PADDY MCALOON : PREFAB SPROUT (2)

Prefab-Sprout-Steve-McQueen-Expanded sombre

22 janvier 2010. 11h. Paris, 12e, dans les sous-sols de la rĂ©dac du journal Trois Couleurs. « Britney ? » L’accent de ce cher Paddy vient de me jouer un tour. Alors que ça fait 30 min qu’on retrace ensemble l’histoire de Prefab Sprout Ă  l’occasion de la sortie de Let’s Change The World With Music le 7 septembre 2009, on en vient Ă  parler de ses projets en cours, et me voilĂ  deux secondes lost in translation. Non, ce n’est pas le portrait de Britney (Spears) qui agite actuellement ce divin mĂ©lodiste, mais celui de la (Grande) Bretagne. « C’est sur le monde du tĂ©lĂ©phone portable, ce monde de la cĂ©lĂ©britĂ© et de la distraction qui fait que les gens se gavent de tout ce qui peut les empĂȘcher de penser Ă  des choses plus sĂ©rieuses ou graves. »  VoilĂ  ce qui occupe actuellement le Paddy. Entre autres pharaoniques projets.

« Écoute, le travail a pris mon existence. Peu Ă  peu, il a volĂ© ma mĂšre, ma femme, tout ce que j’aime. C’est le germe apportĂ© dans le crĂąne, qui mange la cervelle, envahit le tronc, les membres, qui ronge le corps entier. DĂšs que je saute du lit, le matin, il m’empoigne, me cloue Ă  ma table, sans me laisser respirer la seule bouffĂ©e de grand air ; au dĂ©jeuner, je remĂąche sourdement mes phrases avec mon pain ; puis il m’accompagne quand je sors, rentre dĂźner dans mon assiette, se couche le soir sur mon oreiller, il est si impitoyable que je ne peux jamais stopper l’Ɠuvre en cours (…) » VoilĂ  Ă  qui Paddy me fait penser, Ă  Zola pour ce passage (de l’autre cĂŽtĂ© du miroir) que je lirai dans la revue Fureur et MystĂšre #1.

« Et aujourd’hui que je pourrais me contenter, continue l’Ă©crivain (…) l’habitude est prise, j’ai fermĂ© la porte au monde, jetĂ© la clef… Plus rien, plus rien dans mon trou que le travail et moi, et il me mangera, et il n’y aura plus rien, plus rien ! (…) Il suffit de se dire qu’on a donnĂ© sa vie Ă  une Ɠuvre, qu’on n’attend ni justice immĂ©diate, ni mĂȘme examen sĂ©rieux, qu’on travaille enfin sans espoir d’aucune sorte, uniquement parce que le travail bat sous votre peau comme le cƓur, en dehors de la volontĂ© : et l’on arrive trĂšs bien Ă  en mourir, avec l’illusion consolante qu’on sera aimĂ© un jour… » Ah oui, le travail, ce « J’ai toujours un tic tac sur moi ! »… En attendant pour encore 30 min je l’en dĂ©livre et lui m’en dĂ©livre. « Hooolidays, oh hooolidays… » Reprenons donc cette pause Tic Tac, cet art break au tel.

 

« Steve McQueen m’est venu d’un rĂȘve, proche de la visitation »

 

paddymcaloon

 

Remarquez, Paddy, un album sur Britney Spears aurait pu ĂȘtre une bonne idĂ©e !

Mais en un sens c’est ce que je fais ! Parce que Britney Spears est aussi liĂ©e au phĂ©nomĂšne pipole. Tout cela nous entoure. Et j’essaie juste de le saisir. Je vois ce disque comme un polaroid du monde d’aujourd’hui. C’est sur ça que je travaille.

Un disque qui serait donc comme l’antithĂšse du monde idĂ©al de Let’s Change The World With Music. Mais Newcastle est-il un bon spot pour observer et capturer le monde tel qu’il est aujourd’hui ?

Non, mais de toute façon ce monde vient à toi ou que tu sois


Grùce à internet ?

Non, je ne m’intĂ©resse pas Ă  internet. Pour moi, il y a trop de voix, c’est un brouhaha oĂč tu peux difficilement filtrer ce qui compte, mais par les magazines, la tĂ©lĂ©vision et les films tu peux capter l’essence de ce qui est en train de se passer.

En ce moment vous ne lisez donc pas de littérature mais des magazines pipole !

J’essaie de lire les deux (rires) ! Tu verras, quand je sortirai ce disque tu comprendras. Tu te diras : « Ah, je vois ce qu’il voulait dire. » Je suis sĂ»r que tu comprendras.

J’espĂšre. Vous parliez de fonds de tiroir. Il y a de cela des annĂ©es j’ai entendu dire que vous aviez commencĂ© un album sur l’histoire de Michael Jackson et/ou Prince et/ou Madonna. Qu’en est-il ? C’est toujours en cours ?

Oui, je suis toujours dessus. Ce que je fais, c’est que je travaille en deux temps. Dans un premier temps, j’accumule les chansons pour un projet prĂ©cis, je les Ă©cris et je les mets de cĂŽtĂ©. Parce que dans le mĂȘme temps j’ai dĂ©jĂ  quelque chose sur l’ordinateur et j’essaie d’en faire un disque. Pendant que je finis un disque, je stocke donc des chansons ou des idĂ©es de chansons pour un autre projet qui sera l’album d’aprĂšs. Le disque dont je te parlais, celui sur la cĂ©lĂ©britĂ© et l’Angleterre, l’album sur Britney comme tu l’as baptisĂ© par erreur, c’est celui que je suis en train de finir. Mais les autres projets plus anciens dont tu as entendu parler sont toujours en cours. Ils attendent. Et quand j’aurais fini l’album sur la cĂ©lĂ©britĂ© j’ouvrirai un de ces dossiers pour le mettre sur mon ordinateur et en faire un disque. Je ne sais pas encore pour lequel j’opterai. Ça dĂ©pendra de mes envies du moment.

Vous avez donc toujours ce projet d’un disque sur Michael Jackson ?

Oui, j’ai beaucoup de chansons sur Michael Jackson. Mais je n’ai pas voulu les sortir aprĂšs sa mort. Je ne voulais pas participer Ă  ce grand dĂ©ballage post mortem. Cet album sera comme un portrait de lui, un documentaire sur sa vie, ce qu’il a Ă©tĂ©.

Quand avez-vous commencé ce projet ?

Je l’ai Ă©crit en 1991, juste avant Let’s Change The World With Music. Et je l’ai mis de cĂŽtĂ©. Je pense que j’y changerai 2-3 trucs.

Michael Jackson, vous Ă©coutez toujours sa musique ?

Oui. D’autant plus que j’ai des enfants qui aiment aussi Michael Jackson.

Quel ùge ont-ils ?

Ils ont tous les deux moins de 12 ans, mais ils aiment Bad, Thriller et Off The Wall.

Peut-on parler de Steve McQueen (le deuxiĂšme album de Prefab Sprout, sorti en 1985) ? J’ai entendu dire qu’il allait ĂȘtre rĂ©Ă©ditĂ© courant avril en France. Est-ce vrai ?

Je ne sais pas. Peut-ĂȘtre qu’ils vont ressortir la version acoustique. Il y a quelques annĂ©es dans mon home studio avec ma guitare et quelques machines j’ai enregistrĂ© des versions alternatives des chansons de Steve McQueen et Sony a sorti ça en Angleterre (c’Ă©tait en 2007 – nda). C’était une Ă©dition deluxe, avec deux CD, l’un comportant le disque original remasterisĂ©, l’autre huit chansons revues en version acoustique. Ils vont peut-ĂȘtre sortir ça aussi en France mais je ne suis pas sĂ»r (ça s’avĂ©rera en effet une fausse alerte – nda). Ici on ne m’a rien dit. On ne me dit jamais rien (rires) !

Beaucoup de gens considùrent Steve McQueen comme le chef d’Ɠuvre de Prefab Sprout. Qu’en pensez-vous ?

Disons que je suis conscient que l’album a un bon son. C’est une belle piĂšce sonore. Merci Thomas Dolby (producteur des meilleurs albums du groupe : Steve McQueen, 1985, From Langley Park to Memphis, 1988, et Jordan : The Comeback, 1990 – nda) ! Ma principale pensĂ©e Ă  son Ă©gard c’est que les 5 ou 6 premiĂšres chansons sont vraiment bonnes.

C’est aussi ce que je pense ! D’ailleurs je trouve que l’album ne se relĂšve pas trop de ces 5 premiĂšres chansons qui, du coup de feu de « Faron Young » au cri de frustration de « Goodbye Lucille #1 », forment un sacrĂ© quintĂ©. Pour moi aprĂšs ça, l’auditeur est rincĂ© et le disque comme fini, d’ailleurs les six morceaux suivants font plutĂŽt profil bas.

Ahah, tu penses que c’est ce qui se produit ?

Oui ! En tous cas à moi ça me fait cet effet !

Ça veut dire que tu te remets sans cesse les 5 premiers morceaux  ?

Oui, j’ai tendance Ă  faire ça !

Ahahahahah ! Merci, je comprends ça. C’est trĂšs bien. C’est bien. Pour ma part, j’aime certaines des chansons qui arrivent aprĂšs (et je finirai moi-mĂȘme, aprĂšs plusieurs Ă©coutes, Ă  trouver du charme Ă  cette seconde moitiĂ© du disque, moins rock, plus intime, notamment via les morceaux « Moving the River », « Desire As » et « When the Angels » – nda). En tous cas, je trouve que c’est un disque qui sonne Ă  merveille. C’est notre disque qui se rapproche le plus d’un disque de rock.

Oui, et en un sens ce n’est pas Ă©tonnant. A cette Ă©poque, 84-85, il y avait un grand retour de l’imaginaire fifties et donc de celui des dĂ©buts du rock dans la musique anglo-saxonne. Que ce soit dans le Thriller de Michael Jackson, le Rusty James de Coppola ou dans votre propre Steve McQueen, on retrouvait ces Ă©vocations de gang, bande, de bĂ©canes, de batailles, tout un Ăąge d’or, perdu, renvoyant Ă  des choses comme L’ÉquipĂ©e Sauvage, West Side Story

Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui s’est passĂ©. Je pense que la plupart de ce que j’ai Ă©crit obĂ©issait Ă  mes propres fixettes et fantaisies, des choses qui n’Ă©taient ni trĂšs claires ni trĂšs organisĂ©es. A chaque fois, j’Ă©tais donc incapable d’analyser ce qui marchait dans ce qu’on avait fait. Je n’avais pas de recettes. Et plus on avançait, plus le groupe reflĂ©tait mes lubies. Je pense que je me suis donc petit Ă  petit Ă©loignĂ© d’un son de groupe. Ce que j’ai fait est devenu un peu plus orchestral. Je me suis souvent demandĂ© si je devais me concentrer sur le son du groupe ou sur les sonoritĂ©s plus fantasques que j’avais en tĂȘte. Est arrivĂ© ce qui devait arriver… Je ne vois donc pas Steve McQueen comme le fruit d’un environnement et d’une Ă©poque. J’étais dans mon propre monde.

Mais vu son titre et sa photo de pochette (le blouson, les lunettes noires, la moto, l’amoureuse et le gang), vous ne pouvez pas nier que cet album renvoie Ă  la culture amĂ©ricaine des annĂ©es 50, synonyme de rĂ©bellion et de jeunesse

La photo avec la moto Ă©tait une rĂ©fĂ©rence Ă  l’acteur Steve McQueen, de mĂȘme que les lunettes noires. Oui, ça c’est vrai ! Mais pour ce qui est de la musique, je ne vois pas de liens. Tu sais comment j’ai trouvĂ© le titre de l’album, n’est-ce pas ?

Non.

C’est venu d’un rĂȘve. J’ai fait un rĂȘve avant de faire ce disque. J’ai rĂȘvĂ© qu’un DJ disait : « Voici le nouvel album de Prefab Sprout, il s’appelle Steve McQueen. » C’était un rĂȘve frappant, proche de la visitation. Mais sinon je ne vois pas de lien entre la musique du disque et l’acteur.

Ce qui est marrant c’est que sur cette photo vous vous donner un petit genre bad boy, canaille rock, alors que vous n’avez jamais vraiment fait de rock !

Tu as raison, mais on a voulu s’habiller comme ça, vĂ©hiculer ce sentiment
 Ce que je compose est souvent lisse, brillant, parfois je me saoule moi-mĂȘme avec ça, mais comme je te le disais j’aime aussi des choses plus rugueuses, sauvages, ça me rĂ©veille.

jordan the comeback

Continuons, si vous ĂȘtes d’accord, Ă  lever les mystĂšres qui entoure les titres de certains de vos disques : pourquoi avoir nommĂ© le disque suivant Jordan : The Comeback ?

Une fois plus tout cela est presque venu d’un rĂȘve. J’avais vu un article qui parlait d’Elvis Prestley et qui disait : « Et si Elvis Prestley Ă©tait toujours vivant quelles chansons chanterait-il ? Chanterait-il des morceaux Ă©crits par des gens comme Queen ou George Michael ? » ça m’a fait rĂ©flĂ©chir. Je me suis dit : « Imagine qu’Elvis Prestley n’est pas mort mais qu’il est juste cachĂ© quelque part dans le dĂ©sert et qu’il prĂ©pare son retour. Écrirais-tu des chansons pour lui ? » C’était ça l’idĂ©e. VoilĂ , comme je l’ai dit, beaucoup de mes projets sont basĂ©s sur des lubies, des rĂȘves


Des bouts de phrases, de mots, d’images…

Oui, ça rejoint un peu l’approche de David Lynch.

David Lynch ?!

Oui, parce qu’il s’assoit, boit beaucoup de cafĂ©, mange beaucoup de donuts, plein de sucre, il Ă©crit ses idĂ©es les plus folles et aprĂšs il les organise, leur donne une forme. Quand j’écris, c’est un peu comme ça. Quand une Ă©trange idĂ©e me vient, je me dis : « Pourquoi pas ? », je la suis et c’est comme ça que sans tu finis sans t’en apercevoir avec dix chansons sur Elvis Prestley vivant dans le dĂ©sert. Il n’y a pas de vrai sens lĂ -dedans, c’est une dĂ©marche proche de l’écriture surrĂ©aliste.

RĂ©cemment j’ai relu une vieille interview oĂč vous expliquiez que le texte de la chanson « Jordan » Ă©tait un long monologue fictif d’Elvis


Voilà, c’est ça !

En lisant cela, j’ai repensĂ© Ă  ce que l’écrivain français Michel Houellebecq a dit dans une rĂ©cente interview. Vous connaissez Michel Houellebecq ?

Oui, bien sûr.

Il a dit qu’il rĂȘverait que Brad Pitt Ă©crive un bouquin sur ce que c’est qu’ĂȘtre Brad Pitt mais que c’Ă©tait tout bonnement impossible parce qu’il ne peut justement pas ĂȘtre Brad Pitt, mener la vie de Brad Pitt, avec ce que ça implique au niveau pipole, au niveau de l’image et du cinĂ©ma, tout en ayant le temps et l’acuitĂ© d’écrire sur ce que ça signifie.

Oh ! Il faut que je te le dise : j’ai Ă©crit une chanson sur Brad Pitt.

Sur Brad Pitt ?!

Oui, elle s’appelle « Angelina in 3D ». J’avais lu un article sur lui dans Vanity Fair et chaque ligne me donnait l’impression que l’article criait de vouloir ĂȘtre mise en musique. C’était comme des paroles d’une chanson. Je vais sans doute la mettre sur l’album que je suis en train de faire, parce que ça parle aussi de cĂ©lĂ©britĂ©. VoilĂ , tu y es, tu as mis le doigt dessus ! C’est exactement la mĂȘme idĂ©e que soulĂšve Houellebecq ! Ma chanson parle de ce qu’on doit ressentir quand tout le monde veut vous connaĂźtre et ĂȘtre comme vous. Quand ta vie privĂ©e rejoint l’opinion publique, s’y confond et t’Ă©chappe. C’est une chanson trĂšs simple hein ! Elle n’est pas compliquĂ©e, elle est trĂšs accrocheuse. Et voilĂ , elle s’appelle « Angelina in 3D ». C’est un scoop rien que pour toi (rires) !

Merci !

Pour revenir Ă  Houellebecq, je le connais car j’ai lu Les Particules ÉlĂ©mentaires et j’ai beaucoup aimĂ©.

Moi aussi. Il n’est pas vraiment aimĂ© en France, enfin si, mais disons qu’il divise l’opinion.

Il crĂ©e la controverse, c’est ça ?

Oui. Pourtant je trouve que derriĂšre cette soi-disant absence de style et cette soi-disant misogynie, ce nihilisme, il y a beaucoup de tendresse, de poĂ©sie. Pour moi c’est un vrai poĂšte…

Oui, je vois ce que tu veux dire. J’ai l’impression qu’il coupe les ponts, c’est un bon compagnon.

Pour revenir Ă  Jordan : The Comeback, je dois dire que cet album m’a doublement surpris. DĂ©jĂ , c’est le premier album de Prefab Sprout que j’ai dĂ©couvert et achetĂ© aprĂšs avoir lu une critique Ă©logieuse dans Les Inrockuptibles en 1999, et en tant que fan de basket-ball totalement ignorant de votre son, j’Ă©tais trĂšs intriguĂ© par son titre, je me disais : « Est-ce possible que cet album fasse rĂ©fĂ©rence au retour de Michael Jordan ? »

Ahahah ! Je vois ! Michael Jordan ! Tu Ă©tais donc un fan de basketball ?

Oui, Ă  fond. Et vous ? Car sur Swoon il y a aussi cette chanson :  » I Never Play Basketball Now » 

Je ne regarde pas les matchs Ă  la tĂ©lé 

Mais vous avez pratiqué ?

Oui, quand j’étais enfant, mais j’étais trop petit. Vraiment trop petit. Mais j’aimais ça. J’ai arrĂȘtĂ© et j’ai Ă©cris cette chanson. Je ne sais pas pourquoi j’ai Ă©crit cette chanson mais c’est son titre.

Étrange


Oui, ça l’est. C’est une drĂŽle de façon d’Ă©crire, il suffit parfois d’un dĂ©tail, d’un bon titre, d’une bonne ligne et hop, c’est parti. J’aime ça.

C’est souvent ce qui permet Ă  l’auditeur de rĂȘver, ça crĂ©e des, hum, tĂȘtes-brĂšches


Oui, et c’est souvent ce genre choses qui vous restent le plus longtemps en tĂȘte, ces petites fantaisies de dĂ©part, ce sont elles qui ont le plus d’emprise poĂ©tique.

Avez-vous entendu parler d’un groupe de pop nommĂ© Chairlift  ?

Non.

C’est un jeune groupe de Brooklyn qui fait pas mal parler de lui en ce moment et leur chanteuse a dĂ©clarĂ© que sa « theme song » prĂ©fĂ©rĂ©e Ă©tait « Wild Horses » (sur Jordan : The Comeback).

Vraiment ?

Oui. Elle a mĂȘme prĂ©cisĂ© qu’elle la trouvait « affreusement cool, limpide et cucul la praline ».

Ahah ! Je suis d’accord : je trouve que c’est une chanson plutĂŽt cool. Mais c’est ironique ou ça veut dire qu’elle l’aime vraiment ?

Oui, elle a mĂȘme prĂ©cisĂ© qu’il s’en dĂ©gageait pour elle « une sorte de charme pervers qu’elle adore. » D’ailleurs il en est de mĂȘme dans sa propre musique, donc je n’y vois aucune ironie, elle aime vraiment !

Chairlift, tu dis ? Un groupe amĂ©ricain. Il faut que je me renseigne sur eux. J’irai voir ça.

Je voulais aussi vous parler un peu d’Echo and the Bunnymen.

Oui.

Durant les années 80 on les disait un peu vos rivaux


Ahah !

Il y avait eux, les Smiths et vous !

Ok, je n’avais pas vu cela.

HĂ© bien je vous le dis aujourd’hui : c’était comme ça !

Ahahah !

Contrairement Ă  vous, les Bunnymen Ɠuvraient dans un certain psychĂ©dĂ©lisme, McCulloch citait les Doors…

Est-ce que j’aime les Doors ? Oui. Notamment L.A. Woman et « Riders On The Storm ». J’aime beaucoup la voix de Morrison, trĂšs bonne. Et des morceaux comme « Light My Fire », « The End ». Ils ont fait de bons disques. Évidemment. Mais ça me fait rire que tu passes par Echo and the Bunnymen pour me questionner sur les Doors (rires) !

Je voulais plutĂŽt savoir si vous Ă©coutiez la concurrence Ă  l’Ă©poque, si vous Ă©coutiez Echo and the Bunnymen par exemple…

Non, ce n’était pas du tout mon genre de groupe. Je ne veux pas passer pour un type mĂ©chant mais je ne me prĂ©occupais pas trop d’eux. Je sais juste qu’ils aimaient la mythologie rock. Il Ă©tait pas mal dans le look ce gars (Ian McCulloch – nda), non ? Il aimait paraĂźtre.

Oui, je crois. Pas vous de tout Ă©vidence…

Non, pas vraiment.

Vous préfériez les Smiths ?

Je n’étais pas non plus fan des Smiths, mais une fois je les ai vu sur scĂšne Ă  Newcastle. D’ailleurs, depuis j’ai appris que ce concert Ă©tait entrĂ© dans la lĂ©gende. Et en effet, c’était fantastique.

En quelle année était-ce ?

Je crois que c’était en 1986 dans le City Hall de Newcastle. J’étais lĂ  pour jouer quelques morceaux pour une Ɠuvre de charitĂ©. Et eux aussi. Je n’ai pas trop fait attention Ă  eux mais j’ai trouvĂ© que c’était un super groupe de scĂšne. Vraiment spectaculaire. Et l’atmosphĂšre Ă©tait terrible. Un jour j’ai rencontrĂ© Johnny Marr. Il est venu au studio oĂč je faisais « When Love Breaks Down » avec mon frĂšre (Martin McAlooon, basse – nda). Un gars trĂšs gentil. Je l’ai beaucoup apprĂ©ciĂ©. Ce jour-lĂ , il avait un baladeur cassettes. Il nous a dit : « C’est mon nouveau single. » C’était « William, It Was Really Nothing ». Il me l’a fait Ă©coutĂ©, et j’ai trouvĂ© ça bien, et je trouve que Morrissey est un bon parolier, mais voilĂ , je ne les admire pas plus aujourd’hui qu’Ă  l’époque. Et Ă  l’Ă©poque je ne me prĂ©occupais pas trop des autres groupes anglais.

A quelle musique faisiez-vous donc attention ?

J’étais dans ma propre sphĂšre d’influences.

Beach Boys, Gerschwin, Ravel
 ?

Oui, Ravel par exemple, c’est cela ! Absolument ! Mais j’Ă©coutais aussi Prince et un autre groupe dont j’aimais beaucoup le son sur disque : Scritti Politti.

Je ne les connais pas.

C’Ă©tait le groupe de Green Gartside. En 1985, ils ont sorti un disque intitulĂ© Cupid & Psyche. Ils y utilisaient des ordinateurs, des machines. Je les aime beaucoup. J’aime les arrangements de leurs morceaux. Mais voilĂ , comme je te le disais, au-delĂ  ça je ne m’intĂ©ressais pas trop aux autres groupes anglais. J’ai arrĂȘtĂ© d’écouter ce qui se faisait quand j’ai commencĂ© Ă  faire des disques. J’Ă©tais juste trop occupĂ©. occupĂ©.

Oui, j’imagine que lorsqu’on se lance Ă  faire sa propre musique on doit choisir et en un sens tuer l’auditeur en soit pour mieux laisser la place au compositeur et s’enfermer dans son truc.

Absolument. Et je pensais que j’avais dĂ©jĂ  tellement Ă  apprendre des grands maĂźtres que j’ai cessĂ© d’écouter mes contemporains. Mais oui, j’aime Ravel, bien sĂ»r. Je dirai mĂȘme que c’est la musique que je prĂ©fĂšre.

Dans une chanson de Let’s Change The World With Music, « I Love Music », vous citez aussi Pierre Boulez


Oui, j’ai lu un livre sur lui quand j’étais jeune. J’aime le fait qu’il essayait de dĂ©structurer les lois de la musique. ça m’a donnĂ© d’intĂ©ressantes idĂ©es. Un jour je l’ai rencontrĂ©. Mais il n’aime pas la pop music. Ce n’est pas du tout son truc.

Vous n’ĂȘtes donc pas contre rencontrer vos idoles ! Je dis ça parce que j’ai lu dans une interview que vous n’aimiez pas ou que vous aviez peur de rencontrer vos idoles. Vous disiez notamment cela Ă  propos de votre rencontre avec Paul McCartney….

Oui, c’est vrai. J’étais trĂšs nerveux quand j’ai rencontrĂ© McCartney. Maintenant ça ne m’intĂ©resse plus trop de rencontrer mes idoles quelles qu’elles soient, je serai trop nerveux, mais par le passĂ© j’étais enthousiaste, passionnĂ©, sans peur, orgueilleux donc voilà
 !

Prefab Sprout steve mcqueen band

D’ailleurs, Ă  propos d’orgueil, Ă  la sortie de Steve McQueen, vous auriez dĂ©clarĂ© Ă  la presse : « Je suis peut-ĂȘtre le plus grand compositeur vivant. »

Oui, c’est vrai, ahahahah !

C’est un pic d’arrogance et de vanitĂ© qu’on est plus habituĂ© Ă  entendre de la bouche des frĂšres Gallagher !

C’est vrai ! Mais je me rappelle, je parlais Ă  quelqu’un, je ne suis plus de quoi au juste, mais je crois bien qu’on parlait de tout autre chose que de mon genre de musique, alors Ă  un moment j’en ai eu marre et j’ai dĂ©cidĂ© de dire la chose la plus ridicule qui soit. Je n’ai donc pas dĂ» le dire sur le ton du mec convaincu de ce qu’il disait.

« Every joke is half the truth », comme on dit ! Si vous avez lĂąchĂ© ça c’est que vous le pensiez un peu, non ?

Oui, quelque part oui, absolument, sans oser me l’avouer. Je me souviens : un jour j’en parlais Ă  Mat Snow du magazine Mojo, je lui disais que je n’Ă©tais pas trĂšs bon en interview et je lui racontais cette anecdote, comme quoi en plus c’Ă©tait la seule phrase que le type avait gardĂ© pour son article, et qu’aujourd’hui je la trouve toujours citĂ©e ça et lĂ . Il a ri ! Et il a Ă©tĂ© sympa de ne pas la mentionner dans son article !

Musicalement, avez-vous déjà été influencé par des articles des critiques musicaux ?

HĂ© bien oui, au moins un : l’article de Rollingstone sur Brian Wilson que j’Ă©voque dans le livret de Let’s Change The World With Music. Des articles sur des musiques que je n’ai jamais entendues peuvent m’influencer oui, si c’est bien Ă©crit, si je sens que le type est inspirĂ©, comme pris dans quelque chose de fort.

Et qu’en est-il des articles sur votre propre musique ?

Ai-je dĂ©jĂ  Ă©tĂ© influencĂ© par ce qu’on a Ă©crit sur moi ? Une fois ou deux, j’ai senti que le journaliste Ă©tait plus Ă  mĂȘme de comprendre ce que je fais que je ne le comprends moi-mĂȘme. Une fois ou deux, j’ai lu des choses qui m’ont fait me dire : « Oui, je pense que c’est ça ce que je fais et je n’aurais pas pu le formuler aussi clairement que le journaliste l’a fait. » Je pense que lorsque tu Ă©cris un article tu te dois d’ĂȘtre trĂšs clair dans ce que tu cherches Ă  dire. Quand j’écris une chanson je n’ai pas cet impĂ©ratif, je n’ai pas besoin d’ĂȘtre comprĂ©hensible, je pars d’un point et je ne sais jamais prĂ©cisĂ©ment ce que je veux dire. J’ai donc beaucoup de respect et d’intĂ©rĂȘt pour les gens qui prennent le temps d’Ă©couter un disque et de faire l’effort d’exprimer clairement ce qu’ils en ont ressenti.

En ce moment, en France, un film sur Serge Gainsbourg vient de sortir (Gainsbourg, vie héroïque). Connaissez-vous Gainsbourg et sa musique ?

Je ne connais presque rien de lui. Je sais qu’une journaliste anglaise, Sylvie Simmons je crois, lui a consacrĂ© un livre (A Fistful of Gitanes – nda), mais je ne l’ai pas lu. Penses-tu que son univers musical pourrait me plaire ?

Oui, pas tout sans doute, parce qu’il est allĂ© dans tous les styles, mais certaines choses oui, j’imagine. Lui aussi a Ă©tĂ© influencĂ© par la musique classique, quelques-unes de ses chansons en portent la trace, et c’est aussi un bon parolier…

D’accord.

Et puis si vous ĂȘtes sensible Ă  l’univers de Houellebecq vous devrez l’ĂȘtre Ă  celui de Gainsbourg. Il Ă©crivait beaucoup sur les femmes, l’amour et le sexe…

Oui, j’ai cru comprendre que c’était son sujet de prĂ©dilection !

Vous, j’ai l’impression que vous Ă©crivez souvent sur l’amour mais jamais sur les femmes en elles-mĂȘmes, encore moins le sexe. Pourquoi ?

Je ne sais pas
 J’essaie de voir si ce que tu dis est vrai


Par exemple, malgrĂ© son titre, « Goodbye Lucille #1 » n’est pas une chanson sur une femme…

Non
 Je suppose
 Je ne peux pas rĂ©pondre Ă  ta question tout de suite, je n’ai pas la rĂ©ponse, c’est un sujet sur lequel je vais devoir longuement rĂ©flĂ©chir
 C’est une bonne question ! D’un autre cĂŽtĂ©, je ne pense pas que mes chansons parlent non plus des hommes…

Non, c’est vrai, on dirait que votre truc c’est plutĂŽt de parler de rĂȘves, d’icĂŽnes, de mythes


Ah oui, j’ai d’ailleurs un album en prĂ©paration sur ce thĂšme ! Un disque qui parlera de dĂ©esses  : Ève, la Reine de Saba, Angelina Jolie
 J’ai beaucoup de chansons lĂ -dessus. Elles n’ont jamais Ă©tĂ© entendues mais je les ai.

J’y reviens : de quoi parle donc la chanson « Goodbye Lucille #1 » ?

ça parle du fait d’avoir 21 ans quand on est un garçon. Comme tu l’as dit, ça ne parle donc pas vraiment de cette Lucille.

Je dois avouer que lorsque j’ai rĂ©Ă©coutĂ© Steve McQueen pour prĂ©parer cet entretien cette chanson s’est littĂ©ralement mise Ă  m’obsĂ©der pendant des semaines, notamment ce passage : « Life’s not complete / ‘Til your heart miss the beat » !

HĂ© moi je dois t’avouer que quand j’ai Ă©crit ce texte je l’ai presque fait par-dessus la jambe, comme un truc qu’on jette sans y prĂȘter vraiment de l’importance. Comme si c’était une blague.

Pas mal votre blague ! Merci !

Ce n’est qu’aprĂšs que j’ai rĂ©alisĂ© qu’il y avait lĂ  quelque chose qui valait le coup, qui Ă©tait plus profond que ce que j’y avais vu au dĂ©part. Un auteur ne devrait donc jamais se crisper et prendre trop au sĂ©rieux ce qu’il Ă©crit, mais laisser filer, parce que de toute façon, on n’est pas maĂźtre du truc, on fait les choses d’une certaine maniĂšre et l’auditeur les reçoit d’une autre. Et c’est vrai, quand j’ai Ă©crit « Goodbye Lucille #1 », j’ai vraiment pensĂ© que ce n’était qu’une vulgaire petite chanson, jetĂ©e comme ça mais ce n’est pas le cas. Il semblerait que ce soit une de celles que les gens prĂ©fĂšrent dans notre rĂ©pertoire. Ce n’est pas un hit single mais bon, le Velvet Underground n’a jamais eu de hit single non plus, n’est-ce pas ? Alors ce n’est pas grave (rires) !

Votre chanson qui se rapproche le plus du hit single, c’est sans doute « Car & Girls », avec juste derriĂšre « The King of Rock’n’Roll ». « Car & Girls », il paraĂźt que vous l’avez Ă©crite pour vous moquer de la musique de Bruce Springsteen. Est-ce vrai et si oui, vous a-t-il rĂ©pondu ?

Non, je ne l’ai mĂȘme pas atteint. Il est sur une autre planĂšte, n’est-ce pas ? Mais cette chanson parlait plus des critiques musicaux que de Bruce. ça parlait de savoir si tu as le droit ou non de te moquer des critiques qui considĂšrent la musique avec sĂ©rieux. Parce que, bien sĂ»r, j’aime la musique de Bruce, j’aime particuliĂšrement Born to Run. C’est un trĂšs bel album, super chansons. Donc non, cette chanson n’est pas une attaque contre lui et non, je n’ai pas eu de rĂ©ponse de sa part (rires) !

Bon et pour finir qu’en est-il de vos fonds de tiroirs. Y trouve-t-on d’autres albums en work in progress avec celui sur Michael Jackson, celui sur la cĂ©lĂ©britĂ©, et celui sur les dĂ©esses ?

Oui, j’en ai encore un bon paquet que j’étais censĂ© faire avec le groupe, dont un sur l’histoire du monde, Earth : The Story So Far et un sur l’histoire d’un super hĂ©ros de mon invention, Zorro the Fox. Oui, j’en ai plein. Mais je ne les ai pas complĂštement enregistrĂ©s, ni fini. Ils sont Ă  l’état de brouillon, de parties. Et je n’ai malheureusement personne pour les jouer, Ă  part moi, ma guitare ou mon synthĂ©. Ça va, c’est bon pour toi ?

Oui, j’ai juste une petit derniĂšre question de la part d’une amie musicienne (La FĂ©line). Un de ses morceaux prĂ©fĂ©rĂ©s de Prefab Sprout est « The Guest Who Stayed Forever », la face B de « Goodbye Lucille #1 ». Elle voudrait savoir qui est cet invitĂ© qui reste pour toujours !

Je n’en ai aucune idĂ©e. On nous avait dit qu’il nous fallait des faces B pour un single sur un 45 tours. Et quelqu’un a voulu savoir quels en seraient les titres. Je lui ai donnĂ© 2-3 titres alors que je n’avais pas encore Ă©crit les morceaux. « The Guest Who Stayed Forever », « Old Spoonface Is Back » et « Wigs », j’ai juste notĂ© les titres en me disant : « Quand je serai en studio, je ferai la chanson qui correspond au titre. » Ton amie doit donc en savoir plus que moi sur cet invitĂ© mystĂšre. Passe lui le bonjour de ma part ! C’était bien de discuter avec toi. Merci d’avoir Ă©tĂ© si patient.

Merci Ă  vous. Travaillez bien, j’attends votre « Good Vibrations » !

Oui, je le cherche encore. J’y arriverai peut-ĂȘtre aujourd’hui ! Qui sait (rires) !

smilebeachboys

11 réponses
  1. Aline Nicolas
    Aline Nicolas dit :

    Ma pochette favorite !!!!!! Le brouillard, les arbres nus, la moto, le pull rose de Wendy, le blouson en cuir et la barbe de Paddy! Tout est parfait.

  2. Aline Nicolas
    Aline Nicolas dit :

    Tu parles de l’album des Smiths avec Alain Delon …. C’est le grain de la photo qui donne cette impression

  3. Sylvain Fesson
    Sylvain Fesson dit :

    Le grain de la photo « souligne parfaitement cette correspondance » tu veux dire : il donne Ă  la photo, colorĂ©e de rose et d’un vert sombre, glauque, d’un bleu sĂ©pulcral, son cĂŽtĂ© tombal, funĂ©raire, marmorĂ©en… Romantique quoi 😉

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