DOMINIQUE A : KING DOM
1er septembre 2009. 15h15. Brasserie Le Terminus Nord, en face de la Gare du Nord. Il fait un temps de chiotte mais il ne pleut pas dans mon cĆur comme il pleut sur Paris parce que je mâen vais interviewer Dominique A et il est comment « D.A. » ? Il est : « Cool ! » Oui, comme Fonzy. Jâen ai fait lâexpĂ©rience en lâinterviewant Ă la sortie de son prĂ©cĂ©dent album, LâHorizon en 2006. Dominique A ce nâest pas que cet artiste chauve Ă lâair professoral que renvoient ses chansons. En sociĂ©tĂ©, il est tout sauf comme ses chansons. Sociable, sympa, drĂŽle. Bon et pas con, bien sĂ»r. Avec lui, on peut autant parler de choses sĂ©rieuses que se payer une bonne tranche de rigolade. ça avait donc Ă©tĂ© un rĂ©gal de parler avec lui. Speed dating promotionnel oblige, je nâavais eu, comme lĂ , quâune demie heure pour profiter de sa compagnie mais il est tellement frais, D.A., « Tranquillement Ă base de tranquilade ! » que jâaurais pu y passer des heures. Et heureusement que jâai bien ça Ă lâesprit parce quâĂ lâheure de le retrouver jâai envie de me prosterner devant lui.
Quand je le retrouve, je suis Ă bloc dans La Musique, son huitiĂšme album sorti le 6 avril dernier. A chaque fois que je lâĂ©coute, son Ă©coute me met Ă genoux. ça vient de ce dĂ©marrage Ă la 2001 : LâodyssĂ©e de lâespace. Dans lâenchainement de « Le Sens » et dâ« Immortels » on se prend une flĂšche dâextase, comme si dâun jet dâos sortait un (s)trip Space, quâun groupe collait cĂŽte Ă cĂŽte « I Want You (Sheâs So Heavy) » et « Here Comes The Sun ». La grande santĂ© en plein naufrage. Le lyrisme dâ« Immortels » conflue dans le bravache « Nanortalik », Ă©vocation de ce voyage en mer vers le Groenland qui avait Ă©tĂ© la toile de fond de LâHorizon et câest de nouveau la gifle avec lâenchaĂźnement entre « Qui es-tu ? » et « Hasta que el cuerpo aguante ». La sanguine ritournelle du second contraste avec le bad trip lymphatique du premier. Alors sâouvre le ventre du disque : la banquise brise-glace de « La Musique », la petite mĂ©ca indus de « Je suis parti avec toi », la dinette guĂ©rillĂ©ro solaire due « Bruit blanc dâĂ©té » et celle thalassothĂ©rapiste « Des Ă©tendues ».
Tout mây foudroie avant que ça se gĂąte sur les trois derniers titres. Comme dans lâalbum Auguri, il nâavait pas pu sâempĂȘcher de mazouter de quelques sombres plages alors quâil lâavait voulu lumineux et quâil avait dâautres lueurs en stock, Dominique nâa pas pu sâempĂȘcher de saboter la ligne droite de La Musique de titres plus empreints de malaise que sont « Des garçons perdus », « Hotel Congress » et « La fin dâun monde ». Contrairement au reste du disque oĂč tout est mis en Ă©quilibre et en relief et oĂč il y a 4 singles (« Immortels », « Hasta que el cuerpo aguante », « Nanortalik » et « Le bruit blanc de lâĂ©té ») et une « Pyramid Song » (« La Musique »), avec ses histoires de garçons qui « ne rient jamais », de « belle amĂ©ricaine » qui sâĂ©pile et de « lait blanc dans lâĂ©table sombre » musicalement comme textuellement son dernier quart franchit un cap dans le bizarre, ça sent lâabandon, le dĂ©labrement, la pourriture, et tout sâaffaisse dans une fin fuyante. Mais ça câest des choses qui font que câest lui. Bien quâil sâouvre, il brouille toujours les pistes.
A part ces nerdeux de Chronicart, lâimmense majoritĂ© de la critique a cĂ©lĂ©brĂ© La Musique et dans ce concert de louanges jâai notĂ© celles de Francis Dordor des Inrocks qui dit que dans ce disque au titre sonnant « comme un absolu et un impĂ©ratif moral », « sous le frĂȘle glacis des synthĂ©s », Ă©mergent « belles, lisses et touchantes » comme « des VĂ©nus dâun bain de chrome » et « un rappel Ă lâhomme » des chansons qui transposent mieux que jamais la « thĂ©ĂątralitĂ© vocale » que Dominique A a inaugurĂ© en 1992 avec « lâĂ©lectronica ascĂ©tique de La Fossette ». Câest vrai et câest visible aux teintes que le disque mĂ©lange. Dominique dira y voir du bleu, moi des rougeurs. Et il y a les deux, car si la (f)rigiditĂ© de ses machines Ă©voque un bleu pĂąle, comme le chantĂ©-parlĂ© et les champs lexicaux de la montagne, la mer, le ciel et la mort, le lyrisme des singles inspire lui du rouge, comme la langue espagnole et les mots « baisers », « bouche », « boire », « goĂ»t », « sang », « avinĂ©es », « embrasser », « 110° Fahrenheit », « épile », « hall », « toucher », « danger », « chaleur ».
Parfois au sein dâun morceau les deux couleurs sont si intimement liĂ©es, mĂȘlĂ©es quâon ne sait plus laquelle domine. Câest le cas « des millions dâĂ©cailles rougies » des poissons que dĂ©chargent les bateaux argentĂ©s de « Nanortalik », de lâamour Ă mort dâ« Immortels », des « deux hĂ©misphĂšres » dâ « Hasta que el cuerpo aguante », du sud loin des yeux loin du cĆur du « Bruit blanc de lâĂ©té » et des Ă©tendues aussi singuliĂšres que plurielles, des corps que dĂ©cor de « Des Ă©tendues ». Chez lui, il y a toujours du feu sous la glace. CâĂ©tait dĂ©jĂ dans le courage des rouges-gorges qui « chantent dans le vent glacé » de La Fossette, le sang sex-addict qui « te fait faire un peu tout, sans frein » dâAuguri, le chasseur de cĂ©tacĂ©s et dâinfini de Lâhorizon. Ici tout se joue Ă fifty fifty, un combat se trame dans lâenvers des choses dont il rend compte, un pied dedans, un pied dehors. « La vie, comme disait Lennon, c’est ce qui arrive quand on fait dâautres projets ». Câest sa force, lui qui dira Ă LibĂ© que : « Le meilleur service que lâon puisse rendre au rock, câest de lâoublier ».
Mais quand je retrouve Dominique A, je lâai un peu mauvaise car tout le monde ne semble plus jurer que par Benjamin Biolay. Bashung mort depuis 6 mois, on cherche son successeur et câest sur lui que câest tombĂ©. Câest bien Biolay, câest pas la question. MalgrĂ© mes rĂ©ticences, je finirai mĂȘme par plonger dans La Superbe et jây trouverai plein de trucs top qui me tiendront compagnie des nuits durant, et qui me tiennent toujours compagnie encore aujourdâhui, mais si on cherche le nouveau Bashung, câest-Ă -dire la nouvelle grande figure qui donne « des nouvelles donnĂ©es » Ă la chanson rock dâici, yâa pas photo : câest du cĂŽtĂ© du chauve que ça se passe. Les spĂ©cialistes sont dâaccord. En 2003, Ă la sortie de son premier album solo oĂč Dominique A chantait deux titres, Philippe Poirier, lâex-saxo de « Kat O » mâavait confiĂ© sentir quelquâun de « dont on ne mesure peut-ĂȘtre pas lâimportance parce quâil est repĂ©rĂ© » mais « qui construit quelque chose dâĂ©tonnant sur la scĂšne française », lui procurant une Ă©motion quâil ne trouve pas chez les autres chanteurs.
En 2010, quand je demanderai Ă Jean-Louis PiĂ©rot, qui a ĆuvrĂ© sur Fantaisie Militaire, avec qui il rĂȘverait de bosser aprĂšs avoir travaillĂ© pour Bashung, la rĂ©ponse se fera attendre : « Yâa un mec que je considĂšre⊠Dâailleurs je peux pas vraiment dire que jâaimerais travailler avec lui parce que je vois pas ce que je pourrais lui apporter tellement je le trouve gĂ©nial… » Je relancerai : « Mais en rĂȘve ? » « En rĂȘve, jâadorerais, oui ! Je serais tellement fier⊠Mais quâest-ce que je pourrais lui apporter ? Câest plus lui qui mâapporterait quelque chose. Pour moi depuis la mort dâAlain, câest le seul mec qui peut prĂ©tendre Ă cette position dâartiste crĂ©atif, vraiment crĂ©atifâŠÂ » Je sauterai sur le cĂŽtĂ© tifs de lâaffaire : « Il a autant de cheveux que toi ? » Il rigolera, avouant quâ « il en a plus beaucoup », et prĂ©cisant quâil lâavait dĂ©jĂ rencontrĂ© 2-3 fois et quâil lâavait trouvĂ© « trĂšs humble », « humainement adorable ». « Dâaccord, mais ces derniers temps j’entends plus dire que câest Biolay « le nouveau Bashung », tâen penses quoi, toi ? » « Jây crois pas trop ».
Ce qui fait que Biolay est incontournable et infiniment bankable, câest quâil rĂ©habilite Ă sa sauce (dâun terrien en dĂ©tresse) les codes de Gainsbourg et Bashung. Il ne sâefface pas derriĂšre lâĆuvre, il est dans lâimage, la pose, le rock, lâhĂ©ritage, alors il se met au centre, parle rĂ©ussite perso, sexe, drogue, mort et post coĂŻtum. Ce cĂŽtĂ© Rastignac qui carbure Ă lâego trique, prolo qui colle du rap, de lâelectro et des gros mots dans ses violonnades, bad boy juste ce quâil faut, ça Play Blessures. Ăa fait mouiller les meufs, ta mĂšre et lâindustrie comme un cross-over branchĂ© Booba-Chamfort. (En 2010, avec La Superbe il sera lâArtiste interprĂšte masculin de lâannĂ©e et lâAlbum de lâannĂ©e aux Victoires de la Musique.) Et puis câest un stakhanoviste. A 36 piges, outre ses cinq albums, dont deux doubles, il a rĂ©alisĂ© plein de trucs pop variĂšt (pour Isabelle Boulay, Coralie ClĂ©ment, ValĂ©rie Lagrange, Julien Clerc, StĂ©phane Eicher, Juliette GrĂ©co, Elsa, Françoise Hardy, DaphnĂ©, Marie-AmĂ©lie Seigner, Elodie FrĂ©gĂ©, Sylvie VartanâŠ), composĂ© des musiques de films, jouĂ© dans des filmsâŠ
B.B., câest tout ce que D.A. nâest pas : parisien, dandy, sale gosse, mĂ©diatique, chevelu, clopeur. Il nâa pas les « habits » du rockeux, il nâa pas crachĂ© sur Henri Salvador, nâa pas boxĂ© BĂ©nabar, nâa pas divorcĂ© de la fille de Deneuve, nâa pas Ă©tĂ© taxĂ© de sâenfiler la premiĂšre Dame de France. Il nâest pas « beau-laid », ce quâadore le grand public, « parce quâon est dans une Ă©poque oĂč les gens, comme me disait Manset en 2009 Ă la sortie de Manitoba ne rĂ©pond plus, pour une question de dĂ©magogie, veulent la fragilitĂ©. Ils veulent se sentir proche. Ils ont aimĂ© Gainsbourg pour ça. » Pour le cĂŽtĂ© « pĂ©kin moyen » dit-il. Fils de, Gainsbarre, tout ça. Or, sans dire que Dominique A « essaie de toucher au magistĂšre » et que ses maĂźtres sont Poussin, Zola et Hugo, « des gens qui font chier tout le monde », force est de reconnaĂźtre quâil y a un peu de ça. Lui est plus strictement crĂ©ateur, moine, (Monsieur) propre, monolithique, monacal. PĂšre, pur en somme. Et « les humains, comme l’a Ă©crit F. Hölderlin dans La Mort dâEmpĂ©docle, ont de la peine Ă reconnaĂźtre les purs ».
Pourtant quand je le retrouve Ă 41 ans, Dominique câest un chanteur qui en A. En triple A mĂȘme. Issu du label indĂ©pendant Lithium et auteur en 1992 dâun premier album en forme de manifeste qui a dĂ©complexĂ© plusieurs gĂ©nĂ©rations dans son approche minimale du français comme du son, il dispose dâune crĂ©dibilitĂ© rock presque supĂ©rieure Ă celle de « Noir Dez ». Il a mĂȘme exprimĂ© avant eux son opposition au business dâUniversal & co (oĂč lui nâĂ©tait pas signĂ©) en livrant une version spĂ©ciale de son « hit » dâalors aux Victoires de la Musique de 1996. Il a aussi influencĂ© toute une gĂ©nĂ©ration dâĂ©crivains, qui lui rendirent la pareille en Ă©crivant des nouvelles inspirĂ©es des titres de son album de 2004 Ă lâoccasion de sa sortie en Ă©dition limitĂ©e livre-disques. En 2008, il a lui-mĂȘme Ă©crit un petit livre super sur « sa pratique musicale », ses « souvenirs fondateurs » et « son Ă©tat dâĂ©ternel dĂ©butant ». Biolay ne peut pas en dire autant. En plus, ces derniĂšres annĂ©es Dominique A sâest ouvert Ă des artistes plus pop, en Ă©crivant pour Tiersen, Birkin, Elsa, Calogero, DorĂ©âŠ
Ce qui bloque chez Dominique A, câest que son Ćuvre est tellement lĂ , dure, quâil semble nâavoir besoin de rien ni de personne comme le dira Jean-Louis PiĂ©rot, pas mĂȘme de lâamour du public, comme sâil nâĂ©tait plus quâhomme, intouchable. Ce qui bloque, comme lâĂ©crira Francis Dordor, câest quâil « est devenu une diva », « plus seulement un chant, reconnaissable entre tous » mais aussi son incarnation, « un corps robuste, glabre, bien quâĂ©tonnamment empreint de fĂ©minitĂ© ». Ce qui bloque, câest que D.A., Ă lâimage de son crĂąne, est devenu monstre, montagne. Et comme en atteste la baleine de « Lâhorizon », ou ces mots de « Elle parle Ă des gens qui ne sont pas là  » : « Un corps comme le mien avec toute cette absence, un sexe avec des mains bĂątis sur du silence, un Ă©difice muet, facile dây entrer, facile dây revenir et facile Ă quitter, quelquâun Ă qui parler mĂȘme quand il nâest pas lĂ , puisquâil nây Ă©tait pas quand on lâa rencontrĂ©âŠÂ », il le sait trĂšs bien. Son premier groupe ne sâappelait-il pas John Merrick en rĂ©fĂ©rence Ă lâElephant Man de Lynch ?
En fait, le souci de Dominique A, câest que La Fossette, son premier album, fut un crime parfait. Comme il le raconte dans son livre, Un bon chanteur mort, il avait un plan prĂ©cis, qui consistait à « se placer en porte Ă faux » par rapport aux « chansons gonflĂ©es aux hormones » de lâĂ©poque en jouant « du contraste entre la distance du chant et le sentiment de proximité » dâun orgue Casio. Il a alors achetĂ© « pour mille et quelques francs, un synthĂ© de brocante aux orgues souffreteux, aux clochettes assourdies, aux rythmes asthmatiques », dans une « une mue inversĂ©e » a gommĂ© tout ce quâil y avait de « masculin » dans sa voix pour tendre « à lâasexualitĂ©, essentiellement par goĂ»t esthĂ©tique », avait hĂąte de se « confronter au monde » avec  « cet Ă©tat dâesprit ». Il a tendu un gros piĂšge, se donnant les pleins pouvoirs comme Manset se disant Dieu en son temps, mais sans le dire, lui, livrant un « sadisque » oĂč tout nâĂ©tait quâhaĂŻkus et intempĂ©ries Bontempi. Et tout le monde (chez les indĂ©pendants) nây a vu que dĂ©miurge et Vierge en 3D.
Je me rappelle quand jâai dĂ©couvert La Fossette. Ăa devait ĂȘtre en 2009, aprĂšs Si je connais Harry, Auguri, Tout sera comme avant et LâHorizon. PoussĂ© par mon amour de La Musique, je voulais remonter le courant, connaĂźtre les Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents. Revenu du disquaire dâoccasion oĂč je mâachĂšterai aussi La MĂ©moire neuve, jâai mis le disque dans le lecteur et ce que jâai entendu mâa refroidi. Sauve qui peut ! CâĂ©tait sec, osseux et piquant comme lâ « il » dâ « il neige » et dâ « il pleut ». Comme sâil nây avait plus que ça, ce qui fait la nique Ă lâHomme, le temps quâil fait et qui passe. CâĂ©tait comme lâair dâoctobre qui me vrillait les poumons au dĂ©part du cross des collĂšges, je peux pas dire que jâaimais pas ça parce que lĂ -dedans yâavait la sensation dâaffronter un truc de taille, yâavait cette sensation du monde qui rentre en soi et celle de venir au monde, dâĂȘtre un homme. D.A. y chantait en souriant pour « ne pas geindre » et que sa voix soit « la plus nette possible ». Le disque a tout pliĂ©. La Fossette ? Fossile et (grande) faucheuse. Le sourire ? Fakir, diablotin. V pour Vendetta.
En plus, Ă lâĂ©poque, du haut de sa science infuse, en Ă©tat de garce, le Dominique A de 21 piges chiait sur tout le monde. Mano Negra, NĂ©gresses Vertes, Garçons Bouchers ? Câest « à chier », ils « nâont rien compris ». « De la notion de diffĂ©rence, on est passĂ© au stade de la publicitĂ© pour ces diffĂ©rences : « Regardez comme on est mĂ©langĂ©. » On cultive son look, etc. Je trouve ça hypocrite et dangereux : câest du pain bĂ©ni pour les fachos. » Marquis de Sade ? « Ils ont fait des choses intĂ©ressantes, mais lâoreille se lasse. A trop jouer sur le mĂȘme thĂšme, lâEuropĂ©anitĂ©, ils se sont auto-caricaturĂ©s. Pascal nâest pas devenu assez intelligent (sourire)âŠÂ » Christophe ? « Jâai toujours un peu de mal avec ses trucs un peu techno italienne, limite ringard, mĂȘme si câest quelquâun dâimportant, qui fait partie des petits maĂźtres. Mais il y a une ambiance de fou dans ses disques et toujours 2-3 berlingots magnifiques, ses chansons un peu romantiques, en fait, que j’apprĂ©cie toujours d’ailleurs. » Et alors il rĂ©pĂ©tait sans cesse quâil fallait « ĂȘtre » ou « devenir » un musicien « intelligent ».
Câest que Dominique A, plus que Murat, « le papy Ă lâĂ©poque », câĂ©tait LE rockeur « rock critic », Ă la fois donneur de son et de leçons. CâĂ©tait lâInrockuptible et ça en agaçait et en agace toujours. En 2009, Ă la sortie de RĂ©vĂ©lations, son premier EP, je me souviens que Cheval Blanc mâavait dit avoir « vomi sur la bibliothĂ©caire en lisant les aveux » dâun Dominique A qui se prenait pour le « nouveau ministre de la police culturelle ». « C’est-Ă -dire, Cheval Blanc ? » « Je dis ça avec humour, mais disons quâil joue un peu trop au professeur la morale Ă mon goĂ»t. » « Ce qui te gĂšne câest quâil soit devenu une sorte dâinstitution ? » « Oui, un genre, dâailleurs il y a 2-3 ans j’avais prĂ©dit Ă ses producteurs mĂ©dusĂ©s quâil prendrait la place d’Alain Bashung quand il mourrait. Quâil deviendrait symboliquement le « grand chanteur français » dans le « cĆur » des gens. Ăa commence dĂ©jĂ . Dâailleurs, artistiquement, je le prĂ©fĂšre Ă Bashung. Pour moi, il est plus fort. Je lui promets mĂȘme une belle mĂ©daille gouvernementale sâil existe encore dans 4-5ans. VoilĂ . »
A 21 ans, le jeune homme excellait sur tous les tableaux. Son secret ? Sa peur initiale du rock. Alors que la plupart des musiciens lui voue un amour sans borne, Ă 13 ans lui le gardait Ă distance. Il croyait quâil Ă©loignait de lâenfance, Ă laquelle il tenait, « mythifiant dĂ©jĂ , de maniĂšre mortifĂšre, le souvenir ». Etranger au « courage physique », sentant le besoin dâ « un monde compensatoire » pour annuler la « capacitĂ© de nuisance » de son imagination, il passait son temps Ă lire et Ă©crire. A la rĂ©crĂ©, on le charriait (« Il fait des poĂ©sies. »), mais Ă la maison (Provins, en Seine-et-Marne), comme pour se « faire vieillir plus vite », ce fils unique dâun pĂšre prof et dâune mĂšre au foyer chantait « à  haute voix » les chansons que ses parents aimaient (Brel, Brassens, Ferrat et FerrĂ©). Câest en se dotant dâun magnĂ©tophone et de quelques instruments-jouets que ses poĂšmes qui « parlent dâamour, de solitude et de mort » (« Le Bonhomme de neige », « Agonie dâun soleil », « La Machine Ă oublier », etc.) sont devenus des « a cappella » et des « chansons improvisĂ©es ».
De lĂ , il a un rapport privilĂ©giĂ© avec le format de la chanson car si câest la musique quâil « vise » quand il Ă©crit, la musique « avec ses jeux dâombre et de lumiĂšre, son opacité », il « accorde cependant la primeur aux mots. Ce sont eux qui vont la lĂ©gitimer. » Il sâimagine avoir « besoin de ce paradoxe pour susciter une tension Ă lâintĂ©rieur de la chanson, de maniĂšre que, mĂȘme au diapason du texte, naviguant dans les mĂȘmes eaux, la musique puisse toujours faire reproche Ă celui-ci dâavoir sur elle droit de vie ou de mort ; et quâelle instrumentalise, Ă tous les sens du terme, ce reproche pour reprendre lâascendant. Lorsquâelle est livrĂ©e Ă elle-mĂȘme, lorsquâaucun texte, mĂȘme anodin, ne la porte, lorsquâelle nâa pas Ă dĂ©fendre sa place, sa solitude lâintimide. Câest comme un couple qui passe sa vie Ă se dĂ©chirer, mais dont on voit lâun totalement dĂ©muni quand lâautre sâen va. » Ainsi ne se sent-il « à lâaise quâavec les chansons, lorsque de lâalliance ou de la friction entre des notes et des parole surgit une matiĂšre dont lâintĂ©rĂȘt se situe au-delà  ».
Mais voilĂ , son pĂ©chĂ© câest de venir de la poĂ©sie, de sâĂȘtre retranchĂ© du commun des mortels et dâavoir engendrĂ© un gros malentendu : nâĂȘtre quâun type triste et intransigeant. Deus Ex Machina. Il a dĂ» le dĂ©truire alors quâil pensait « avoir tout dit » en donnant ce « sentiment paradoxal » de « ne pouvoir ĂȘtre au monde » quâ « en refusant de participer au jeu social ». Un temps il a hĂ©sitĂ©. La ferveur autour de La Fossette Ă©tait telle quâil se voyait faire comme Rimbaud, « en rester là  », « la fulgurance dâune Ćuvre » et « le renoncement Ă la poursuivre » lui apparaissant comme des « gages dâĂ©ternité » tandis que continuer le forçait « à descendre du piĂ©destal » oĂč on lâavait mis et Ă prendre sur lui « de dĂ©cevoir, dans un premier temps tout du moins ». Il a choisi la voie la « plus classique », celle oĂč « lâartiste qui a goĂ»tĂ© au fruit ne peut plus se passer de son goĂ»t » et « enfonce le clou, quitte Ă le tordre ». Les 7 succĂ©danĂ©s de La Fossette montrent que Dominique A a bien fait.
Quand je le retrouve, il est toujours ce poĂšte de la chanson rock, plus que jamais mĂȘme, car il est revenu au monde, plus physique, charnel. Câest un type radieux et accueillant. Une baraque monumenTALL. Me revient dâailleurs quâil utilise souvent cette image pour parler de chanson. Quand un morceau lui vient, il se sent dans « une bĂątisse plus ou moins cossue ». Il va ĂȘtre amenĂ© à « dĂ©couvrir ses piĂšces les unes aprĂšs les autres » mais « le parcours Ă lâintĂ©rieur » ne dure pas. A chaque porte quâil ouvre les nouvelles phrases quâil trouve « viennent consolider lâĂ©difice » et elles le mettent progressivement dehors. Une fois « la derniĂšre porte refermĂ©e », il ne peut plus « retourner dans la maison pour bouleverser lâagencement des piĂšces ». Jâaime bien cette image. Elle fait Ă©cho Ă sa grande thĂ©matique quâest la mĂ©moire, ce sol mallĂ©able, et elle semble mĂȘme au cĆur de son prĂ©nom, proche des mots dĂŽme et dominium (domaine en latin), de la mĂȘme maniĂšre quâon peut lire dans Manset (man + set : en anglais), lâ « homme fait » ou l’ « homme qui fait ».
Et avec La Musique, Dominique A a tellement agrandi sa bar(a)que quâon dirait un temple. Car en plus dâĂȘtre superbe, on apprendra en octobre (Ă lâoccasion dâune Ă©dition limitĂ©e) qu’il a un pendant, La MatiĂšre. Câest une sorte dâitinĂ©raire bis Ă destination des « fidĂšles », 12 titres issus des mĂȘmes sessions dâenregistrement, mais plus « spé » que ce qui fait corps sur le premier, Ă lâimage du drumânâbass « Lâentretemps » qui demande : « QuâĂȘtes-vous venu chercher ? / La chair est une plaie / Impansable / Nây pas toucher / Nây pas toucher ». Ce faux double montre qu’Ă l’instar dâautres « monstres » (Thom Yorke et sa « tĂȘte radio », Billy Corgan et son « potiron en pĂ©tard ») Dominique AnĂ© est lui-mĂȘme le grand alchimiste de sa dualitĂ© (celle programmatique de son « A » Ă©rigĂ© en symbole). Il est en fin de cycle, au faite d’une Ă©popĂ©e. Vertige de lâA (nous deux). Je pose mon dicta sur la table, presse « play », et c’est comme une gĂ©nuflexion. A cet entre d(i)eux, cet « étherrien ». King Dom.
(INTERVIEW.)
Les garçons perdus me plaisent beaucoup…Il a une trĂšs belle voix, trop jolie peut-ĂȘtre. Sa clartĂ© nous donne envie d’entendre des choses trĂšs sombres, ou bizarres justement !
Bah disons que si c’est ton envie (et ce fut aussi la sienne Ă un moment), il a des disques dans ce sens. RemuĂ©, par exemple !
este tipo estĂĄ en la liga de los grandes, y se le sale el arte por la orejas
Estoy de acuerdo