STEVE HEWITT : LOVE AMONGST RUIN (2)
26 octobre 2015. Paris 1er. HĂŽtel Costes. 18h40. « Le rock alternatif ça peut aussi ĂȘtre joli, ça peut mĂȘme ĂȘtre Ă©thĂ©rĂ©, c’est pas un dĂ©lit ! » pose Steve Hewitt, que jâinterviewe pour la sortie de Lose Your Way, son deuxiĂšme album en tant que Love Amongst Ruin (LAR). Et Steve en sait quelque chose, il a passĂ© 11 ans aux fĂ»ts de lâ « effet » Placebo (octobre 1996 â octobre 2007). Il mettait mĂȘme son grain de sel dans les compos. Et il y en a eu de tels morceaux, presque fĂ©eriques dans le rock malicieusement propre, apprĂȘtĂ© dâHewitt/Olsdal/Molko.
Et il y en a aussi depuis 2010 sur les albums de Steve en tant que tĂȘte de LAR. Moins bien sĂ»r parce quâil ne se chauffe pas du mĂȘme bois (androgyne) que ses deux ex-collĂšgues. Il est plus brut, lads, viking. Quand je le verrai le 14 dĂ©cembre pour son concert Ă la FlĂšche dâor, ça me sautera mĂȘme aux yeux ainsi quâĂ ceux de mes potes : avec sa trogne rĂ©gionale de pilier de bar et son cĂŽtĂ© grand tronc aux cheveux gras, on dirait Benjamin Biolay version demi de mĂȘlĂ©e. Musicalement, en gros, ça se tient. Ăa donne : moins de Gainsâ, plus de NIN.
Câest pour ça que sur une idĂ©e conjointe de leur vieux tour manager et dâune agence de design le logo de Love Amongst Ruin a repris Ă son compte « le coup des N renversĂ©s » qui fait tout le charisme de celui de Nine Inch Nails. Steve lâavouera sans chipoter, admettant quâil aurait dĂ» passer plus de temps sur lâartwork mais quâil nâa fait dâĂ©tudes de graphisme (ironie), que tout ça changera peut-ĂȘtre Ă lâavenir et que bon, de toute façon il nâa pas reçu de plainte de Trent donc ça va. Et oui, NIN nâa pas de souci Ă se faire. LAR reste gentil. Petite Ă©picerie.
Gentil car dĂ©jĂ , lĂ oĂč lâintĂ©ressĂ© prĂ©fĂ©rera citer Cure, New Order, Depeche Mode et Blue Nile, sa musique affiche plutĂŽt, comme le moquera mon frĂšre, des nappes de synthĂ©s Ă la Tears for Fears ; deuzio parce quâil officie dans un style pop rock anglo-centrĂ© trĂšs 90âs qui nâintĂ©resse plus trop, en Europe, que les gens issus de cette gĂ©nĂ©ration. Un truc datĂ©, artisanal, pas trĂšs sexe ; tertio parce quâĂ ce que jâen verrai le 14 dĂ©cembre aprĂšs Trumps (side projet electro-pop du chanteur dâErevan Tusk) ça ne casse pas non plus trois pattes Ă un canard en live.
Oui, ce ne sera pas tout le temps joli joli. Steve, ce nâest pas un scoop, nâa pas une voix de ouf et comme sur disque oĂč elle est sous-mixĂ©e, lĂ aussi il manquera de puissance pour sâimposer. Mais ce qui frustrera, câest un surtout un certain manque de patate dans le son, dans lâattaque. Le groupe (et lâingĂ©-son ?) mettra une bonne moitiĂ© du set Ă se mettre dans le bain et nous avec. Câest ça les vieux. Diesel. Et câĂ©tait la derniĂšre date de leur tournĂ©e promotionnelle europĂ©enne. Et, dixit leur batteur, ils en avaient fait 15 en 3 semaines. 5 par semaine ?!
Oui, ça me semblera faux mais je vérifierai (Londres, Hambourg, Crevelt, Francfort, Munich, Vienne, Lubiana, Zagreb, Milan, Dresde, Berlin, Oslo, Copenhague, Cologne et Paris) et ce sera vrai (tout cela depuis le 24 novembre). Chapeau les vioques. Chapeau Perry Bamonte (basse, The Cure), Donald Ross Skinner (synthé, ex Julian Cope), Gizz Butt (guitare, The Prodigy), Ravi Kesavaram (batterie, My Vitriol). Bons titres et capital sympathie, mais a priori ce sera un peu léger et défraßchi pour vraiment péter en premiÚre partie des Cure.
LâattachĂ© de presse me disait que ce serait top si les Cure refaisaient une tournĂ©e europĂ©enne. Comme Steve connaĂźt bien Robert Smith, celui-ci pourrait prendre LAR pour les premiĂšres parties et qui pourrait ĂȘtre invitĂ© aux premiĂšres loges ? La chose deviendra Ă moitiĂ© rĂ©alitĂ© quelques jours aprĂšs lâinterview. On apprendra que les Cure joueront 30 dates en Europe, passant le 15 novembre 2016 Ă lâAccorHotels Arena (ex Paris Bercy). Mais lâauteur de « Close to Me » a prĂ©fĂ©rĂ© retenir les gallois de The Twilight Sad pour toutes les dates.
« le rock est un véhicule sans ùge, toujours trÚs puissant »
Steve, rĂ©cemment tu as dĂ©couvert des groupes qui tâont marquĂ© ?
Non, pas vraiment (rires) ! Non, si, yâa ce groupe en ce moment qui sâappelle L.A. Girls, qui ressemble Ă du Kate Bush cosmique, incroyable, jâaime vraiment. Sinon, le dernier bon truc rock que jâai Ă©coutĂ© câest le dernier Royal Blood, deux mecs qui font un genre de Black Sabbath meets Nine Inch Nails mais super mĂ©lodique. Ils sont que deux mais son est : « Brrr ! » Vraiment bien. Ecoute, la prod est dingue. Et ça a plu en Angleterre, donc le rock est vivant. Bel et bien vivant.
Je sais pas, peut-ĂȘtre que les choses ont Ă©voluĂ© dâune maniĂšre telle que les gens de nos Ăąges qui ont connu des « familles rock » ont du mal Ă voir oĂč est passĂ© la chose « rock » aujourd’huiâŠ
Ouais, quoi qu’on dise yâa toujours des fossĂ©s entre les gĂ©nĂ©rations… Regarde, dans les annĂ©es 90 tâavais encore des gothiques, des punks, etc⊠Maintenant tout se ressemble, câest triste.
Ce nouvel album, tu dirais qu’il essaie de reflĂ©ter une certaine modernitĂ© rock typique de notre Ă©poque ou de camper quand mĂȘme un rock bien rock tel que toi tu l’as connu ?
Je sais pas… Yâa quand mĂȘme plusieurs facettes… Jâessaye surtout de faire ce que je pense ĂȘtre bon, tu vois, juste apprĂ©cier de faire le disque que j’ai envie de faire⊠Et puis câest que mon deuxiĂšme album hein, je me sens dĂ©jĂ un meilleur songwriter que sur le premier, plus confiant, mais ça reste les dĂ©buts.
C’est important pour toi d’Ă©crire ?
Ouais, câest ce qui me fait parfois rester debout de 23 heures Ă 6 heures du mat’ Ă Ă©crire des paroles, des parties de guitare ou je ne sais quoi d’autre en ayant lâimpression dâavoir quelque chose Ă dire⊠Câest vraiment ce qui me drive. Je me dis que si ça vaut le coup, si câest honnĂȘte, ça finira bien par atterrir sur un disque. Câest juste un truc que tu fais parce que t’en as besoin, tu as ce besoin de te poser et dâĂ©crire. Et plus tu le fais, plus tu tâapproches de ce que tu cherches vraiment Ă faire.
Et parfois ça te prendre des plombes Ă accoucher d’un morceau ?
Oui, absolument, ça peut. Certains morceaux se font trĂšs rapidement et dâautres, tu mets toute ta vie Ă les finir. Tu dois les laisser reposer puis y revenir. Ouais, câest vraiment comme ça que ça se fait.
Il y a un an jâai interviewĂ© Phil Selway, le batteur de Radiohead, qui, comme toi, en est Ă deux albums solo et il mâa dit que ça lui avait pris du temps de devenir un songwriter en marge de Radiohead, quâavant que le groupe soit bel et bien Ă©tabli, en 2004, et plus calme, notamment niveau tournĂ©e, il nâavait pas eu le temps de se consacrer à ça, et qu’il n’aurait mĂȘme sans doute pas eu assez confiance pour oser s’exposer comme ça…
Je comprends. Mais moi je composais dĂ©jĂ pas mal dans mon coin et vu comment ça sâest terminĂ© avec Placebo, continuer Ă Ă©crire et commencer un projet autour de ça a Ă©tĂ© quasi immĂ©diat, du tac-au-tac. Câest comme si je nâavais jamais arrĂȘtĂ©. Jâaurais pu passer 5 ans Ă ne rien faire mais jâai choisi de faire ce premier album, puis de la prod, puis cet album. Je n’ai pas arrĂȘtĂ©. Sinon je serais devenu dingue je crois. Dâennui.
Il nây avait pas dâautres issues pour toi ?
Euh non, câest tout ce que je sais faire. Enfin, j’ai la famille, la femme, les enfants, etc., la vie quoi. Mais la musique je mets la musique au premier plan.
Tâes meilleur en musique qu’Ă prĂ©parer des bons petits plats et papouner all day ?
Ouais. Et ça fait de moi quelqu’un de meilleur (rires) ! J’ai besoin de faire de ça, sinon je deviens frustrĂ© et « Ahhhh ! »
Câest pas un peu bizarre pour toi et tes fans que tu occupes maintenant le devant de la scĂšne ?
Si, je crois que câest bizarre pour moi et pour eux, vu quâils ont eu lâhabitude de me voir derriĂšre une batterie. Il y a un processus d’acceptation qui doit se faire, des deux cĂŽtĂ©s, comme quoi voilĂ , maintenant câest diffĂ©rent. Je suis Ă lâaise pour ce qui est de chanter et de jouer de la guitare en studio. Mais lâidĂ©e de monter sur scĂšne me fait peeeeeuuur ! Une fois que jây suis, ça va, mais y aller me terrifie. Ăa me rend trĂšs nerveux. Parce que dans ces situations tu te mets une grosse pression. Tu veux que ce soit bon.
Dans ces cas-lĂ , backstage, t’es plutĂŽt mĂ©ditation ou drogues dures ?!
Ni l’un ni l’autre (rires) ! Jâai arrĂȘtĂ© les drogues dures dans les annĂ©es 90. Câest juste sorti de ma vie comme ça, sans souffrance, « Pffffuit ! »
Juste biĂšre alors…
Ouais, de toute façon la musique, c’est la drogue… Mais câest incroyable ces Ă©tats et ces situations dans lesquels on peut se mettre tout seul. Tout ça nâa pas vraiment Ă©tĂ© un choix, plus une sorte de… destin. Genre : « Il mâest arrivĂ© ceci, ça mâa mis Ă cet endroit-lĂ et ça m’a fait devenir ça, etc., etc. », tu vois ? Câest un peu bizarre. Je sais pas. Je ne mâimaginais pas chanteur guitariste dans un groupe. Mais voilĂ oĂč jâen suis. Ătrange.
Itâs a question of time⊠it’s a question of lust…
Ouais, câest ça… C’est juste comment les choses se goupillent⊠Je trouve ça encore surrĂ©aliste. Mais⊠VoilĂ , on en est lĂ .
Et qu’est-ce que ça te fait d’avoir derriĂšre toi 4 bons gros disques avec Placebo et de savoir â c’est aussi une question de business, d’industrie â que tu nâarriveras jamais au mĂȘme succĂšs ?
HĂ© bien je me sens toujours connectĂ© Ă Placebo. Je suis toujours fier de ce quâon a fait ensembleâŠ
Tout, tout, tout ? Yâa pas un album que tu trouves moins bon ou abouti que les autres ?
Non. Pas vraiment. Câest des images de ce quâon Ă©tait Ă un moment donnĂ©. Chouettes expĂ©riences. Chouette tournĂ©es. Non, câĂ©tait de grands moments de ma vie. Je nâai aucun remords ni regrets sur cette Ă©poque et la vie continue, maintenant, je suis dans une autre phase donc câest cool.
Aujourd’hui tu construis de nouveaux rĂȘves, des rĂȘves que tu ne pouvais pas avoir Ă l’Ă©poque oĂč tu Ă©tais encore dans Placebo…
Ouais, exactement, câest juste⊠C’est juste des trucs qui tâarrivent. On a commencĂ© Ă partir de rien et on en a fait quelque chose dâĂ©norme… donc câest genre : « On lâa fait », câest cool. Et tu peux ne pas rester tout lĂ haut trop longtemps, tu vois. Tu ne peux pas t’y maintenir sans devenir⊠Insupportable. Je prĂ©fĂšre arrĂȘter lĂ et commencer autre chose.
Câest dur de durer pour un groupe…
Ouais, regarde les Rolling Stones…
Il y a tout de mĂȘme des exceptions. Par exemple j’ai trouvĂ© que les derniers Cure, U2 et Depeche Mode Ă©taient Ă©tonnamment bons…
Cure, Depeche Mode… Ouais yâa toujours des exceptions, mais regarde mĂȘme si le dernier est bon, leurs gros albums ça va cherche du cĂŽtĂ© de Violator et Songs of Faith and Devotion, ça câest le top de ce quâils ont fait et, nom de Dieu, comment tu dĂ©passes des albums comme ça ? Fantastiques. Superbes (comme on parle de ces groupes-lĂ je sors enfin de mon sac tout un tas de CD que j’avais pris avec moi pour qu’il les commente un peu, et il se saisit d’Angels & Ghosts, le tout nouveau tout beau deuxiĂšme album solo de Dave Gahan â nda).
Câest le dernier Dave Gahan…
Qui vient de sortir ?
Oui. Et lĂ Violator…
Evidemment. Tâes un gros fan de Depeche ?
Jâaime pas tous leurs albums en tant qu’albums, y’en a oĂč j’aime seulement quelques chansons de-ci de-lĂ mais pour moi Ultra et Violator sont des albums parfaits du dĂ©but Ă la finâŠ
Ouais, excellent album aussi. Superbe. Ah et Nick Cave aussi, super (j’ai aussi ramenĂ© The Boatman’s Call â nda). TrĂšs bon groupe les Bad Seeds. Tâas quoi dâautre ?
Coldplay…
Mouais. Câest devenu un peu trop genre dance pour moi…
Le dernier (Ghost Stories) est trĂšs bon et il n’est pas dance…
Et ça câest quoi ? Ah Disintegration. Putain de bon album.
Comme Depeche Mode les Cure sont pas mal cités dans la bio de ton nouvel album.
Ouais, je suis un gros fan de Cure. Et de Depeche Mode. Je crois que si tu fais ce genre de pop un peu sombre avec un synthĂ©, tout le monde pensera Ă Depeche Mode et toi tu feras : « Ben non, pas tout Ă fait ». Câest une rĂ©fĂ©rence un peu facile, trop, mais voilĂ , tout le monde y pense, je suppose.
On parlait de la difficultĂ© Ă durer en tant que groupe, Billy Corgan (j’ai aussi apportĂ© Mellon Collie and the Infinite Sadness) connait bien ça : les Smashing Pumpkins ne sont plus un groupe et sa musique s’en ressentâŠ
Ouais, tu nâas pas tort mais les gens ont le droit de changer. Et tant quâils sont productifs et qu’ils font de la musique de qualitĂ©, je ne vois pas oĂč est le problĂšme.
Le problĂšme c’est qu’il y a songwriting et soundwriting et autant le songwriting est un truc solo autant le soundwriting est souvent un truc qui nĂ©cessite un groupe ou un producteur…
Ouais, mais jâai fait assez de disques ces derniĂšres annĂ©es pour savoir comment les choses doivent sonner et comment obtenir le son que j’ai en tĂȘte. Par exemple sur cet album j’ai fait un plus grand travail de textures que sur le premier.
Ăa t’as pris du temps de monter la bonne team pour produire cet album ?
Ouais. Jâai principalement bossĂ© avec Dan Austin. On a co-produit le disque ensemble et il est top. Il est assez jeune mais il a beaucoup dâexpĂ©rience et surtout il va vite ! Jâaime comment il travaille. On passe jamais des heures ou des semaines sur un truc, non, câest trĂšs spontanĂ©, immĂ©diat, j’adore. Il capture lâesprit de ce que tu veux faire plutĂŽt que d’y passer trop de temps et de tuer le truc. Au lieu de te donner trop dâoptions il voit oĂč tu veux aller et il y va. Tu vois ?
Oui, c’est le truc de ProTools et de l’ordi. Tu peux tout faire et gamberger advitam…
Tu peux. Et souvent tu tues la musique, tu la rend trĂšs plate. Je veux pas faire ça. LĂ le gros du truc c’est des prises live mixĂ©es avec un peu de ProTools. Et câest le meilleur truc Ă faire. Parce que tâas besoin de mouvement, de vie. La musique vient dâun humain, pas dâun ordinateur. Il faut que ça se sente, que ça transporte lâauditeur. Si t’Ă©coutes de la musique et que rien ne se passe, Ă quoi bon ?
Pourquoi clore cet album par des « relectures » de « Swan Killer » et de « Lose Your Way » ?
Je sais pas… Tu sais, quand t’as fini dâenregistrer et que tu prĂ©pares tes singles, tâas parfois des mecs qui te les remixent et gĂ©nĂ©ralement ça donne le bon vieux : « Poum tchik poum tchik… » avec juste des petits de voix pour qu’on voit encore que c’est toi… Câest trop facile et ça nâa aucun sens. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© sortir des sortes de continuations, de work in progress. Mon manager avait entendu celui de « Lose Your Way » et mâavait demandĂ© : « Câest un remix ? » Jâavais dit : « Je sais pas, je crois que câest autre chose qu’un remix » Et il mâavait rĂ©pondu : « Ouais, ça va chercher ailleurs, tu devrais les mettre sur lâalbum et les prĂ©senter comme des relectures ». Et c’est vrai, je pense que « Lose Your Way » aurait sonnĂ© comme ça si il avait Ă©tĂ© Ă©crit ou jouĂ© un autre jour.
Un autre jour chaque album aurait pu donner un autre album…
Exactement, câest une manifestation du mĂȘme truc, c’est ce que ça aurait pu ĂȘtre et je trouvais que câĂ©tait suffisamment bon pour ĂȘtre gravĂ© sur le disque.
Et pourquoi as-tu choisi de reprendre une chanson de Six by Seven (« So Close ») ? Peux-tu d’ailleurs me prĂ©senter un peu ce groupe ? Comme moi je ne suis pas sĂ»r que beaucoup de français aient dĂ©jĂ entendu parler de Six by Seven.
Câest Dan, le producteur qui m’a suggĂ©rĂ© de faire cette reprise. Il mâa dit : « Tu connais ce groupe, Six by Seven ? » Je lui fait : « Six by Seven ? Mais carrĂ©ment, c’est mes potes ! ». Ils ont pas mal tournĂ© avec Placebo pendant un temps, donc je les connais bien, on est proches.
Ils vivent dans la mĂȘme ville que toi ?
Non, ils sont Ă Nottingham, au nord.
Et toi ?
Londres. Et voilĂ , j’aime ce morceau, Dan aime ce morceau, et comme ça semblait bien matcher avec le reste du disque, on s’est dit : « Faisons-le ». Et on a commencĂ© Ă bosser sur cette reprise dans un esprit dâexpĂ©rimentation, vu que câest dans un registre vocal diffĂ©rent du mien.
Ouais, au dĂ©but ça sonne comme du Beatles angĂ©lique, du McCartney au piano…
Ouais, t’as vu ? C’est dire comme on a bossĂ© le truc (rires) ! Depuis, les mecs de Six by Seven mâont appelĂ©. Ils ont vu que j’avais repris leur morceau. Du coup je me suis mis Ă faire un album avec eux. Câest un super groupe. Il sont lĂ depuis aussi longtemps que Placebo. Bon, sans autant de succĂšs, mais câest un super groupe.
On n’a pas parlĂ© de « Modern War Song », le deuxiĂšme single de ce disque, qui semble parler des guerres actuelles ou rĂ©centes en Syrie, en Irak…
Oui, c’est un commentaire sur ce climat social…
Ce nâest plus si courant dans le rock aujourd’hui d’oser parler comme ça de la sociĂ©tĂ©…
Non⊠Tu sais, quand jâavais 6 ans Ă la tĂ©lĂ© on voyait sans arrĂȘt ces images de guerre au Moyen-Orient et maintenant jâai vieilli, mon fils Ă 6 ans, et quand jâallume la tĂ©lĂ© c’est encore la guerre lĂ -bas ! Câest toujours la guerre et les politiciens nous lâamĂšnent sur un plateau et… Les gens oublient quâil y a des gens qui doivent y aller, qui doivent faire ces guerres, ça nâa plus vraiment de sens ou de poids⊠Donc jâai poussĂ© un peu cette rĂ©flexion et j’ai adoptĂ© le point de vue dâun soldat, parce que câest eux qui vont Ă la guerre, un soldat qui se tourne vers les politiciens et qui leur demande : « Pourquoi on est lĂ ? » et surtout : « Vous souvenez-vous pourquoi on est lĂ ? », parce que plus personne ne se souvient pourquoi ils sont lĂ . J’ai fait cette chanson pour ça, pour formuler le point de vue dâun soldat, parce que câest surtout eux qui sont broyĂ©s dans cette merde. Et en retour ils ont juste droit Ă un coup de chapeau des gens qui les envoient lĂ -bas et dans leurs pays les politiciens continuent à « Blablabla » et ne rĂ©solvent rien. Câest comme ça que ça se passe aujourd’hui, c’est pour ça que j’ai appelĂ© ça « Modern War Song » et aussi parce que ça fait un jeu de mots avec l’expression « modern warfare » (qui signifie tout simplement guerres modernes en français â nda). Aujourd’hui les gens pensent que quand on se lance dans une guerre ça va durer deux jours parce qu’on y va avec la technologie donc ça ira vite. Mais ça dure, et ça dure et ça dureâŠ
Câest un mensonge moderne…
Ouais donc câest aussi une diatribe contre les politiciens qui jouent Ă la guerre sans trop savoir Ă quoi ils jouent. Une fois rentrĂ© les soldats ne reçoivent aucun crĂ©dit. C’est un triste constat…
Je repense Ă quelque chose. RĂ©cemment, jâai postĂ© « Lose Your Way » sur mon mur Facebook et quelquâun mâa dit : « Sans intĂ©rĂȘt. On a dĂ©jĂ entendu ça 1000 fois ». Et j’ai pensĂ© : « Pfffff, mais comme ton commentaire, mec, comme ton commentaire », ce que j’ai dit. C’est l’Ă©ternel dĂ©bat â un peu faux â de la nouveautĂ© dans le rock. Tu vois ? Quâest ce que t’en penses toi ?
Bah je crois que ça dĂ©pend des goĂ»ts de chacun, chacun pense ce quâil veut, t’auras toujours des gens pour dire des trucs comme ça, des gens pour aimer, etc. Câest un peu comme les critiques de disque : lâopinion du critique peut aller Ă l’encontre de 10 000 personnes qu’on entend pas mais qui elles ont achetĂ© le disque. Tout le monde a le droit Ă ses opinions, ça dĂ©pend de ce que tu Ă©coutes… Si quelque chose tâaccroche, si tu trouves un truc intĂ©ressant, câest bien, si ça te plait pas, ben passe Ă autre chose. Je fais pareil. Parfois je peux pas, c’est genre : « Nahhh » alors que la personne Ă cĂŽtĂ© de moi fait : « Putain, c’est incroyable ! » Du coup je suis genre : « Je ne comprends pas ». Donc voilĂ , ça me dĂ©range pas qu’on pense ça. Ceci dit, je crois que je sors doucement de mon orniĂšre⊠Mais je ne veux pas me jeter dans le dernier truc Ă la mode, je ne veux pas essayer dâĂȘtre quelquâun que je ne suis pas. Je veux rester honnĂȘte avec qui je suis etâŠ
Rester diplomate !
Ouais. Tâes libre de penser ce que tu veux, tu vois ?
Aujourd’hui c’est peut ĂȘtre plus facile d’Ă©tonner cĂŽtĂ© texte que cĂŽtĂ© zic…
Ouais. CarrĂ©ment. Moi je nâĂ©cris pas que sur l’amour, tu vois ? J’Ă©cris sur la condition humaine, sur la course actuelle du monde, j’essaie de poser des questions… Et pas seulement Ă grande Ă©chelle, pas seulement Ă propos des grands champs de batailles qui nous concerne, mais aussi de voisin Ă voisin. De mano Ă mano. Par exemple « Paper Tigers » parle des nouvelles technologies, de cette vague de communication sans visage dans laquelle on est, de comment ça affecte notre maniĂšre de vivre en sociĂ©tĂ©. On est tellement habituĂ© aux blogs, Ă Facebook et Ă envoyer des mails et autres textos que maintenant quand on se retrouve face Ă quelquâun, on essaie d’ĂȘtre raccord avec la personne qu’on faisait semblant d’ĂȘtre sur ces diffĂ©rentes interfaces sociales…
Ou anti-sociales…
Et ouais voilĂ , qui s’avĂšre anti-sociales au bout du compte, parce que dans cet entre deux tu perds ton humanitĂ©. Câest un nouveau phĂ©nomĂšne. Mais câest ce qui arrive et purĂ©e, c’est bizarre !
Oui, c’est un bon sujet de chanson (sur un autre mode, Brian Molko s’en est aussi emparĂ© et ça a donnĂ© « Too Many Friends », le premier single issu du dernier album de Placebo â nda). Finalement ne crois-tu pas que les gens jugent trop la pop dans sa dimension musicale et pas suffisamment en fonction des textes et des histoires qu’elle permet de faire passer ?
Si. Bien sûr.
Je me rappelle que c’est ce qu’un vĂ©tĂ©ran comme Mick Jones m’avait dit : que le rock c’est trouver les bonnes mĂ©lodies pour vĂ©hiculer et appuyer ce qu’on veut dire. Et pareil, Martin Gore m’a dit rĂ©cemment la mĂȘme : que le rock alternatif c’est pour lui le meilleur moyen de mettre des histoires retorses dans la tĂȘte des gens.
Exactement, ouais. Câest toujours un bon moyen pour faire passer des points de vue diffĂ©rents sur certains sujets. C’est un vĂ©hicule sans Ăąge, toujours trĂšs puissant.
Il faut les deux, bons textes et bonnes musiques.
Ouais. CarrĂ©ment. Câest ce quâon essaye de faire.
Quitte Ă mĂȘler texte sombre et une musique fun…
Ouais, carrément.
J’ai d’ailleurs lu que tu adorais le disco et qu’on te devait la reprise du « Daddy Cool » de Boney M sur l’Ă©dition limitĂ©e de Sleeping With Ghosts…
Ouais, jâadore le disco, j’aime plein de trucs, mĂȘme la dance et le hip hop, mais le bon hip hop, genre Public Enemy, ces trucs lĂ , pas Kanye West. Kanye West peut aller se faire mettre !
Tu rejettes en bloc ?
Ouais, dĂ©solĂ©, pour moi c’est de la merde. De la merde. Un vrai trou du cul. Pourquoi, toi t’es fan ?
Non, du tout.
ouf, sauvé (rires) !
Mais bon je ne suis pas non plus fan de Public Enemy et pour cause : je les connais aussi mal l’un que l’autre…
Jette y une oreille, câest toujours bien. Apocalypse 91 (The Enemy Strikes Back, le 4e album studio du groupe â nda), câest fantastique. It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back (leur deuxiĂšme album studio, sorti en 1988 â nda) aussi. Ecoute ça.
Merci Ă Astrid Karoual pour les photos de Steve Hewitt prises avant son concert le 14 dĂ©cembre Ă la FlĂšche d’Or Ă Paris.
Merci Ă StĂ©phane MĂ©lo pour m’avoir aidĂ© Ă dĂ©rusher les 3/4 de cette interview.