PATTI SMITH « TWELVE »
27 mai 2007. St Brieuc. Après trois jours de pied de grue devant des groupes aussi divers et dispensables que Razorlight, Art Brut, Naast, Joey Starr, The Fratellis, Rita Mitsouko, Gotan Project, Aaron, Abd Al Malik, Olivia Ruiz, The BellRays et CocoRosie, le festival Art Rock daigne enfin m’adresser un vague frisson d’excitation : Patti Smith. L’icône sexagénaire du cultissime Horses, celle-là même qui enchanta le New York contre culturel des seventies avec son rock nourri de figures rimbaldiennes (et bla et bla et bla) vient de sortir Twelve, son dixième album studio, un disque de 12 reprises de standards rock où Nirvana côtoie Neil Young, les Beatles les Stones, les Allman Brothers Crosby, Stills, Nash & Young, Jefferson Airplane Hendrix, Dylan Stevie Wonder, Lou Reed Paul Simon et les Doors Tear for Fears. Et elle va clôturer l’événement en montant à son tour sur scène, mais ça je m’en fous. Rien à foutre que cette mamie du rock qui n’écoute guère plus que de l’opéra vienne pieusement revisiter le répertoire de ses illustres aînés.
Non, ce qui m’attire un tant soit peu c’est qu’avant elle va donner une conférence de presse. On vient de me le dire. Je file donc en deux deux à l’espace pro et en effet, un bel attroupement de journalistes et autres privilégiés fait face à une momie. Elle a des airs de cow boy et d’indien décrépis, un chapeau d’où dégoulinent de longs cheveux filasses et une mince et sèche silhouette qui s’achève par de vieilles bottes. L’impression qu’elle fait corps avec, qu’elle y est comme scellée, sédimentée. L’idée que par là, même raide, elle cherche à maintenir un certain standing, un côté crado-rustique qui témoigne qu’elle est encore fidèle à ce qu’elle fut, qu’elle est toujours Patti, d’un bloc, libre, bohème, rock alors qu’elle pourrait reposer dans les fringues des plus grands couturiers. Et cette présence dessine quelque chose. Quelque chose qui ressemble à un mélange de respect pour l’oeuvre et de voyeurisme pipole. Certains ont déposé des dictaphones à ses pieds. Des objectifs se font entendre. Parce que oui, la Patti va parler (et bla et bla et bla), répondre aux rares questions de ceux qui oseront en poser. Ce dossier m’échappe un peu mais je me lance.
« Pour moi Smells Like Teen Spirit c’est un cantique »
Pourquoi faire un album de reprises quand on est, comme vous, un auteur-compositeur-interprète réputé pour la qualité de ses textes ?
Parce que je suis aussi une artiste intéressée par la lecture. C’est une vieille tradition, pour un chanteur, de chanter les chansons des autres. Joan Baez, Bob Dylan, Maria Callas – qui faisait tout le temps des reprises de Giacomo Puccini, d’Edith Piaf – tous les plus grands en ont fait. Mais si je fais des reprises c’est aussi pour pouvoir prendre des vacances sur moi-même. Parce que quand tu chantes tes propres textes au bout d’un moment ça peut te peser, tu peux avoir l’impression de radoter, surtout que moi j’écris toutes mes chansons avec les mêmes musiciens donc elles finissent par toutes sonner un peu de la même manière. Chanter les mots d’un autre s’avère alors libérateur, surtout s’ils reflètent bien ton état d’esprit. Mais sur cet album, je me suis aussi faite violence pour chanter des choses que je n’aurais jamais écrites, juste pour voir ce que ça donnerait. Et j’ai appris des choses sur ma voix ! Je viens de réaliser que je pouvais chanter de différentes façons. Ça m’a donc permis d’apprendre encore des choses sur moi-même, en m’amusant.
En écoutant Twelve j’ai parfois eu l’impression que vous repreniez certains de ces standards rock comme s’il s’agissait de cantiques…
Je n’avais pas vu les choses ainsi, mais je ne rejette pas cette éventualité. Parce que oui, si j’y réfléchis un peu, certaines de ces chansons ont cette dimension, surtout « Smells Like Teen Spirit ». Je considère vraiment « Teen Spirit » comme un cantique. Elle a cette aura, même « Midnight Rider ». Je ne dirai pas que je les ai toutes approchées comme ça, mais il y avait de ça dans la manière pleine de respect et d’adoration dont je les ressentais, surtout « Are You Experience ? ». Mais oui, oui, chaque soir, quand on joue « Smells Like Teen Spirit », j’ai l’intime conscience d’interpréter une sorte de cantique. Notre histoire est faite de chanson populaires et de chants religieux et souvent, sous des intitulés différents, tout ça se mélange un peu. Même des chansons plus extraverties et impertinentes comme « Radio Ethiopia » se rapprochent d’un cantique. Donc merci, j’apprécie votre question et votre vision des choses. C’est une belle vision des choses.
La photo de vous qui donne sa pochette à Horses n’est pas étrangère à son statut d’album culte. Quel regard portez-vous sur elle ?
Quand je la regarde, j’y vois un moment entre Robert Mapplethorpe et moi. Cette séance de photo fut très simple, c’était juste nous dans une pièce avec la lumière du jour. Il n’avait pris que douze photos, ce qui paraît dingue car aujourd’hui les photographes en prennent une centaine ! L’autre jour, un photographe me shootait lors d’une séance photo et très vite, je me suis permise de lui demander combien de photos il avait prises. Il m’a dit : « Une douzaine ». Je lui ai donc dit : « Ok, on va s’arrêter là. A ce stade Robert aurait déjà eu ce qu’il voulait. » Quand je regarde cette photo, ce n’est pas donc pas moi que je vois, mais lui en train de me regarder.
superbe interview. Et j’aime beaucoup votre façon de formuler vos questions.
Étant une immense fan de Patti Smith, je vous envie énormément !
Bizarre la reprise de Teen Spirit avec toute ces paroles ajoutées et le refrain assez crispant.
Sinon bravo pour l’interview ! Ca doit pas être évident de poser des questions en conférence, devant les autres journalistes. C’est toi le champion ! En plus elle t’a décerné un bon point pour ta question sur le cantique haha
C’est pas tout le temps facile mais j’aime tellement récolter des bons points et des images pour les coller dans mon petit cahier d’écolier du rock… 😉
Merci Hélène, et moi j’aime beaucoup votre façon de formuler des commentaires.
Sylvain, comment a tu fais ? Moi elle me fait super peur.
Écoute Yann, chacun ses goûts, moi elle me fout la gaule.
Nan plus sérieusement c’est clair qu’avec ses vieux cheveux filasses, ses vieilles bottes sédimentaires, etc., etc., bah voilà quoi !
L’assistance devait d’ailleurs pas être trop rassurée ce jour-là car personne osait trop prendre le micro pour lui poser des questions….
Oui d’accord très bonne interview. Bravo Sylvain vous écrivez bien.
Tu m’étonnes !
Merci à vous Kim.