VERTIGE DE LA MORT (LUCKY STRIKE)
27 janvier 2013. 19h. Par mail : « Pourquoi les Lucky Strike s’appellent Lucky Strike ? », envoie-je au red chef de Gonzai. A l’occasion d’une soirĂ©e entre potes, sans Street Fighter mais avec tout le reste, je viens d’apprendre des choses sur ces clopes, ce qui m’a inspirĂ© un article sur cette question-lĂ . Je me suis dit que ce serait une parfaite Ă©nigme pop pour le magazine Gonzai #2, aprĂšs celle sur le Granola (« est-il une drogue pop ? »). Alors hop, j’avais pondu un synopsis. Il sera acceptĂ© (« 1500 signes direct ! ») et l’article sera bien dans le mag si le mag sort mais comme j’Ă©tais on fire (mon synopsis faisait dĂ©jĂ 1500), aprĂšs moult recherches et rĂ©flexions j’ai fini par faire un quatre feuilles (16 500) englobant par petites touches l’histoire de la marque Lucky ainsi que mon / notre rapport aux clopes.
Fumeur ou pas, tu connais les Lucky Strike. Ces cigarettes sont devenues un tel objet pop emblĂ©matique de l’amĂ©ricanisation du monde que tiens, elles ont par exemple un rĂŽle dans la sĂ©rie Mad Men. Le hĂ©ros, le publicitaire Don Draper, y interprĂšte une « scĂšne primitive » de l’histoire des Etats-Unis et de cette grande enculade qu’est le consumĂ©risme en pondant l’accroche « It’s toasted ! ». Et Lucky clame ça comme s’ils Ă©taient les seuls à « griller » leur tabac et que c’Ă©tait ça qui lui donnait cette saveur unique, on ne peut plus dĂ©sirable. Alors que non, la plupart des cigarettes sont faites comme ça, et c’est toujours la mĂȘme merde qu’on s’envoie dans les poumons… Entre savoir-faire et faire-savoir, info et intox, c’est un des coups de gĂ©nie marketing qui ont fait le succĂšs des clopes et de Lucky Strike.
L’histoire des clopes, c’est un truc de fou si l’on y pense. Les fabricants et les publicitaires ont quand mĂȘme rĂ©ussi Ă refourguer en masse un produit qui n’est ni bon pour la santĂ© ni bon au goĂ»t. Au dĂ©part, quand on ignorait les mĂ©faits du tabac, ils n’hĂ©sitaient pourtant pas Ă faire croire le contraire, comme si c’Ă©tait une affaire de gourmet, qu’il s’agissait de quelque chose de comestible. Aujourd’hui on est sorti de cette « suspension of disbelief », mais on est encore beaucoup Ă fumer. On dit souvent que c’est parce qu’on devient addict Ă la nicotine, soit, mais c’est aussi comme chacun sait parce que ça donne une contenance en sociĂ©tĂ©. On a tant vu de de stars Hollywoodiennes et de rockeurs poser gracieusement ou virilement clope au bec que lorsqu’on en allume une, « ça tourne ». On se met en scĂšne.
Fumer, c’est faire une citation (esthĂ©tique) et un signe camĂ©ra (onaniste). ApparaĂźtre et disparaĂźtre Ă la fois. D’ailleurs, je me rappellerai toujours de ce que m’a dit une amie alors qu’on s’en grillait une chez elle : « Fumer, c’est mettre un voile entre soi et les autres ». C’Ă©tait si simple, Ă©vident, ça m’a marquĂ©. Je n’y avais jamais pensĂ© comme ça, mais oui, fumer c’est ça : mettre un Ă©cran (de fumĂ©e) entre soi et soi. Soi et l’autre. Comment nier qu’il y a toujours un petit cĂŽtĂ© « je me fais un personnage quand j’en ai une aux lĂšvres » ? Que je me fictionnalise, disperse mes cendres devant moi ? Je ne sais pas, peut-ĂȘtre que je pense ça parce que je ne suis pas un « vrai » fumeur. Je fume quoi ? Deux-trois clopes par jour. C’est peu, c’est con, fumer sans ĂȘtre accro. Certains jours, je fais relĂąche. Nada.
Souvent, j’ai l’impression que fumer c’est donner un baiser dans le vide. Un truc de perte. Take my breath away. Qu’on fume parce qu’on ne sait pas trop quoi faire de notre bouche, de notre souffle. Qu’on aurait besoin de respirer, inspirer, expirer, de l’air, profondĂ©ment, que ça fait partie de nous, ce travail de souffle, et que la clope vient salement se greffer sur ce besoin primaire comme un pipeline qui dĂ©tourne notre force vitale. Qu’on pourrait fumer n’importe quoi tant notre besoin de fumer est inconsolable. L’alcool, je comprends, ça descend comme une lumiĂšre dans le corps et ça enivre, mais le tabac ? N’enivre-t-il pas essentiellement par la stimulation de notre propre respiration ? N’agit-il pas sournoisement comme une menace fantĂŽme, comme un amour fantĂŽme ? VesTiges de verTiges de l’amor ?
J’envisage difficilement la cigarette en dehors de la ville. Du maelström urbain. LĂ aussi, c’est peut-ĂȘtre spĂ©cifique Ă ma nature de fumeur dilettante, coquet, mais je vois souvent la « cig » comme la fleur de la ville, son pic de pollution princier, sophistiquĂ©, empaquetĂ© et qu’on se l’envoie comme on accueillerait enfin en soi la ville (la BĂȘte ?) dans ce qu’elle a de plus hardcore, pour s’y fondre et la conjurer. Le mal par le mal, je t’aime, moi non plus, suis devenu ton dog, ta machine. Quand la nature domine, j’ai moins envie. C’est comme quand je dĂ©barque en jean, cuir, chaussures Ă talons chez mes parents dans leur bourgade prĂšs d’OrlĂ©ans (Jargeau) : d’un coup, je me sens un peu bĂȘte, comme un acteur en plein changement de plateau. Alors je me change, enfile sweat, jogg’… Reprend forme humaine.
Fumer, souvent, c’est respecter une panoplie. Et n’ĂȘtre qu’une pĂąle copie. Tu le fais car t’as vu un grand (une figure hĂ©roĂŻque) le faire, grand qui lui-mĂȘme avait vu un grand, etc. S’y joue une crasse transmission de flambeau oĂč on finira par coller petit Ă petit, Ă force (goudronnĂ©, plumĂ©) au personnage projetĂ©. Oui, fumer c’est « faire le grand », se donner une contenance, savoir Ă quoi on ressemble, puisqu’il faut bien ressembler Ă quelque chose et qu’on ne se voit pas, qu’on est toujours un fantĂŽme Ă soi-mĂȘme. La clope comme cadre, bĂ©quille, tuteur. On n’est pas libre ni soi-mĂȘme quand on fume. Plus cobaye que cow-boy. Bref, pour que ce merveilleux produit perfore nos vies, de grands hommes ont dĂ» trouver et actionner de bons gros leviers psycho-mytho. C’est par exemple le cas chez Lucky Strike.
Prenons le paquet. Il « pop » comme une boĂźte de soupe Campbell. Le logo cĆur de cible de Raymond Loewy y saute aux yeux. Il a mĂȘme Ă©tĂ© mis sur les deux faces des paquets pour continuer Ă t’allumer une fois Ă terre. Comme HAL, Terminator et Big Brother, il t’avoue : « You’re a target (market). I’m gonna kill you. » Pop, le packaging de Lucky Strike l’est aussi grĂące Ă une languette placĂ©e en haut du paquet qui fait que « pop », tu peux l’ouvrir d’un coup de pouce. Le son se produit comme un input magique. Ăa c’est du sound design, c’est comme quand un constructeur automobile se prend la tĂȘte sur le bruit d’une portiĂšre pour qu’il Ă©voque sĂ©curitĂ©. Ces dĂ©tails, cette sensorialitĂ© de l’emballage, ça te rentre dans le cerveau et ça crĂ©e de l’affect. Et le cĂŽtĂ© sonore, personne n’y avait pensĂ© avant Lucky.Â
Mais le paquet de Lucky n’a pas toujours Ă©tĂ© rouge et blanc, digne en cela de nous plonger comme Perceval devant trois gouttes de sang sur la neige dans une profonde contemplation « car le sang et la neige formaient une composition qui ressemblait pour lui aux fraĂźches couleurs qu’avait le visage de son amie. » Non, Ă la base il Ă©tait vert. Un vert un peu kaki. Il n’est devenu blanc qu’en 1942 dans le but de sĂ©duire les femmes et de feindre l’Ă©lan patriote sur l’air : « Les Lucky vertes sont parties en guerre. » Genre : « On les a envoyĂ©es au front pour nos chers soldats. » Pipo. Mais ce n’est pas la premiĂšre fois que Lucky parlait aux femmes. Dans les annĂ©es 20-30, il leur disait que fumer les aiderait Ă moins boulotter : « Quand vous ĂȘtes tentez, prenez plutĂŽt une Lucky. » Boum : + 200% de parts de marchĂ©.
Les femmes furent un Ă©lĂ©ment dĂ©cisif dans la construction d’un discours et d’un imaginaire « FraĂźcheur de vivre » des clopes. Cet imaginaire vecteur d’Ă©mancipation qui voulait dire : « Bien sĂ»r que c’est bon puisque fumer c’est ĂȘtre libre. » En 1924, une marque s’est mĂȘme crĂ©Ă©e rien que pour les femmes : Marlboro (si, si). Ces clopes Ă©taient pourvues d’un filtre. La promesse Ă©tait : « Douces comme un mois de Mai. » Mais quand les premiĂšres Ă©tudes scientifiques ont enfin montrĂ© que ça filait le cancer, on a arrĂȘtĂ© de prĂ©senter ça comme un truc de nanas. Pour faire oublier cette histoire de filtre pour filles et flatter les hommes, les vrais, dans les annĂ©es 50 ils ont donc lancĂ© le cow-boy Marlboro. Et bingo : en un an, d’1% de parts de marchĂ©, ils sont passĂ©s 4e plus gros vendeur. Aujourd’hui ils sont les 1er.
A cette Ă©poque est survenu un autre Ă©vĂ©nement phare de la communication des industries du tabac Ă destination des femmes. Il fut orchestrĂ© en 1929 par Edward Bernays au profit de Lucky Strike. Cet autrichien Ă©tait un spĂ©cialiste des relations publiques. En combinant les idĂ©es des penseurs de la psychologie des foules Ă celles de la psychanalyse de Freud, (son oncle), il Ă©tait en train d’inventer la pub moderne, celle qui s’adresse Ă nos pulsions (le ça) par le biais d’images fantasmatiques qui se substituent au produit. En 1917, il avait d’ailleurs dĂ©jĂ travaillĂ© sur la campagne « I want YOU for US Army » qui devait convaincre le peuple de l’entrĂ©e en guerre du « pays ». Et en 1928 il avait consignĂ© toutes ses thĂ©ories sur la manipulation des foules dans un livre-manifeste qui inspirera Goebbels : Propaganda.
Et donc, reluquant le marchĂ© des femmes en se disant que ce serait comme de tomber sur « une mine d’or dans notre jardin », le prĂ©sident de l’American Tobbaco Company a dĂ©cidĂ© d’engager Bernays pour qu’il lĂšve ce tabou de la clope chez les femmes. L’idĂ©e de Bernays ? Le symbole phallique. A l’occasion d’une banale parade dominicale dans l’est de New York, il a payĂ© de jolies jeunes femmes pour qu’elles dĂ©filent en fumant, appelĂ© une fĂ©ministe pour qu’elle se joigne Ă elles en criant « Femmes ! Allumez les torches de la libertĂ© ! » (des Lucky) et recrutĂ© des photographes et des cameramen pour ĂȘtre sĂ»r d’avoir de belles images Ă faire tourner. Le plan marcha d’enfer : alors qu’elles ne reprĂ©sentaient que 12% des consommateurs en 1929, les femmes montĂšrent Ă 18,1% en 1935, puis 33,3% en 1965.
Mais revenons au paquet de Lucky, on en Ă©tait Ă ses couleurs, rouge et blanc, les mĂȘmes que Marlboro (tiens, tiens). Mais et le nom ? Important ça, le name branding. Par exemple, peu importe que le nom de Marlboro vienne du nom de la rue d’une ancienne manufacture de Londres (Marlborough), ce qui importe c’est que ça claque. Idem pour Lucky. Ăa sonne. Mais chez Lucky le nom fut tellement bien trouvĂ©, mystĂ©rieux, qu’il nourrit une lĂ©gende urbaine et une plutĂŽt sympa comparĂ©e Ă celle qui entoure le paquet de Marlboro : les Lucky s’appelleraient ainsi (« le coup de chance » donc) parce qu’avant que la marijuana ne soit dĂ©clarĂ©e illĂ©gale, un paquet par carton de 1000 Ă©tait censĂ© contenir une cigarette spĂ©ciale. Donc paf, si tu tombais dessus c’est comme si t’avais gagnĂ© le ticket d’or de Willy Wonka.
De cette lĂ©gende urbaine est nĂ©e un petit geste superstitieux qui se fait encore en 2013 : certains inversent le sens d’une clope lorsqu’ils ouvrent un paquet neuf. Cette cigarette devient alors celle de la chance, ils pourront faire un vĆu le jour oĂč ils tomberont dessus. Mais aussi jolies soient elles, toutes ces petites histoires n’ont pas grand chose Ă voir avec la vraie origine du nom Lucky Strike. En fait, il s’agit d’une rĂ©fĂ©rence Ă la ruĂ©e vers l’or. Au milieu du 19e siĂšcle (et Lucky Strike s’est lancĂ© en 1871), on disait des chercheurs d’or qui trouvaient enfin quelque chose (pĂ©pite ou plus) qu’ils avaient fait une « lucky strike », littĂ©ralement qu’ils avaient eu un bol digne de, disons, la Providence. Par lĂ , ce produit ne se prenait donc pas pour de la merde : ce qui est un peu le summum de la pub mensongĂšre.
Ăvocation discrĂšte de la ruĂ©e vers l’or d’un cĂŽtĂ©, matraquage lourdingue du garçon vacher de l’autre : on reste dans les mythes de l’AmĂ©rique des pionniers. Des images qui ne sont plus qu’un lointain mirage puisqu’on ne peut plus montrer de cigarettes ni sur des affiches ni dans des films. Je ne sais pas oĂč en est ce dossier mais je crois qu’il est mĂȘme question que tous les paquets de clopes soient bientĂŽt dĂ©barrassĂ©s de toute imagerie pour ne plus mentionner que le nom de la marque. Paf, enter the void. Si ça se fait ce sera intĂ©ressant de voir l’impact que ça aura sur les fumeurs et si ce sera plus dissuasif que des messages de mort et autres images trash de dents et de poumons pourris jusqu’au trognon. Tout ça, j’ai l’impression que ça fait partie d’un changement d’Ăšre. Comme une lente lame de fond.
Nutella aux OGM, phtalates et huile de palme, lasagnes de bĆuf au cheval, MĂ©diator, etc. : c’est tout un systĂšme (la production de masse) qu’on accuse enfin pour la merde refilĂ©e, comme des parents qu’on verrait enfin en plein jour. Ce n’est pas un hasard si en 2010 Lucky strike again avec les Convertibles, une innovation centrĂ©e sur le produit lui-mĂȘme. D’une simple pression sur une bille situĂ©e dans le filtre (un clic ?) tu peux Ă tout moment les transformer en menthols pour te donner l’illusion qu’abracadabra, tu fumes autre chose que du tabac. Ils ont mĂȘme sorti les Convertible Fresh, des menthols dont tu peux surdoser le goĂ»t menthol. Bref, le produit affiche de plus en plus sa schizophrĂ©nie d’ĂȘtre ce qu’il est, en substance, mais comme les fumeurs se menthe, il rĂ©siste, dernier rempart d’irrationnel.
Je repense Ă Constantine, film amĂ©ricain avec Keanu Reeves dans le rĂŽle dâun inspecteur expert en phĂ©nomĂšnes paranormaux et qui, sous ses airs d’Exorcist light, mâĂ©tait apparu comme un gros spot anti-tabac (j’en dit pas plus, faut le voir). Je repense aussi Ă La Carte et le territoire, le dernier Houellebecq oĂč il dĂ©plore la disparition de tous les produits de consommation auxquels on sâest attachĂ©s au cour de notre vie et qu’on croit immortels alors qu’eux aussi vont nous lĂącher, ils vont cesser d’ĂȘtre fabriquĂ©s. Eux aussi meurent et une partie de nous meurt avec eux, d’un coup. Est-ce quâun jour, vraiment, on ne pourra plus s’en allumer une aprĂšs lâamour, ni aprĂšs un bon repas ou Ă lâĂ©coute de telle musique ? A l’Ă©coute de telle musique comme un cierge parce qu’elle rĂ©vĂšle notre Ăąme Ă elle-mĂȘme ?
ParenthĂšse : plein de pop songs envoient la fumĂ©e : « Je fume pour oublier que tu bois » (Bashung), « Cigarettes and Chocolate Milk » (Rufus Wainwright), « Cigarette » (Saez), « Cigarettes » (Russian Red), « Cigarettes » (Xspray Spex), « Les Cigarettes » (Hyperclean), « I Like a Cigarette » (Get A Room), « Je suis amoureux d’une cigarette » (Higelin), « Cigarettes and Alcohol » (Oasis), « Cigarette Smoker Fiona » (Artic Monkeys), « Nicotine and Gravy » (Beck), « Jealous of you Cigarettes » (Hawksley Workman), « Cigarette in your Bed » (My Bloody Valentine), « 113e Cigarette sans dormir » (ThiĂ©faine), « Roses and Cigarette » (Ray Lamontagne), « Nico Teen Love » (BB Brunes), The Cigarette Duet (Princess Chelsea), « J’fume des clopes dans un blockhaus noir (…) » …
Je repense Ă Arno. Quand je l’avais interviewĂ© pour la sortie de son album de reprises (Cocktail, 2008), le rocker belge, « bon client », m’avait racontĂ© une anecdote marquante. Je sais plus pourquoi mais il m’avait dit que ça faisait maintenant un bail qu’il avait arrĂȘtĂ© de fumer et que ça l’avait pris un jour, comme ça, parce qu’il avait vu quelqu’un en train de fumer et qu’il l’avait trouvĂ© trĂšs pathĂ©tique de faire ce truc qu’on appelle « fumer ». Sauf que ce quelqu’un c’Ă©tait lui, c’Ă©tait son propre reflet dans l’Ă©cran de tĂ©lĂ©, et alors qu’il fumait bĂȘtement, comme ça, se laissant flotter dans les volutes devant l’Ă©cran noir, son image lui a Ă©chappĂ©, le temps d’un flash, il a pas connectĂ©, il s’est vu comme un autre, un autre pris en flag’ avec ce Faust ami imaginaire absurde et funĂšbre qu’est la cigarette.
Arno m’a alors dit qu’il avait essayĂ© d’avertir Bashung, qu’un jour il lui avait clairement conseillĂ© de lĂącher son rĂ©gime Coca / pĂ©tards, que ça allait le flinguer. « Les pluies acides dĂ©charnent les sapins / J’y peux rien, j’y peux rien / Coule la rĂ©sine / S’agglutine le venin / J’crains plus la mandragore / J’crains plus mon destin / J’crains plus rien / Le souffle coupĂ© / La gorge irritĂ©e / Je m’Ă©poumonais / Sans broncher / Angora / Montre-moi d’oĂč vient la vie / OĂč vont les vaisseaux maudits… » chante Bashung sur la derniĂšre plage de Fantaisie Militaire (1998). Le morceau est censĂ© parler de son chat. Je sais pas vous, mais moi il est tard, jâai bien travaillĂ©, je vais me l’Ă©couter tiens, « Angora ». Mâen rouler une et l’Ă©couter profondĂ©ment avant dâĂ©craser. Oui, au lieu dâaller mĂ©diter, je sais, câest mal.
Illustration : Anthony Stepien (anthonystepien@hotmail.com)
Ce rond rouge sur fond blanc, n’est-ce pas le bout de la cigarette allumĂ©e vue de face, c’est Ă dire du cĂŽtĂ© brulant? Ton histoire de voile devant les yeux c’est un peu la chanson « Smoke gets in your eyes ». En tout cas bon courage pour « continuer Ă arrĂȘter ».
Et pour complĂ©ter ton texte, voici un extrait (la fin) d’une nouvelle de Pierre Louys « Une VoluptĂ© nouvelle » (1898) oĂč l’Ă©crivain rencontre une belle femme venue d’un autre temps, qui cherche Ă savoir ce que l’Homme Ă inventer de nouveau depuis l’AntiquitĂ©. L’Ă©crivain lui donne nombre d’exemples, rien ne semble l’Ă©tonner:
« Je ne luttais plus.
â Veux-tu une cigarette ? demandai-je.
â Comment ?
â Je dis : Veux-tu une cigarette ? Sans doute, cela aussi nous vient de
la GrĂšce, puisque câest Aristote qui aâŠ
â Non. Je ne vais pas jusque-lĂ . Jâavoue que nous ignorions cette inepte
habitude, qui consiste Ă sâemplir la bouche avec de la fumĂ©e de feuilles.
Mais je pense que tu ne prĂ©tends pas mâoffrir ceci comme un plaisir ?
â Qui sait ? As-tu essayĂ© ?
â Jamais ! Comment, tu es de ceux qui se livrent Ă cet exercice ridicule ?
â Soixante fois par jour. Câest mĂȘme la seule occupation rĂ©guliĂšre dont
jâaie consenti Ă charger ma vie.
â Et elle te plaĂźt ?
â Je crois vĂ©ritablement que je me rĂ©signerais Ă ne pas toucher la main
dâune femme pendant une semaine tout entiĂšre, plutĂŽt que de me voir
sĂ©parĂ© de mes cigarettes pendant le mĂȘme laps.
â Tu exagĂšres.
â Presque pas.
Elle Ă©tait devenue rĂȘveuse.
â Eh bien ! donne-moi une cigarette.
â Je te lâoffrais.
â Allume-la. Comment fait-on ? On aspire ?
â Les jeunes filles soufflent dedans ; mais ce nâest pas le meilleur
moyen. Il vaut mieux aspirer, en effet. Prends une bouffée. Ferme les
yeux. Une autreâŠ
En quelques minutes, CallistĂŽ avait mis en cendres son petit rouleau de
feuilles orientales. Elle en jeta le bout Ă demi consumĂ©, oĂč le fard de
ses lÚvres avait laissé du rouge.
Il y eut un silence.
Elle Ă©vitait mĂȘme de me regarder. Elle avait pris le paquet carrĂ© dans
sa main, qui me parut agitée comme par une légÚre émotion, et aprÚs
quâelle lâeut examinĂ© sur les quatre faces, je vis quâelle ne me le
rendait pas.
Lente, avec le soin quâon apporte aux objets les plus prĂ©cieux, elle le
posa prĂšs du cendrier, sur le bord dâun divan clair oĂč elle Ă©tendit son
long corps foncé. »
DĂ©solĂ© pour ce long commentaire, maios je pense que cela vaut le coup…
Ah merde, suppositoire de Satan ! Tout ceci est une publicité déguisée pour la chose !
(Beau passage, il est vrai, merci Arno – smiley)
Oui, c’est Ă©videmment le bout rouge de la clope, right in your face. Mais je trouvais ça sympa de zapper cette image pour tripper direct sur celle de l’oeil que cela suggĂšre, un oeil rouge, menaçant… Oh, le pire, c’est que je cherche pas Ă m’arrĂȘter, plutĂŽt Ă ne pas augmenter. Bonjour tristesse !
On fumait des gauloises bleues qu’on coupait souvent en deux.
Lalala…les beaux jours…
Ah, du Yves Simon ?
Je connaissais pas ce morceau, merci.
Il a l’air dans une ambiance « c’est une maison bleue… »
J’irai Ă©couter đ
tu nous emmerde avec tes histoire de fumer !! fume la weed c’est mieux …
Content de t’avoir fait chier !