IMBECILE HEROS (JEAN-LOUIS COSTES)

Jean-Louis Costes©Frédéric POLETTI 4

20 dĂ©cembre 2006. 19h15. 93, Saint-Denis, banlieue nord de Paris. « Tu veux un thé ? », me demande mon hĂ´te, qui dĂ©barrasse fissa une table basse qu’encombrait un ordinateur, une assiette et une tasse. Du thĂ© ? Je n’en laisse rien paraĂ®tre mais ça me laisse comme deux ronds de flanc car mon hĂ´te (mon Parl-hĂ´te ?) n’est pas de ceux qu’on imagine boire du thĂ©. Jean-Louis Costes ? Un (ca)cas Ă  part. Une sorte de hĂ©ros de l’underground cĂ©lèbre pour ses performances (perf-romances ?) thĂ©a-trash. Pas le genre Ă  se faire interviewer par le journaliste d’un mag vendu en kiosque, qui plus est de philo le mag, et propre sur lui (Ă  la base je suis lĂ  pour Philomag). Et pour cause, au vu de sa production, Costes serait plutĂ´t du genre killer, bĂŞte, grand mĂ©chant loup, la part obscure, le grand refoulĂ© qui salit.

NĂ© en 54 dans le 78 au sein d’une famille bourgeoise, Jean-Louis a Ă©tĂ© marquĂ© par un père militaire dont il dira que « sous ses yeux », chacun de ses gestes lui semblait « de travers, une erreur », et une mère ultra catho qui l’enverra se faire voir chez les pères. Alors zou, après le collège-lycĂ©e-bac, il taille la zone, vit en marge, squatte, suit des Ă©tudes d’archi (beaux-arts), joue dans des groupes de hard (amateurs), va voir lĂ -bas s’il y est (Afrique, Asie, AmĂ©rique du Sud), ne se sent bien nulle part (ni punk, ni hippie, ni anar). A 31 ans, après avoir Ă©ditĂ© une revue d’art avec son amour de lycĂ©e (Anne Van Der Linden), il achète des synthĂ©s, de quoi s’enregistrer et (s’)ouvre enfin les vannes avec les Costes Cassettes, diffusĂ©es de la main Ă  la main. Qu’est-ce que tu as fait de ce qu’on a fait de toi ? Ça ! Ça !

En 85-86-87 naĂ®t donc un musicien lo-fi et un poète hara-kiri qui multiplie les morceaux home mad(e) / do it yourself, comme une sorte de point de fission (nervous breakdown) entre Iggy Pop et Dominique A : DifficultĂ© d’Ă©locution, L’art c’est la guerre, Chahut chaos, Bambino, La Censure n’est plus ce qu’elle Ă©tait, Secouez ! Crevez ! (son premier vinyle, pressĂ© avec les sous de sa mère), Younky (son premier show prĂ©sentĂ© Ă  Paris et OrlĂ©ans), Les Oxyures (premier CD), La Marelle (premier vĂ©ritable « opĂ©ra »), etc. Leurs intitulĂ©s illustrent le lâchage. Tout ça sort sur des labels indĂ©pendants, fait de lui un des pionniers de la « musique bruitiste » en France (SebastiAn de l’Ă©curie Ă©lectro Ed Banger est un fan) et le pousse Ă  sortir de l’hexagone et de l’enregistrement pour virer hardcore / hors cadre.

En 88, fort de ces premières purges, ce grand « inadapté » pousse le bouchon plus loin et s’Ă©mancipe (s’aime en slip ?), crĂ©ant ce qui deviendra le cĹ“ur de son Ĺ“uvre : les opĂ©ras porno-sociaux. Ces shows sont nĂ©s des bides que suscitaient ses concerts. MĂŞlant punk et variĂ©tĂ©, il se faisait siffler par tout le monde. N’ayant plus rien Ă  perdre, plus personne Ă  qui plaire, il dĂ©cide alors de faire un truc « cash avec ce qu’on a, sa bite et son couteau, son scotch et son carton ». Il relègue le cĂ´tĂ© musical Ă  des bande-son pour mieux mettre l’accent sur le cĂ´tĂ© happening, théâtre. Lui parle volontiers de « comĂ©die musicale », mais c’est radical. Quand je parle de slip et lui de bite et de couteau, ce n’est pas une image. Ici, craque, boum hue, le corps exulte (ex-Hulk ?) au sens chamanique. Jusqu’Ă  la merde.

Jean-Louis Costes©Frédéric POLETTI 2[1]

Costes c’est actuellement quelque chose comme 35 disques, 20 opĂ©ras, 5 long-mĂ©trages, une vingtaine de courts, des rĂ´les (Baise-moi de Despentes, IrrĂ©versible de Gaspar NoĂ©), des romans (Viva la merda, Grand Père, Un bunker en banlieue), des nouvelles, un roman-photo, deux bande-dessinĂ©e. Cette production Ă  la lisière de l’art brut lui a valu d’ĂŞtre l’objet de nombreux ouvrages collectifs, qui le qualifient de « guerrier », de « criminel » et du « fou en nous ». Fruit d’un travail de plusieurs annĂ©es qui aura mobilisĂ© critiques d’art, universitaires, musiciens, philosophes et Costes, en mai 2012, pour ses 30 ans d’activitĂ©s, sortira mĂŞme L’art brutal de Jean-Louis Costes, un livre-somme distribuĂ© par R-diffusion et disponible sur le site de l’Ă©diteur, Exposition Radicale. VoilĂ  pour l’actu et la biographie.

Tout ça pour dire qu’Ă  la base, Jean-Louis Costes c’est pas trop trop ma tasse de thĂ© Ă  moi le journaliste pop d’obĂ©dience Radioheadesque. D’ailleurs, je l’ai jamais vu en peste-acle. Mais je suis aussi (surtout ?) un gars qui aime ce qui clashe, dĂ©clenche l’Ă©criture, les mecs qui repoussent les limites. C’est bien beau la pop (le « Pop » ?) mais Ă  un moment ça fait du bien de pĂ©ter une durite et d’en mettre partout, de montrer le cambouis (l’ « Ugly »), celui qui nous tient compagnie, de se montrer tel qu’on est, criard, en plein inconvĂ©nient d’ĂŞtre nĂ©. C’est ce que j’aime chez Costes, son cĂ´tĂ© Artaud mais version passage Ă  l’acte, son cĂ´tĂ© menstrueux, hĂ©ros vivant (Hors Humain ?) mais sans le vernis de l’industrie rock. C’est un plouc bien de chez nous. Et comme je le disais, je suis pas lĂ  pour parler musique.

Je suis lĂ , en terre inconnue (FrĂ©dĂ©ric Lopez staĂŻĂŻĂŻle ?) pour lui parler bĂŞtise. Oui, c’est sur ce thème filou que j’ai rĂ©ussi Ă  convaincre Philosophie Magazine de publier quelque chose sur Costes. C’Ă©tait Ă  l’Ă©poque oĂą Groland explosait, oĂą Katerine explosait, oĂą Didier Super explosait, oĂą Borat explosait. Sous couvert d’idiotie ces artistes très mĂ©diatisĂ©s secouaient le grand public. Je me suis dit qu’il y avait un truc Ă  faire (une carte Ă  jouer) et qu’il fallait en rendre compte (quid de ce dĂ©calage fond/forme ? est-il prĂ©mĂ©ditĂ© ? bien reçu ? sont-ils vraiment subversifs ou se font-ils fayot-cyter par la machine mĂ©diatique ?). La bĂŞtise ayant inspirĂ© des Ă©crivains et des philosophes, il y avait de la littĂ©rature Ă  ce sujet. Philomag m’a dit banco. « Fais-nous plutĂ´t ça pour la rubrique enquĂŞte. » C’te cadeau empoisonnĂ©.

Ça m’a bĂŞtement Ă©tonnĂ© qu’un mag de philo comme eux, un peu lisse (TĂ©lĂ©ramesque ?), confie direct 6 pages Ă  un jeune type de 26 ans qu’ils ne connaissaient ni d’Eve ni d’Adam. Qui plus est novice en philo. Je trouvais ça couillu (je les sentais dĂ©sireux de s’encanailler un peu avec mes goĂ»ts et mon rĂ©seau « rock »). EnquĂŞte chez eux ça voulait dire potasser plein de livres (ClĂ©ment Rosset, Avital Ronell, Jean-Yves Jouannais, Harry Frankfurt…), interviewer plein d’artistes (mais lesquels ? qu’est-ce que jouer au bĂŞte ? Brigitte Fontaine fait-elle la bĂŞte ?) puis digĂ©rer le tout en 10 feuillets. J’en ai chiĂ©. Interviewer Salengro, Katerine, Germain Huby, FrĂ©dĂ©rique Bel, Didier Super et le Grand Schtroumpf de la chose, Costes, c’Ă©tait l’Ă©clate, initiatique, hold-up du siècle, mais rĂ©diger le truc un vrai calvaire.

Jean-Louis Costes©Frédéric POLETTI 8

Je dois ĂŞtre un peu bĂŞte, j’ai galĂ©rĂ© comme un chien pour synthĂ©tiser tout ça dans le temps et l’espace impartis. Après tout ce Ă  quoi je m’Ă©tais (dĂ©c)ouvert, devoir Ă©crire un article (un texte standardisĂ© par un rubricage) Ă©tait un crève-cĹ“ur. Et quand je l’ai enfin envoyĂ©, ça n’a pas plu. J’ai dĂ» le réécrire x fois, ça ne plaisait jamais. J’ai vite compris qu’au-delĂ  de mes dĂ©faillances industrielles, ils n’aimaient pas trop que je laisse poindre un Ă©loge de la dĂ©contraction de l’intelligence (comme on parlerait de dĂ©règlement des sens). Au final, c’est limite s’ils n’ont pas Ă©crit le truc eux-mĂŞmes, Ă©gratignant certaines des personnalitĂ©s qu’on mettait en avant (surtout FrĂ©dĂ©rique Bel qu’ils ont clairement tournĂ© en bourrique). Pour ces dĂ©tenteurs de l’Intelligence, ces gens devaient ĂŞtre fondamentalement suspects.

Le papier paraĂ®tra plus d’un an après l’enquĂŞte (en fĂ©vrier 2008). Je n’en Ă©tais pas fier. Mais bon, l’important c’Ă©tait le voyage, blablabla et heureusement, Ă  cette Ă©poque, dĂ©jĂ , j’avais mon site Parlhot (sur over-blog) et je me consolais Ă  l’idĂ©e que je pourrai y offrir une seconde vie Ă  tous ces entretiens. C’est marrant d’ailleurs parce que 4 ans plus tard (en fĂ©vrier 2012), Philomag et moi on fera enfin la paire… par l’entremise de Parlhot. Recevant ma newsletter, le red chef pensera Ă  moi pour m’occuper d’une rubrique intitulĂ©e le Questionnaire de Socrate, sorte de questionnaire de Proust version philo. Il m’envoyait en exemple ce qu’il avait fait sur BĂ©nabar. De toute Ă©vidence, il voulait le genre d’artistes plus « punchy » que propose Parlhot. Encore cette envie (toute relative) d’encanaillement.

Le taf semblait intĂ©ressant, affichait pour une fois un bon ratio temps/argent. Et le gars venait Ă  moi, comme ça, toc toc bada boum, demandant si j’avais des idĂ©es, des envies, c’est tellement rare quand on est pigiste. J’ai dit banco. Je regrette pas. Bien que toujours un peu Ă  l’Ă©troit, je me sens bien dans cette rubrique. Elle me rend fier. Je peux y faire valoir mes talents d’interviewer et mon envie de parler d’autre chose que de la musique (de la vie, d’humain Ă  humain ?). Ça m’a permis d’interviewer (voire de rĂ©interviewer) Dominique A, Hubert-Felix ThiĂ©faine, Nicolas Godin (Air), Eric Cantona, Denis Lavant, Christophe, Abel Ferrara, Sharleen Spiteri (Texas), Kent… Je m’Ă©gare un peu Ă  raconter ça mais sans cette enquĂŞte sur la bĂŞtise tout ça ne serait jamais arrivĂ©. Long, long le chemin.

Donc oui, m’sieur Costes, un thĂ©, ça m’Ă©tonne mais c’est parfait, ça fera mĂŞme grand bien après avoir tournĂ© un quart d’heure dans le noir froid du 9-3  en se disant « Mais oĂą diable est sa casa ? » (dans ma tĂŞte c’Ă©tait plus fleuri) « Je suis bien près du square, du canal et du Leader Price qu’il m’a indiquĂ©s. » (ambiance petit chaperon rouge en quĂŞte du loup). Ah, c’te foutu sens de l’orientation qui me fait dĂ©faut. C’te dĂ©livrance quand j’ai enfin vu un type faire grincer ce portail, bonnet sur le crâne. Ça faisait très Les Contes de la crypte mais les loups, les agneaux, on sait bien ce que c’est. « Qui veut faire l’ange fait la bĂŞte » disait Pascal, « Mords-moi, dit le petit chaperon rouge, et le loup dĂ©banda » ce roman dont j’ai oubliĂ© le titre. Ici, je suis Ă  la fois chez l’ogre et mère-grand. Homme sweet homme

(INTERVIEW.)

Jean-Louis Costes©Frédéric POLETTI 9

Merci Ă  FrĂ©dĂ©ric Poletti, mon binĂ´me photo sur l’enquĂŞte Philo pour « les tofs du hĂ©ro ».