SAYEM « A CITY GONE MAD W/ FEVER »


15 août 2011. 14h42. 32e. A Libre, petit village du sud qui tient son nom de la prison qu’il y avait derrière la montagne qui lui fait face car « les évadés la franchissaient pour s’abriter ici même », c’est « l’heure de la sieste » me précise Sayem. C’est là, d’humeur « Liberté, j’écris ton nom » (« Libre, joli nom tu ne trouves pas ? ») dans une ambiance JT de Pernaut que l’auteur d’A City Gone Mad w/ Fever se repose avant la sortie de son disque le 10 octobre prochain. Là, avant le retour à Paris et l’heure de la fièvre qu’il répond à mes questions, retranché derrière son ordi.

Des questions son disque m’en pose plein. Il se présente dialoguant avec une BD du même nom, signé par Artus de Lavilléon, un soi-disant un artiste « au sens plein du terme », « multiforme » que son site dit « très connu de la mode et du skateboard pour ses concept-stores de renommée internationale » et ses mags où explosent « le témoignage brutal de son vécu » et de « ce qu’il a à raconter ». Un mec à particule proche de la scène street-art et qui fait des installations dans les vitrines du Printemps ? Étrange. Jamais entendu parler de ce gars, pas plus que Sayem d’ailleurs.

Ce mec aurait déjà sorti un premier album bien accueilli par la critique et le public, Phonogénique, été remixé par Krazy Baldhead et les Naive New Beaters, officié comme producteur auprès de Cassius et de Miss Kittin, signé des musiques de pub pour Nokia et la coupe du monde de rugby. Sayem ? C’est quoi ce nom ? Black ? Blanc ? Beur ? Et le mec, il est producteur ou compositeur, DJ ou rappeur ? Et son disque, c’est d’abord un disque puis un artwork BD ou une BD puis un disque ? Ah, je me sens un peu paumé dans cette histoire où tout le monde est et fait tout à la fois.

Plus simplement (petit problème de boîte à outils) je galère à décrire le son d’A City Gone Mad. Il y a des beats, des nappes de synthés, du chant parfois, péchu, parlé. Daft Punk ? M83 ? Un peu. Mais de ces drum machines qui pulsent et de ces vieux claviers rétro-futuristes sort une fresque électro planante et inflammable où règnent une rage et un désenchantement qui lui sont propres. Un truc qui estomaque, à la fois stellaire et urbain, électro et hip hop. La clé qui me manque apparaîtra d’elle-même dans les réponses de Sayem, sans que je le voie : DJ Medhi. DJ Medhi ?

Oui, ce gars qui a commencé en 92, à 15 piges, comme pourvoyeur d’instrus du rap français, (Ideal J, Mafia K’1 Fry, Solaar, Rocé, Rohff, 113…) pour finir, guidé par Nova et Pedro Winter (rencontré via Cassius) par virer électro, jusqu’à rejoindre l’écurie Ed Banger (SebastiAn, Justice, Kavinsky, Brodinsky…). DJ Medhi, quoi. Mais tout ça, j’ignorais. On ne m’avait jamais parlé de DJ Medhi. J’apprendrai tout dans le mag qui allait publier une partie de mon entretien de Sayem : le numéro d’octobre-novembre de Snatch, couvant sur DJ Medhi, qui mourra le 13 septembre.

Pas de nécro chez Snatch. Tout avait été décidé et réalisé entre le 14 juin et le 29 août dernier, pour célébrer un héros bien vivant. Mais bizarrement dans ces 18 pages tout respire l’hommage posthume, que ce soit dans le titre du dossier, « Mehdi, Vini, Vici » (« marrant, Gaspard de Justice m’avait déjà soumis cette expression pour en faire le nom d’un de mes futurs albums. Finalement doit bien y avoir une raison. »), l’ampleur du truc, qu’on ne lui avait jamais proposé, le témoignage de ses buddies, débordant d’amitié, d’admiration et hanté par l’idée de départ…

Comme si ça avait été écrit. Comme si ce mec avait dû mourir jeune (34 ans), même connement (d’une chute d’une mezzanine), pour que tout le monde voit enfin qu’il « était un putain de génie » (Vincent Desailly). Qu’on mesure par l’absence ce qu’il avait accompli. Et comme si cette mort venait mettre un coup de projo sur le taf qu’abattent depuis plus d’un an les new challengers de Snatch. Adouber leur credibility. Oui, super boulot, j’aurais aimé être l’auteur de cet entretien (Raphaël Malkin). Bref, du Messiah à Sayem, place aux vivants et à un autre digital performer.

15 août 2011. 14h42. Libre. Sayem « profite de l’air chaud, des oliviers, du chant des cigales ». Il y a trois ans sa vie était « un vaste bordel », son cerveau « un labyrinthe », où les idées n’arrêtaient pas « de jouer aux auto-tamponneuses », une question en appelant une autre, sa vérité se déformant « au rythme de réponses inexistantes. La perte de l’autre, l’importance du choix ou l’incapacité d’en faire ». « Serait-il possible d’être un super héros aujourd’hui ? » Prémonition, paranoïa. A force de « faire pleurer » ses synthés A City Gone Mad w/ Fever est né. On en parle ?

 

« dans ma façon de créer, je me sens proche de DJ Mehdi »

 

 

Bonjour Sayem. A la rentrée tu sors A City Gone Mad w/ Fever, que tu as fini en avril. Comment te sens-tu ? Appréhendes-tu sa réception ? Prépares-tu tes punchlines et suis-tu des cours de media training en vue des interviews que tu vas donner ?
Je suis plutôt impatient de retrouver la tempête parisienne pour y défendre cet album, mais pour le moment je me sens juste bien et fier d’être allé au bout de cette aventure qui m’a pris trois ans. Trois ans intenses, faits de deuils, de réflexions et d’incertitudes, de rencontres généreuses et d’autres douloureuses. Mais à l’arrivée, le voyage a été incroyable, enrichissant. Pour le moment, je ne pense donc pas trop à la rentrée. Ni media training, ni punchlines, vive la spontanéité !

Il y a un mois je ne te connaissais pas. Tu as déjà sorti un disque en 2007…
Oui, il s’appelle Phonogénique, qui se dit d’ « un son agréable à écouter après enregistrement ». Il s’est fait en toute simplicité. J’ai eu le plaisir de le bosser avec des invités comme La Caution et de le faire mixer par Jeff Dominguez (Oxmo, 113, Cassius) dans le mythique studio parisien Plus XXX. Malgré le côté un peu naïf d’un premier album, il a été très bien accueilli par la presse ce qui m’a permis de le défendre sur scène. Une belle petite vie pour un projet sans prétention…

J’ai lu que tu étais aussi producteur. Quelle est ton expérience musicale ?
En fait J’ai 31 ans. J’ai commencé la musique comme DJ à l’âge de 17 ans. A 20 ans GangStarr et Qbert m’ont donné goût au turntablism. Je suis devenu beat maker. Puis DJ Shadow et les Beastie Boys m’ont ouvert à la composition. J’ai fait un certain nombre de remix et de bootlegs. J’ai été DJ, scratché dans un groupe de métal (9 mm) avec qui j’ai beaucoup appris, en studio et sur scène. Et j’ai aussi produit pas mal de titres pour des MC’s de ma ville d’origine Toulouse. Produire me permet de libérer ma façon de créer et de m’ouvrir à toute collaboration. Là-dessus je me sens proche de DJ Mehdi, qui incarne bien ce que j’entends par « producteur » aujourd’hui. C’est-à-dire que pour moi un producteur digne de ce nom se définit plus par ce qu’il fait que par ce qu’il écoute.

Vu que tu es jeune et peu connu, n’est-ce pas casse-gueule de sortir un projet CD + BD comme A City Gone Mad w/ Fever ? Surtout que les disques ne se vendent plus trop…
Casse-gueule ? Peut-être mais qu’importe. Connu ? Ce n’est pas ce que je recherche en premier. Vendre beaucoup ? Non plus. Par contre j’aime l’objet, l’album. Contrairement à de simples EP, il permet de raconter une histoire. Et puis n’est-ce pas en assumant ce qu’on pense et en allant au bout de soi-même qu’on peut obtenir une reconnaissance qui a un sens ?

As-tu galéré pour trouver un label, un distributeur, une promo, tout ça ?
En 2011, trouver des partenaires prêts à soutenir un projet comme le mien était un sacré pari. Dans ce cadre je crois qu’il est assez rare de trouver des professionnels qui assument leurs responsabilités. Mais à situations exceptionnelles personnages exceptionnels. Ils se reconnaitront, particulièrement Thomas, Matt, Primeur, et les filles…

Parlons plus précisément de ce disque. Tu dis qu’il vient de ta rencontre avec un mec qui parlait « de meufs à poil, de skate, de punk et de l’art posthume » sur un plateau de France Culture alors que tu terminais la promo de Phonogénique. Ce mec c’est le dessinateur Artus de Lavilléon. Sans lui tu n’aurais donc pas fait A City Gone Mad ?
Non, car cet album est la bande originale d’un film imaginaire basée sur une BD d’Artus qui, elle, est bien réelle ! M’associer avec lui s’est donc révélé rapidement comme une évidence. Surtout que je suis fan de BD, avec le travail de Moebius, de Margerin, de Crumb, de Tardi…

A City Gone Mad parle d’un monde très noir, urbain. Serait-ce ta vision de Paris ?
Je suis fasciné par les villes car elles renferment partout des mini sociétés. Par exemple, même si j’ai toujours infiniment de plaisir à « redescendre » dans ma ville natale, j’aime Paris car j’ai l’impression d’y fréquenter plusieurs villes. J’aime tout particulièrement le 18e arrondissement. J’habite Barbès, et c’est comme un village où tout le monde se connait, sauf bien sûr la multitude de touristes qui encombrent parfois les trottoirs. Mais cet album ne doit pas être pris au pied de la lettre. Tout y est métaphorique. J’y parle plus de l’humain et de la société que de la ville.

Cette BO m’a tantôt évoqué M83 pour les voix féminines, les nappes de synthés eighties et les bruits de feu d’artifice, tantôt Daft Punk, Ok Computer et Dark Side Of The Moon pour les chœurs angéliques et le thème de l’aliénation. Qu’en penses-tu ?
M83 ? J’adhère. « Moonchild » fait partie du top 10 des morceaux qui m’ont le plus retourné. Daft Punk ? J’apprécie la comparaison mais ce n’est pas un groupe que j’ai réellement écouté. OK Computer ? C’est le seul album de Radiohead que j’aime vraiment. Dark Side of the Moon ? Personnellement chez Pink Floyd je préfère Ummagumma.

Pourquoi avoir mis un titre électro-rap stressant (« Attack Of The 50ft Man », featuring DSL) dans un album qui est finalement très anglophile, lyrique, féminin ?
Je rappelle que l’exercice était de faire une bande originale et que dans tout film des passages stressants trouvent leur place et leur fonction. Je crois que créer des tensions est très important à conditions de les résoudre. D’où l’ordre du tracklisting, qui est à mon sens primordial.

Il déroule une histoire de 24h où samedi succède à dimanche. Pourquoi ?
La BD va dans le sens chronologique alors que le disque va à l’inverse, d’où la citation du poète T.S. Eliot qui se trouve au dos de l’album et de la BD : « Ce que nous appelons commencement est souvent la fin. La fin, c’est l’endroit d’où nous partons »

A City Gone Mad fait intervenir plusieurs voix. A son cœur, on y découvre par exemple la rockeuse Le Prince Miiaou sur « 436 Seconds Of Happiness ». Pourquoi elle ?
J’aime particulièrement cette artiste. Elle a une voix incroyable. Ça m’a amusé de l’amener dans une direction moins rock, et je trouvais ça assez séduisant d’insérer Le Prince Miiaou dans une ville peuplée de super héros.

Tu as dit que ce disque « parle d’une ville peuplée de super héros ». C’est-à-dire ?
Dans mon album, l’idée du super héros est là pour indiquer qu’on a tous un rôle dans la société, que les super héros permanents n’existent pas, que chacun peut être le super héros d’un moment, d’une minute, d’une journée. Et ce qui est vrai du super héros ne l’est pas moins du « super nul ». Personne n’est jamais complètement nul, mais il faut prendre garde parce que chacun peut l’être à un moment donné. Je crois à deux valeurs, l’imagination et la prise de responsabilité, l’action.

Quel est ton super héros préféré ?
En fait, je préfère l’anti héros au super héros. Mon anti héros préféré pourrait être The Big Lebowski ou dans la littérature un certain Bukowski. Mais si je dois parler de supers héros, je dirais que je me sens proche de la série des comics Kick Ass (le film est aussi bon que le comics).

Aujourd’hui avec ce disque  tu affirmes avoir « arrêté les costumes » et commencé à croire à celui que tu es. « Sans rêver. » Quels costumes as-tu arrêté de porter ?
Avec cet album je pense avoir compris qui je suis car en règle générale on se construit à travers le regard des autres et là j’ai ôté tout costume pour n’en garder qu’un, celui qui me définit…

Sayem est un drôle de prénom. Est-ce ton vrai prénom ?
Sayem, c’est mon secret d’enfance, une histoire que je me suis racontée, et me raconte encore…

Pourquoi « sommes-nous Sayem » comme tu le dis sur la pochette du disque ?
Tu me pousses à en dire plus. Sayem est mon super héros d’enfance. Vous dire « Vous êtes Sayem » est donc pour moi une preuve de générosité. Peut-être suis-je présomptueux mais voilà, j’ai fabriqué un super héros, et je vous l’offre !

Vas-tu défendre ce disque sur scène ?
Oui, avec le défi de décliner un disque électronique sur scène. Et comme je n’aime pas y être seul derrière un ordinateur je me suis entouré d’une chanteuse et de musiciens. Plutôt que d’en parler, il vaut mieux voir et entendre…

 

 

Sayem est en concert ce vendredi 21 octobre de 19h15 à 19h45 à Paris 18e dans le cadre du MaMA Festival.

1 réponse
  1. sylvain
    sylvain dit :

    Arcade Fire ? Ah je ne vois pas. Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
    Pour ce qui est de Air je trouve qu’ils n’ont pas mal fini.
    Leur dernier album Love 2 est très beau.

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