JEAN-LOUIS COSTES : L’ART BRUTAL (1)

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20 dĂ©cembre 2006. 19h15. Saint-Denis, banlieue nord de Paris. « Je l’ai achetĂ© 400 euros en occase, ça va ? », me demande Costes, Ă  propos du MacBook qu’il vient de poser ailleurs pour me servir un bol de thĂ© chaud. Il y a peu de choses chez lui  : un mĂ©lange d’ascĂ©tisme et de taudis. Enfin, « chez lui » : ici c’est juste sa cuisine. Sa petite cuisine. Il y cohabite et se fighte (club ?) en toute libertĂ© avec ses « dĂ©mons ». De l’autre cĂŽtĂ© de ces 30mÂČ, derriĂšre ce mur, vivent sa femme et sa fille, un autre lui, le domicile familial (les oiseaux se cachent pour chier). Il a rachetĂ© cette maison pas cher Ă  un proprio qui possĂ©dait toutes les baraques bordant le canal Saint-Denis. Il dit ça et je vois qu’il ne s’est rien servi lui, qu’il est comme captivĂ© d’avance par la discussion qui s’annonce. Dans les starting block.

La rencontre s’est faite du jour au lendemain, sur un simple coup de fil, et il m’a d’autant plus proposĂ© de faire ça vite qu’il partait le lendemain au Canada pour dĂ©buter la tournĂ©e de son nouveau spectacle, Les petits oiseaux chient (« La la la la lee… »). Mais c’est l’idĂ©e de parler de bĂȘtise qui l’a sĂ©duit. Je l’ai senti au tel, ça a fait tilt. J’avais prononcĂ© le mot magique. Et il avait faim de ça : parler de sa « connerie ». Parce qu’il trouve lui-mĂȘme qu’il fait ni plus ni moins des conneries. C’est comme si je lui avais dit : « M’sieur Costes, je vous ai compris ». On est donc dans sa grotte pour parler de ça et de tout ce qui s’en suivra (connerie et puis crotte). Oui, mĂȘme pipi-caca. (D’ailleurs Ă  l’Ă©poque les Ă©ditions Hermaphrodites ressortaient Viva la Merda.) Et je sens Ă  son air qu’il y aura des sĂ©quelles.

« avoir l’air con, c’est pire que d’avoir l’air sadique ou nazi »

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Bonjour Jean-Louis. Puisqu’on est lĂ  pour parler bĂȘtise, mettons direct les deux pieds dedans : comment parvient-on, comme toi, Ă  accepter de faire des choses qu’on trouve « bĂȘtes » ?

Mon problĂšme c’est que je trouve mauvais tout ce que je fais. Surtout, je me trouve nul et con de base. Je me regarde dans un miroir, c’est mauvais, j’enregistre ma voix sur magnĂ©tophone, c’est moche, et je me suis aperçu que j’avais tendance Ă  effacer tout ce que je faisais. Ce que font beaucoup d’artistes. Je me suis donc dit : « Il faut bien que tu avances quand mĂȘme, alors laisse-toi aller, garde un peu tes conneries, tu les trieras plus tard. Car trois ans plus tard, ce ne sera plus vraiment toi dont la chanson parlera donc tu rĂ©agiras un peu comme n’importe qui d’extĂ©rieur et elle pourra mĂȘme te toucher. » Et c’est comme ça que je me suis aperçu que les trucs les plus cons Ă©taient les meilleurs.

Mais en gĂ©nĂ©ral c’est plutĂŽt l’inverse qui se produit : sur le coup on croit qu’on fait quelque de chose de gĂ©nial et quand on le regarde quelques annĂ©es plus tard on trouve que c’était de la merde parce qu’on a grandi et qu’avec le temps on a rĂ©ussi affiner son style


Bah voilĂ , moi je ne fais pas ça, je ne travaille pas mon style. La seule maniĂšre que j’ai trouvĂ©e pour avancer et conjurer le sort qui est le mien c’est de foncer dans le tas ! Je me laisse aller Ă  faire quelque chose qui me parait mauvais. Mais je le fais Ă  fond, j’avance avec une certaine peur et un certain dĂ©goĂ»t du truc. Mais maintenant, avec l’expĂ©rience que j’ai, je suis de plus en plus sĂ»r de faire un truc bien. Je ne peux pas te dire quelle sera la prochaine mauvaise direction oĂč je vais aller – parce qu’il y a des milliards de cases dans le cerveau, donc des milliards de maniĂšre d’aborder le rĂ©el – mais je sais que cette direction sera la bonne. Plus c’est con, plus c’est intĂ©ressant : c’est lĂ  qu’il faut aller. Par exemple, quand je fais une chanson sur les oxyures qui s’appelle « Miam, miam les oxyures », pour moi c’est la chanson la plus con que j’ai jamais faite, il n’y a sĂ»rement pas de quoi faire un disque complet sur un sujet aussi con que les vers intestinaux, mais si tu rentres lĂ -dedans, dans le systĂšme intestinal, tu dĂ©couvres un sujet passionnant que personne n’a jamais abordĂ©. Pareil pour la merde.

Oui, d’ailleurs la merde c’est souvent ce qu’on sort pour te dĂ©crire Ă  ceux qui ne te connaissent pas, « Costes c’est le gars qui fait des spectacles oĂč y’a du caca… », comme si c’Ă©tait ta spĂ©cialitĂ©…

Je ne fais pas que ça, mais il suffit de faire 1% de ton Ɠuvre sur la merde et ça y est, pour les journalistes tu ne parles que de ça (il doit sans doute repenser au portrait de 4e de couv que LibĂ© lui avait consacrĂ© Ă  la sortie de son deuxiĂšme roman, Grand-PĂšre, article dont le titre, Le Roi du Caca, avait sans doute compromis ses chances de devenir un auteur un peu plus mainstream – nda). Mais, trĂšs bizarrement, non seulement ils ne te parlent que de merde, mais en fait dans le mĂȘme temps ils n’abordent pas vraiment le sujet. C’est un truc de fou : ils se contentent de ricaner sur le cĂŽtĂ© pipi caca ! Ils n’abordent pas ça comme un vrai thĂšme. Mais bon, le caca ce n’est qu’1% de ma production. Dans le tas, il y a aussi une chanson d’amour, 2-3 chansons sur le meurtre, une chanson sur le racisme, une sur la gauche et la droite, il y a de tout en fait ! Tout et rien. Je parle mĂȘme de la cuisine japonaise !

Disons que la merde est peut-ĂȘtre un thĂšme difficile Ă  creuser pour un journaliste car c’est un sujet tabou et ultra spectaculaire en soi


Oui, au bout d’un moment j’ai effectivement compris que c’était un Ă©lĂ©ment spectaculaire que je pouvais utiliser dramatiquement dans un spectacle. Parce qu’aussi mauvais que je sois ce jour-lĂ , la merde fera toujours son effet. Le caca c’est le caca, tu n’as pas besoin de t’agiter, tu le sors, c’est bon, ça ne te demande pas d’Ă©nergie.

A quel moment as-tu rĂ©alisĂ© que tu n’avais pas de « talent » ?

J’ai toujours pensĂ© ça. Je ne sais pas d’oĂč ça vient. A l’école, je ne pouvais pas sortir avec une fille, car j’avais peur de ne pas bander donc ça faisait tout foirer ! Aujourd’hui ça continue. C’est pareil dans ma production : je pense toujours que je n’arriverai pas Ă  faire un autre disque, un autre livre


Pourtant, des disques et des livres, t’en as sorti un paquet !

Oui, c’est Ă  vomir, c’est de la folie, de la diarrhĂ©e ! Ma production me dĂ©passe tellement que je n’arrive plus Ă  suivre et sortir des disques. Mais en mĂȘme temps c’est une drogue : si j’arrĂȘte, j’ai envie de me suicider car je dĂ©pĂ©ris directement. Je rajeunis si je fais une tournĂ©e, alors que je ne devrais plus faire ça depuis longtemps. Mais voilĂ , la connerie c’est mon bain de jouvence ! Peut-ĂȘtre parce je rentre dans des Ă©lĂ©ments primordiaux, merdiques et ça me dĂ©tend. Ça me fait rire et ça me fait plaisir. Quand tu te vautres dans la merde, aprĂšs t’es propre. Physiquement et mentalement. C’est comme un mec plein de sueur qui se prend une bonne douche aprĂšs une bonne fatigue, il se sent bien aprĂšs, il se sent lavĂ©, alors qu’il Ă©tait couvert de boue. Quand tu te couvres avec de la vraie merde, sur le coup tu te dĂ©goĂ»tes mais aprĂšs t’ĂȘtre douchĂ© tu te sens VRAIMENT propre. PROPRE. Tu sais ce que ça veut dire que d’ĂȘtre bien propre, bien savonnĂ©. C’est vraiment un plaisir. Tu te sens purifiĂ© ! Je pense que ce serait bien que tout le monde passe une heure Ă  se vautrer dans sa vraie merde. J’irais mĂȘme jusqu’à dire que c’est bon pour la santĂ©. Moi c’est un peu pour ça que j’ai construit une philosophie complĂšte autour de l’apologie de la merde !

Ton livre qui s’intitule Viva la Merda, il parle de ça ?

Non, ça parle du contraire parce que c’est l’histoire d’un mec – typiquement moi – qui veut bien chier sur sa copine quand il bande, mais que ça dĂ©goĂ»te quand il a dĂ©bandĂ©. C’est l’histoire d’un couple anormal qui dĂ©rive totalement. Un jour, ils sont au bord de l’autoroute, il n’y a pas d’air d’autoroute, la nana s’arrĂȘte pour pisser et lui ça le fait bander donc il la saute. Le mec rentre donc Ă  fond dans ses obsessions, mais la fille s’en fout, elle accepte juste pour lui faire plaisir. Le problĂšme c’est que le mec s’enfonce lĂ -dedans et comme moralement il n’assume pas ses obsessions, dĂšs que des gens le voient faire, il se sent grillĂ© et il commence par taper sa copine tellement il se sent mal puis il se met Ă  tuer ces gens. Finalement, plus il chie plus il tue. Mais tout ça arrive uniquement parce qu’il croit qu’il a fait une chose immorale en chiant sur sa copine. Il croit que c’est un crime. Et c’est ce que sous-entend plus ou moins tout le monde. Moi je suis pareil que ce mec-lĂ . Hors de mes dĂ©lires, je suis super moraliste et rĂ©actionnaire.

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Comment en es-tu venu à te confronter concrÚtement à ta merde ? 

Le truc, c’est que quoi je fasse, les gens me disent que c’est de la merde. C’est de lĂ  que c’est venu. Parce que t’en viens Ă  te dire : « Ah ouais, moi je fais de la merde ? HĂ© bien je vais te faire un show complet sur la merde, avec des chiottes et tout ! » (en fait de merde, dans ses spectacles il utilise un mĂ©lange d’Ă©pinards et de crĂšme Mont Blanc au chocolat – nda) C’est comme les vers intestinaux, c’est super intĂ©ressant ! Tu pourrais passer ta vie entiĂšre Ă  parler concrĂštement de la merde, ce que je ne fais pas, contrairement Ă  ce qu’on dit. Comme je suis assez Ă©clectique, je n’insiste pas lĂ -dessus, mais j’ai bien vu qu’il y avait lĂ  une niche commerciale de malade ! Comme tout le monde, je trouve que la merde est un sujet trĂšs con. Je ne suis pas un gĂ©nie, je suis un mec trĂšs con. Je veux dire : je n’ai pas d’intuition et je n’ai pas rĂ©volutionnĂ© la musique Ă  douze ans et demi. Moi je voulais jouer du Deep Purple Ă  la base, tu vois le genre ? J’ai dĂ©rivĂ© par manque de talent. Mais c’est ça qui m’a permis d’ĂȘtre meilleur. C’est trĂšs con ce que je dis, mais c’est ça. C’est par manque de talent que j’ai trouvĂ© du champ, par la saturation du son. Assez vite j’ai compris qu’il y avait des trucs Ă  faire lĂ -dedans, que je pouvais me servir d’une certaine maladresse. Parfois c’est une fausse note qui te permet de faire un truc gĂ©nial et bien, pour moi, la merde c’est pareil, c’est tout ce qui est chaotique, imprĂ©vu et qui gĂ©nĂšre le plaisir dans le cerveau. Tout ce qui est violent et qu’on n’a pas le droit de dire me fait plaisir.

Et ça t’attire des ennuis : depuis 1997, t’as quatre procĂšs aux fesses. OĂč en es-tu de tout ça ?

Les mecs sont super tenaces, ils savent trĂšs bien que je ne suis pas raciste et ils savent que je sais ça. La Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme – nda), tu crois que c’est quoi ? C’est des spĂ©cialistes, ils ont des dossiers sur les nazis, ils savent oĂč sont les milieux extrĂ©mistes en France. Ils font beaucoup de procĂšs. La plupart des procĂšs d’opinion en France, c’est eux qui les font.

Et ils te font un procĂšs alors qu’ils savent que tu n’es pas raciste ?!

Bien sĂ»r. Bon, peut-ĂȘtre que pendant cinq minutes un des mecs a cru ça, c’est possible, aprĂšs tout il ne me connaĂźt pas. Mais bien sĂ»r qu’ils le savent, ils l’ont dit, ça a mĂȘme Ă©tĂ© enregistrĂ© dans une Ă©mission de tĂ©lĂ© locale


Alors oĂč est l’intĂ©rĂȘt de t’attaquer en justice ?

Ah, ça, il faudra leur demander ! En fait, il y a un intĂ©rĂȘt qui fait partie d’une stratĂ©gie globale et qui consiste Ă  s’attaquer aux faibles pour faire jurisprudence. Parce que sous prĂ©texte que je dis pipi caca, ils pensent que je ne sais pas aligner deux mots et que je suis complĂštement dĂ©bile. Donc ils se sont dits que j’étais une bonne cible et ils se sont mis Ă  me matraquer pour faire jurisprudence. D’appel en appel, l’affaire est partie en couille, ça a durĂ© dix ans, j’ai perdu quelque chose comme 150 000 francs et au bout du compte mon avocat n’avait mĂȘme plus envie de me dĂ©fendre. Et le problĂšme quand tu es dĂ©signĂ© comme un mĂ©chant, c’est que des mecs qui veulent jouer les justiciers se mettent Ă  te suivre dans la rue pour te casser la gueule. Je me suis retrouvĂ© dans une histoire de fous Ă  cause d’une affaire d’extrĂ©misme dont je n’ai rien Ă  foutre ! Je ne sais pas qui a raison et je ne veux pas le savoir ! Ça ne me concerne pas leurs problĂšmes. Moi je fais mon truc et ça m’occupe dĂ©jĂ  bien.

Comment ton image Ă©volue-t-elle ? Tu es toujours l’objet de malentendus ou ces gens commencent Ă  te laisser tranquille ?

Je ne sais pas comment Ă©volue mon image auprĂšs de ces gens mais maintenant ils s’intĂ©ressent plus Ă  des artistes engagĂ©s politiquement comme Alain Soral et DieudonnĂ©. Parce que eux c’est des artistes. Quoique pour DieudonnĂ©, je ne sais pas. Mais dans ses sketchs il tient des discours engagĂ©s et en interview il n’hĂ©site pas Ă  dire que son Ɠuvre est une maniĂšre d’exprimer sa vision du monde. Moi, ce n’est pas mon cas ! Je ne suis pas un artiste engagĂ©, je suis Ă  mort contre l’art engagĂ©, mĂȘme si je peux comprendre que des gens aient un engagement et qu’ils veuillent l’affirmer quand bien mĂȘme ce serait scandaleux. Chacun peut croire et penser ce qu’il veut, pour moi ça ne pose pas de problĂšme. Mais avoir un discours politique, une vision du monde ou une esthĂ©tique prĂ©alables Ă  une Ɠuvre, lĂ  je suis contre. Ça revient Ă  se brider. Moi, c’est en faisant le truc moi-mĂȘme que j’apprends quelque chose sur moi, au niveau esthĂ©tique et au niveau du sens. C’est en disant des conneries. ForcĂ©ment. Pour ne pas dire de conneries, il faut dire des trucs dĂ©jĂ  Ă©tablis comme bien. DĂšs que tu rentres dans des territoires inconnus, c’est une jungle tĂ©nĂ©breuse, c’est louche et c’est caca, en gros. Tout est caca. C’est le chaos ! C’est du mauvais cĂŽtĂ©, c’est le dĂ©mon ! Tout ce qui n’est pas carrĂ© est considĂ©rĂ© comme dĂ©moniaque. Moi-mĂȘme quand je fais mes trucs, je pense que c’est de la merde. Je ne suis pas plus Ă©clairĂ© que quiconque. Je suis tout aussi conservateur que n’importe qui, mais j’arrive un peu Ă  me laisser aller.

Ça veut dire que tu te choques toi-mĂȘme ?

Non, ça veut dire que je me trouve surtout trĂšs con. On ne peut pas se choquer. Demain en sortant dehors je peux me faire Ă©clater la tĂȘte sur le bĂ©ton par un tarĂ©. Ça c’est le choc. Le choc, c’est aussi ma voisine que j’ai vue se faire Ă©craser la tĂȘte par un mec qui l’a ensuite violĂ©e. Il lui a dit : « Crie, crie, personne t’aidera, moi je te tabasse, je te tabasse. » Enfin, ça ce n’est rien ! C’est une petite anecdote par rapport Ă  tout ce qui se passe sur Terre. AprĂšs ça, tu ne peux pas dire que l’art choque. L’art, ça ne choque que 2-3s malades mentaux. Ma fille a deux ans et demi et rien ne la choque dans ce que je fais.

Parce que les enfants sont super ouverts et rĂ©ceptifs Ă  la bĂȘtise.

Oui, et puis les enfants, comme les chats, savent trùs bien quand ça craint, quand ils n’auront pas à manger ou qu’on veut les tuer. Dans ce cas-là, ça ne passe pas par des mots, au pire ça passe par du bruit parce que le langage, ils n’en ont rien à cirer. Donc rien ne choque en art et moi je ne cherche pas à choquer par l’art.

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Au fait, comment définis-tu la connerie ?

Bah c’est quand tu te sens con ! Pour moi, la connerie, c’est une sensation. J’ai un juge en moi, c’est le juge qui bloque tout le monde. Genre un mec est en train d’Ă©crire son bouquin et globalement il se dit : « Je vais avoir l’air con si je marque cette phrase. » Moi je le sens ça, CARRÉMENT, Ă  chaque fois ! J’ai beau maĂźtriser le français, qui est ma culture, j’ai l’air con. Et avoir l’air con, c’est pire que d’avoir l’air violent, sadique, assassin ou nazi. Avoir l’air con, ça ne pardonne pas. Se sentir bĂȘte, c’est dur, mais moi je le pose quand mĂȘme sur la page.

Je pense que pas mal d’artistes et d’écrivains Ă©prouvent cet Ă©cueil de la bĂȘtise…

Oui, sĂ»rement, mais Ă  ce moment-lĂ  eux ils biffent ou ils bifurquent. Mais moi j’ai remarquĂ© que lorsque je m’arrĂȘtais sur une phrase conne que je venais d’écrire, je crĂ©ais une rupture dans le raisonnement de mon cerveau. Or il ne faut pas parce que mon cerveau ne raisonne pas, il fait des associations d’idĂ©es donc si je continue sur ma lancĂ©e je libĂšre d’autres idĂ©es. Il ne faut pas rompre l’association qui t’est venue, il faut laisser aller le flux des idĂ©es.

Pour toi les conneries que tu peux Ă©crire sont des tremplins vers autre chose ?

VoilĂ , c’est ça ! Il ne faut pas sans cesse casser le lien en faisant intervenir des trucs intelligents. L’ordinateur m’a bien aidĂ© Ă  ce niveau-lĂ . L’ordinateur c’est un Ă©lĂ©ment qui aide la connerie. Parce que tu peux garder tous ces passages cons qui te permettent de dĂ©boucher sur autre chose. Quelque chose qui peut mĂȘme ĂȘtre considĂ©rĂ© comme gĂ©nial d’un point de vue acadĂ©mique ! Mais ce niveau de gĂ©nie-lĂ , tu ne l’atteins qu’en passant par la connerie !

Par le mélange de passages cons et intelligents ?

Oui, c’est ça. Si tu es en train de dĂ©river vers les idĂ©es les plus connes ou les situations les plus dĂ©biles de la terre, d’un coup tu peux aboutir Ă  un truc qui est philosophiquement super dingue et alors lĂ  c’est la super force, tu dĂ©croches la timbale ! Parce que ça crĂ©e un contraste qui fait que tu domines tout. Ta page suivante elle domine tout. Parce qu’elle a acceptĂ© de passer dans le mauvais, tu arrives enfin sur un putain de plateau au soleil que tu n’aurais pas atteins si tu n’avais pas grimpĂ© parmi les cailloux. Si tu avais voulu que tout soit clean de A Ă  Z, tu aurais pris le risque de ne jamais aboutir Ă  ce genre de choses, ce qui est dommage. AprĂšs, ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas enlever des choses, il se peut que dans le tas tu ais gardĂ© des trucs que tu trouves chiants quand tu les relis. Ça, il faut le retirer. Pour moi c’est simple finalement : celui qui te lit doit prendre du plaisir au point de pouvoir se faire son propre film dans sa tĂȘte. Moi quand je lis un livre, mon problĂšme ce n’est pas que les idĂ©es soient connes, ça je n’en ai rien Ă  foutre, mon premier problĂšme c’est de trouver des idĂ©es que j’aime et que j’ai jamais entendues. C’est rare que ça arrive, mais ça, ça me fait plaisir, aussi insensĂ©es et immorales qu’elles soient ces idĂ©es. S’il y a ça, dĂ©jĂ  je dis : « Merci ».

Tu lis beaucoup de livres ?

Non, mais tu peux trouver des idĂ©es dans n’importe quoi. Parfois sur un coup d’humour les gens te sortent un truc super paradoxal et ça te fait marrer, c’est une dĂ©tente, un plaisir, mais ton intellect y trouve aussi quelque chose Ă  manger. VoilĂ , ça se joue souvent dans une combinaison un tout petit peu dĂ©calĂ©e et dans ce dĂ©calage tu captes un champ qu’on ne peut pas dire avec des mots. Entre deux conneries tu chopes un truc intelligent qui ne pouvait pas s’exprimer autrement. En faisant percuter deux trucs dĂ©biles ou un truc intelligent avec un truc dĂ©bile ou le truc le plus sacrĂ© avec le plus gros pet, toc ça fait naĂźtre une Ă©tincelle Ă  l’interstice de ces deux conneries. Dans la brĂšche formĂ©e par ces deux choses antagonistes, ton cerveau voit quelque chose qui n’est pas dans la phrase. Le choc du mot con et du mot intelligent a fait un trou dans la feuille et quelque chose s’est passĂ© dans ta tĂȘte. Alors que si tout est intelligent et rationnel de A Ă  Z, Ă  la limite il ne reste que le texte.

Et lĂ , il n’y a plus de flash.

Non, plus de flash. Et Ă©videmment, Ă  l’opposĂ© de cette mĂ©thode, en philosophie, il y a des mecs hyper forts en raisonnement. Mais lĂ  c’est justifiĂ©, ce n’est pas le mĂȘme domaine.

C’est marrant parce que Ă  ce sujet j’ai appris que Kant se serait lancĂ© dans la philo aprĂšs s’ĂȘtre rendu compte qu’il n’avait aucun talent littĂ©raire. Et comme il ne voulait pas se coltiner Ă  la nullitĂ© de son style, il s’est vouĂ© Ă  ce domaine qui tolĂšre l’absence totale de style.

Il y a deux mĂ©thodes d’apprĂ©hension du monde : soit tu fonctionnes dans l’instantanĂ© par association d’idĂ©es, ce que font les religions, les gens en transe, l’art ; soit tu fonctionnes Ă  petits pas par la rĂ©flexion pour voir comment les maillons sont enchaĂźnĂ©s, ça c’est la philosophie, la science et c’est une autre maniĂšre d’apprĂ©hender le rĂ©el. Les deux mĂ©thodes sont utiles.

Il y aurait donc d’un cĂŽtĂ© un rĂ©el sensĂ© Ă  explorer comme l’explore le philosophe et l’homme de sciences et de l’autre un rĂ©el absurde et chaotique en perpĂ©tuelle construction comme le construit l’artiste ?

Oui, tu es face Ă  une matiĂšre mouvante que tu n’arriveras jamais Ă  apprĂ©hender totalement et dans ce cas il faut juste comprendre que c’est un chaos. Mais en mĂȘme temps, ces deux visions peuvent se recouper. Les scientifiques et les philosophes les plus mĂ©thodiques qui soient ont aussi des bonds. J’en suis certain. Il y a des moments oĂč ils sont rationnels mais il y en a d’autres oĂč ils sautent carrĂ©ment. Leurs raisonnements alternent entre des moments de raison et des sauts instinctifs Ă  la lisiĂšre de l’art. AprĂšs ils doivent travailler lĂ -dessus par zone.

Toi, tu cumules ces deux approches du réel ?

Moi je suis plutĂŽt du cĂŽtĂ© du n’importe quoi, de la crĂ©ation d’un conflit miraculeux. Certaines musiques me viennent vraiment dans l’immĂ©diat. Improviser des paroles dessus implique donc un truc tellement immĂ©diat que tu parles plus vite que tu ne rĂ©flĂ©chis. Sur le coup, tu n’as donc pas le temps de savoir ce que tu as dit. Tu rĂ©alises aprĂšs que tu as commencĂ© par un thĂšme et fini sur un autre. Mais ça, ça arrive aussi en science. Un mec peut chercher Ă  mettre au point un mĂ©doc pour faire bander et se rendre compte qu’il a crĂ©e de la dynamite (rires) ! C’est bien qu’il a fait un saut de ouf ! Donc tu vois, ce genre de choses nous arrive Ă  tout instant. Mais l’art n’exploite plus cet aspect-lĂ . Tout art qui introduit trop de rationalitĂ© et trop de discours prĂ©alable sur lui-mĂȘme, pour moi non seulement c’est nul, mais en plus c’est dangereux parce qu’on se retrouve avec un truc complĂštement totalitaire qui ferme la seule case qu’on a peut-ĂȘtre encore le droit d’ouvrir dans nos tĂȘtes.

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ConsidĂšres-tu ta bĂȘtise faite « art » comme une soupape ?

Oui, une soupape, une maniĂšre d’explorer la rĂ©alitĂ©, d’avancer politiquement, socialement, dans tous les domaines. C’est une mĂ©thode instinctive. Je tĂątonne. C’est comme si j’étais dans une situation de danger et qu’il fallait que je trouve une solution. D’un coup c’est comme si tu voyais des taillis du haut de ton mur et tu sautes dans les taillis et tu sautes dans l’eau sans savoir si tu sais nager ! Mais tu tentes et ça marche ! Ça marche. Tu as gagnĂ©. C’est une mĂ©thode oĂč tu y vas, quoi. C’est un peu comme si tu allais crever. Moi je fais tout comme si j’allais mourir tout de suite. Je crois tout le temps que je vais crever. Donc je suis dans une urgence pas possible !

Tu cherches de nouvelles approches « artistiques » ?

Oui, c’est ça qui est excitant. Et une nouvelle approche, c’est forcĂ©ment non acadĂ©mique et donc bĂȘte parce non rĂ©glementĂ©. Donc tout est perçu comme chaos Ă  partir de ce moment-lĂ . C’est comme le mec qui me voit en spectacle : il croit que je fais n’importe quoi. Alors que c’est hyper rĂ©pĂ©tĂ© (rires) ! Mais le mec voit du n’importe quoi parce qu’il ne perçoit pas la forme. Mais un mec qui connaĂźt ce que je fais va capter que c’est devenu un acadĂ©misme. Un acadĂ©misme du chaos et de la bĂȘtise. Moi, j’ai une mĂ©thode pour me lancer dans ce chaos et une fois que j’ai ouvert ce truc-lĂ , je peux faire cinquante CD dans la journĂ©e.

C’est quoi ta mĂ©thode ?

En fait, je crois que tout ce qu’on qualifie de con correspond Ă  la production du cerveau instinctif, auquel s’oppose le cerveau logique. Et en art, si tu emploies le cerveau logique c’est de la merde. Tout l’art conceptuel c’est de la merde. Non seulement, cet art est Ă  Ă©liminer mais ces artistes aussi. Il faut leur supprimer leurs subventions et les faire crever la dalle ! Je dĂ©teste tous ces gens. Moi, je suis comme le vaudou, j’ai une mĂ©thode de laisser aller qui me permet d’éviter la merde du cerveau logique, une mĂ©thode qui me permet de mettre en marche mon dĂ©lire. A un moment donnĂ©, mon cerveau reptilien part et lui c’est une machine super cohĂ©rente qui te sort des fulgurances qui s’apparentent Ă  des bĂȘtises. En fait, c’est comme les mecs qui parlent en langues, les Ă©vangĂ©listes quand ils baragouinent : « Oublablablabla ! » et qu’il y a un autre type Ă  cĂŽtĂ© qui traduit le dĂ©lire parce qu’en fait, le mec fait des associations d’idĂ©es totalement dingues qu’elles peuvent tĂ©moigner d’un problĂšme personnel ou d’une tension dans la communautĂ©. Il sent la situation, mais ce qu’il sent va plus vite que son cerveau, d’oĂč les : « Oublablablabla ! ». Cela signifie qu’il est en connexion instinctive avec le rĂ©el qui est super complexe et chaotique. Ce cerveau reptilien c’est le meilleur qu’on ait. C’est notre cerveau de base.

Comment as-tu découvert ton cerveau reptilien et comment le sollicites-tu ?

J’ai tout simplement entendu une connerie lĂ -dessus Ă  la radio. Ça parlait de stress et du cerveau. D’ailleurs c’est con de dire d’arrĂȘter de stresser Ă  quelqu’un, parce que la machine qui te fait stresser coupe ton cerveau rationnel ! Donc tu ne peux pas faire autrement que stresser. C’est l’instinct. Ça veut dire qu’il y a danger, que ton corps rĂ©agit Ă  une situation inattendue ! Alors ton cerveau instinctif coupe la raison et fout plein de sang dans tes intestins, tes muscles et moins dans ta tĂȘte parce que tu n’as pas de temps Ă  perdre Ă  rĂ©flĂ©chir, il te faut de l’agressivitĂ©. Il faut que tu sois prĂȘt Ă  courir, taper, etc. Et pour moi, l’art ça doit ĂȘtre pareil : servir Ă  tout sauf Ă  rĂ©flĂ©chir. J’ai donc mis au point une mĂ©thode pour entrer en connexion avec mon cerveau instinctif. Chez moi, je cleane la piĂšce, je prĂ©pare les micros, je mets assez de cassettes vidĂ©o dans la piĂšce et je m’enregistre en train de laisser parler mon cerveau reptilien. Je ne bois jamais avant de faire ça, parce qu’il faut que je sois assez rationnel pour pouvoir appuyer sur le magnĂ©to. D’habitude, comme je ne bois pas, si je descends une bouteille de Gin avant de faire ça, c’est un truc de malade : au quart de la bouteille je pars et je crois que je vais crever. Une fois on m’a retrouvĂ© endormi comme ça. Donc je n’utilise pas systĂ©matiquement l’alcool, mais quand c’est le cas je vide un tiers de la bouteille dans l’évier. AprĂšs, quand je suis revenu de mon dĂ©lire, je deviens spectateur de moi-mĂȘme et je juge Ă  froid ce que j’ai fait, je garde les parties que je trouve toujours bien et je jette la plupart des choses qui ne me parlent plus une fois hors de l’émotion de mon dĂ©lire.

Des artistes t’ont-ils poussĂ© dans cette voie « vaudou » ?

Non, parce que j’ai fait ça par hasard. La premiĂšre fois, c’était en 1984, Ă  l’occasion d’une chanson pop bruitiste sur laquelle j’avais dĂ©cidĂ© de ne pas mettre des paroles dures comme tout le monde faisait. Parce qu’à l’époque, tu avais soit du rock bruitiste couvert de cris et autres hurlements, soit de la pop Ă  la McCartney avec de gentilles paroles et de gentils accords. Les mecs n’arrivaient pas Ă  Ă©crire des paroles sur le bruit. Moi non plus d’ailleurs
 Tu connais le disque Pierre et le Loup, pour les enfants ?

Non, pas vraiment.

Eh bien dans ce disque chaque instrument Ă©voque un animal, ce qui fait que chaque son t’évoque une image. HĂ© bien moi je fonctionne complĂštement comme ça. De maniĂšre trĂšs conne. D’ailleurs ma fille, qui a deux ans, est pareille : tu lui mets un morceau en accords mineurs, elle te dit direct : « C’est triste. » Elle interprĂšte tout, bien pas bien, directement ! Moi je suis Ă  restĂ© Ă  fond dans cette interprĂ©tation en bande dessinĂ©e du son. Et voilĂ , en 1984, j’avais fait un morceau avec des collages de sons et, je ne sais pas ce qui m’a pris, j’ai parlĂ© dessus. Et ce n’Ă©tait pas du tout un texte trash, c’Ă©tait l’histoire d’un mec qui lisait des bouquins dans une bibliothĂšque, un truc trĂšs con, et Ă  chaque rupture de son, l’histoire changeait, car je l’avais improvisĂ©e par-dessus. J’ai trouvĂ© ce morceau dingue, mais je n’arrivais pas Ă  le refaire. J’ai d’ailleurs cru que je ne le referai jamais de ma vie. A cette Ă©poque, je continue donc Ă  faire de la musique expĂ©rimentale, des trucs de rock, mais sans y penser. Et hop en 1986, un soir de fatigue oĂč j’étais peut-ĂȘtre plus rĂ©ceptif, le truc m’est revenu et j’ai fait 5-6 morceaux dans la foulĂ©e donc j’ai sorti un album. Ce n’est qu’aprĂšs que je suis devenu une machine. Maintenant, tu me mets n’importe quel bruit et ça y est je te ponds un truc. C’est de la folie bureaucratique ! Je te fais ça au kilomĂštre tous les jours, Ă  tel point que ça peut ĂȘtre tout aussi nul et acadĂ©mique que le reste. Enfin, pour moi ! Mais bon, on ne peut pas inventer deux trucs dans sa vie. Un c’est dĂ©jĂ  pas mal. C’est pour ça que ça m’a attirĂ© lorsque tu m’as parlĂ© du thĂšme de la connerie au tĂ©lĂ©phone l’autre jour. Je t’ai dit : « Ça tombe trop bien car j’ai justement remarquĂ© que plus je jouais dans la zone de la connerie plus c’Ă©tait intelligent, tout simplement. » DĂšs qu’il y a marquĂ© « Interdit », il faut y aller. En art Ă©videmment. Pas dans la rue. Parce que si tu fais ça dans la rue tu vas te prendre un camion dans la gueule.

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ConsidÚres-tu ton « art » comme moraliste ?

Non, parce que je sais que je suis super fort. Enfin, je m’excuse de le dire mais en mĂȘme temps je m’en fous. Je le sais, mais je ne le dis pas, genre je ricane. Mais moi je sais que ce que je fais est tellement puissant qu’il n’y a personne au-dessus de moi en ce moment. C’est tout ce que je pense. Qu’on me trouve le mec au-dessus ! Que ce soit textes ou autres. Personne ne me battra en chanson. Je ne parle pas arrangements et mĂ©lodies mais brutalitĂ© tripale. Vas-y, sors le moi ce mec qui fait mieux que moi ! DĂ©jĂ  j’en vois plein qui m’imitent et qui n’y arrivent pas. Par rapport Ă  certains trucs que j’ai faits, ce n’est mĂȘme pas la peine, il n’y a personne de l’Ă©poque, en France, qui s’aligne. Ailleurs, c’est possible, je ne sais pas.

Qui sont les gens qui t’imitent ?

Aujourd’hui, il y a tout un pan de musique noise avec des paroles alors Ă©videmment, pour eux, Costes et ses vieilles cassettes, c’est devenu une rĂ©fĂ©rence. MĂȘme aux États-Unis. Surtout lĂ -bas parce que pour eux c’est presque normal de mĂ©langer sens et chaos. Ce que je fais ce n’est pas juste des bruits Ă  la con, genre l’Ircam. On peut faire du bruit et exprimer des sentiments joyeux, tristes, toute la palette des sentiments dans le chaos musical. Et des fois ça peut devenir harmonieux parce que c’est aussi une des composantes de l’art et je ne la rejette pas. Au milieu de ton bruit, tu as le droit de faire une chanson pop. Sauf qu’il y a des connards qui n’osent pas ! Parce que la chanson pop pour eux c’est de la connerie. Et puis d’un autre cĂŽtĂ©, tu as les mecs qui critiquent ton bruit et si tu leur fait une chanson simple et pop, ils se permettent encore de te cracher dessus sous prĂ©texte que maintenant tu es excessivement ringard, alors va comprendre !

Ils trouvent ça louche que tu te jettes d’un coup dans la gueule du bon goĂ»t pop ?

Oui, c’est comme si maintenant j’étais dans un excĂšs de sĂ»retĂ©. En fait, pour ces mecs, il faut ĂȘtre dans un milieu tendance qui autorise 0,0001% de caca dans les Ɠuvres. Par exemple ça va donner une piĂšce de thĂ©Ăątre qui va te faire dire : « Oh ! On s’emmerde » et dans le mĂȘme temps « Ohohohohoho ! », genre un truc t’a un peu choquĂ©, mais limite t’en rigoles. C’est une question de dose, ce qu’ils appellent « la charge subversive », toutes ces conneries ! S’il y en a qui sont cons c’est les mecs qui se croient intelligents. Pour ceux-lĂ  c’est chaud.

Avoir recours au cerveau reptilien, c’est puiser dans ce que tout le monde renie ?

Oui, parce que personne n’emploie ce moteur-lĂ . Comme tout le monde a peur de passer pour un con, tout le monde emploie un moteur rationnel avec quatre diplĂŽmes derriĂšre comme on nous le conseille vivement. Moi, quand le mec de chez Fayard (l’éditeur qui en 2006 a sorti Grand-PĂšre – nda) a pris un de mes CD, il a dit : « Ah ! Mais vous n’ĂȘtes pas signĂ© sur un label. » VoilĂ , en France il te faut une preuve comme quoi tu es raccordĂ© Ă  une institution, c’est comme un diplĂŽme, ça veut dire que ton dĂ©lire est intelligent, que tu es en rĂšgle, que tu peux circuler. Par contre, si tu te lances tout seul dans ton chaos chez toi en braillant au fond d’une cave dans une banlieue sordide, ça coince. LĂ , tu vas avoir l’air con et on te dira que tu fais de la merde. Alors autant emballer des paquets de merde et leur lancer dessus.

Donc ta motivation c’est de donner une image de l’homme dans sa


Non, ma motivation de base pour la musique c’est que je suis frustrĂ© et que j’ai envie de faire chier les gens pour me venger et me faire remarquer des filles ! Moi je n’ai pas envie d’amĂ©liorer quoi que ce soit. Mais il se trouve qu’avant, comme j’étais frustrĂ© et que j’avais beaucoup de temps Ă  perdre Ă  faire mes trucs de haine et de branleur, je suis tombĂ© sur une mine Ă  force de travailler : une mine de caca qui n’avait jamais Ă©tĂ© exploitĂ©e avant (rires) ! Une mine de connerie sans fond. Sans fin. Et super bonne Ă  exploiter.

Les gens comprennent ce que tu fais ?

Je crois que n’importe qui pourrait comprendre !

Beaucoup ne voient que ton cÎté trash, non ?

Oui, mais plein de gens ne s’arrĂȘtent pas Ă  ça. Certains ne prennent que le cĂŽtĂ© subversif Ă  deux balles, mais maintenant il y a aussi des gens plus jeunes qui trouvent carrĂ©ment romantique ce que je fais. Des nanas de 18 ans trouvent que je fais juste de la beautĂ© alors que lorsque j’ai commencĂ© plein de filles pensaient que c’était un truc de mec bourrĂ© au service militaire qui monte sur la table pour montrer sa bite. Mais Ă  cette Ă©poque, il y avait dĂ©jĂ  des japonaises qui trouvaient ça romantique. Moi-mĂȘme ça m’avait Ă©tonnĂ©. Parce que moi-mĂȘme je ne savais pas que j’étais romantique, moi-mĂȘme je me jugeais mal.

As-tu Ă©tĂ© plus vite connu et acceptĂ© Ă  l’Ă©tranger qu’en France ?

Non, c’est juste qu’à l’époque j’ai trouvĂ© plus vite des dates Ă  New York et Ă  Tokyo qu’en France. En France, je ne pouvais pas jouer Ă  moins de louer moi-mĂȘme la salle. Aux États-Unis, c’est diffĂ©rent, ils n’attendent pas que d’autres se mouillent, ils font les choses et c’est pour ça qu’ils crĂ©ent la mode mondiale. En France, on attend de voir si on a le droit d’aimer, parce qu’on est colonisĂ©. On regarde : « Ah ! Ce petit bruitisme-lĂ  a l’air branchĂ© en Angleterre et aux États-Unis ! » et hop tout le monde va aimer la mĂȘme musique. Mais ce mĂȘme petit bruitisme, quinze jours avant on n’avait pas le droit de l’écouter. Je ne sais pas si les États-Unis vont rester encore longtemps le leader culturel mondial, mais pour l’instant ils tiennent ce rĂŽle car c’est un pays oĂč ils cherchent dans la merde des gens pour faire quelque chose. LĂ -bas, des gens sont au sommet de la sociĂ©tĂ© et regardent les trucs underground les plus nuls et disent : « Toi, mets du pognon et lance tel truc dans le monde entier. » C’est comme ça que ça se passe. HĂ© ! Il n’y a pas de secret, il faut bien les faire sortir de quelque part les Michael Jackson et consorts. Et c’est des poubelles qu’ils sortent, de la pauvretĂ© forcĂ©ment, sinon on ne les prendrait pas. Aux États-Unis, si tu n’es pas connu et que ton style est inclassable, tu peux donc toujours faire une tournĂ©e. Au dĂ©but, j’ai fait une date, puis deux et ainsi de suite. Et une fois que je suis revenu des États-Unis, ça y est, j’avais des dates en France. Parce que j’avais l’AURA USA. Il faut jouer Ă  fond lĂ -dessus. Ça permet d’alimenter le mythe. Enfin, le cĂŽtĂ© aventurier. Et ça le fait, quoi.

Comment te sens-tu en France avec ton art atypique et ton « aura USA » ?

Moi, je suis le mec le plus riche et le plus moderne en ce moment. Parce que je suis le mec qui arrive Ă  se passer d’un maximum de choses sans tomber dans la misĂšre. Je domine la situation avec un minimum de matiĂšre. Au lieu de nous parler d’économie d’énergie, on ferait mieux de nous parler de baisse de consommation pour qu’on s’éclate plus avec l’imaginaire. Aujourd’hui, on dĂ©couvre encore des gens qui font plein de choses super dans les milieux musicaux indĂ©pendants. Avec de trĂšs petits moyens ils inventent une forme de sociĂ©tĂ© vraiment cool. Et c’est peut-ĂȘtre un modĂšle Ă  suivre, qui sait ? Si j’avais eu beaucoup de moyens Ă  ma disposition, je n’aurais pas compris et fais ce que je fais aujourd’hui. Les cons ce sont ceux qui croient qu’on va avoir des nouvelles solutions si on a plus de giga, plus de ci, plus de ça !

On va vers une grosse paralysie ?

Oui et on ne va pas s’arrĂȘter. On va crever de cette confiance dans une fausse intelligence.

(SUITE.)

(OFF RECORD.)

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Merci Ă  Bastien pour ces photos de Costes dans la Sarthe (l’endroit le moins cher de France oĂč, pour 10 000 euros, il a achetĂ© une vieille baraque oĂč il vit chichement avec sa femme, sa fille, son garçon et oĂč il s’isole 9 heures par jour dans son studio pour crĂ©er). Elles sont issues de son article 24H avec Jean-Louis COSTES actuellement lisible dans le numĂ©ro 2 de Gonzai magazine.

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