LALAFACTORY : « 1 PUIS 2 »

18 juin 2012. 23h. 18e arrondissement de Paris. Péniche Antipode. « Même moi en indé, je ne peux rien pour eux » finit par me dire William, au sortir du concert de LALAfactory. Je comprends. Il travaille comme attaché de presse web pour la structure Spöka. Et oui, même lui qui a aimé et reconnu pendant plus d’une heure toute la valeur et la singularité du duo, doit se rendre à cette cruelle évidence : ils sont tellement ailleurs, radicaux, libres, qu’il ne se verrait pas les bosser. Il essaie de trouver les mots, se raccroche aux branches, se prête au jeu des comparaisons, me cite L et Del Cielo, moi Dominique A, Mansfield Tya mais c’est pareil, je sèche. En un sens, Julie Gasnier (chant, synthé) et Daniel Valdenaire (guitare) éclatent la concurrence parce qu’ils ne sont pas sur l’échiquier de la concurrence. Ils ne répercutent pas ces petits trafics d’influences qui font l’ordinaire de la pop et font qu’on s’attire des alliés, des relais et, pour tout dire, parfois, maquer. Ils sont de la trempe (en gros) d’Elli et Jacno, des Rita Mitsouko. Ils ont leur propre univers, qui dépasse le strict cadre de la musique, et fascine d’autant plus qu’il existe sans rien demander à personne.

Cinq jours plus tard le magazine Trois Couleurs acceptera que je leur rédige une chronique sur leur premier album auto-produit (1 puis 2) et je retrouverai Daniel dans une brasserie en bas de chez moi pour parler de tout ça le temps d’un café (puis 2). Du temps écoulé depuis notre premier contact (il y a 8 ans), de son parcours, du fait que contrairement à ses potes dont certains sont devenus guitariste de session « pour la variété française » ou Bashung, « le haut du panier », lui a le temps de développer son « projet artistique » car « Il n’y a pas de secret, il faut du temps et de l’énergie pour ça ». Et si le duo qu’il forme avec Julie existe encore après 14 ans d’underground le plus total (plus « under », tu meurs, six feet under), c’est parce qu’elle comme lui n’ont jamais voulu d’un gagne-pain qui leur prenne tout leur temps et leur énergie. Comment ne pas les comprendre, ne pas résonner avec ce « sacerdoce » ? Durant toutes ces années, notamment les dernières, je n’ai pas fait autre chose en tant que journaliste freelance, pop-writer / inter-viewer. Daniel finira par me remettre cinq exemplaires de leur album. Pour faire tourner. 1 puis 2 puis 3 puis…

Quelques jours plus tard on conviendra d’une interview par mail avec eux pour Parlhot. Quelques jours plus tard paraîtra ma chronique de 600 signes sur ce duo « acid pop » qui « œuvre dans l’indépendance la plus totale, sans label, même indépendant, depuis 98 » avec leur musique « Goldfrappée de vocalises et de crevasses » qui fascine tant elle semble ne devoir rien à personne si ce n’est, peut-être (et encore) au « Courage des oiseaux ». « faute d’apparaître / regarder par la fenêtre / être peut-être au monde / à faire partie du nombre / faute de reconnaître / jeter les yeux par la fenêtre / être sans être une ombre / comment faire partie du monde / (…) / toute vie demeure armée / un puis deux nous ont dénoncé / notre amour est morcelé / toute vie demeure armée / tout s’enchaîne à suivre à jamais / qui a donné l’ordre d’arriver » chante Julie dans le morceau qui donne son titre à leur nouvel album. Oui, une vie armée, pas que de patience, et qui s’ouvre. « Ils cherchent un distributeur. Is there anybody out there ? » lancerai-je dans ma chronique timbre poste. En attendant, je suis sûr que William pense parfois à eux. Qu’il n’a pas oublié ça, LALA.

 

« Do You Love Me ? »

 

 

Bonjour Julie, bonjour Daniel. D’où venez-vous ?

J : Géographiquement ? De Paris.

Quand et comment vous êtes-vous rencontrés ?

J : Autour de 1998. J’avais commencé le projet LALA avec un bassiste, et Daniel nous a rejoints. Cette formule en groupe a duré quelque temps, avant qu’on se retrouve tous les deux.

Pourquoi rester à deux ?

D : Ce qui a été une contrainte nous a obligés à trouver des solutions musicales qui sont devenues une part importante de notre identité. Jouer avec d’autres musiciens tout en préservant cette identité musicale n’est pas facile, je crois qu’il nous faudrait trouver des « oiseaux rares » ou alors cela deviendrait un tout autre projet, avec un autre nom, etc.

J : C’est précieux une relation artistique. On y tient mais ce n’est pas fermé. On peut toujours rencontrer un autre musicien mais ça changerait certainement beaucoup les équilibres.

Êtes-vous amis ?

J : Euh, beaucoup plus, un peu moins.

D : Oui, évidemment, mais nous partageons cette activité artistique qui est au premier plan.

Qu’elles sont vos expériences musicales avant LALA ?

D : Beaucoup de guitare seul évidemment, quelques années à jouer des reprises dans des clubs.

J : Mon premier groupe était une formation plutôt pop folk en anglais, avec deux chanteuses, quelque chose de très vocal et très jouissif.

Trouver son écriture est une chose, trouver sa voix (et tu en as une Julie), c’en est une autre ?

J : Ça va ensemble. C’est beaucoup la langue et l’écriture qui commandent la voix. Je chantais très différemment en anglais.

Les jeux de mots, est-ce à consommer avec modération ?

J : Oui et non. Jeux de sons, jeux de sens. Plus que des jeux de mots à proprement parler, c’est la multiplicité des interprétations qui s’impose dans mes textes.

Les textes d’1 puis 2 sont très écrits, formels. Les publierais-tu tels quels s’ils n’avaient pas d’écrin musical ?

J : Je ne crois pas. Et comme ce sont des chansons, on peut toujours les lire dans le livret !

Daniel, LALA n’est pas un projet « rock ». Comment un guitariste y trouve-t-il sa place ?

D : Je ne me définis pas comme un « guitariste de rock », je joue de la musique et il se trouve juste que mon instrument est la guitare et que ma culture est avant tout la musique populaire anglo-saxonne, blues, folk, pop, rock, jazz, etc.

Comment avez-vous découvert la musique ?

D : Écouter, lire, entendre : aux hasards de la vie.

J : C’est la musique, la poésie qui nous découvre.

Comment composez-vous ?

D : Pas de règle, tous les cas de figure existent.

J : ça dépend des morceaux. On fait surtout n’importe quoi, on s’amuse, on cherche des couleurs, on improvise beaucoup. Après on suit, on construit.

Combien avez-vous de concerts et de chansons à votre actif ?

J : Peut-être 40 concerts dont quelques premières parties, notamment de Jipé Nataf, 70 chansons dont une quarantaine enregistrées faisant l’objet de compilations multiples et artisanales comme Une éponge, l’autre, vendues lors de nos concerts et un album auto-produit, 1 puis 2.

En 12 ans d’existence c’est peu. Pourquoi si peu ?

J : Si peu ? Nous sommes sûrement dans un rythme un peu parallèle. On ne se préoccupe que de musique et de poésie alors pour le reste les choses vont comme elles peuvent.

D : Pour les concerts, ne tournant pas et n’ayant pas de programmation radio, si nous jouions toutes les semaines à Paris nous ne pourrions pas faire venir un public nouveau à chaque fois.

Y a-t-il un morceau à part dans votre répertoire ?

J : Non, chaque morceau est une aventure.

D : Il y a, je pense, plusieurs registres dans ce que nous faisons mais un morceau sortant de cet univers, je ne vois pas. En même temps c’est une appréciation plus facile à porter de l’extérieur.

De par son onirisme et son évidence mélodique, je trouve qu’« uniQ » est comme le « tube » de votre répertoire. Qu’en pensez-vous ?

D : Non, je suis incapable de créer des hiérarchies entre les morceaux, ils sont là, ils s’imposent, chacun à leur manière.

J : Difficile à dire. Une fois terminés, les morceaux appartiennent à ceux qui les écoutent.

 

Ecrivez-vous pour d’autres ?

J : J’ai écrit une partie de la musique de plusieurs créations de la Cie Kivitasku.

D : Non.

De quoi vivez-vous ?

D : Je vis pour moitié de cours de guitare et pour moitié de mon activité d’infographiste freelance (retouche photo et 3D).

J : De ce que je nourris, LALAfactory, mais aussi de la compagnie Kivitasku, une compagnie de danse contemporaine dont je fais partie depuis une dizaine d’années. Et puis la poésie, le dessin (certains sont visibles sur leur site et d’autres sur celui d’ Arte – nda), la gravure (certaines furent exposées dans une petite galerie à Belleville – nda). Bref de projets artistiques. Matériellement, c’est pauvre.

Julie, est-ce de la danse que tu tires ta présence scénique ?

J : Oui, et peut-être de mon expérience de comédienne. La question de la présence est centrale dans mon travail.

Quelle est ton « expérience de comédienne » ?

J : J’ai reçu une formation théâtrale et j’ai joué dans différentes compagnies pendant 10 ans il y a 10 ans. Depuis la danse à pris le dessus mais il m’arrive encore de jouer dans des projets, ponctuellement.

En quoi la « question de la présence » est-elle centrale dans LALAfactory ?

J : Par exemple dans le maquillage que je porte, dans la nécessité d’une légère théâtralisation, d’une distance, d’une ambiguïté dans l’image, d’interroger cette notion de présence à soi, à l’autre, à l’instant. La scène convoque la présence de chacun. Je souligne.

Sur disque vous sonnez plus « ligne claire », moins « indus » que sur scène. C’est un choix ?

D : Les morceaux en concert ne fonctionnent pas de la même manière que sur CD, le « live » favorise l’énergie, le minimalisme, l’expression.

J : Autre temps, autres possibles, autre énergie.

Quel est votre rapport à la pop ?

J : A la pop en particulier ? Je ne sais pas, j’en ai beaucoup écouté ! Peut-être un goût prononcé pour les motifs mélodiques, les riffs, les chœurs, les contre chants, la basse, la guitare électrique, le clavier analogique, bref le son. On sonne certainement plus pop que chanson française !

D : Les appellations musicales sont parfois pratiques. Nous concernant, c’est souvent un peu difficile de nous définir. Un temps, faute de mieux, nous utilisions l’expression « acid pop ».

Quels sont vos groupes ou disques fondateurs ?

D : Je n’ai jamais intégralement aimé un style, un artiste ou un seul disque. J’aime des chansons dans tous les styles, et ce, depuis l’enfance. Ce qui fait une succession de noms improbables : Muddy Waters, Mozart, ZZ Top, Miles Davis, Brassens, Satie, les Stones, Weather Report, Ravel, Neil Young, Chet Baker, Nino Rota, John Lee Hooker, Thelonious Monk, etc.

J : Un truc qu’on aime tous les deux ?! « Do You Love Me ? » sur l’album Let Love In de Nick Cave !

A part un clin d’œil textuel au « Aline » de Christophe et au Fantaisie Militaire de Bashung vos morceaux trahissent peu d’influences. En avez-vous conscience et cela vous coûte-t-il  beaucoup de parvenir à cette désintoxication ?

J : La logique d’un morceau est une sorte de chemin intérieur. On n’a pas tellement de visibilité, on ne situe pas les choses. Du coup les influences, même si elles sont nombreuses, comme pour tout un chacun, opèrent de façon souterraine.

A y réfléchir, je vois une petite parenté entre votre « acide pop » et l’ascétisme musical pratiqué par Dominique A en 92 sur La Fossette, son premier album. A tort ou à raison ?

D : Je vois le parallèle qu’on peut faire : poésie, mélodies sur motifs et musique minimaliste… Mais quand on creuse un sillon (comme Dominique A !) je ne crois pas qu’on réagisse tellement à son époque en terme d’influence, on vibre sans doute avec, mais la source est plutôt dans les racines de l’enfance…

J : Je connais très mal (à tort).

J’ai vu qu’on vous comparait parfois à ce que font Camille, L et Del Cielo. Vous sentez-vous « proche » de ces projets-là ou vos jumelages sont-ils plutôt « hors sol » ?

J : Oui plutôt « hors sol ». Cela dit j’aime beaucoup le premier album de Camille.

D : Mais comme dit précédemment, il me semble que, vivant la même époque, on peut trouver chez les uns ou les autres des résonances, des éléments de vocabulaire.

Connaissez-vous le groupe La Féline ?

D : Un peu, j’ai découvert La Féline par un ami musicien (Stéphane Bellity). J’aime bien les ambiances oniriques sur les titres en français.

J : Oui j’aime, mais je ne les ai pas encore vus sur scène.

Qui vous soutient ?

J : Essentiellement des amis dont JP Nataf et Armelle Pioline qui nous font jouer régulièrement et François Lozet qui, avec son association Harpo, nous aide dans tout un tas de démarches depuis quelque temps pour faire connaître notre travail.

Qui est François Lozet ?

D : François, comme nous, échappe sans doute échappe un peu aux classifications. Des indices tout de même : auteur, musicien, producteur même, puisque après cinq albums, Harpo est passée de structure soutenant des artistes à un statut, et une activité de label indépendant.

Avez-vous des contacts avec des labels ?

J : ça commence un petit peu.

D : Nous nous en occupons en ce moment mais c’est nouveau car nous n’avons jamais vraiment considéré par le passé que c’était une priorité.

Pourquoi ? Un groupe peut-il se passer d’un label, même indé ?

D : Ce n’était pas une priorité dans la mesure où ce qui a toujours été premier pour nous c’est « faire » notre musique… Mais bien sûr avoir sa musique sur un label donne sans doute une sorte de légitimité vis à vis des médias et aide par exemple à trouver une distribution, ce qu’on espère avoir pour cet automne.

Où peut-on écouter et acheter votre nouvel album ainsi que les précédents ?

D : Les titres du dernier album sont en vente en ligne sur Vibedeck via notre page Facebook Lalafactory. Sinon, nous les vendons lors des concerts.

Comment avez-vous vécu ce concert à l’Antipode ?

Julie : C’était bien ! C’est rare et précieux pour nous de pouvoir jouer un long set avec cette qualité d’écoute. On vient jouer sur L’Antipode depuis plusieurs années. C’est un petit théâtre, ce qui nous va bien. Et puis on joue peu donc on est toujours content !

Daniel : C’est toujours un plaisir de jouer et de faire entendre ou découvrir ce que nous faisons. Les retours que nous en avons eus nous laissent d’ailleurs penser que c’était une soirée réussie. Nous étions ravis de pouvoir vendre à cette occasion notre dernier CD autoproduit.

Quel est votre meilleur souvenir lié à LALA ?

J : C’est le présent qui m’intéresse.

D : Oui, à venir !

Et le pire ?

J : Pas plus.

D : Être allé jouer dans des clubs à Berlin au moment de la coupe du monde de foot de 2006 parce qu’on préfère que le public soit concentré sur le concert et pas devant des écrans géants retransmettant des matchs de football !

LALA, est-ce un nom porte-bonheur ?

D : Peut-être, puisque nous continuons à faire de la musique.

J : Oui, pourquoi pas ? En tout cas c’est une histoire qui dure et maintenant qu’on s’appelle LALAfactory j’ai l’impression qu’on ne l’a pas choisi et ça n’est pas désagréable !

Vous n’avez pas choisi de vous appeler LALAfactory ?

J : Non, au départ on s’appelait juste LALA et LALAfactory était le nom de notre site.

Qu’écoutez-vous en ce moment ?

J : Le dernier album d’Arlt et le prochain de Ms Jones.

D : Un peu de tout, mais du jazz essentiellement.

Dernier coup de cœur ?

J : David Lafore, je ne connaissais pas.

D : Billie Holliday.

Quelles sont vos projets ?

D : Notre prochain concert, le 12 octobre, au Café de Paris, en compagnie de Ms Jones.

J : Et un nouveau nouvel album, qu’on aimerait sortir très vite, dans moins d’un an.

D’où ce titre, 1 puis 2 ?

D : Non, c’est juste une coïncidence liée au double sens du titre de la chanson !

J : Mais j’aime bien cette idée car, plus largement, le titre de la chanson peut faire écho au duo : polarité, altérité, temps, mouvement. Enchaînement !?

(MAKING OFF.)

Crédit photo n°2 :  Ridha Dhib