ni amĂ©ricaine, ni française.
La vision d’une musique pop, quoi.
VoilĂ . Du coup y’a plein de possibilitĂ©s. Et y’a pas que la musique, y’a aussi l’image. En fait y’a peu de choses qui sont sorties mais on a beaucoup avancĂ©, on a dĂ©jĂ beaucoup de morceaux donc on est en train de construire une image en vue de la sortie du futur album et de son single. Pour l’instant, on est donc dans une Ă©tape transitoire, les choses prennent du temps Ă se mettre en place…
C’est la premiĂšre fois que tu sors un EP ?
Non. Avec Air on en a sorti plusieurs, avec Tomorrow’s World on en a sorti un. En fait un EP c’est gĂ©nial parce que du coup tu vois comment les gens te perçoivent avec seulement un quelques titres.
Tu pense que ça permet aux gens de plus se concentrer sur la musique qu’un album classique de 12 titres ?
Oui, je pense. C’est plus, comment dire ? Il y a dĂ©jĂ le fait que les gens n’ont pas forcĂ©ment le temps d’Ă©couter beaucoup de musique et un EP c’est court, ça apparaĂźt comme ça (claquement de doigts â nda). AprĂšs il y a surtout le fait qu’avec Starwalker on est complĂštement indĂ©pendant, on a ni management ni maison de disque (rires) !
Ăa te fait du bien ?
Oui, quelque part, car du coup on a l’occasion de faire tout ce qui nous passe par la tĂȘte. C’est-Ă -dire que lĂ finalement l’EP est un EP classique au sens oĂč y’a une vidĂ©o, y’a un remix et que dessus c’est marquĂ© Jean-Benoit de AIR et Bardi Johansson de je sais pas quoi (Bang Gang â nda) mais en fait tout ça, ça va ĂȘtre brisĂ©. C’est-Ă -dire que pour les prochains singles ou EP on mettra pas d’autocollants sur le disque, on mettra pas de remix…
Il n’y aura pas d’hameçon sensationnel au niveau de la com’ ni figure imposĂ©e au niveau du format musical ?
Ouais, je pense que de toute façon si tu fais comme tout le monde tu es vouĂ© Ă l’Ă©chec parce que tu te heurtes Ă la compĂ©tition internationale et comme nous on est complĂštement indĂ©pendant, quitte mĂȘme Ă se planter, on prĂ©fĂšre faire un truc fou, diffĂ©rent.
Et tu flippes pas de retirer l’Ă©tiquette « Starwalker = un mec de AIR + le mec de Bang Gang » ?
Nan, nan…
T’as plutĂŽt envie de te dĂ©faire de cette rĂ©putation, d’avancer masquĂ© ?
Ouais, en plus tout ça c’est peut-ĂȘtre maladroit parce que le public de AIR n’a peut-ĂȘtre pas envie d’Ă©couter autre chose que Air (rires)…
Oui, mais la musique de Starwalker n’est pas Ă dix mille lieux de celle de AIR…
Bien sĂ»r, parce que je fais partie de AIR, c’est dans mes veines (rires) !
Oui, et Bardi fait lui-mĂȘme une pop qui va chercher dans des atmosphĂšres familiĂšre Ă AIR.
Ouais, disons que c’est le cĂŽtĂ© commercial qui me fait chier. Y’en a marre des clichĂ©s commerciaux, y’en a marre de la promo normale avec tel ou tel mĂ©dias… Je vais avoir 44 ans, ça fait 20 ans que je fais de la musique, enfin 35 ans, 40 ans mĂȘme et, tu vois, a un moment faut dire les choses. A partir d’un certain Ăąge tu peux dire les choses et il faut les dire parce que si tu les dis pas telles qu’elles sont, qui va les dire ? C’est pas les jeunes groupes. Quand t’es un jeune groupe, t’es liĂ© par tes contrats, y’a des grosses sociĂ©tĂ©s qui te font confiance, t’as des comptes Ă rendre, des preuves Ă faire, t’es commercial. Alors que lĂ avec Starwalker on peut faire tout ce qui nous passe par la tĂȘte. Et tant pis si ça plait pas Ă EMI, Universal ou Sony, on est liĂ© Ă personne.
Oui, et ça y est, toi tu es Ă©tabli, tu es Ă un stade de ta carriĂšre oĂč tu peux te permettre d’ĂȘtre dans une sorte de marginalitĂ© Ă©conomique…
Oui, je peux me permettre parce que de toute façon on ne tient que par nous-mĂȘme (rires).
Winner can lose !
Ouais, mais perdre et gagner, qu’est-ce que ça veut dire justement ? Qu’est-ce que gagner ? Gagner de l’argent ?
HĂ© bien dis-moi, qu’est-ce que gagner pour toi ? Par exemple qu’est-ce qui te ferait vraiment plaisir de rĂ©ussir Ă faire avec ce disque de Starwalker ?
Moi, en fait ce qui me ferait plaisir c’est de rĂ©ussir Ă faire de la musique et des vidĂ©os qui soient vraiment gonflĂ©es, diffĂ©rentes, et qui puissent toucher les gens. MĂȘme si c’est un petit public d’initiĂ©s, c’est pas grave du tout.
Aujourd’hui c’est dur de fĂ©dĂ©rer les gens par une musique, une identitĂ©, une image.
Ouais, c’est dur.
Synchroniser les gens.
Tout Ă fait.
DerniĂšrement Daft Punk a rĂ©ussi avec Random Access Memory et l’hameçon « Get Lucky », mais voilĂ , c’est un tour de force et l’album leur a pris quoi, 7 ans je crois. Il faut quelque chose de spĂ©cial pour synchroniser les gens. CrĂ©er un rendez-vous.
Oui, et puis aprĂšs pour synchroniser les gens il faut mettre des moyens absolument colossaux, des moyens colossaux dont on a nous-mĂȘmes (AIR â nda) bĂ©nĂ©ficiĂ© dans le passĂ©. Et je pense que les gens sont aussi conscients de ça, tu vois ?
Oui, mais ils ne sont pas contre je pense, il faut juste qu’ils se rendent compte que c’est mis au service de quelque chose de bien. Quelque chose qui ne les prenne pas pour des cons. Un truc noble qui cherche Ă crĂ©er du rĂȘve.
Oui, voilĂ .
Si on joue dans cette catĂ©gorie qui implique des montants faramineux on n’a pas trop le droit de se chier dessus. Ce serait comme cracher Ă la face des gens.
Oui, mais artistiquement tu sais tu n’es pas obligĂ©… Enfin moi je fais pas des choses pour plaire aux gens, c’est-Ă -dire que si j’Ă©tais capable de faire des hits mondiaux comme ça (claquement de doigts â nda), tu vois, je le ferai sans hĂ©siter mais le problĂšme c’est que j’en suis tout Ă fait incapable (rires jaunes) donc j’ai pas le choix, je suis obligĂ© de faire du mieux que je peux avec ce qui me passe par la tĂȘte, et puis ça marche ou ça marche pas, voilĂ .
Comment vous composez avec Bardi ? D’ailleurs je ne sais mĂȘme pas depuis quand vous vous connaissez. Vous vous connaissez depuis longtemps ?
Ăa fait deux ans qu’on se connait.
D’accord. Ăa fait pas si longtemps en fait.
Non, mais un jour on a essayĂ© de faire un morceau ensemble et comme ça s’est bien passĂ© on s’est finalement dit que ce serait trop dommage d’en rester lĂ et qu’il fallait faire un album ensemble et pour faire un album hĂ© bien il faut beaucoup travailler, il faut des vidĂ©os et de l’image, et tout ça, c’est ce qu’on est en train de faire lĂ .
Mais qu’est-ce qui a vraiment donnĂ© l’Ă©tincelle pour que vous vous disiez : « On va bosser ensemble ? » C’est d’abord l’amitiĂ© ou plus une alchimie musicale ?
Les deux. Une amitiĂ© et aussi une vision, une certaine vision. Je pense que ce qui se passe avec Starwalker c’est vraiment la fusion entre l’Islande et la France. C’est-Ă -dire que l’Islande c’est quand un pays trĂšs particulier oĂč y’a de l’espace et du temps. Et les gens ce qui leur manque actuellement, surtout nous, parisiens, c’est le temps. Par exemple, concrĂštement, quand t’es musicien Ă Paris et que tu veux faire un morceau avec quelqu’un hĂ© bien il va toujours venir â s’il vient â en devant batailler entre deux autres rendez-vous et voilĂ , vous n’aurez que quelques heures comme ça et ce sera pareil pour vos autres rendez-vous, que des plans comme ça oĂč t’es dĂ©bordĂ© et t’essaies de faire rentrer ta crĂ©ation dans ton plan de vie. Alors qu’en fait la musique c’est pas ça, l’inspiration c’est laisser le temps passer et parfois mĂȘme l’ennui. Finalement la crĂ©ation c’est bien souvent de l’ennui et ça c’est de plus en plus rare maintenant. C’est la denrĂ©e de plus en plus rare. Dans nos styles de vie le temps et l’ennui sont rares, on n’a plus de temps Ă perdre. Et je pense que c’est pour ça que la musique souffre Ă©normĂ©ment d’inspiration aujourd’hui. Parce que les gens ne s’ennuient plus, ils n’ont plus le temps en fait, et moi-mĂȘme je crois que j’en suis aussi victime. C’est-Ă -dire qu’on passe notre vie Ă courir et Ă essayer de rentabiliser. Et donc quand on se met Ă faire de la musique on a aussi une volontĂ© d’efficacitĂ© mais vouloir un processus de crĂ©ation efficace c’est totalement anti-artistique.
Oui, on le voit. Aujourd’hui beaucoup de jeunes groupes sont assez douĂ©s musicalement, ce qu’ils font sonnent trĂšs vite trĂšs bien, ils ont la culture, les outils techniques et ils sont super pragmatiques, beaucoup veulent rĂ©ussir, vivre de leur musique, que ce soit leur job. C’est assez nouveau ça.
Oui, c’est-Ă -dire que les groupes ne se droguent plus (rires). Moi, jusqu’Ă une certaine Ă©poque, tout ce que je faisais cartonnait (rires) et en fait je me suis rendu compte que tout ça c’Ă©tait la rĂ©sultante de l’inspiration que j’avais amassĂ©e quand j’avais justement pas de succĂšs et que j’Ă©tais au piano et que j’imaginais des morceaux, tu vois ? Et Ă partir du moment oĂč j’ai commencĂ© Ă approcher ça en terme d’efficacitĂ©, que j’ai voulu que ça marche et que ça plaise aux gens, l’inspiration s’est tarie et tout s’est Ă©croulĂ©.
As-tu senti Ă ce moment-lĂ que tu courais un danger artistiquement, en terme d’inspiration ? As-tu senti qu’il te faudrait switcher sur une autre maniĂšre de fonctionner, un autre Ă©tat d’esprit et que ça serait pas facile ?
Exactement. Tu sais, tout Ă l’heure je regardais des photos de famille parce qu’il fallait que j’envoie des photos pour la promo de Starwalker donc il fallait que je trouve des photos de moi soit Ă Paris soit ailleurs, donc je parcourais mes albums de famille et je suis tombĂ© sur une photo oĂč je suis en Islande justement, oĂč y’a le soleil et, comment dire, je suis bien, j’ai un beau torse, massif, musclĂ© (rires) et en fait je me souviens qu’Ă cette Ă©poque-lĂ j’allais tout le temps Ă la piscine, je suivais un entraĂźnement de natation hyper intense donc j’Ă©tais bien « fit », et avant ça, jusqu’en 2004, j’allais toujours Ă mes cours de piano toutes les semaines, des cours que je suivais depuis l’Ăąge de 3 ans avec ma prof â enfin mon maĂźtre musical â et mon vrai maĂźtre est mort Ă cette pĂ©riode, vers 2003-2004 et je pense qu’en fait ça m’a profondĂ©ment troublĂ©…
Sa mort ?
Ouais, l’expiration de mon maĂźtre en fait (rires), la disparition de mon inspiration musicale, la vraie inspiration musicale, c’est-Ă -dire le piano et la musique. Et je pense que j’ai mis beaucoup de temps Ă retrouver une discipline musicale, une espĂšce de foi en la musique… Et en fait en ce moment j’ai l’impression que ça revient, mais ça a mis vraiment mis du temps.
Tu pense donc avoir traversĂ© une vraie crise musicale entre disons 2003 et 2013…
Oui, alors que je pensais pas ĂȘtre en crise, je pensais pas ĂȘtre en crise, parce que j’Ă©tais au contraire dans une espĂšce de volontĂ© d’efficacitĂ©, mais en fait, profondĂ©ment, psychologiquement, j’Ă©tais en crise, et j’avais pas compris. Pour moi en fait l’inspiration c’est oser, c’est oser faire des morceaux diffĂ©rents, c’est oser proposer une image diffĂ©rente, c’est aimer profondĂ©ment la musique et tomber amoureux de mĂ©lodies, tomber amoureux de rythmes, tomber amoureux de morceaux, et aller jusqu’au bout pour faire quelque chose de profond et voilĂ aprĂšs le rapport aux mĂ©dias et le succĂšs commercial viennent naturellement. Parce que, tu vois, les gens sentent, les gens voient, les gens entendent… Tout se sent. MĂȘme en promo, tu vois, si tu joues un rĂŽle, si t’es pas sincĂšre ça va se voir, se sentir et voilĂ , je pense que…
On manque de ça, de fraßcheur et de naïveté dans notre rapport à la création.
Oui, tout Ă fait.
Et justement, dans tout ça, le single de cet EP, « Losers Can Win » et sa mĂ©lodie divine, comment ça tombe ? C’est vraiment le genre de morceau dont on en tombe amoureux...
Oui, « Losers Can Win » c’est vraiment un morceau dont je suis amoureux. C’est-Ă -dire que chaque fois que je l’entends, ça me met dans un Ă©tat particulier, comme si je faisais un rĂȘve lucide, comme si j’Ă©tais en train de me rĂ©veiller avec quelqu’un que j’aime, qu’on Ă©tait emmitouflĂ© dans mes draps.
Oui, c’est un morceaux dont on se lasse pas. On peut se le repasser en boucle. C’est rare.
C’est un peu comme quand tu bois du jus de pomme, du vrai jus de pommes (rires), si c’est du vrai jus de pommes c’est complĂštement enivrant, t’as une espĂšce de vrai parfum de la nature qui fait que ton corps jouit complĂštement de ce nectar dĂ©licieux et voilĂ (rires) ! Pour moi ce morceau est un dĂ©licieux nectar…
Un rĂȘve « lucidre » !
Oui (rires)Â !
Mais comment l’as-tu trouvĂ© ? Comment Ă©crit-on un tel morceau ?
Par hasard. En faisant.
C’est-Ă -dire ? En laissant courir les doigts sur le piano ? Un truc comme ça ?
Ouais, en fait y’a dĂ©jĂ un truc c’est que j’Ă©tudie depuis longtemps ces accords quasiment communs de Do majeur La mineur, cet espace, et en fait le morceau c’est que ça (rires) cet espace harmonique, cette transition d’accords qui est pour moi la transition de l’amour. Et je me suis toujours demandĂ© comment faire pour avoir cette transition d’accords tout le long d’un morceau, qu’on ait l’impression de rouler, de s’enivrer en permanence sans jamais que ce soit lassant et en fait le truc c’est la guitare. La guitare avec le delay au-dessus. C’est elle qui fait qu’on a comme un solo perpĂ©tuel, qu’on surfe comme sur une vague, c’est la guitare qui a donnĂ© ça et ça on l’a trouvĂ© en le faisant, et en fait c’est mĂȘme pas une guitare qui fait ça, c’est un mellotron, c’est-Ă -dire un clavier avec un son de guitare et un delay dessus. VoilĂ (rires).
AprĂšs avoir trouvĂ© cette astuce, ce procĂ©dĂ©, vous ĂȘtes directement arrivĂ© sur le morceau tel qu’on peut l’Ă©couter sur l’EP ou il vous a fallu retravailler longuement le morceau obtenu ?
En fait â enfin je vais pas me comparer Ă des artistes contemporains comme Soulages par exemple â mais ce titre a suivi un peu la mĂȘme Ă©volution que ses toiles. Tu sais, Soulages c’est un peintre…
Oui, connu pour ses grands tableaux noirs.
Oui, hĂ© bien Ă ses dĂ©buts il a fait des tableaux normaux, puis il s’est mis Ă faire des tableaux avec un peu de noir, puis des tableaux avec du blanc et du noir et finalement il a mis de moins en moins de blanc et n’est restĂ© que du noir. Ce morceau c’est pareil. Au dĂ©but y’avait d’autres accords, d’autres parties et puis en fait on s’est dit : « Cette partie est vraiment bien, on va la rĂ©pĂ©ter » et on l’a rĂ©pĂ©tĂ©e de plus en plus, tellement qu’on a fini par l’a rĂ©pĂ©ter tout le temps et qu’on s’est dit : « Finalement on ne va garder que ça. » VoilĂ , c’est ça la crĂ©ation.
(SUITE.)