Nicolas Paugam : Le Ventre et lâestomac
Je nâai pas trop suivi ses faits dâarmes Ă Nicolas Paugam. Un jour on sâest retrouvĂ© a partagĂ© une scĂšne, câĂ©tait en mai 2015 au Chinois, Ă Montreuil et jâavais dâailleurs fait un peu nâimporte quoi je crois. Juste lâoccasion de voir quâil Ćuvrait dans un style de chanson française un peu foutraque et dĂ©calĂ©, le genre de truc dur Ă saisir et dĂ©finir, entre tropisme manouche et tropicalisme. Je nâavais pas trop prĂȘtĂ© lâoreille, non, pas trop suivi ses Ă©pisodes prĂ©cĂ©dents mĂȘme si jâai vaguement eu vent quâavant dâoeuvrer sous son nom il a longtemps eu un groupe avec son frĂšre et que sous le nom de Da Capo depuis 95 ils ont apparemment marquĂ© plein de gens (premier album Minor Swing sur le label Lithium en 97). Jâarrive juste lĂ , la gueule enfarinĂ©e, mais jâai lâimpression quâavec son quatriĂšme album, Le Ventre et lâestomac, il franchit un cap qui fait passer mon retard pour un sens du timing de malade.
Le disque est sorti ce 14 juin chez le label de financement participatif Microcultures. Je lâai dĂ©couvert fin mai en commençant par Ă©couter les quatre premiĂšres plages : « Rendez-vous au sommet », « Tenir debout », « Les barbus » et « Il fallait fuir ». Chansons cuivrĂ©es, rock, Ă©lectro, tropicales dirais-je encore une fois, faute de trouver dâautres mots (un peu bossa endiablo-brĂ©siliennes ?), dâhabitude ce nâest pas trop mon truc mais jâai Ă©tĂ© scotchĂ© par la luxuriance des arrangements, lâaudace des harmonies, vocales, mĂ©lodique, et la nervure sous-jacente, trĂšs apparente, de ces chansons qui sont belles et bien lĂ , Ă la barre, parmi lâexplosion de couleurs.
Il mâest ainsi venu des cousinades. Tout ça est venu chercher ce qui avait dĂ©jĂ fait vibrer de telles cordes chez moi. Jâai pensĂ© Ă Beirut, Brassens, aux Rita Mitsouko. Au Georges (de la jungle citadine) pour ce regard bien senti sur la vie et ses contemporains, croquĂ©s avec tendresse. A la Ringer (jamais rangĂ©e) pour ce grain de folie et de farfelu dans la façon de chanter, notamment sur « Tenir debout », sa voix dont la fĂȘlure diaphane lui confĂšre parfois les atours dâun imaginaire un tantinet oriental qui mâa fait chavirer vers Christophe, celui des « Marionnettes », de « Senorita » et de « Petite fille du soleil »… Ah, et aussi au songwriter irlandais Van Morisson ! Ah Astral Weeks ! « Madame George », ses airs de flĂ»te jazz, folk, soul… Et puis je dois le dire, mĂȘme si aujourdâhui câest un tel lieu commun que ça ne veut plus rien dire, que ça fait mĂȘme un peu tarte Ă la crĂšme ou slip sur la tĂȘte du Roi Dagobert, mais « Les Barbus » mâont pas mal Ă©voquĂ© le Philippe Katerine de 8e Ciel.
AprĂšs jâai un peu dĂ©crochĂ©, parce que ces quatre morceaux câĂ©tait dĂ©jĂ ouche, beaucoup dâinformations et dâĂ©motions, presque trop quelque part. Disons que câest surtout quâon a plus lâhabitude de ces nourritures riches, gĂ©nĂ©reuses, virevoltante. (Dâailleurs il le sait bien le bougre qui au bout de trois morceaux calme le jeu en livrant un morceau Ă nu.) Mais jâai aussi dĂ©crochĂ© disais-je parce quâensuite paradoxalement le trou normand dâ « Il fallait fuir » tout en faux plat mâa moins plu. MĂȘme le morceau-titre, « Le Ventre et lâestomac », mâa moins saisi que la triplette introductive. Alors quâil est trĂšs bien ce morceau avec sa frĂ©nĂ©sie Ă©lectrique, son finish rock et tout. Il adresse mĂȘme, sans doute sans le vouloir, comme un clin dâoeil mĂ©ta-vintage au cĂ©lĂšbre « Twenty two bar » de Dominique A. Ecoutez, vous verrez.
Non, câest juste que jâĂ©tais plus rĂ©ceptif, jâĂ©tais arrivĂ© Ă une sorte de satiĂ©tĂ© par manque dâhabitude de « Bam ! Dans ta gueule », un truc consistant, nutritif. Mais sâhabitue-t-on jamais Ă cela ? Il me fallait prendre mon temps. Alors jâai pris le temps. Jây suis revenu. Ca mâavait donnĂ© envie de le faire. Et quand jây suis retournĂ© jâai Ă©tĂ© prĂȘt Ă assurer la traversĂ©e de la seconde moitiĂ© du disque comme je lâavais fait de son tout dĂ©but : avec dĂ©lice. « Tu savais, tu savais » mâa embarquĂ© sans prĂ©ambule. Enfance de lâĂąme, tant baume au coeur quâaccĂšs au drame : superbe. MĂȘme « Ipanema » et « Chasseur blanc » qui nâavaient pas remportĂ© illico mes suffrages mâont parlĂ© comme elles parlent : rĂ©vĂ©lant leur secret. Et Ă la fin, le pompon : le lyrisme est venu me rechercher totalement avec « La Complainte du Titanic ». RĂ©compense grandiose, ultime. Franchement Ă©tourdissante. La force et lâivresse, lâambition des classiques.
Vous connaissez le Mustango de Murat ? HĂ© bien cette chanson aurait pu y figurer. Je sais, câest con de dire ça, comme câest toujours con toutes ses comparaisons Ă untel ou untel mais câest pour vous dire Ă quel point Nicolas Paugam est en pleine explosion-possession de ses moyens : il lâest tellement quâil Ă©voque-phagocyte les plus grands archĂ©types de la chanson. Et pas que d’ici. Je pourrais mĂȘme en citer dâautres : les VRP, Tryo, Souchon, Santana, Hendrix… Câest sans fin tellement il a le ventre, lâestomac. Et il faut le voir en live, ce que j’ai fait le 13 juin au Studio de L’ermitage, en live oĂč il est accompagnĂ© de Yannick Boudruche (guitare, chĆurs), Thibault Brandalise (batterie), RĂ©nato Tonini (cajon, percussions), Alexandre Saada (claviers) et Nelly Dvorak (chĆurs) : le feu, la classe !
Je comprends pourquoi dans le magazine Mandor le journaliste François Alquier a dit de lui quâil est devenu pour lui « du jour au lendemain un chanteur important. » Il y a lĂ , exigeante, une vraie gĂ©nĂ©rositĂ© de chanteur, au sens populaire du terme, dont est dĂ©pourvu un Bertrand Belin pourtant officiellement portĂ© aux nues par la presse et un certain public.