THESE NEW PURITANS « HIDDEN »

29 avril 2010. 20h. Je suis devant Le Point FMR avec Jack Barnett, chanteur-compositeur-producteur-guitariste-tête-pensante du jeune groupe anglais These New Puritans (TNPS) une heure avant qu’ils n’investissent les lieux pour présenter Hidden, leur deuxième album, sorti le 18 janvier dernier. Le temps est radieux, venteux. On s’est posé sur un petit muret en bordure du Canal, pas loin des odeurs de pisse et de bière renversées qui jonchent régulièrement l’endroit. Jack est venu seul comme si ça coulait de source qu’il était le groupe à lui seul, alors que non, il y a aussi son frère, George Barnett (batterie, programmations), Thomas Hein (basse, samples, claviers, batterie) et Sophie Sleigh-Johnson (claviers, samples).

Jack attend que je prenne la parole. Il a le teint glauque et la silhouette d’E.T. du type qui passe moins de temps à faire de l’aviron sur le lac d’un campus bordé de jeunes filles en fleurs qu’à squatter sa piaule (tête ?) pour jouer à World of Warcraft ou développer quelques programmes informatiques bien vicelards, NTM le monde. Le genre d’ado qui nourrit en douce d’insalubres rêves de grandeurs et souhaite raser toute forme de médiocrité de la surface terrestre. Pas encore purgé quoi. Normal, Jack n’a que 22 ans et vient de Southend-on-Sea, une banlieue anglaise connue pour abriter une station balnéaire et  avoir vu naître leur compères de The Horros. Et ça me tue parce que Jack ça pourrait être mon petit frère et que je m’apprête à lui parler, à sonder ses désirs même, comme je n’ai jamais (songé ? pu ?) le faire avec mon petit frère. De l’inconvénient d’être ainé. Étrange.

La discussion engagée, Jack me regardera d’un œil opaque, noir, vitreux. Un œil tourné vers l’intérieur et rentré dans son orbe n’éclairant rien de ce visage émacié en bec d’oiseau qui donne l’impression qu’il va vous picorer sèchement. Dans cette tension j’imaginerai même un instant que c’est lui, mon petit frère, et qu’en son for intérieur (voix de Dark Vador), cet œil me le dit : « Look, je suis ton  frère. » Mais, entre autres choses (un grand frère mélomane et musicien à ses heures), Jack vient d’un pays où l’on mise sur des jeunes qui expriment HERE & NOW comme lui leur désir d’avatar dans la pop. Ça aide (pour en venir aux mains et aux manches). « Why live in your head when you can live in the world ? ». Crystal Castles, jj, Fever Ray, The xx, Violens, Lady Gaga (euh ?), j’en passe. Comme eux Jack des nouveaux puritains est donc ce mec qui me redonne foi dans la pop des années 00’s. Qui me fait croire qu’elle peut encore être noire, tordue, poétique, schizo, excitante.

Une heure plus tard, porté par la ferveur d’une foule modeste et de Léviathan guerre comme « We Want War », ce petit corps malingre prendra le pouvoir. Et ça me tuera parce qu’à un moment, l’écoutant, le regardant, je penserai : « C’est dingue, on dirait qu’il porte leur rage et leurs espoirs comme un nouveau Thom Yorke, plus chétif encore. » Il est d’ailleurs si mal gaulé par rapport à son frère que c’est à se demander comment ils peuvent être jumeaux. George aurait-il tout bouffé in utero laissant à Jack les joies de la (re)Création ? N’y aurait-il « aucune philosophie de vérité », seulement « des symptômes du physique, de ses succès ou de ses échecs », comme dit Nietzsche dans le préambule de son Gai Savoir ?

Une heure plus tard, lâchée, la pop arme blanche tribale paranoïde de TNPS cassera tout en mode guitare-basse-batterie-synthés-programmations-bassons et lui, Jack Barnett, le lombric scandaleux, le Thom Yorke mâtiné de The Streets avec sa coupe Jeanne d’Arc / Ian Curtis et sa cotte de mailles, il triomphera dans le rôle du MC maître du jeu. Du « larpin » qu’on prend au sérieux. Comme un petit frère incarnant enfin son monde dans le réel, devant de vrais gens. Écrasant les commentaires petits bras de mes confrères Robert Gil et Rémi Boiteux qui trouvent qu’Hidden comporte quelques longueurs et autres morceaux bouche trous, moyens, alors que non, tout ici fait corps, cohérent, essentiel, dans une juste alternance de DPS et de healers, comme dirait Nicolas Ker. Rien ne remplace l’Art Rock.

Mais ce concert ne sera rien comparé à celui qu’ils donneront le 18 décembre 2010 au Centre Pompidou. Dans la grande tradition de ces dernières années qui voit les vieux groupes jouer leur(s) album(s) culte(s) en intégralité sur scène, par exemple Patti Smith jouer Horses, Lou Reed Berlin et Metal Machine Music, Sonic Youth Daydream Nation, Primal Scream Screamadelica, The Cure jouant sa Dark Trilogy Pornography / Disintegration / Bloodflowers, TNPS jouera tout Hidden à la lettre avec chorale et orchestre symphonique comme si c’était déjà un classique, jeu de fumées et de lumières transformant tout ça en évocations de toiles de Turner et de scènes de Fitzcarraldo et Valhalla Rising. Un spectacle total, mémorable. Une déclaration d’indiependance. La suite s’annonce passionnante. Crois-moi.


« J’aime la folie de Britney Spears, son Blackout quasi nihiliste »

Bonjour Jack. Est-ce la première que These New Puritans joue à Paris ?
Non, on y a déjà joué deux fois. La première c’était dans une salle qui ressemblait à un théâtre. J’ai oublié comment elle s’appelait. La deuxième fois c’était au Zénith (le 12 novembre 2007 dans le cadre du Festival des Inrocks – nda).

Vous ouvriez pour un autre groupe ?
Oui, Bloc Party, et c’était bien.

Même si le public de Bloc Party doit pas mal différer du votre ?
Je ne sais pas à quoi ressemble notre public, mais oui on n’a peut-être pas le même.

Je dois t’avouer que ma découverte de These New Puritans est récente et un peu spéciale. Elle remonte à quelques semaines. J’allais me barrer d’une soirée où je m’ennuyais et je rencontré un type. On s’est mis à parler musique. De notre rapport au rock. Il me raconte que son truc fondateur à lui, après Rimbaud, c’est les Cure. Qu’il garde un lien très fort, presque sectaire avec ce groupe, même s’il aime moins leurs derniers disques. Que depuis il n’y a guère qu’Arcade Fire et que Radiohead pour lui avoir fait un effet comparable. Qu’au-delà de ça, pour lui, le rock c’est de l’histoire ancienne. Je lui dis que j’en suis au même point. Je suis un peu plus jeune que lui, j’aime aussi beaucoup Rimbaud, Radiohead et Arcade Fire mais d’un point de vue journalistique et personnel, je n’ai plus trop la flamme de défricher la chose « rock ». Que je sens que mes coups de cœur sont derrière moi. Que je suis en train de tourner la page, de passer à autre chose. Et là il me dit qu’il a récemment trouvé l’exception. Qu’il a découvert un jeune groupe, These New Puritans, dont le dernier album l’a de nouveau excité comme jamais…
Il t’a donc conseillé de nous écouter ?

Oui, notamment le morceau « We Want War ».
Cool.

Je voudrais donc savoir quel est ton rapport au rock, comment tu as découvert ça ?
J’ai eu la chance d’avoir un grand frère passionné qui n’arrêtait pas d’acheter des disques. Grâce à lui j’écoutais le Velvet, Radiohead, Nirvana, des choses comme ça.

Quel âge avais-tu ?
J’étais jeune, je devais avoir 7 ans.

Et lui ?
13 ans. En tous cas je suis content d’avoir découvert cette musique si jeune car maintenant je n’en ai plus besoin, j’écoute autre chose, j’ai mon propre univers.

En même temps as-tu vraiment le temps et l’envie d’écouter la pop d’aujourd’hui ?
Non, de moins en moins. Je tends plutôt à avoir un rapport obsessionnel à certains univers. Par exemple en ce moment je fais une fixette sur Benjamin Britten (célèbre compositeur britannique de l’après guerre dont Jeff Buckley a repris un titre sur son album Grace – nda). Je n’écoute presque plus que ça.

Ta découverte du rock t’a-t-elle directement donné envie d’en faire ?
Oui, parce que j’avais beaucoup de curiosité pour la musique. A 7 ans, je me suis construit mon propre set de batterie avec des boîtes que j’avais récupérées à droite à gauche. Après j’ai pris des cours de guitare. Et j’ai eu ma première console d’enregistrement à 12 ans. Aujourd’hui j’en ai 22. ça fait donc un petit moment que j’enregistre de la musique.

En effet. Un artiste ou un disque précis est-il responsable de ton passage à l’acte ?
Oui, je crois que c’est Grace de Jeff Buckley.

Vraiment ?
Oui, je sais que ça étonne mais c’est lui. A l’époque j’avais 10 ans, je composais à la gratte. J’aimais vraiment cette musique.

T’arrive-t-il de réécouter ce disque ?
Non, depuis tout ce temps je ne l’avais pas réécouté. Je ne pourrais pas, ce n’est plus mon truc. Mais c’est marrant car l’autre jour, par hasard, je suis tombé sur un morceau du disque à la radio et ça m’a fait tout drôle. Ça m’a transpercé. La force du souvenir, je suppose.

Radiohead, tu écoutes toujours ?
Non, pareil, ça fait longtemps que je ne les ai pas écoutés. Cela dit, je pense qu’ils sont un des derniers groupes rock qui compte encore. J’aime la manière dont ils évoluent, s’ouvrant à d’autres styles de musique et expérimentant tout en restant populaire. Dans le groupe George et Thomas sont 100 % pro-Radiohead. Moi seuls certains morceaux me parlent.

Lesquels ?
Les moins rock. J’aime une chanson comme « Videotape ».

D’une certaine manière je ne suis pas étonné d’apprendre que tu as aimé Radiohead et Jeff Buckley. Vos musiques diffèrent mais partagent, si je puis dire, un même goût pour l’emphase. J’ai fait un peu le tour des chroniques consacrées à Hidden sur le net et j’ai vu qu’on vous y faisait régulièrement un procès pour mégalomanie, allant même jusqu’à vous comparer à Muse. Je me souviens que Late of the Pier (LOTP) avait subi le même traitement. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Il y a plusieurs manières de sortir du lot. Tu peux l’être en faisant quelque chose de très spontané mais tu peux aussi l’être en faisant quelque chose de très réfléchis. Moi ce que je veux c’est que chacun de nos sons soient bien spécifiques. La plupart du temps ce n’est pas ce que j’entends quand j’écoute de la pop. J’entends des sons mal choisis ou qui n’ont juste aucune raison d’être. Je ne crois pas que ce soit faire preuve de mégalomanie que de vouloir lutter contre ça. Regarde les compositeurs de classique, ils pensaient chaque note dans leurs moindres détails. Eux étaient peut-être mégalomanes, mais moi je n’en suis pas là !

Tu veux dire : pas encore ?!
Oui, ça viendra peut-être !

Dirais-tu tout de même que These New Puritans est un groupe cérébral ?
Je ne voudrais pas qu’on nous voit comme des intellos de la pop. Je n’aime pas les groupes trop intellectuels ou qui essaient de se faire passer pour tel, genre : « Oh, je suis un artiste, je suis formidable ». Je dirais juste que notre musique est autant cérébrale que physique. Elle est très rythmique. On a plein de rythmes ragga et dance hall.

Tu aurais d’ailleurs dit qu’Hidden c’est la rencontre de Steve Reich et du dance hall !
Oui, je me rappelle avoir dit ça quelques années avant qu’Hidden ne sorte. C’était mon but. Avec le recul, je trouve que la formule s’est avérée assez juste !

Revenons si tu veux bien à cette histoire de soi-disant « mégalomanie ». Je ne sais pas toi mais moi ça me turlupine. Je veux dire, j’ai l’impression qu’il y a 15 ans personne ou presque ne critiquait l’emphase musicale de Radiohead et de Jeff Buckley. Au contraire. Aujourd’hui les choses semblent s’être inversées. On célèbre la pop passe-partout et dès que quelqu’un aspirent le plus sérieusement du monde à s’élever contre ça avec une musique exigeante qui fait bloc, bizarre, on le fusille. Bref, j’ai juste l’impression qu’on ne tolère plus trop cette idée de l’Artiste avec un grand A. Ne penses-tu pas qu’on s’est un peu laissé ramollir par plusieurs années de pop dépourvue de folie et d’ambition ?
Je ne sais pas. J’entretiens des rapports ambigus avec la pop. Autant la plupart des musiques que j’aime viennent de là, autant j’y trouve beaucoup de choses que je n’aime pas. Cela dit, je me demande vraiment s’il y a déjà eu une époque où les gens écoutaient plus intelligemment la musique qu’à une autre. Moi j’aime en effet faire des disques où les titres s’enchaînent avec un début, un milieu, une fin. Mais pour moi c’est naturel. J’ai toujours composé de la musique comme si j’étais un groupe. Plus jeune je composais des albums entiers dans ma tête. Je faisais très attention à ce que toute cette mécanique tourne rond. Aujourd’hui plus personne ne semble s’intéresser à cette approche du disque !

Je n’en suis pas sûr. C’est peut-être une réaction d’esthète face à l’obsolescence du CD en tant que support économique, technologique et artistique, mais d’un autre côté j’ai vu quelques groupes faire des doubles voire des triples albums.
Oui, j’exagère. La prochaine fois nous ferons un quadruple album.

Ahaha. Il paraît que tu as eu idée de la musique d’Hidden avant celle de Beat Pyramid, qui est paradoxalement, en terme de sortie, votre premier disque…
Oui, Hidden rassemble certaines idées musicales que j’avais déjà eues depuis un moment. En fait, quand le groupe s’est formé, j’ai continué à faire la musique que j’ai toujours faite pour moi, de mon côté, une musique qui différait alors pas mal de celle du groupe. Mais après la sortie de Beat Pyramid je me suis demandé pourquoi je segmentais ainsi les choses. Je ne savais même pas. J’avais pris cette habitude, comme ça. Je me suis alors soudainement aperçu que je pouvais fusionner ces deux approches musicales, celle du groupe et la mienne propre, que ça sonnerait bien. J’imaginais déjà le résultat. J’ai donc tout chamboulé et c’est comme ça qu’Hidden est né. Aujourd’hui je continue de composer en marge du groupe mais je garde consciencieusement toutes mes idées pour qu’elles puissent éventuellement nourrir le plan de travail qui présagera d’un nouvel album de These New Puritans.

A l’époque de votre premier album vous avez été comparé à des groupes de rock indé classiques comme The Rakes et Franz Ferdinand. Cela t’a-t-il surpris ?
Oui, parce que je crois qu’on ne s’inscrivait pas du tout dans ce genre-là. Maintenant qu’on a sorti Hidden ça ne prête plus à débat, les gens peuvent voir la différence. Mais oui, je persiste à croire que Beat Pyramid n’a pas été compris. Pour moi c’est plus un album d’électro ou de hip hop qu’un album de rock indé (à l’époque revendiquait l’influence de RZA du Wu-Tang Clan et d’Aphex Twin – nda). Rien que dans la façon dont les morceaux ont été faits et assemblés ça a requis beaucoup de techniques. Je veux dire : on n’est pas un vrai groupe !

Pas un « vrai groupe » ?!
Non, je ne pense pas. On est très différent de tous les autres groupes, qui ne sont sans doute pas de vrais groupes eux-mêmes. Moi j’ai l’impression de ne m’intéresser qu’à la musique et être un groupe génère tellement de choses qui n’ont rien à voir avec ça. Pour moi, faut être un peu couillon pour vouloir faire partie d’un groupe. Ce qui vaut également pour moi.

Alors pourquoi avoir formé These New Puritans ?
Je ne sais pas. Je me souviens qu’au début aucun de nous n’y prenait plaisir. On se disait juste que ça pourrait nous amener quelque part.

Tu as donc commencé par recruter ton frère jumeau, Georges…
Oui, parce qu’on faisait de la musique ensemble depuis qu’on est môme. Et je pense qu’on a eu raison de monter un groupe car comme on n’aime pas trop ça, ça nous rend différent…

Anti « sexe, sans drogue ni rock’n’roll » ?!
Attention, on n’est pas aussi sages que ce que les gens peuvent croire. On ne l’est même pas du tout ! Mais ce que je veux juste dire c’est que parfois je sens plus d’art dans une chose comme ce bâtiment qu’on voit là que dans n’importe quelle chose dite rock. Pour moi les groupes rock ne sont pas si importants. Même s’il y en a de bons de temps en temps !

Y en a-t-il actuellement dont tu te sens proche ? Par exemple ceux avec qui vous avez tourné, comme Crystal Castles, The Kills, The xx ?
Non, s’il y en a un que j’aime bien en ce moment c’est Salem (groupe de Chicago au nom tiré d’un bouquin de Stephen King qui a sorti un premier album bien buzzé fin 2010, King Night, et dont on a dit qu’ils faisaient partie du micromouvement de la « witch house », néologisme barbare pour qualifier leur mélange frigorifique de shoegaze, d’électro ambiante et de southern hip hop – nda). Ils sont bons (au passage ils ont fait un beau remix du « Try It On » d’Interpol nda). A part ça je n’écoute pas de pop en ce moment.

J’ai lu que tu aimais un vieux groupe culte nommé This Heat. Peux-tu m’en parler ?
Ils sont bons mais je ne sais pas grand-chose d’eux.

Ok. Tu préfères parler de Britney Spears ? Il paraît que son dernier album, Blackout, est pour toi un disque important. Tu le penses vraiment ou c’était de l’ironie ?
C’est vrai que c’est marrant à dire mais je le pense vraiment. Quand on mixait Hidden j’ai donné Blackout à la personne qui s’en chargeait (Dave Cooley – nda) en lui disant d’essayer de faire sonner notre disque comme ça. Parce que j’adore la production de ce disque, à la fois classe et crade. J’aime ses fréquences, toutes ces textures étranges. Je crois que les musiques les plus singulières se trouvent souvent dans la pop et cela a beaucoup à voir avec le travail de production. Parce qu’aujourd’hui c’est dans la pop que la production musicale innove le plus. C’est aussi pour ça qu’il n’y a plus du tout de rock aujourd’hui. De rock à proprement parler. Je voulais donc fuir toute notion de production rock et mélanger une production de type classique avec une autre de type pop. Mais si j’aime Blackout c’est aussi pour Britney Spears. Elle est clairement tarée, et en musique c’est parfois bien de l’être.

En ce moment on n’entend plus parler de Britney Spears mais pas un jour ne semble passer sans qu’on entende parler de Lady Gaga. C’est hallucinant. Qu’en penses-tu ?
Je n’ai pas beaucoup entendu ce qu’elle faisait, elle est probablement douée, mais je préfère la folie sincère de Britney Spears à l’excentricité calculée de Lady Gaga. La folie de Britney c’est aussi ça qui fait l’étrangeté de Blackout. Son côté presque nihiliste. Ce qui est bien c’est que plus tu es populaire plus tu peux te permettre de faire des disques osés. C’est ce que j’aime dans le fait d’être un groupe pop : avancer masqué par une forme d’art accessible te permet d’y glisser certaines audaces. Je suis donc ravi qu’un disque comme Blackout puisse marcher. Car c’est aussi ça notre idée : faire de la pop, mais tordue.

Parlons donc plus précisément de la « pop tordue » d’Hidden. L’enchaînement de ses morceaux semble guider par un fil directeur spécifique, une sorte de dramaturgique. Cela t’a-t-il pris du temps de trouver le tracklisting idéal ?
Non, je savais où j’allais et je voyais donc très bien comment tout ça allait s’organiser. Le seul gros doute que j’ai eu concerne « Canticle ». Il a failli ne pas figurer sur le disque. Je me suis décidé au dernier moment et j’ai mis la version avec les cuivres.

Le premier morceau qui fut extrait d’Hidden s’intitule « We Want War ». Dis-moi, qui est ce « We » dans ce « We Want War » ?
Je dirai que c’est juste moi et ceux qui écoutent notre musique.

Dans « We Want War » il y a WWW. S’agit-il des 3 W du World Wide Web ? Et ce morceau serait-il donc comme le cri de guerre de la génération 2.0 ?
Non, ça ne parle pas d’une guerre en particulier, c’est plus pour dire : « Allons-y  ! », l’idée de se mettre à construire des choses, de générer de l’énergie et de chercher à en recevoir.

Ce n’est donc pas clairement votre côté Rage Against The Machine ?
Non, pas trop !

N’empêche : « Attack Music », « Fire Power », l’idée de guerre y revient sans cesse.
Oui, mais le disque comporte aussi des morceaux plus calmes, mélancoliques. En fait je tenais à y faire le pont entre ces deux extrêmes car dans la musique comme dans la vie l’intérêt vient toujours du mélange des contraires. D’une sorte d’ambivalence, d’ambiguïté. Je veux dire : rien n’est jamais tout noir ou tout blanc. On peut donc voir notre musique comme quelque chose de frontal, de violent, mais pour moi ce n’est pas si simple. J’y vois aussi pleine de nuances, de choses confuses, masquées, inarticulées.

A commencer par les paroles, dont on ne peut pas dire qu’elles empiètent sur le son.
C’est vrai. C’est peut-être dû au fait que je compose toujours la musique d’abord.

Les textes de « Three Thousand », « Attack Music », « Fire-Power » et « Drum Courts – Where Coral Lie » ne figurent pas dans le livret. Pourquoi ? Tu n’en es pas fier ?
Il y a un peu de ça, oui ! Mais c’est plus parce que contrairement aux autres morceaux dont les textes sont plus écrits et présentent mieux sur la page ceux-là reposent sur très peu de mots. Ils valent plus pour la manière dont je les chante, leur côté purement sonore, répétitif. Et puis je trouve qu’il n’est jamais bon de séparer un texte de chanson de sa musique.

Ça me rappelle ce que Jarvis Cocker de Pulp mentionnait en nota bene sur le livret de This Is Hardcore : « Merci de ne pas lire les paroles durant l’écoute du disque ».
Oui, ça me parle car quand tu écris un texte de chanson tu joues sur les sonorités, les syllabes. Il est fait pour être chanté, pas pour être lu,et c’est ce chant qui caractérise la pop.

Tu ne chantes pas vraiment, tu pratiques plus une sorte de chanté-parlé, presque rap parfois. C’est parce que tu n’as pas la chance d’être doté d’une voix lyrique et majestueuse comme celles de Thom Yorke, Jeff Buckley ou même Scott Walker ?
Sur Hidden je chante déjà plus que sur Beat Pyramid où j’étais plus dans le chuchotement. Mais non, ce n’est pas tant une question d’aptitude vocale, c’est plus que je n’ai pas idée de la manière dont je voudrais que mes paroles sonnent. Souvent je chante très près du micro pour brouiller le sens de ce que je dis et je chante de manière très lente, comme ça j’obtiens d’étranges nuances. Et voilà, comme je ne suis pas Pavarotti c’est très bien comme ça !

Je viens d’évoquer Scott Walker. C’était à dessein. Ce vieux musicien anglais figure parmi les musiciens les plus atypiques et les plus fascinants de toute l’histoire de la pop. Et j’ai entendu dire que tu aimais sa musique. Tu confirmes ?
Il semble avoir deux types de fans : ceux qui aiment sa première période (1967-1974 – nda) et ceux qui aiment sa seconde (1984-aujourd’hui – nda). Je suis plutôt de la seconde.

C’est peu dire que ses derniers disques Tilt et The Drift ne sont pas gais  !
Oui, mais ce sont deux disques absolument magnifiques. J’ai toujours cherché à m’en détacher, à proposer une musique différente, mais ils m’ont indéniablement marqué.

Comment les as-tu découverts ?
Par mon grand frère, encore fois.

As-tu vu le documentaire Scott Walker, 30 Century Man ?
Oui, oui. Tu vois la scène où Scott demande à son batteur de frapper un morceau de viande ?

Oui.
Ce batteur a failli venir jouer sur notre disque.

Vous aviez de la viande à lui faire frapper ?!
Non, juste quelques batteries. Il est très bon. Il fait partie de l’Orchestre National de Londres.

Ok. Mais je plaisante à moitié car sur un titre comme « Attack Music » il y a des sons que je n’arrive pas à identifier. Et comme une rumeur prétend que votre album contient le bruit d’un melon enrobé de crackers à la crème qui se fait destroy à coups de marteau histoire de simuler le bruit d’une tête humaine qui explose, je me suis dit que vous aviez peut-être aussi inséré des bruits de viande.
Non, mais c’est vrai qu’on utilise diverses sources sonores.

Comme des bruits de bottes, de chaînes en fer et de lames de couteaux…
Oui, j’aime bien insérer ce genre de sons high tech comme si on était dans un film ou un jeu vidéo. Pour moi c’est un peu les gun shots que tu peux entendre dans les morceaux de hip hop. On a juste remplacé les flingues par des couteaux (il saisit le boîtier d’Hidden posé sur le muret où on est juché et me montre un détail au dos de l’objet – nda). Tu vois ce logo ?

Oui, qu’est-ce que ça représente ?
Les épées de la vérité.

« Swords of Truth » c’est aussi le titre d’un morceau de votre premier album.
Oui, et voilà, ça c’est le logo des épées de la vérité.

Ah ok. A propos de logo, les visuels semblent, dans leur ensemble, importants chez vous, comme si These New Puritans était un projet où l’image importait autant que le son. Dans cet univers on retrouve donc beaucoup d’objets coupants et autant de torses nus. « Elvis », « We Want War », « Attack Music » : à chaque clips des corps nus, émaciés, chorégraphiés. Pourquoi ?
Aucune idée.

Ah. Quel sera le prochain « single » d’Hidden à bénéficier d’un « clip » ?
Ce sera « Hologram ». La vidéo sera basée sur une performance réalisée dans un entrepôt, mais ce sera différent de ce qu’on a l’habitude de voir dans le genre. On a fait ça avec Saam Farahmand (jeune directeur vidéo d’origine iranienne qui a réalisé des clips pour Klaxons, These New Puritains, Simian Mobile Disco et un DVD de Soulwax – nda).  On fera d’abord circuler une version spéciale « director’s cut ».

Votre amour de l’image vous a même amené à collaborer avec Dior. En 2007 vous avez composé un titre (« Navigate, Navigate ») pour le défilé de leur collection Homme Automne-Hiver signée Hedi Slimane. Ton frère George a même été modèle pour Dior. Le milieu de la mode t’inspire ?
Pas vraiment, non. Cette musique pour le défilé Dior est la seule expérience que j’en ai. Pour nous ce n’est pas aussi important que ce que les gens imaginent, notamment en Angleterre. C’était juste stimulant parce que la seule chose qui comptait était de créer de la beauté, et c’est ce qui nous préoccupe chez These New Puritans.

Dirais-tu qu’il y a des points communs entre l’univers d’Hedi Slimane et le votre ?
Possible.

N’est-ce pas bizarre que Slimane aime à la fois votre pop et celle de Pete Doherty ?
Sans doute.

J’ai remarqué que tu étais pas mal obsédé par l’idée de double et de symétrie. On le voit dans les figures (tri)angulaires et cybernétiques de vos visuels. On dirait parfois du H.G. Giger ou du Escher. On le voit aussi à l’intitulé de certains morceaux de Beat Pyramid comme «… I Will Say This Twice », « I Will Say This Twi… », « Infinity Ytinifni ». Au dos du boîtier d’Hidden tu as carrément dupliqué l’inscription du tracklisting via une symétrie d’axe verticale. Tout ça c’est important pour toi ?
ça l’était surtout pour notre premier disque. Je voulais que tout n’y soit que jeux de symétries, de miroirs, de numérologie, d’infini. Hidden prolonge peut-être cette thématique. Je ne sais pas, je n’y ai jamais réfléchi.

Ah. Tout ça c’est peut-être une histoire de gémellité…
Tu fais référence au fait que Georges et moi sommes jumeaux ?

Euh oui. J’ai moi-même un frère jumeau…
Ah ok.

Je me dis que ça peut inconsciemment pousser dans des quêtes de double…
Oui, je ne sais pas…

Tu m’as beaucoup parlé de ton grand frère, de comment, tout petit, sa discothèque t’a ouvert au rock et poussé à en faire. Mais tu ne m’as pas dit : joue-t-il lui aussi de la musique et si oui pourquoi ne l’as-tu pas pris dans These New Puritans ?
Aha, bonne question ! Mon grand frère joue en effet lui aussi de la musique. Petit je faisais de la basse sur ses enregistrements. C’est d’ailleurs un de mes meilleurs souvenirs de gosse, qu’il m’appelle pour le rejoindre faire ça dans sa chambre. Il a composé de très bons morceaux. J’en reprendrai peut-être pour le prochain album de These New Puritans.

Comptes-tu le sortir d’ici 2-3 ans ?
J’ai plein d’idées pour ce disque. Plusieurs options se dessinent. Il ne devrait donc pas sortir avant un certain temps. Mais These New Puritans ne va pas faire que des disques, on prépare d’autres choses, étranges, dont certaines sont déjà en cours…


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