PADDY MCALOON : PREFAB SPROUT (1)
22 janvier 2010. 11h. Paris, 12e, dans les sous-sols de la rĂ©dac du journal Trois Couleurs. « Nooooo ! », entends-je soudain au bout du fil, d’une voix Ă l’onctueux accent bwwitishh. J’ai l’impression d’atterrir dans je ne sais quel passĂ©, 4e dimension, Ă©tablissant le contact avec un gentleman qui lisse sa moustache. Ăa me dĂ©coiffe. J’ai Paddy McAloon, l’ex leader de Prefab Sprout en ligne. On doit parler de Let’s Change The World With Music, le nouvel album de ces choux chĂ©ris, sorti comme par surprise et dans une certaine indiffĂ©rence cinq mois plus tĂŽt. Oui, j’ai cette petite lĂ©gende de la pop anglaise des annĂ©es 80-90, ce poĂšte retrouvĂ©, lĂ en ligne en 2010, et il a l’air fort disposĂ© Ă deviser, comme s’il s’Ă©tirait, chat, du long de ses neuf vies, et qu’on lui offrait une pause bienvenue. Des vacances ? C’est ça.
Il est chez lui, Ă Newcastle, oĂč il habite « depuis un moment » et dispose d’un home studio. Il a cette barbe qu’il arbore sur les photos de presse de l’Ă©poque, tel un vieux chat. Barbe qu’il me dit ĂȘtre « presque deux fois plus longue aujourd’hui » parce que la « photo a Ă©tĂ© prise en mai dernier », et qu’il ne l’a « pas coupĂ©e depuis » mais qu’il devrait parce que « ça commence Ă devenir ridicule, mĂȘme mes cheveux sont plus longs, j’ai lâair dâun fou ! Mais bon, nous sommes en hiver, n’est-ce pas ? Au moins j’ai chaud (rires) ! » Il Ă©tait en train d’arrangerun morceau, mais « Noooo » donc, je ne dĂ©range pas, il est toujours ravi d’avoir « des occasions de se soustraire au travail », surtout qu’arranger est ce qu’il aime le moins. « Je ne suis pas trĂšs douĂ© pour ça, dit-il. Je prĂ©fĂšre composer des chansons ! »
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« quand une chose reste suspendue dans le temps, elle prend une autre dimension »
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Bonjour Paddy. Alors, dites-moi, comment vous sentez-vous dâavoir enfin sorti ce disque de Prefab Sprout qui date de 1993 ? Ătes-vous content de la rĂ©action quâil a suscitĂ© chez les journalistes et le public ?
Oui, les rĂ©actions furent formidables. Je suis ravi de continuer Ă intĂ©resser les gens car quelque part tout cela est si vieux, tellement de lâhistoire ancienne… Mais Ă lâĂ©poque ça signifiait beaucoup pour moi. Donc oui, en gĂ©nĂ©ral les rĂ©actions furent bonnes. Le sont-elles aussi en France ?
Il m’a semblĂ© qu’il y en avait peu, la plupart venant du net, mais que ce peu Ă©tait globalement positif.
Toi, as-tu aimé le disque ?
Oui. Mais je dois dire quâĂ la premiĂšre Ă©coute jâai Ă©tĂ© trĂšs dĂ©stabilisĂ©. DĂ©jĂ parce que ça me faisait bizarre dâĂ©couter un nouvel album de Prefab Sprout fin 2009 !
Oui, câest vraiment dommage que les choses se soient passĂ©s ainsi. On ne sait jamais Ă l’avance quel tour vont prendre les choses. Je voulais faire de plus en plus de disques chaque annĂ©e, mais je suis devenu de plus en plus perfectionniste, Ă ne rien vouloir lĂącher comme ça, et aprĂšs jâai eu ces problĂšmes dâaudition, ce qui faisait que je ne savais pas si jâĂ©tais en mesure de travailler, donc ça a Ă©tĂ© dur pour moi de continuer. Quand jâai fait ce disque je nâavais aucune idĂ©e quâil mettrait 17 ans Ă voir le jour. D’une certaine maniĂšre câest une vraie tragĂ©die !
Ce qui est Ă©trange câest que du fait d’ĂȘtre sorti en 2009 et pas 93, lâalbum nâa plus le mĂȘme sens, plus la mĂȘme portĂ©e et la mĂȘme rĂ©sonance que celle qu’il aurait dĂ» avoir. Ne trouvez-vous pas quâil y ait une certaine logique Ă ce quâil soit sorti maintenant plutĂŽt quâavant ?
Es-tu en train de dire quâil induit un sentiment diffĂ©rent du fait de son dĂ©calage dans le temps ?
Oui, comme si ça soulignait l’intemporalitĂ© qui s’y niche…
Câest vrai… Jâaurais aimĂ© que ça ne se passe pas comme ça. Mais je dois dire que câest intĂ©ressant que les choses se soient passĂ©es ainsi. Câest intĂ©ressant quand une chose reste ainsi en suspend, elle prend une autre dimension. Jâaime assez ce sentiment mais je ne suis sans doute pas la personne la mieux placĂ©e pour en parler, mesurer cette Ă©trangetĂ©, câest trop proche de moi et depuis jâai Ă©cris plein dâautres choses⊠Mais oui, câest Ă©trange pour moi aussi.
Que cet album soit enfin livrĂ© au public vous a-t-il remis la tĂȘte dedans ou au contraire cela vous en a-t-il complĂštement libĂ©rĂ©, vous nây pensez plus du tout ?
La plupart de ces chansons ont Ă©tĂ© Ă©crites en 1991, dâautres en 1992 et d’autres encore lors de la premiĂšre semaine de 1993. En janvier 1993 jâai Ă©crit par exemple « Ride », les paroles de « God Watch Over You » et autre chose dont je ne me souviens plus. Tout cela est donc trĂšs vieux pour moi. Mais jâaime lâesprit de tout ça. Jâaime lâesprit de tout ça mĂȘme si je fais autre chose aujourdâhui. Jâaime l’esprit de ces chansons. Pour moi elles font partie de mes plus belles chansons.
Câest ce que vous dites dans le texte qui figure Ă la fin du livret de l’album.
Oui. Lâalbum aurait Ă©tĂ© diffĂ©rent avec Thomas Dolby (producteur des meilleurs albums de Prefab Sprout : Steve McQueen, 1985, From Langley Park to Memphis, 1988, et Jordan : The Comeback, 1990 – nda) et les membres du groupe (Martin McAloon, son frĂšre, Ă la basse, Wendy Smith aux chĆurs, guitares et claviers, et Neil Conti Ă la batterie – nda), ça aurait Ă©tĂ© un disque plus abouti, mieux jouĂ©. Il y aurait eu un saut dans le son par rapport Ă ce que jâai fait. Mais jâai toujours aimĂ© ce cĂŽtĂ© fait-maison, mĂȘme chez mes idoles. Si jâĂ©coute, je ne sais pas, une dĂ©mo, un fond de tiroir, jâaime ces sons-lĂ . Je pense que mon disque sonne quand mĂȘme bien parce que Calum Malcolm, lâingĂ©nieur du son, a trouvĂ© des astuces. Mais ça reste un disque fait Ă la maison.
Vous avez fait le disque tout seul dans votre home-studio ?
Oui. Je lâai enregistrĂ© sur un trĂšs vieux magnĂ©tophone avec une toute petite table de mixage. CâĂ©tait tout simplement une cassette, une dĂ©mo destinĂ©e au groupe et Ă Thomas, pour leur montrer ce que je voulais faire de ces chansons. Aujourdâhui, quand je regarde tout ça je le vois vraiment comme un produit fini. Ăa sonne comme un vrai disque.
Mais initialement ça devait ĂȘtre une base de travail pour le groupe.
Oui, laisse-moi tâexpliquer. Parfois tu prĂ©sentes une chanson, elle est juste guitare-voix et quand les gens l’Ă©coutent, le groupe, le producteur ou la maison de disques, ils disent : « Ah ok, câest ça ce que tu veux faire : juste toi et ta guitare. » Parfois oui, câest ok, ça suffit, mais parfois tu veux que le son soit plus Ă©toffĂ©, sophistiquĂ©. LĂ , câest ce que je voulais. Jâai donc livrĂ© une Ă©bauche de ce son trĂšs riche et produit quâon aurait pu obtenir ensemble.
Du coup, vous ĂȘtes content que le disque soit restĂ© Ă l’Ă©tat de dĂ©mo ou vous regrettez qu’il n’ait pas bĂ©nĂ©ficiĂ© de lâapport du groupe ?
Les deux. Je suis partagĂ© sur cette question. Je vais te le dire comme ça : souvent tu entends des gens dire : « Ah, le disque ne capture jamais lâesprit des dĂ©mosâŠÂ « . LĂ , je ne peux pas me plaindre. Lâesprit des dĂ©mos a Ă©tĂ© respectĂ©. Mais c’est un regret pour mon frĂšre et le reste du groupe, parce quâĂ lâĂ©poque ils sâattendaient Ă faire ce disque, on aurait dĂ» le faire ensemble et on nâa jamais pu. Les choses en ont Ă©tĂ© ainsi. Il ne faut pas trop y penser. Pendant longtemps jâai Ă©tĂ© trĂšs Ă©nervĂ© que nous nâayons pas pu le faire alors je me suis dĂ©libĂ©rĂ©ment abruti de travail, pour passer Ă autre chose. Je ne comprenais pas pourquoi Sony ne nous avait pas dit d’emblĂ©e : « Ok, mixons ce disque. ». Je ne l’acceptais pas.
Tout Ă lâheure je vous disais que ça mâavait fait un drĂŽle dâeffet dâĂ©couter un nouvel album de Prefab Sprout en 2009 et je dois dire que ce drĂŽle d’effet n’est pas uniquement dĂ» au fait que je ne mâattendais pas Ă un tel retour, elle est aussi dĂ» au son Prefab Sprout. Je l’ai toujours trouvĂ© dĂ©routant, Ă la fois datĂ© et intemporel, naĂŻf et sophistiquĂ©. Et en me promenant sur le web j’ai vu que je n’Ă©tais pas le seul Ă ressentir ça : vos fans le disent, ils sont Ă la fois dĂ©rangĂ©s et sĂ©duits par le fait que vos mĂ©lodies soient subtiles et accrocheuses mais toujours revĂȘtues d’atours sonores un peu kitsch, fleur bleue. Quâen pensez-vous ?
Kitsch ? Je ne sais pas. Je pense que jâĂ©voque diffĂ©rentes choses chez mes auditeurs, selon leurs rĂ©fĂ©rences, leur bagage culturel. Jâaime la musique rock depuis que je suis jeune. Jâai toujours aimĂ© des choses comme Led Zeppelin, Deep Purple, Free, mais quand mon tour est venu de faire des disques, aprĂšs que nous ayons commencĂ© Ă ĂȘtre un groupe, dans une certaine mesure jâai Ă©voluĂ© vers un autre style de son dont les racines nâĂ©taient pas dans la musique rock. Je suis donc partagĂ© sur cette question. Parfois je me dis : « Oh, et si nous Ă©tions restĂ©s comme nous Ă©tions en 1977, câest-Ă -dire Ă trois, aurions-nous fait des disques super excitants ? » Je voulais que tout ça soit une expĂ©rience musicale plus riche que celle d’un simple trio rock. Je peux comprendre que des gens trouvent ça un peu dĂ©routant mais jâaime le son des disques quâon a fait avec Prefab Sprout. La plupart des musiques que j’aime ont ce genre d’Ă©clat, ce sont des choses trĂšs belles, jolies. Mais parfois mes paroles Ćuvrent Ă l’inverse. Jâessaie d’associer les deux. Ce n’est pas le cas sur ce disque car c’est un disque trĂšs particulier, câest un disque trĂšs idĂ©aliste et idĂ©alisĂ©. Les textes n’y reflĂštent pas ce que je pense, ils traduisent plus ce que serait pour moi un monde idĂ©al.
Je parlais du sens tout diffĂ©rent que lâalbum prend Ă sortir maintenant et pas 17 ans auparavant. Et câest Ă©trange parce que dans le livret du disque vous parlez du Smile de Brian Wilson et du fait que le mythe qui l’entoure vous a inspirĂ© pour composer Letâs Change The World With Music. Comme Smile, sorti prĂšs de 30 ans aprĂšs son enregistrement, il y a donc une certaine logique Ă ce que votre disque ait mis du temps Ă sortir.
Oui (rires)Â !
Câest pour ça que je disais que ce dĂ©calage temporel change le sens du disque, parce qu’en mĂȘme temps, par lĂ , il semble trouver son sens premier, sa vĂ©ritable portĂ©eâŠ
Oui, câest vraiâŠ
Mais peut-ĂȘtre est-ce quelque chose que vous ne voyez pasâŠ
Oh si, si, je vois toute lâironie de la chose. Par exemple, quand jâĂ©tais plus jeune, Brian Wilson Ă©tait une grande influence pour moi, une sorte de hĂ©ros, mais ce que je ne pouvais pas savoir câest que dâautres aspects de sa vie viendraient m’influencer bien plus que sa musique. Il nâa pas pu sortir de disques pendant plusieurs annĂ©es et je nâavais pas fait attention mais câest ce qui mâest arrivĂ©. Il avait des problĂšmes dâaudition Ă l’oreille droite et je nâavais pas fait attention mais câest ce qui mâest arrivĂ©. Quand je considĂ©rais son histoire je ne pouvais pas savoir que tout ceci finirai aussi par mâarriver (rires) ! L’ironie serait de dire : « Dieu mâa fait devenir aveugle comme Ray Charles pour que j’atteigne dans le handicap le talent que je n’ai pas reçu Ă la naissance », quelque chose comme ça. Je sais que c’est de trĂšs mauvais goĂ»t de dire ça, que c’est faire preuve de mauvais esprit, mais il y a de ça. Tu ne sais jamais quel sort la vie va te rĂ©server. Tu espĂšres un cadeau et tu reçois un cadeau empoisonnĂ© (rires) !
Câest une malĂ©diction !
Ai-je Ă©tĂ© maudit ? Ai-je Ă©tĂ© bĂ©ni ? Comment savoir ? Je nâai pas pu faire de musique pendant des annĂ©es mais maintenant je peux enfin en refaire, jâai donc de la chance et je dois en profiter pour faire quelque chose dont je sois vraiment fier.
De quelle maniĂšre vos problĂšmes de vue et dâaudition ont-ils changĂ© votre rapport Ă la musique ?
HĂ© bien pendant pas mal de temps je nâai pas pu vraiment faire de la musique, jâessayais de travailler avec mon oreille gauche, de tout rĂ©gler et mentaliser de ce seul cĂŽtĂ©, mais lâoreille droite venait sans cesse saccager l’image que j’avais crĂ©e… Mais pour tout te dire, mon vrai problĂšme nâĂ©tait pas vraiment dâĂȘtre ou de ne pas ĂȘtre capable de faire de la musique, câĂ©tait plutĂŽt de ne pas rĂ©ussir Ă dormir. CâĂ©tait trĂšs trĂšs difficile. Aujourd’hui mon oreille droite ne distingue toujours pas toutes les frĂ©quences, ce qui me gĂšne pour certaines lignes de basses et de guitares, mais je suis en mesure de travailler donc ça va. Ce que je ne peux plus du tout faire, c’est jouer live. Je ne peux peux plus faire comme je le faisais avant.
En mĂȘme temps je n’ai pas l’impression que Prefab Sprout ai jamais Ă©tĂ© un groupe attirĂ© par la scĂšne !
Oui, câest vrai. Pour moi le problĂšme de jouer live, câest quâil faut apprendre et retenir tellement de chansons et se donner Ă 200% au public tant de jours d’affilĂ©e… Je trouve ça difficile parce que moi mon truc câest surtout dâĂ©crire des chansons, de les sortir de moi, de les enregistrer et hop aprĂšs câest un peu comme si je les oubliais, je suis dĂ©jĂ ailleurs. Pour moi ça n’a pas sens de mâasseoir et de chanter mes vieilles chansons.
Vous nâĂȘtes pas un juke box !
Oui, câest sĂ»r ! Il y a des gens qui ont des mĂ©moires fantastiques pour leurs paroles, leurs chansons. Clairement câest le cas de Bob Dylan. Il peut se souvenir de toutes les chansons quâil a entendues. Câest quelque chose dâintĂ©ressant, de fascinant. Je suis loin d’ĂȘtre comme ça.
Revenons Ă Letâs Change The World With Music. Vous ne lâavez pas fait avec le groupe mais pourquoi ne pas l’avoir travailler avec Thomas Dolby, votre producteur habituel ?
Parce que ce que le disque que tu as entendu est la dĂ©mo originale de 1993. A part 2-3 arrangements, je nâai rien changĂ©. Avec Calum Malcolm on a juste refait le mix. Il nây avait donc aucun intĂ©rĂȘt de l’appeler sinon on aurait dĂ©penser beaucoup dâargent Ă essayer de recrĂ©er le son que j’avais initialement fantasmĂ©. Et ce n’Ă©tait plus l’idĂ©e.
La rĂ©alisation de ce disque ne s’est donc dĂ©finitivement pas Ă©talĂ©e sur 17 annĂ©es !
Non.
Jâai une question trĂšs bĂȘte mais dont la rĂ©ponse mâintrigue vraiment. J’imagine que vous avez dĂ©jĂ dĂ» y rĂ©pondre des milliers de fois, surtout Ă vos dĂ©buts, mais je n’ai jamais entendu cette histoire. Elle concerne le nom de votre groupe, Prefab Sprout : pourquoi avoir nommĂ© votre groupe « germe prĂ©fabriqué » ?
Tu ne connais pas cette histoire ? HĂ© bien je raconte plusieurs histoires Ă ce proposâŠ
Tel le Joker à propos de son « smile », pour impressionner et garder le mystÚre intact !
Oui ! Mais voilĂ , la vĂ©ritĂ© c’est juste que j’ai trouvĂ© ce nom quand j’Ă©tais ado et je trouvais que ça sonnait bien parce qu’Ă l’Ă©poque tous les groupes que jâaimais avaient des noms Ă©tranges, donc je me disais quâun groupe de pop se devait d’avoir un nom Ă©trange, mystĂ©rieux et j’ai collĂ© deux mots bizarres.
Pour moi ce nom de groupe a quelque chose de prĂ©destinĂ© car je trouve quâil illustre parfaitement les caractĂ©ristiques de votre musique, Ă savoir cet Ă©cart que j’Ă©voquais tout Ă l’heure entre la perfection, l’Ă©clat de votre Ă©criture mĂ©lodique, le germe donc, le bourgeon, et le cĂŽtĂ© un peu clinquant de votre son, prĂ©fabriquĂ© du coup, synthĂ©tique…
Ah peut-ĂȘtre… Mais jâai eu cette idĂ©e Ă 13-14 ans. Ciel, si jâavais su quâon me poserait encore cette question Ă 53 ans, jâaurais choisi un nom moins bizarre (rires) !
Pour rester dans les intitulĂ©s, deux questions plus d’actualitĂ© alors : pourquoi avoir choisi de nommer ce disque Letâs Change The World With Music et de l’avoir placĂ© sous l’Ă©gide de Prefab Sprout alors que vous avez tout fait tout seul ?
Oh, pour deux raisons : tout dâabord Ă la base jâavais composĂ© une chanson intitulĂ©e « Letâs Change The World With Music ». Au dĂ©part, jâavais mĂȘme deux chansons intitulĂ©es « Letâs Change The World With Music », mais au moment d’Ă©diter l’album, quand je me suis enfin occupĂ© du tracklisting, jâai trouvĂ© quâil Ă©tait trop long et jâai enlevĂ© ce morceau. Le morceau est donc parti mais le titre est restĂ©. En lui-mĂȘme, ce morceau Ă©tait un peu ironique, je disais que ce serait bien si on pouvait changeait le monde avec la musique mais que ça nâarrivera jamais ! Tu me demandais aussi pourquoi je l’ai prĂ©sentĂ© comme un album de Prefab Sprout ? Pour une raison trĂšs simple : câĂ©tait une musique quâon aurait dĂ» faire ensemble, elle a Ă©tĂ© Ă©crite entre Jordan : The Comeback et Andromeda Heights, quand le groupe existait encore, câest le chainon manquant entre ces deux disques.
Dans le livret du disque vous dites n’avoir pas cherchĂ© Ă essayer de copier le Smile de Brian Wilson, mais un vrai lien unit tout de mĂȘme ces deux disques : derriĂšre les symboles de Nature (pour Wilson) et de Musique (pour vous), ils parlent tous deux de Dieu, forment une ode Ă Dieu.
Oui, il y a cette sorte de connexion. Je suis influencĂ© par plein de choses diffĂ©rentes, plein plein de choses, mais durant une pĂ©riode prĂ©cise, disons de 1977 Ă 1980, jâai beaucoup pensĂ© Ă la maniĂšre dont Brian Wilson composait. Ainsi, dans leurs modes d’Ă©criture, les premiĂšres chansons de Prefab Sprout, notamment celles de Swoon, Ă©taient proches de celles de Brian Wilson. J’y avais aussi pratiquĂ© le collage de segments mĂ©lodiques disparates. Dans Letâs Change The World With Music, je n’ai pas repris son style ni son mode d’Ă©criture. Mais tu as raison, il y a un lien dans la thĂ©matique des textes. On parle tous deux de choses spirituelles car câest un thĂšme trĂšs puissant, positif⊠Enfin non pas positif⊠Ah ! je ne trouve pas le motâŠ
Inspirant ?
Oui ! Câest inspirant parce que câest un thĂšme trĂšs fort. Beaucoup de gens trouveront sans doute ça intello ou conceptuel, d’autres sans doute ne verront mĂȘme pas la thĂ©matique parce qu’ils ne feront pas attention aux textes, mais c’est le genre de directions qui libĂšre ta crĂ©ativitĂ© et donnent une vraie identitĂ© Ă ton disque, câest ce que jâaimais lĂ -dedans. CâĂ©tait presque comme de faire un disque de gospel, il y a la mĂȘme ferveur.
Ce qui mâa aussi frappĂ© dans le choix de ce thĂšme, câest qu’on peut y voir comme l’expression de votre vie passĂ©e voire sacrifiĂ©e Ă faire de la musique. Votre vie de saint pop.
HĂ© bien je pense que la musique est une des choses qui me prend le plus de temps dans ma vie donc oui, câest sĂ»r que c’est un peu un rĂ©sumĂ© de ma vie. Je passe un temps dingue dans ma chambre Ă Ă©crire des chansons. Dans un sens ce disque est une sorte d’Ă©difice Ă la gloire de ma passion.
Vous ĂȘtes une sorte de soldat de la pop !
Un soldat blessĂ© (rires) ! Jâai mes blessures de guerre.
Oui, pour ne pas dire vos stigmates… De Brian Wilson Ă Michael Jackson (Behind The Veil), d’Elvis (« Jordan : The Comeback ») Ă Hendrix (« Machine Gun Ibiza »), de Bruce Springsteen (« Cars & Girls ») Ă la chanteuse d’Abba (« The Ice Maiden »), nommĂ©ment ou pas, vous avez beaucoup composez en vous inspirant de grandes figures de la pop. Mais avec le temps, vous ĂȘtes devenu vous mĂȘme un mythe pop. Preuve en est qu’avec ce disque vous avez enfin Ă©crit sur votre propre passion. En ĂȘtes-vous conscient ?
Pour moi câest difficile Ă voir, mais parfois je me rends compte de ça quand je lis des choses sur ma musique ou qu’on me rapporte ce que certains en disent. Je comprends que je rejoigne un peu cette sphĂšre de musiciens, Ă mon humble maniĂšre. Câest trĂšs Ă©trange ! Câest extrĂȘmement bizarre car quand tu es jeune ce monde-lĂ t’est Ă©tranger, tu nâen fais pas partie.
Et dans le mĂȘme temps, quand Prefab Sprout fournissait ses plus beaux disques, vous n’Ă©tiez pas non plus en phase avec l’Ă©poque et la pop qui excitait rĂ©ellement les jeunes, vous Ă©tiez en marge.
Oui, câest vrai, Ă cette Ă©poque beaucoup de choses ne me convenaient pas. Jâaurais aimĂ© me comporter autrement, plus profiter de certaines choses quâon a fait, mais je crois que jâĂ©tais toujours un peu trop anxieux Ă l’idĂ©e de nâavoir pas assez enregistrer de musique pour faire autrement. Jâai passĂ© beaucoup de temps Ă mâen inquiĂ©ter : « Pourquoi passes-tu tout ton temps Ă Ă©crire ? Pourquoi ne sors-tu pas pour te changer les idĂ©es ou pour partager ta musique avec d’autres ? » Câest Ă©trange, trĂšs peu de gens font ça. La plupart font de la musique pour pouvoir sortir et jouer devant des gens. Jâaurais aimĂ© ĂȘtre plus comme ça. Jâaurais aimĂ© pouvoir faire les deux. La plupart y arrivent. Mais pour certaines raisons je trouvais que sortir⊠MĂȘme avant que nous fassions des disques, au tout tout dĂ©but de Prefab Sprout, quand nous allions jouer une heure ou deux dans un pub de ce quartier oĂč jâhabite (Newcastle – nda), je pensais surtout Ă tout ce temps que j’aurais pu utiliser pour composer. Je nâĂ©tais donc jamais vraiment emballĂ© Ă lâidĂ©e de faire des concerts.
Combien de concerts avez-vous donné ?
Tu veux dire au total ? Pas plus dâune centaine sans doute. Peut-ĂȘtre 60-70. HonnĂȘtement, je ne saurais pas vraiment te dire.
Revenons sur le son du groupe. Quel était votre rapport aux ordinateurs ? Avez-vous toujours enregistré en numérique ?
En fait le seul disque que nous ayons enregistrĂ© en analogique, câest Swoon (sorti en mars 1984 – nda). On nâavait pas dâordinateur, pas de MIDI (Musical Instrumental Digital Interface : instruments de musiques Ă©lectroniques qui, reliĂ©s Ă des ordinateurs tels des interfaces, permettent d’Ă©changer des donnĂ©es – nda). A l’Ă©poque certains utilisaient dĂ©jĂ tout ça mais nous on nâĂ©tait pas prĂ©curseurs, on ne sây est mis que vers 83-84. Parce que dĂšs lors câest comme ça que tout le monde travaillait. De cette Ă©poque j’ai gardĂ© un vieil Atari, que j’utilise toujours aujourd’hui.
Ah oui ?!
Oui ! Jâai un Mac mais je nâaime pas ça. Je nâarrive pas Ă m’en servir aussi facilement que je le voudrais.
Vous faites donc de la musique Atari !
Oui. Je crois que câest lâordinateur que les amateurs de dance music aiment utiliser.
Et vous avez d’autres instruments dans votre home studio ? D’autres machines ?
Oui, mais globalement l’Atari me suffit. En fait, le problĂšme aujourd’hui câest que l’informatique a Ă©voluĂ© dans le sens du tout-en-un, la plupart des programmes sont donc des software, des choses faites pour fonctionner Ă lâintĂ©rieur de lâordinateur, or moi jâai toujours prĂ©fĂ©rĂ© utiliser des modules externes. Dans mon studio, jâai donc plein de machines comme ça qui envahissent lâespace comme dans un film de science-fiction !
D’accord. Tout Ă l’heure vous me disiez vous vous rendez parfois compte que vous possĂ©dez une petite aura de mythe quand vous lisez ou entendez ce qui se dit sur vous et votre musique. Vous suivez ce que les journaux Ă©crivent sur vous et sur Prefab Sprout ?
Non. Mais par exemple rĂ©cemment jâai donnĂ© une interview Ă Mojo – au journaliste Mat Snow, un type que j’aime beaucoup, un chouette gars – mais quand jâai lu lâarticle j’ai rĂ©alisĂ© quâil avait trop mis lâaccent sur le cĂŽtĂ© sombre de lâhistoire !
Câest-Ă -dire ?
Nous avons eu une longue conversation et je lui ai exposĂ© toutes mes thĂ©ories sur la musique, ce que font les chansons, sur comment, quand je mâassois pour composer, je trouve mes thĂšmes dâinspiration⊠Mais jâai senti que me dĂ©crire en ermite reclus Ă©tait plus fort que lui, c’est ce qu’il voulait retenir. Il nâa pas pu sâen empĂȘcher. (En septembre 2009, figurera bel et bien au sommaire du n°191 du cĂ©lĂšbre magazine anglais un article intitulĂ© « Prefab Sprout : From â80s pop mastermind to Syd Barrett-style recluse, « I lost the plot early on », reveals Paddy McAloon. » – nda)
Il voulait du tragique !
Oui, et je lui ai donnĂ© tout ce quâil dĂ©sirait, je lui ai fourni toutes les cartouches, je lui ai mĂȘme donnĂ© de nouvelles chansons sur une cassette. Jâai dit : « Tiens, voilĂ ce que je suis en train de faire, câest une partie de mon nouveau projet », en me disant que ça lui plairait peut-ĂȘtre mais jâai senti que ça allait Ă lâencontre de ce quâil voulait, que je mâouvrais Ă quelquâun de trop sombre, et bloquĂ© sur le passĂ©. C’est ma faute, j’aurais dĂ» me mĂ©fier.
Ce malentendu vient sans doute du fait que la plupart des gens pensent que le meilleur est derriĂšre vous, que voilĂ , Prefab Sprout n’existant plus, vous n’ĂȘtes plus qu’un vieux schnock en roue libreâŠ
Oui, et je ne peux trop rien faire contre ça. Enfin, la seule chose que je puisse faire câest de sortir un nouvel album qui les fasse faire : « Wouah ! » Câest ce quâil faut que je fasse. Je comprends donc qu’ils pensent cela. En mĂȘme temps, dĂšs que tu sors un nouvel album on te renvoie dos Ă dos Ă tes prĂ©cĂ©dents faits d’armes. TrĂšs peu dâartistes arrivent Ă faire de l’ombre aux belles choses qui les ont fait connaĂźtre. Mais je peux le faire (rires) !
Câest un sacrĂ© challenge…
Oui, mais je pense pouvoir le relever. Au-delĂ de mes fonds de tiroir d’il y a 20-30 ans, je pense encore pouvoir sortir un ou deux bons disques.
(SUITE.)
C’est vrai que depuis Jordan, ce n’est plus aussi magique. Mais les quatre premiers albums sont des trĂ©sors. Et j’aimerais beaucoup prendre une tasse de thĂ© avec ce vieux schnock en roue libre.
HĂ© oui Jordan, c’est par cet album que j’ai dĂ©couvert Prefab Sprout, et me suis rendu compte que c’Ă©tait un peu leur chant du cygne… Forever After !
Superbe interview ! Est-ce la premiĂšre fois que l’interview a Ă©tĂ© publiĂ©e ?
Merci pour votre commentaire Björn.
Oui, c’est la premiĂšre fois que je publie l’entretien au sens oĂč j’en avais seulement publiĂ© une toute petite partie mash-upĂ©e dans le mag confidentiel Chronicart en 2010.
Pourquoi cette question ?
Merci, Sylvain, pour votre rĂ©ponse rapide. L’interview avec Paddy McAloon est bien fascinante Ă lire !
Je suis un grand fan de Paddy et je suis aussi un « collectionneur » d’interviews avec lui. En fait, j’ai dĂ©jĂ lu votre interview dans Chronicart #63 en 2010. VoilĂ ma question…
J’ai remarquĂ© que le titre de votre text est « Prefab Sprout (1) », donc allez-vous publier plus de cette interview ?
On ne peut rien vous cacher alors đ
Oui, je vous ai rĂ©pondu vite car Ă chaque fois que j’ai un petit commentaire (ce qui n’arrive pas souvent), ça me fait bien plaisir alors je rĂ©ponds du tac au tac autant que faire se peut.
Et oui, il y aura bien une seconde partie Ă cet entretien, que je mettrai n ligne en fin de semaine donc trĂšs bientĂŽt !
A bientĂŽt alors
Merci pour cette interview. En tant que vieux fan de Prefab Sprout (depuis « Swoon »)
je suis toujours heureux d’avoir des nouvelles de Paddy et de lire qu’il est plein de projets! J’attends « Crimson/Red » avec impatience.
Be my guest Philippe ! J’attends moi aussi Crimson/Red avec une certaine curiositĂ© !