DOMINIQUE A : KING DOM
1er septembre 2009. 15h15. Brasserie Le Terminus Nord, en face de la Gare du Nord. Il fait un temps de chiotte mais il ne pleut pas dans mon cœur comme il pleut sur Paris parce que je m’en vais interviewer Dominique A et il est comment « D.A. » ? Il est : « Cool ! » Oui, comme Fonzy. J’en ai fait l’expérience en l’interviewant à la sortie de son précédent album, L’Horizon en 2006. Dominique A ce n’est pas que cet artiste chauve à l’air professoral que renvoient ses chansons. En société, il est tout sauf comme ses chansons. Sociable, sympa, drôle. Bon et pas con, bien sûr. Avec lui, on peut autant parler de choses sérieuses que se payer une bonne tranche de rigolade. ça avait donc été un régal de parler avec lui. Speed dating promotionnel oblige, je n’avais eu, comme là , qu’une demie heure pour profiter de sa compagnie mais il est tellement frais, D.A., « Tranquillement à base de tranquilade ! » que j’aurais pu y passer des heures. Et heureusement que j’ai bien ça à l’esprit parce qu’à l’heure de le retrouver j’ai envie de me prosterner devant lui.
Quand je le retrouve, je suis à bloc dans La Musique, son huitième album sorti le 6 avril dernier. A chaque fois que je l’écoute, son écoute me met à genoux. ça vient de ce démarrage à la 2001 : L’odyssée de l’espace. Dans l’enchainement de « Le Sens » et d’« Immortels » on se prend une flèche d’extase, comme si d’un jet d’os sortait un (s)trip Space, qu’un groupe collait côte à côte « I Want You (She’s So Heavy) » et « Here Comes The Sun ». La grande santé en plein naufrage. Le lyrisme d’« Immortels » conflue dans le bravache « Nanortalik », évocation de ce voyage en mer vers le Groenland qui avait été la toile de fond de L’Horizon et c’est de nouveau la gifle avec l’enchaînement entre « Qui es-tu ? » et « Hasta que el cuerpo aguante ». La sanguine ritournelle du second contraste avec le bad trip lymphatique du premier. Alors s’ouvre le ventre du disque : la banquise brise-glace de « La Musique », la petite méca indus de « Je suis parti avec toi », la dinette guérilléro solaire due « Bruit blanc d’été » et celle thalassothérapiste « Des étendues ».
Tout m’y foudroie avant que ça se gâte sur les trois derniers titres. Comme dans l’album Auguri, il n’avait pas pu s’empêcher de mazouter de quelques sombres plages alors qu’il l’avait voulu lumineux et qu’il avait d’autres lueurs en stock, Dominique n’a pas pu s’empêcher de saboter la ligne droite de La Musique de titres plus empreints de malaise que sont « Des garçons perdus », « Hotel Congress » et « La fin d’un monde ». Contrairement au reste du disque où tout est mis en équilibre et en relief et où il y a 4 singles (« Immortels », « Hasta que el cuerpo aguante », « Nanortalik » et « Le bruit blanc de l’été ») et une « Pyramid Song » (« La Musique »), avec ses histoires de garçons qui « ne rient jamais », de « belle américaine » qui s’épile et de « lait blanc dans l’étable sombre » musicalement comme textuellement son dernier quart franchit un cap dans le bizarre, ça sent l’abandon, le délabrement, la pourriture, et tout s’affaisse dans une fin fuyante. Mais ça c’est des choses qui font que c’est lui. Bien qu’il s’ouvre, il brouille toujours les pistes.
A part ces nerdeux de Chronicart, l’immense majorité de la critique a célébré La Musique et dans ce concert de louanges j’ai noté celles de Francis Dordor des Inrocks qui dit que dans ce disque au titre sonnant « comme un absolu et un impératif moral », « sous le frêle glacis des synthés », émergent « belles, lisses et touchantes » comme « des Vénus d’un bain de chrome » et « un rappel à l’homme » des chansons qui transposent mieux que jamais la « théâtralité vocale » que Dominique A a inauguré en 1992 avec « l’électronica ascétique de La Fossette ». C’est vrai et c’est visible aux teintes que le disque mélange. Dominique dira y voir du bleu, moi des rougeurs. Et il y a les deux, car si la (f)rigidité de ses machines évoque un bleu pâle, comme le chanté-parlé et les champs lexicaux de la montagne, la mer, le ciel et la mort, le lyrisme des singles inspire lui du rouge, comme la langue espagnole et les mots « baisers », « bouche », « boire », « goût », « sang », « avinées », « embrasser », « 110° Fahrenheit », « épile », « hall », « toucher », « danger », « chaleur ».
Parfois au sein d’un morceau les deux couleurs sont si intimement liĂ©es, mĂŞlĂ©es qu’on ne sait plus laquelle domine. C’est le cas « des millions d’écailles rougies » des poissons que dĂ©chargent les bateaux argentĂ©s de « Nanortalik », de l’amour Ă mort d’« Immortels », des « deux hĂ©misphères » d’ « Hasta que el cuerpo aguante », du sud loin des yeux loin du cĹ“ur du « Bruit blanc de l’été » et des Ă©tendues aussi singulières que plurielles, des corps que dĂ©cor de « Des Ă©tendues ». Chez lui, il y a toujours du feu sous la glace. C’était dĂ©jĂ dans le courage des rouges-gorges qui « chantent dans le vent glacé » de La Fossette, le sang sex-addict qui « te fait faire un peu tout, sans frein » d’Auguri, le chasseur de cĂ©tacĂ©s et d’infini de L’horizon. Ici tout se joue Ă fifty fifty, un combat se trame dans l’envers des choses dont il rend compte, un pied dedans, un pied dehors. « La vie, comme disait Lennon, c’est ce qui arrive quand on fait d’autres projets ». C’est sa force, lui qui dira Ă LibĂ© que : « Le meilleur service que l’on puisse rendre au rock, c’est de l’oublier ».
Mais quand je retrouve Dominique A, je l’ai un peu mauvaise car tout le monde ne semble plus jurer que par Benjamin Biolay. Bashung mort depuis 6 mois, on cherche son successeur et c’est sur lui que c’est tombé. C’est bien Biolay, c’est pas la question. Malgré mes réticences, je finirai même par plonger dans La Superbe et j’y trouverai plein de trucs top qui me tiendront compagnie des nuits durant, et qui me tiennent toujours compagnie encore aujourd’hui, mais si on cherche le nouveau Bashung, c’est-à -dire la nouvelle grande figure qui donne « des nouvelles données » à la chanson rock d’ici, y’a pas photo : c’est du côté du chauve que ça se passe. Les spécialistes sont d’accord. En 2003, à la sortie de son premier album solo où Dominique A chantait deux titres, Philippe Poirier, l’ex-saxo de « Kat O » m’avait confié sentir quelqu’un de « dont on ne mesure peut-être pas l’importance parce qu’il est repéré » mais « qui construit quelque chose d’étonnant sur la scène française », lui procurant une émotion qu’il ne trouve pas chez les autres chanteurs.
En 2010, quand je demanderai Ă Jean-Louis PiĂ©rot, qui a Ĺ“uvrĂ© sur Fantaisie Militaire, avec qui il rĂŞverait de bosser après avoir travaillĂ© pour Bashung, la rĂ©ponse se fera attendre : « Y’a un mec que je considère… D’ailleurs je peux pas vraiment dire que j’aimerais travailler avec lui parce que je vois pas ce que je pourrais lui apporter tellement je le trouve gĂ©nial… » Je relancerai : « Mais en rĂŞve ? » « En rĂŞve, j’adorerais, oui ! Je serais tellement fier… Mais qu’est-ce que je pourrais lui apporter ? C’est plus lui qui m’apporterait quelque chose. Pour moi depuis la mort d’Alain, c’est le seul mec qui peut prĂ©tendre Ă cette position d’artiste crĂ©atif, vraiment crĂ©atif… » Je sauterai sur le cĂ´tĂ© tifs de l’affaire : « Il a autant de cheveux que toi ? » Il rigolera, avouant qu’ « il en a plus beaucoup », et prĂ©cisant qu’il l’avait dĂ©jĂ rencontrĂ© 2-3 fois et qu’il l’avait trouvĂ© « très humble », « humainement adorable ». « D’accord, mais ces derniers temps j’entends plus dire que c’est Biolay « le nouveau Bashung », t’en penses quoi, toi ? » « J’y crois pas trop ».
Ce qui fait que Biolay est incontournable et infiniment bankable, c’est qu’il réhabilite à sa sauce (d’un terrien en détresse) les codes de Gainsbourg et Bashung. Il ne s’efface pas derrière l’œuvre, il est dans l’image, la pose, le rock, l’héritage, alors il se met au centre, parle réussite perso, sexe, drogue, mort et post coïtum. Ce côté Rastignac qui carbure à l’ego trique, prolo qui colle du rap, de l’electro et des gros mots dans ses violonnades, bad boy juste ce qu’il faut, ça Play Blessures. Ça fait mouiller les meufs, ta mère et l’industrie comme un cross-over branché Booba-Chamfort. (En 2010, avec La Superbe il sera l’Artiste interprète masculin de l’année et l’Album de l’année aux Victoires de la Musique.) Et puis c’est un stakhanoviste. A 36 piges, outre ses cinq albums, dont deux doubles, il a réalisé plein de trucs pop varièt (pour Isabelle Boulay, Coralie Clément, Valérie Lagrange, Julien Clerc, Stéphane Eicher, Juliette Gréco, Elsa, Françoise Hardy, Daphné, Marie-Amélie Seigner, Elodie Frégé, Sylvie Vartan…), composé des musiques de films, joué dans des films…
B.B., c’est tout ce que D.A. n’est pas : parisien, dandy, sale gosse, mĂ©diatique, chevelu, clopeur. Il n’a pas les « habits » du rockeux, il n’a pas crachĂ© sur Henri Salvador, n’a pas boxĂ© BĂ©nabar, n’a pas divorcĂ© de la fille de Deneuve, n’a pas Ă©tĂ© taxĂ© de s’enfiler la première Dame de France. Il n’est pas « beau-laid », ce qu’adore le grand public, « parce qu’on est dans une Ă©poque oĂą les gens, comme me disait Manset en 2009 Ă la sortie de Manitoba ne rĂ©pond plus, pour une question de dĂ©magogie, veulent la fragilitĂ©. Ils veulent se sentir proche. Ils ont aimĂ© Gainsbourg pour ça. » Pour le cĂ´tĂ© « pĂ©kin moyen » dit-il. Fils de, Gainsbarre, tout ça. Or, sans dire que Dominique A « essaie de toucher au magistère » et que ses maĂ®tres sont Poussin, Zola et Hugo, « des gens qui font chier tout le monde », force est de reconnaĂ®tre qu’il y a un peu de ça. Lui est plus strictement crĂ©ateur, moine, (Monsieur) propre, monolithique, monacal. Père, pur en somme. Et « les humains, comme l’a Ă©crit F. Hölderlin dans La Mort d’EmpĂ©docle, ont de la peine Ă reconnaĂ®tre les purs ».
Pourtant quand je le retrouve à 41 ans, Dominique c’est un chanteur qui en A. En triple A même. Issu du label indépendant Lithium et auteur en 1992 d’un premier album en forme de manifeste qui a décomplexé plusieurs générations dans son approche minimale du français comme du son, il dispose d’une crédibilité rock presque supérieure à celle de « Noir Dez ». Il a même exprimé avant eux son opposition au business d’Universal & co (où lui n’était pas signé) en livrant une version spéciale de son « hit » d’alors aux Victoires de la Musique de 1996. Il a aussi influencé toute une génération d’écrivains, qui lui rendirent la pareille en écrivant des nouvelles inspirées des titres de son album de 2004 à l’occasion de sa sortie en édition limitée livre-disques. En 2008, il a lui-même écrit un petit livre super sur « sa pratique musicale », ses « souvenirs fondateurs » et « son état d’éternel débutant ». Biolay ne peut pas en dire autant. En plus, ces dernières années Dominique A s’est ouvert à des artistes plus pop, en écrivant pour Tiersen, Birkin, Elsa, Calogero, Doré…
Ce qui bloque chez Dominique A, c’est que son œuvre est tellement là , dure, qu’il semble n’avoir besoin de rien ni de personne comme le dira Jean-Louis Piérot, pas même de l’amour du public, comme s’il n’était plus qu’homme, intouchable. Ce qui bloque, comme l’écrira Francis Dordor, c’est qu’il « est devenu une diva », « plus seulement un chant, reconnaissable entre tous » mais aussi son incarnation, « un corps robuste, glabre, bien qu’étonnamment empreint de féminité ». Ce qui bloque, c’est que D.A., à l’image de son crâne, est devenu monstre, montagne. Et comme en atteste la baleine de « L’horizon », ou ces mots de « Elle parle à des gens qui ne sont pas là  » : « Un corps comme le mien avec toute cette absence, un sexe avec des mains bâtis sur du silence, un édifice muet, facile d’y entrer, facile d’y revenir et facile à quitter, quelqu’un à qui parler même quand il n’est pas là , puisqu’il n’y était pas quand on l’a rencontré… », il le sait très bien. Son premier groupe ne s’appelait-il pas John Merrick en référence à l’Elephant Man de Lynch ?
En fait, le souci de Dominique A, c’est que La Fossette, son premier album, fut un crime parfait. Comme il le raconte dans son livre, Un bon chanteur mort, il avait un plan précis, qui consistait à « se placer en porte à faux » par rapport aux « chansons gonflées aux hormones » de l’époque en jouant « du contraste entre la distance du chant et le sentiment de proximité » d’un orgue Casio. Il a alors acheté « pour mille et quelques francs, un synthé de brocante aux orgues souffreteux, aux clochettes assourdies, aux rythmes asthmatiques », dans une « une mue inversée » a gommé tout ce qu’il y avait de « masculin » dans sa voix pour tendre « à l’asexualité, essentiellement par goût esthétique », avait hâte de se « confronter au monde » avec  « cet état d’esprit ». Il a tendu un gros piège, se donnant les pleins pouvoirs comme Manset se disant Dieu en son temps, mais sans le dire, lui, livrant un « sadisque » où tout n’était qu’haïkus et intempéries Bontempi. Et tout le monde (chez les indépendants) n’y a vu que démiurge et Vierge en 3D.
Je me rappelle quand j’ai découvert La Fossette. Ça devait être en 2009, après Si je connais Harry, Auguri, Tout sera comme avant et L’Horizon. Poussé par mon amour de La Musique, je voulais remonter le courant, connaître les épisodes précédents. Revenu du disquaire d’occasion où je m’achèterai aussi La Mémoire neuve, j’ai mis le disque dans le lecteur et ce que j’ai entendu m’a refroidi. Sauve qui peut ! C’était sec, osseux et piquant comme l’ « il » d’ « il neige » et d’ « il pleut ». Comme s’il n’y avait plus que ça, ce qui fait la nique à l’Homme, le temps qu’il fait et qui passe. C’était comme l’air d’octobre qui me vrillait les poumons au départ du cross des collèges, je peux pas dire que j’aimais pas ça parce que là -dedans y’avait la sensation d’affronter un truc de taille, y’avait cette sensation du monde qui rentre en soi et celle de venir au monde, d’être un homme. D.A. y chantait en souriant pour « ne pas geindre » et que sa voix soit « la plus nette possible ». Le disque a tout plié. La Fossette ? Fossile et (grande) faucheuse. Le sourire ? Fakir, diablotin. V pour Vendetta.
En plus, Ă l’époque, du haut de sa science infuse, en Ă©tat de garce, le Dominique A de 21 piges chiait sur tout le monde. Mano Negra, NĂ©gresses Vertes, Garçons Bouchers ? C’est « à chier », ils « n’ont rien compris ». « De la notion de diffĂ©rence, on est passĂ© au stade de la publicitĂ© pour ces diffĂ©rences : « Regardez comme on est mĂ©langĂ©. » On cultive son look, etc. Je trouve ça hypocrite et dangereux : c’est du pain bĂ©ni pour les fachos. » Marquis de Sade ? « Ils ont fait des choses intĂ©ressantes, mais l’oreille se lasse. A trop jouer sur le mĂŞme thème, l’EuropĂ©anitĂ©, ils se sont auto-caricaturĂ©s. Pascal n’est pas devenu assez intelligent (sourire)… » Christophe ? « J’ai toujours un peu de mal avec ses trucs un peu techno italienne, limite ringard, mĂŞme si c’est quelqu’un d’important, qui fait partie des petits maĂ®tres. Mais il y a une ambiance de fou dans ses disques et toujours 2-3 berlingots magnifiques, ses chansons un peu romantiques, en fait, que j’apprĂ©cie toujours d’ailleurs. » Et alors il rĂ©pĂ©tait sans cesse qu’il fallait « être » ou « devenir » un musicien « intelligent ».
C’est que Dominique A, plus que Murat, « le papy Ă l’époque », c’était LE rockeur « rock critic », Ă la fois donneur de son et de leçons. C’était l’Inrockuptible et ça en agaçait et en agace toujours. En 2009, Ă la sortie de RĂ©vĂ©lations, son premier EP, je me souviens que Cheval Blanc m’avait dit avoir « vomi sur la bibliothĂ©caire en lisant les aveux » d’un Dominique A qui se prenait pour le « nouveau ministre de la police culturelle ». « C’est-Ă -dire, Cheval Blanc ? » « Je dis ça avec humour, mais disons qu’il joue un peu trop au professeur la morale Ă mon goĂ»t. » « Ce qui te gène c’est qu’il soit devenu une sorte d’institution ? » « Oui, un genre, d’ailleurs il y a 2-3 ans j’avais prĂ©dit Ă ses producteurs mĂ©dusĂ©s qu’il prendrait la place d’Alain Bashung quand il mourrait. Qu’il deviendrait symboliquement le « grand chanteur français » dans le « cĹ“ur » des gens. Ça commence dĂ©jĂ . D’ailleurs, artistiquement, je le prĂ©fère Ă Bashung. Pour moi, il est plus fort. Je lui promets mĂŞme une belle mĂ©daille gouvernementale s’il existe encore dans 4-5ans. VoilĂ . »
A 21 ans, le jeune homme excellait sur tous les tableaux. Son secret ? Sa peur initiale du rock. Alors que la plupart des musiciens lui voue un amour sans borne, à 13 ans lui le gardait à distance. Il croyait qu’il éloignait de l’enfance, à laquelle il tenait, « mythifiant déjà , de manière mortifère, le souvenir ». Etranger au « courage physique », sentant le besoin d’ « un monde compensatoire » pour annuler la « capacité de nuisance » de son imagination, il passait son temps à lire et écrire. A la récré, on le charriait (« Il fait des poésies. »), mais à la maison (Provins, en Seine-et-Marne), comme pour se « faire vieillir plus vite », ce fils unique d’un père prof et d’une mère au foyer chantait « à  haute voix » les chansons que ses parents aimaient (Brel, Brassens, Ferrat et Ferré). C’est en se dotant d’un magnétophone et de quelques instruments-jouets que ses poèmes qui « parlent d’amour, de solitude et de mort » (« Le Bonhomme de neige », « Agonie d’un soleil », « La Machine à oublier », etc.) sont devenus des « a cappella » et des « chansons improvisées ».
De là , il a un rapport privilégié avec le format de la chanson car si c’est la musique qu’il « vise » quand il écrit, la musique « avec ses jeux d’ombre et de lumière, son opacité », il « accorde cependant la primeur aux mots. Ce sont eux qui vont la légitimer. » Il s’imagine avoir « besoin de ce paradoxe pour susciter une tension à l’intérieur de la chanson, de manière que, même au diapason du texte, naviguant dans les mêmes eaux, la musique puisse toujours faire reproche à celui-ci d’avoir sur elle droit de vie ou de mort ; et qu’elle instrumentalise, à tous les sens du terme, ce reproche pour reprendre l’ascendant. Lorsqu’elle est livrée à elle-même, lorsqu’aucun texte, même anodin, ne la porte, lorsqu’elle n’a pas à défendre sa place, sa solitude l’intimide. C’est comme un couple qui passe sa vie à se déchirer, mais dont on voit l’un totalement démuni quand l’autre s’en va. » Ainsi ne se sent-il « à l’aise qu’avec les chansons, lorsque de l’alliance ou de la friction entre des notes et des parole surgit une matière dont l’intérêt se situe au-delà  ».
Mais voilà , son péché c’est de venir de la poésie, de s’être retranché du commun des mortels et d’avoir engendré un gros malentendu : n’être qu’un type triste et intransigeant. Deus Ex Machina. Il a dû le détruire alors qu’il pensait « avoir tout dit » en donnant ce « sentiment paradoxal » de « ne pouvoir être au monde » qu’ « en refusant de participer au jeu social ». Un temps il a hésité. La ferveur autour de La Fossette était telle qu’il se voyait faire comme Rimbaud, « en rester là  », « la fulgurance d’une œuvre » et « le renoncement à la poursuivre » lui apparaissant comme des « gages d’éternité » tandis que continuer le forçait « à descendre du piédestal » où on l’avait mis et à prendre sur lui « de décevoir, dans un premier temps tout du moins ». Il a choisi la voie la « plus classique », celle où « l’artiste qui a goûté au fruit ne peut plus se passer de son goût » et « enfonce le clou, quitte à le tordre ». Les 7 succédanés de La Fossette montrent que Dominique A a bien fait.
Quand je le retrouve, il est toujours ce poète de la chanson rock, plus que jamais mĂŞme, car il est revenu au monde, plus physique, charnel. C’est un type radieux et accueillant. Une baraque monumenTALL. Me revient d’ailleurs qu’il utilise souvent cette image pour parler de chanson. Quand un morceau lui vient, il se sent dans « une bâtisse plus ou moins cossue ». Il va ĂŞtre amenĂ© à « dĂ©couvrir ses pièces les unes après les autres » mais « le parcours Ă l’intĂ©rieur » ne dure pas. A chaque porte qu’il ouvre les nouvelles phrases qu’il trouve « viennent consolider l’édifice » et elles le mettent progressivement dehors. Une fois « la dernière porte refermĂ©e », il ne peut plus « retourner dans la maison pour bouleverser l’agencement des pièces ». J’aime bien cette image. Elle fait Ă©cho Ă sa grande thĂ©matique qu’est la mĂ©moire, ce sol mallĂ©able, et elle semble mĂŞme au cĹ“ur de son prĂ©nom, proche des mots dĂ´me et dominium (domaine en latin), de la mĂŞme manière qu’on peut lire dans Manset (man + set : en anglais), l’ « homme fait » ou l’ « homme qui fait ».
Et avec La Musique, Dominique A a tellement agrandi sa bar(a)que qu’on dirait un temple. Car en plus d’être superbe, on apprendra en octobre (Ă l’occasion d’une Ă©dition limitĂ©e) qu’il a un pendant, La Matière. C’est une sorte d’itinĂ©raire bis Ă destination des « fidèles », 12 titres issus des mĂŞmes sessions d’enregistrement, mais plus « spé » que ce qui fait corps sur le premier, Ă l’image du drum’n’bass « L’entretemps » qui demande : « Qu’êtes-vous venu chercher ? / La chair est une plaie / Impansable / N’y pas toucher / N’y pas toucher ». Ce faux double montre qu’Ă l’instar d’autres « monstres » (Thom Yorke et sa « tĂŞte radio », Billy Corgan et son « potiron en pĂ©tard ») Dominique AnĂ© est lui-mĂŞme le grand alchimiste de sa dualitĂ© (celle programmatique de son « A » Ă©rigĂ© en symbole). Il est en fin de cycle, au faite d’une Ă©popĂ©e. Vertige de l’A (nous deux). Je pose mon dicta sur la table, presse « play », et c’est comme une gĂ©nuflexion. A cet entre d(i)eux, cet « étherrien ». King Dom.
(INTERVIEW.)
Les garçons perdus me plaisent beaucoup…Il a une très belle voix, trop jolie peut-ĂŞtre. Sa clartĂ© nous donne envie d’entendre des choses très sombres, ou bizarres justement !
Bah disons que si c’est ton envie (et ce fut aussi la sienne Ă un moment), il a des disques dans ce sens. RemuĂ©, par exemple !
este tipo está en la liga de los grandes, y se le sale el arte por la orejas
Estoy de acuerdo