CHRISTOPHE (2) « RADIOHEAD »
8 décembre 2010. « Aller je vais pisser un coup… » Il y a des phrases comme ça qu’on s’étonne d’entendre. Elles sonnent trop surréalistes. Pas raccord avec la vie. Comme si justement d’un coup – wake up – on était dans le rêve. Que c’était ça aussi la vie. Je me rappelle avoir déjà ressenti ça il y a un an ou deux quand j’avais décroché mon téléphone pour m’entendre dire : « Hello, Mister Wyatt ? ». Là il est 22h, je suis toujours avec Christophe, chez lui, à l’animer de paroles et l’écouter parler de ce qui l’anime. Et voilà, après une heure de discussion c’est l’entracte « … parce que c’est ça quand on boit du thé. »
Un type « normal » Christophe. L’Ovni tender. Enfin pas du tout le mec archi « chéper » que la télé donne à voir. On y flatte le « génie » pour mieux moquer le « fou ». Là, sous cape, dans les talks, c’est toujours : « Ouh, public, mate-moi ce type, il fonctionne pas comme nous, on comprend rien de ce qu’il dit, un vrai freak, circuits grillés, coké de l’esprit. » (Purée, ça me fait penser à tous ces gens qui n’aiment pas Lynch parce qu’ « on comprend rien à ses films ! ») C’est facile de neutraliser ainsi, chez l’autre, la rencontre du troisième type qu’on ne veut pas voir en soi. A la télé, mal entouré, la parole menottée, le mec ne pourra évidemment rien faire. (Dans les phares de l’engin la biche a toujours l’air d’un martien.) Il paraîtra nébuleux. Syndrome JCVD. C’est ça quand on passe à la télé.
Mais je l’ai vu Christophe et c’est juste « l’histoire d’un mec » qui a mis le rêve au cœur de sa vie et le cœur au rêve de sa vie. L’Ovni true quoi. Et pour ça il préfère vivre en décalage. Zapper les passages cloutés du jour pour s’ouvrir les tunnels of love de la nuit. Je l’ai vu en concert, le 30 janvier 2010, au Palace. Cameleon lover et voix d’épines velours, dans son monde de subduction carrossé, il illustrait à merveille ce qu’il dira en fin de show : « Pour emporter les autres il faut d’abord s’emporter soi ». Mais entre les morceaux, vers la fin du show justement, quand la magie a pris place et que l’artiste peut enfin redescendre, se faire homme et parler à ses semblables, il était drôle. Oui, avec sa tchatche de funambule, tout en humour lunaire d’un coup – stand up – on se marrait. Et Christophe c’est aussi ça. Le mec qui se coiffe d’un nez rouge et qui nous fait une rose en papier – abracadabra ! c’est une vraie. Tour à tour marionnettiste et marionnette. Car « les choses les plus belles, au fond, Restent toujours en suspension » (« Le Tourne-cœur »)
22h donc. 8 décembre 2010. Montparnasse. Ma sympathy for the Bevil’ porte ses fruits. On a déjà parlé de sa découverte des synthés dans les années 70, des ordinateurs dans les années 80 et de comment tout ça a naturellement fait mu(t)er son esthétique musicale comme en témoignent les albums Bevilacqua (96), Comm’ si la terre penchait (2001) et Aimer ce que nous sommes (2008). La suite s’annonce passionnante.
« En ce moment je vise plutôt un mec comme Thom Yorke »
Christophe, tout à l’heure on parlait de l’accident de voiture de Nick Cave et vous en profitiez pour rappeler, ce que vous faites souvent, que vous avez vous aussi perdu votre permis de conduire il y a quelques années. Pour vous ça semble une grosse rupture…
Ah oui, c’est une grosse rupture…
Ne plus pouvoir conduire renforce-t-il votre obsession du son ?
Non, au contraire, ne plus pouvoir conduire ça m’enlève des…
Des sources d’inspiration ?
Oui, c’est pas pareil.
Vous pensez que si vous pouviez encore conduire votre musique serait différente ?
Je sais pas, c’est ce que je ressens hein.
C’est physique ?
Bah oui c’est normal… Ah oui le manque est là hein. Le manque est là.
Mais vous ne voulez pas repasser le permis ?
Non.
Vous vous entêtez à ne pas vouloir le repasser ?
Oui.
Pourquoi ça ?
Parce que j’ai pas envie de retourner au système du permis à points. J’ai pas envie de ça quoi. Les points c’est pas mon truc.
Et vous ne faites jamais d’infractions en conduisant sans papiers, comme ça pour le plaisir ?
Non, ça n’a aucun intérêt. Ce qui compte c’est la liberté. Surtout que maintenant y’a des flics à tous les coins de rue.
Comment vous l’avez perdu votre permis ? Vous avez trop déconné au volant ?
Non, j’ai juste fait 3 excès de vitesse à une époque où j’étais en manque de points. Mais moi j’ai jamais été pris en état d’ivresse, jamais été arrêté avec un alcootest, j’ai toujours été clean. Parce que pour aller vite faut être clean. Mais comme d’habitude, c’est toujours les meilleurs qui se font avoir.
En écho à cette passion et à sa privation vos albums contiennent souvent des odes à l’automobile. Dans Aimer ce que nous sommes il y a « Stand 74 », dans Comm’ si la terre penchait « On achève bien les autos », dans Bevilacqua « Enzo »…
Oui, mais à l’époque d’ « Enzo » je conduisais encore. Je suis même allé chez Enzo (Ferrari, pilote qui créa la firme Ferrari Automibili et mort en 1998, nda) à Maranello (en Italie, nda). Malheureusement je l’ai pas rencontré parce que les gens autour de lui c’est des connards qui se prennent pour des stars. Enzo non, lui il est cool. Tout ça, ça le rend malheureux, c’est pour ça que moi j’ai personne comme ça autour de moi.
Vous ne voulez pas d’un tel entourage, surprotecteur, castrateur ?
Ah non, certainement pas. Et j’en ai jamais eu.
Vous pensez que c’est dangereux pour un artiste de s’isoler de la sorte ?
Je sais pas mais je veux pas vivre ça, je veux vivre autre chose, surtout à mon âge hein. Voilà. Moi j’ai mes secrets… Mais aujourd’hui de me raconter je me demande des fois qui ça intéresse. Qui ça peut intéresser que je dise que je kiffe d’écouter un 78 tours sur cette machine-là, que ça me fait décoller ? Les gens s’en foutent hein.
Je sais pas. Vous semblez avoir un rapport fétiche, quasi sacré à tout ça, la musique, les voitures, les femmes. D’ailleurs l’imaginaire de votre dernier album a des consonances religieuses, que ce soit par son titre, Aimer ce que nous sommes, ou sa pochette, style vitrail-puzzle. Où en êtes-vous avec tout ça ?
J’ai moins un rapport à la religion qu’un rapport avec les croix. Y’en a qui portent des têtes de mort, moi je porte des croix. Y’en a qui dessinent des têtes de mort, moi je dessine des croix. C’est comme ça. Je sais pas pourquoi. J’ai toujours aimé les croix, c’est fou hein ?
C’est la beauté de l’objet ?
Non… Quoique y’a des croix qui sont magnifiques, mais là je parle de la croix en général. Chez moi la croix c’est… J’ai toujours pas compris en fait. Ce que ça voulait dire. Un jour je comprendrai peut-être.
Vous avez reçu une éducation catholique ?
Bah ouais, par mes grand parents, ma grand mère italienne. J’ai fait ma communion bien sûr, tout ça, naturellement.
Une chose qui marque…
Oui mais je sais pas, je crois que déjà à l’époque j’y comprenais pas grand-chose. Mais y’avait un truc comment dire, mystique qui m’attirait assez. En même temps je me souviens que quand j’ai fait ma communion on a fait une espèce de truc où on devait être dans le silence. Mais comme on était mélangé aux filles moi je pensais qu’à en attraper une. Donc voilà, je suis pas non plus le reflet idéal de ce que l’église voudrait ! Mais je sais pas, c’est peut-être une erreur…
Une erreur ?
Je sais pas… Qu’est ce qu’on sait ? On sait rien. C’est vrai que la religion crée pas mal de problèmes dans le monde, tellement que c’en est fou, mais parfois je regarde des gens… en Inde par exemple, toute cette religion comme ça, cette spiritualité omniprésente, au quotidien, c’est attirant. Parce que la religion c’est pas autre chose : une spiritualité du quotidien, qui transparaît dans tes pensées, tes actes… Alors que moi j’y pense pas quoi. Pas du tout. (Silence.) Par contre quand j’étais enfant de chœur j’aimais bien faire l’enfant de chœur.
Il y avait une aspiration vers le haut qui vous séduisait ?
Peut-être oui, comme une espèce de truc que comment, j’observais…
Déjà l’idée de l’écran, du cinéma, du rêve…
Ouais, le cinéma de Pasolini, par exemple, tout ça c’est beau.
Et ça donne de beaux textes, comme celui de « Malcom » qui donne son titre à Aimer ce que nous sommes avec ce refrain-clé : « Et si le temps m’offrait / L’aumône de lui-même / Je l’utiliserais / Encore et bien fait / A aimer ce que tu es / A aimer ce que je suis / En somme… »
Oui mais ça c’est pas moi qui l’ai écrit. C’est un canadien (Daniel Bélanger, auteur-compositeur-interprète québécois né en 1962, nda) qui m’a envoyé ce texte une nuit et je lisais ça comment, comme une œuvre d’art.
On disait tout à l’heure en évoquant Bashung que vous ne fonctionnez pas comme un auteur-compositeur-interprète. La plupart du temps vous n’écrivez pas vous-mêmes vos paroles. Quel est donc votre rapport aux mots ?
J’écris beaucoup.
Au quotidien ?
Ah oui, beaucoup. Enfin je sais pas ce que c’est beaucoup mais je dois avoir une cinquantaine de pages où je parle de mes thèmes, des choses de qualité, qui moi me semblent belles à dire.
Indépendamment de toute musique ?
Ah oui. Mais des fois y’a des films qui se créent. C’est arrivé sur Comm’ si la terre penchait avec « On achève bien les autos ». Ça c’est un truc que j’avais écrit et que j’avais mis de côté. Et un jour je l’ai bougé sur cette musique, j’ai presque rien touché et ça collait. C’est quelque chose que je fais rarement, mais voilà, ça peut donner des choses bancales et intéressantes de remanier un texte sur une musique. Du coup dans mes albums je fais toujours quelques textes. Mais comme parfois il me manque trois mots ou que je suis pas satisfait d’un couplet que j’ai écrit je prends des aides. Parce que je préfère prendre quelqu’un et cosigner que de mettre un truc qu’est pas au niveau. A condition que je rencontre la bonne personne. C’est ça en fait : j’suis pas accroc…
A votre ego ?
Voilà. Je m’en fous. Je me connais.
Mais vous n’avez jamais vraiment eu de parolier fixe sur une période donnée. Pourquoi ça ?
Parce que justement quand je fais de la musique tout doit aller vers le haut, à tous les niveaux, mots compris. C’est pour ça que je prends mon temps et que j’aime le changement. Ah oui. Je change. Toujours. Pour être surpris et prendre l’inspiration où elle est.
Y compris chez les autres ?
Oui, parce que moi je vois comment les autres travaillent, j’en fréquente, mais je travaille pas du tout comme eux hein. Pas du tout. Moi je travaille par jets, éclaboussures, éclats. Alors j’attends la rencontre.
Parmi vos rencontres textuelles il y eu celle de Jean-Michel Jarre au début des années 70. Peu de gens le savent mais avant de se faire connaître avec sa synth-pop il a été parolier, notamment pour vous puisqu’il a signé les textes de deux de vos albums, Les Paradis perdus (1973) et Les Mots bleus (1974). Donc voilà, « Les Mots bleus » c’est du Jean-Michel Jarre.
Oui. A l’époque il était très proche de Francis Dreyfus (patron du label Motors, nda), qui l’a beaucoup aidé, et c’est Hélène Dreyfus qui me l’avait présenté. Je me souviens le jour de la rencontre on était square Moncet, ah non, on était dans une impasse dans le 17e, à côté d’un garage Porsche. On était bien là. Avec Jean-Michel on avait beaucoup d’éléments déclencheurs en commun. Ma collection de films lui a par exemple inspiré « Senorita ». Parce que c’est quelqu’un qui sait observer, il est pas con hein.
Vous restez proche ?
Non, on s’est juste retrouvé l’autre soir à la remise des prix SACEM. Ça faisait longtemps qu’on s’était pas vu. Il m’a dit : « Ce serait bien qu’on refasse des trucs ensemble ».
Il a envie de réécrire pour vous ?
Oui, j’avais l’impression.
Vous avez l’air sceptique ?
(Silence.) Oui, parce que pffff je suis dans autre chose…
Et Manset, vous vous verriez travailler avec Manset ? Depuis quelques années il semble disposé à « donner » des textes, des compos. J’ai par exemple entendu qu’il aurait aimé continuer à en donner à Bashung, comme il avait commencé à le faire sur Bleu pétrole (2009). Or lui m’a appris que vous vous êtiez déjà rencontrés…
Oui, on s’est croisé à l’époque où il travaillait chez Pathé Marconi (dans les années 70, nda). Là j’allais le voir dans son bureau de temps en temps, pour discuter, mais c’est tout.
Pas d’essais concrets ?
Non, on n’était pas fait pour bosser ensemble. Parce que lui il écrit ses musiques. Il fait tout tout seul. Donc voilà on pouvait pas… Mais par contre dernièrement j’ai rencontré Marie-Pierre Chevalier, ma manageuse…
Oui, elle m’a parlé de votre rencontre…
Elle est intéressante. Avec elle j’ai fait des choses. Donc voilà, en fait il faut observer. Et avoir ce truc qui fait qu’on ne laisse pas passer comment…
La magie ?
Ah oui. Parce qu’elle est rare.
Une autre chose rare, c’est votre chant, au croisement de quelque chose de féminin, incantatoire, rital et d’une sorte de gémissement, blessé, primal. Une voix qui se réduit parfois à de pures sonorités comme dans le « be bop a lula » d’anthologie que vous dégainez dans le finish psyché des « Paradis perdus »…
Ah oui. Bah ça les bluesmen l’ont beaucoup fait. C’est le côté blues hein. Effectivement par la plainte ou par l’onomatopée leur voix plante le décor.
Je me dis que vous pourriez presque faire un album sans mot. Vous y avez déjà pensé ?
J’ai pas mal de choses comme ça. Il y a pas longtemps j’ai déclenché des trucs sans mots avec ma voix en faisant du son avec un mec qui est dans la musique électronique.
Qui est-ce ?
Il s’appelle Stéphane mais j’arrive jamais à me souvenir de son nom, un parisien très très pointu dans cette musique-là. Et on a fait un truc avec un morceau de voix que je lui avais donné. Un truc de fou quoi. Je pense pas que ce sera sur mon prochain album, mais en tous cas mais pour l’instant j’ai des trucs qui sont quand même très très… Enfin cet album risque d’aller… Disons qu’en ce moment je suis dans une phase très dure où je me dépasse un peu. Je suis dans ce même état d’esprit que j’ai toujours à chaque fois que je fais des trucs intéressants. Un état d’esprit lié à l’envie de me dépasser, de chercher à sortir des éternels mêmes accords. D’un groupe à l’autre c’est toujours un peu les mêmes trucs, c’est épuisant. Aujourd’hui la musique esthétiquement exceptionnelle est rare.
En France ?
Oui moi je m’ennuie un peu de ce que j’entends.
J’ai tout de même lu que vous étiez étonné par Camille…
Ah oui, Camille oui…
Notamment son morceau « Pour que l’amour me quitte »…
Oui, oui, Camille, putain, elle a attaqué fort hein. Et puis bon, c’est pas fini, ca se sent que c’est pas fini, ça se voit… Et dans les mecs, un qu’est intéressant c’est quand même Biolay.
Ah oui ?
Bah oui parce qu’il est à l’opposé des autres, il est instrumentiste, alors j’aime bien…
Comme Manset il écrit ses cordes, tout ça…
Oui, moi je les écris pas mais je les joue mes cordes. C’est là-dessus que je travaille toujours : les cordes. Beaucoup. Et après je les fais écrire. Et ça, ça me plait. Alors que lui il prend une feuille de papier et il écrit le truc qu’il entend dans sa tête. A part ça il a un bel univers, le truc c’est que c’est toujours un peu pareil. Mais bon Gainsbourg aussi c’était toujours pareil !
C’est ce qui me bloque chez lui : sa manière de reproduire à fond le cliché Gainsbourien, ce personnage de beau salaud à la trentaine déclinante, poète maudit et homme à femmes…
Ouais, mais il est pas comme Gainsbourg héhé. Ça c’est aussi le problème des gens. C’est-à-dire qu’ils restent trop bloqués là-dedans. Donc oui, moi en ce moment y’a rien qui me surprend vraiment. Regarde, même un mec comme Nick Cave il vient de faire Grinderman 2, et ça donne pas vraiment la niaque. Pourtant Dieu sait que je l’aime. Pareil, je viens d’acheter le dernier… Ah, comment s’appelle-t-il ? Pas Portishead, ni Radiohead, l’autre. J’arrive jamais à trouver leur nom à tous les trois : y’a Radiohead, Portishead et…
Massive Attack ?
Non, le quatrième alors.
Tricky ?
Voilà. Son dernier disque est pas inintéressant mais il est pas au niveau, surtout vu les gros moyens qu’ont ces mecs, en plus d’avoir la culture du son. Moi au même moment je préfère un Scott Walker, qui va être plus trash, vraiment dans un univers, ou un mec comme Thom Yorke…
Oui, j’ai lu que vous aimiez Thom Yorke. D’ailleurs ça m’a fait tiquer parce que je me suis toujours dit que Radiohead et vous aviez des trajectoires similaires. Vous avez tous deux explosé très tôt avec un tube – « Aline » pour vous, « Creep » pour eux – comme eux vous avez même remis ça quelques années après – « Les Mots bleus » pour vous, « Karma Police » pour eux – mais depuis vous ne cesser de fuir ça en produisant une musique de plus en plus nocturne et expérimentale, à base de collages, d’archives, de rêves, de souvenirs et autres failles spatio-temporelles…
Oui, ils vont là où je suis, d’une autre façon.
Comment avez-vous découvert la musique de Radiohead ?
Ah j’ai mis du temps parce que quand j’étais plongé dans mes ordinateurs et mes synthés j’écoutais quasi rien. Mais à un moment donné tout a évolué si vite que j’ai eu envie d’aller voir ce que faisaient les autres, notamment ces gars dont on me parlait. J’ai découvert leur musique au moment où je faisais Comm’ si la terre penchait. Oui, c’est là, vers 98-99, que j’ai commencé à rentrer dans Radiohead. J’ai écouté leur album de cette période, mais moins que mes copains.
Quels copains ?
Je pense à Philippe Paradis (compositeur et compagnon de Zazie, nda). Mais moi je m’en suis vite lassé. C’est l’album solo de Thom Yorke qui m’a remis dedans (The Eraser, nda).
D’accord. Et j’ai lu que pour votre prochain disque vous souhaitiez collaborer avec lui, Brian Eno et Nick Cave. Vous les avez contactés ?
Pas encore, non. Non, parce que là je suis encore dans la musique et je pense qu’on contacte les gens une fois qu’on a une forme sonore et qu’on se démerde à tout prix pour qu’ils l’écoutent. Après ils rentrent dedans et ils partagent ou pas. C’est comme ça. Et comme j’ai quand même un peu comment, de feeling et de psychologie, je me dis que c’est pas fait quoi.
Vous allez encore travailler avec Christophe Van Huffel, qui vous accompagne sur scène et qui avait déjà produit avec vous Aimer ce que nous sommes ?
Oui. Il est bon hein ?
Oui, carrément. Je ne le savais pas si éclectique et bidouilleur. Avant de le découvrir à vos côtés je ne le connaissais qu’en tant que guitariste de Tanger. Je ne sais d’ailleurs pas si ce groupe continue d’exister mais c’était bien ce qu’ils faisaient. Musicalement comme verbalement c’était inventif, ambitieux tout en restant de le domaine de la chanson.
Oui, y’a de bonnes choses dans Tanger. Même lui le chanteur, Philippe (Pigeard, nda), c’est un personnage. Spécial. A mon avis c’est d’ailleurs pour ça que… Je veux dire s’il était un peu différent, sa musique passerait mieux. C’est humainement que ça coince. Y’a un truc qui décolle pas chez lui. C’est fou hein ?
Oui, je crois que je vois ce que vous voulez dire. Bon et comment ça se passe pour la sortie de votre prochain album ? Vous vous êtes fixé une deadline ?
Oui, il devrait sortir en septembre 2011. Ça me laisse de temps pour m’amuser encore un peu.
Et ça sortira chez qui ?
Mon contrat vient de finir avec AZ (label d’Universal, nda). Alors je sais pas. Personne sait.
Vous n’avez pas des pistes, des propositions ?
Oui mais moi j’ai jamais été accroc à ça. Je laisse comment, le hasard faire les choses, j’aime bien.
C’est une position privilégiée.
Oui, surtout que j’ai pas besoin d’aller un studio. J’ai assez de choses chez moi pour fonctionner comme un petit artisan. Après pour tout ce qui est d’enregistrer, j’aime bien partir en Angleterre. Je me suis récemment remis à partir là-bas pour mixer, dans un studio comme Olympic Studio. Ça c’est des endroits qui me dépaysent et c’est le seul moyen de prendre un vrai recul sur ce que j’ai fait. Surtout que je parle pas bien anglais, donc j’ai juste à m’asseoir et écouter le mec.
Bon en tous cas me voilà rassuré, votre prochain album ne sera pas l’album de duos dont on m’avait parlé !
Comment ça ?
Je ne sais plus trop mais j’avais entendu parlé d’un projet d’album de duos avec Calogero, Zazie & co.
Ah oui, c’est AZ qui voulait ça. C’est-à-dire qu’ils étaient pas dingue d’Aimer ce que nous sommes. Du coup ils l’avaient un peu placardisé. C’était genre : « Nous, on a tout compris, coco t’es pas dans le bon truc ». « Et coco, il t’emmerde, ok ? » Alors je leur ai dit : « Si vous croyez pas en ce disque et que vous êtes pas capable de le vendre je vais le faire moi-même, je vais vous montrer ». J’ai donc présenté le disque directement au public sur scène. C’était dur, je me suis donné du mal, mais je suis fier de l’avoir défendu comme ça. Ce disque a eu le succès qu’il a eu grâce à la scène. Après moi le seul duo que j’ai jamais enregistré je l’ai fait avec Adamo, par amitié et parce que j’aime bien les choses…
Passer de votre univers nébuleux à un univers plus popu ?
C’est ça, ça me plait. Par exemple j’aime bien jouer aux boules. Je sais pas, je suis moi quoi. Et Adamo comment… Bon c’est un mec hyper connu hein, un mec de la chanson populaire mais dans le genre c’est quand même un killer. Il en a fait plus d’une hein. Et à l’époque de son album de duos (Le Bal des gens bien, nda) j’étais pas libre et c’est dommage « parce que pour toi, je lui ai dit, je l’aurais bien fait ». Il m’en a donc reparlé pour son album suivant (De Toi à Moi, nda) et on a choisi cette chanson que j’aimais bien.
Au début de votre carrière vous étiez vous aussi un chanteur populaire. Et il y a donc eu « Aline », votre « Creep », le morceau sans qui vous n’auriez pas pu faire carrière en ayant le loisir comme vous l’avez fait de partir dans la chanson expérimentale, de couper sans cesses les ponts avec ce que vous aviez déjà fait. Sans ce tube qu’auriez-vous fait ?
Je sais pas, j’aurais peut-être fait de la mode.
Vous seriez devenu une sorte de Karl Lagarfeld ?!
J’espère bien. Au moins à ce niveau. Mais bon on peut pas toucher à tout hein. Tout le monde n’est pas David Lynch.
Lynch semble très important dans votre univers. Au même titre que tous ceux qu’on a évoqué : Portishead, Radiohead, Tricky, Lou Reed, Alan Vega, Scott Walker, Bowie, etc. Ces gens-là, vous pensez qu’ils vous connaissent, que votre musique leur parvient ?
En Angleterre pas mal. A un moment y’a des gens comme Archive qu’ont voulu me rencontrer. Je suis allé chez eux à Londres. Ces gens-là ce qui leur plait c’est ma couleur, mes sonorités de synthés, qui sont pas faciles à comprendre. Eux ils peuvent pas faire ça car ils sont vraiment instrumentistes, ils ont pas la même approche que moi, qui suis dans une approche fragile. Je fais donc des petites rencontres comme ça mais je travaille très peu à l’étranger.
Ça vous frustre ?
Non, je m’en fous complètement par contre j’aime cette vie de l’inconnu. Je préfère l’espérance à la récompense. Par exemple la soirée des victoires de la SACEM où on m’a récemment poussé à aller c’est quelque chose qui me parle pas vraiment. Mais si tout à coup Bowie ou Thom Yorke m’appelaient en me disant « J’ai écouté ce que t’as fait », ça ce serait la récompense. Parce qu’il y a de l’espérance. C’est ça une vraie récompense, c’est pas autre chose. Un jour j’ai joué avec Gail, la bassiste de David Bowie (Ann Dorsey, nda). Elle, on peut pas imaginer comment elle joue. C’est magique. Quand on écoute ça on comprend tout de suite pourquoi elle a été si longtemps près de Bowie. Donc moi quand j’ai réussi à l’avoir dans certains de mes concerts c’était comme si j’approchais un peu Bowie sans vraiment l’approcher. D’ailleurs j’ai jamais emmerdé Gail avec ça en lui disant : « Parle-moi de ça ». Par contre elle a chanté pour moi. ça me tenait à cœur. On a fait ça à la Cité de la Musique. Sur « Minuit boulevard ».
En fait on dirait que pour vous, plus qu’un réseau d’influences, ces artistes anglo-saxons forment une étrange communauté d’esprits…
Oui, c’est des gens qui sont toujours présents à l’intérieur. C’est ceux-là qui sont présents. Même si on les connait pas. On a pas besoin de les connaitre car ce qu’ils projettent suffit à déclencher des choses. Parce que ce qu’on veut en fait c’est juste déclencher notre propre imaginaire. Déclencher notre propre imaginaire par rapport à l’idée qu’on se fait d’eux. Mais sans avoir à rentrer dans l’intimité que ce serait de les croiser. Ça sert à rien. Ce qu’est bien c’est l’inconnu. C’est ça : l’inconnu connu. Mais bon, comment, y’a plusieurs étapes quand on fait un disque et j’en suis pas à choisir des voix. Musicalement il faut d’abord que je me trouve et ensuite que je trouver des gens, pour les guitares, les pianos, la basse, la batterie. Surtout les pianos. Moi c’est vrai que ce que j’aime bien dans ma musique c’est mon approche des claviers…
Oui, plus le temps passe plus j’ai le sentiment qu’ils sont la clé de voûte de votre univers musical, très méditatif, onirique, mystique…
Oui mais à condition de leur donner des textures expérimentales. Donc voilà, la barre est quand même haute. J’espère que j’y arriverai.
Photos : Richard Dumas
C’est ce qui s’appelle un « retour » gagnant-gagnant. Merci-merci Nola.
Tout le temps de cette rencontre,j’étais là tout près…Merci pour votre invitation.
Vous dire que l’ambiance de votre conversation avec Christophe est intéressante tant par vos questions et les réponses bien sûr! Un très bel échange.Un moment calme et tranquille
Cate, merci de vous être joint à nous de la sorte 😉
(J’ai un doute : dit-on « joint » ou « jointe » ?)
» Pour que ta vie soit moins moche choisis l’étoile et je te la décroche »
Celle-là aussi, elle est jolie (et je ne sais pas d’où elle vient aussi !)
Merci Christophe, merci Sylvain !
J’adore lire la parole déposée dans un temps qui dure SON temps, pas découpée, pas brimée pour entrer dans des pseudo formats… format quoi !!! 🙁
J’aime tes entretiens car tu laisses tout ce qui rend vivant… les comment / quoi / ah oui / hein de Christophe. Ils sont e.s.s.e.n.t.i.e.l.s, permettent d’être purement dans l’oralité, le stream of consciousness… tout l’unique de chaque être.
« Je préfère l’espérance à la récompense. » Beau.
Et tant qu’à digresser, une citation qui me vient en lisant ton « étoile à décrocher »
« Si vous avez construit des châteaux dans les nuages, votre travail n’est pas vain; c’est là qu’ils doivent être. À présent, donnez leurs des fondations. » Thoreau
Ah oui, je voulais aussi dire dommage vraiment que Tanger ne soit plus !
Oui, merci Christophe, car tout cela tient beaucoup à lui en effet, sa façon de parler.
Fasse à ça on ne peut qu’en rendre compte fidèlement, comme tu le décris si bien.
On se sent redevable d’un truc, un flow, une musique…
Et c’est « marrant » car dernièrement, lors d’une seconde interview, Christophe me disait qu’il aimait lui-même écouter des artistes parler et que d’ailleurs il préférait limite écouter Duras et Sagan ou Artaud parler que les lire…
Parler c’est déjà écrire et écrire c’est presque parler, et vice versa…
Et tout ça c’est un peu l’idée de Parlhot…
Mille mercis pour ton commentaire Mina, et cette citation comme une étoile en haut du sapin.
Tu ne peux pas le deviner mais elle illustre pleinement là où j’en suis !
Dommage oui, mais ils ont donné ce qu’ils avaient à donné je pense… Et puis tient d’ailleurs, bientôt sur Parlhot une longue longue interview de leur ex guitariste en chef, Christophe Van Huffel !