BRETT ANDERSON « SUEDE »

21 octobre 2010. 14h. Chez XIIIe Bis Records, près de place Clichy, 17e arrondissement de Paris. On ne le dit pas assez mais il y a des anges dans ce merdier. Et, comme Sean Bouchard du label bordelais Talitres sans qui je n’aurais peut-être jamais découvert Idaho, Emmanuelle Charles, Directrice Commerciale du label XIII Bis en fait partie. C’est elle qui m’a donné le ticket (to ride) pour interviewer Brett Anderson. Fin janvier 2010 elle m’en avait déjà eu un pour interviewer Paddy McAloon, l’ex leader de Prefab Sprout à l’occasion de la sortie de son Let’s Change The World With Music. Le 15 octobre paf ! nouveau mail d’elle : « Bonjour, nous sortons le 1er novembre un double best of de Suede. Si ça t’intéresse j’ai des possibilités de phoners avec Brett. »

Une interview du chanteur de Suede sans avoir à promettre d’en faire 10 pages dans un magazine qui tire à 100 000 exemplaires ? Hé comment que ça m’intéresse ! Bon, je sais, c’était sûrement un mail groupé envoyé en CCI, mais je n’ai pas pu m’empêcher de le prendre comme s’il m’était personnellement adressé. C’était comme quand Chris Isaak fixe l’assistance à la fin de ses shows et que chacun a le sentiment que c’est lui qu’il a regardé : une histoire d’élection, de croyance. Le ciel m’avait vu et me disait : « Vas-y petit, tu sais où loge le kérosène de leur carrière, le nerf de leur guerre, où se tend l’arc (ange) de leur destruction massive, leur (daddy long) legs. (C’est dans la trilogie pyragmydale d’androgyne génie de leurs trois premiers disques, Suede, Dog Man Star et Coming Up. Dans les effets miroirs d’« He’s Gone » et de « The 2 of Us »). Alors vas-y, c’est ton tour de percer tous les coffres forts le sien, le tien, les leurres. De percuter le réel à pierre-fendre. »

Le 28 novembre suivant (merci qui ?) à 30 piges je verrai enfin Suede live. (C’était à l’Elysée Montmartre dans le cadre de la tournée européenne qui a suivi leur reformation de 2010 et qui servait bien évidemment d’étendard promotionnel à la sortie concomitante de leur double best of.) Le son aura beau manquer de pèche, faire trop courbette pour qu’on entende encore la voix de Brett, je kifferai. Je reprendrai tous leurs tubes en chœur, en mode nananana, rien à foutre, je sue sous mon cuir, je me casse la voix. (Si j’avais été une fille j’aurais montré mes seins.) J’admirerai l’androgyne’s back, son physique d’allumette qui joue avec le feu, le micro, les retours, le ventilo, les mains des fans. Ses faussettes de suceur de bite comme deux sick actrices. Sa cambrure de sodomite. Sa gestuelle d’air fornicateur qui claque comme un fouet. Forever young. Chasing the dragon. Et me dirai : « Les diamants ne sont pas seuls éternels. Y’a aussi les chansons de Suede ».

Je saluerai brièvement Brett after show. Il me dira : « Non, je n’ai pas encore vraiment pensé à un nouvel album de Suede. Pour l’instant on se contente de faire ces concerts. Le prochain disque que je vais sortir sera d’ailleurs un album solo. Mais si jamais on refait un Suede il faut vraiment que ce soit un album magnifique. Je vais y réfléchir. C’est une possibilité. » Mais avant ça : « Ah, salut, ce n’est pas toi le journaliste français que j’ai eu au téléphone l’autre jour ? Quand tu m’as appelé j’étais en train de lancer une machine. Au départ je n’avais donc pas vraiment envie de te répondre (pour ça qu’il a dit que son Bowie préféré était un obscur, satirique et flopesque single sorti au tout début de sa carrière alors que Suede n’a jamais caché sa fascination pour le Bowie d’après, transformé, transformiste ? pour ça aussi qu’il a nié que le nom de Suede lui a été inspiré par une chanson de Morrissey dont l’impact sur Suede est lui aussi incontestable ?) et puis on s’est quand même mis à parler et finalement je me suis senti un peu confus car j’ai réalisé que tu connaissais très bien ton affaire. Souvent quand tu donnes des interviews à des gens qui sont fans de toi leurs questions sont à côté de la plaque. Mais les tiennes étaient très personnelles et intéressantes. » (Note à moi-même : penser à checker la date d’anniversaire d’Emmanuelle Charles sur Facebook.)

 

« je devais me comporter comme un coureur de 100 mètres »

 

Bonjour, Brett Anderson ?

Oui, bonjour, vous êtes ?

Sylvain Fesson. Je suis journaliste à Paris. Nous avions rendez-vous téléphonique…

Oh, je ne pensais pas que c’était si tôt. Peux-tu me rappeler plus tard ? Disons dans une heure ?

Ah, je ne peux pas non !

Deux heures ?

Non plus, je suis indisponible cet après-midi. Vous ne pouvez pas me parler maintenant ?

Non, pas vraiment, désolé, vous me prenez de court. Je ne m’attendais pas à ton appel…

Je vois…

Mais soit, vas-y, interviewe-moi.

Ok. Parlons donc de l’actualité de Suede. Ce 1er novembre vous sortez un double best of. Est-ce votre choix ou celui de votre maison de disques ?

C’est notre choix, oui.

Et pourquoi sortir cela maintenant ?

Hum, pourquoi pas ? Pourquoi pas en fait ?

Comment avez-vous sélectionné les morceaux de ce double best of ?

Par affinités. J’y ai vraiment mis mes chansons favorites. Je n’ai pas trouvé de meilleur moyen pour résumer ainsi 5 disques. Mais ça n’a pas été simple pour autant. J’ai dû longuement y réfléchir parce qu’on a beaucoup de bonnes chansons. J’en ai inévitablement laissé beaucoup de côté, certaines que j’aurais vraiment aimé y mettre, mais bon c’est comme ça hein, et je n’allais pas y passer ma vie. J’ai donc fini par rogner mon exigence de départ en me disant que l’essentiel était de garder ce qui donnait globalement une juste image du groupe.

Vous n’avez pas demandé l’avis des autres membres du groupe ?

Non, c’était mon choix.

Etait-ce étrange de réécouter tout ça ?

Non, c’était bien parce c’est de bonnes chansons. Ça m’a bien sûr rappelé le passé parce que certaines ont été écrites il y a près de 20 ans, mais je n’ai pas ressenti que de la nostalgie parce que là-dedans il y aussi beaucoup d’énergie. Beaucoup de ces chansons sont puissantes. En ce sens elles n’ont pas vieilli, elles sont presque intemporelles. Et puis j’ai aussi mis des chansons moins connues, comme « Pantomime Horse », et des faces B, comme « To The Birds » et « Europe Is Our Playground ». Ce genre de choses qu’on a moins entendu et que j’aime beaucoup. Dans ce best of le CD 1 contient plutôt les singles, les morceaux qui ont marché, et le CD 2 est une proposition plus personnelle, alternative. Ce dont je suis assez fier.

Une chanson vous est-elle plus chère que les autres ?

Dans tout ça c’est évidement très dur de distinguer un seul morceau, mais si je devais creuser, creuser, creuser et n’en choisir qu’un ce serait « The Wild Ones » sur Dog Man Star.

Pourquoi ?

Parce que je trouve que j’ai réussi à y joindre une mélodie accrocheuse et un texte qui dit quelque chose. Un texte où je suis doux-amer juste ce qu’il faut. Après je pourrais très bien me poser et te déballer le million de raisons qui font que je l’aime, au final tout ça restera toujours assez mystérieux. Je l’aime parce que ça m’échappe, et que voilà la chanson fonctionne. Et la musique doit rester ce truc instinctif, presque paranormal. Tu as tout à fait le droit de me poser cette question mais voilà pour moi il ne faut pas trop théoriser là-dessus.

Je vois. En dehors de la musique y’a-t-il un texte dont vous êtes particulièrement fier ?

Je dirai le texte d’« Heroine ». Mais j’aime aussi celui de « The Living Dead » et de « Killing of a Flash Boy ». C’est souvent les textes de faces B. Mais « Obsessions » a aussi un bon texte.

« Obsessions » est le seul morceau d’A New Morning (dernier album) à figurer sur ce best of. Pourquoi ça ?

Tout simplement parce que j’ai jugé que c’était la seule chanson de ce disque qui méritait d’y être. A New Morning n’est pas mon disque préféré du groupe. (Soupir.) J’ai essayé d’être le plus honnête possible sur ce qui devait ou non figurer sur ce best of. Et je pense que très peu de morceaux de notre dernier disque méritaient d’y figurer.

 

A l’inverse le best of se repaît en masse du matériau de Dog Man Star (deuxième album). Beaucoup le considèrent comme votre chef d’œuvre. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que le terme de « chef d’œuvre » est trop souvent galvaudé. C’est souvent absurde d’entendre dire qu’untel a fait un chef d’œuvre, ça l’est d’autant plus quand les artistes qualifient eux-mêmes leur travail de chef d’œuvre. Mais oui je pense que Dog Man Star est très bon. Il est énergique, profond. J’y aime presque tout. S’il est donc vu comme notre meilleur album, ça me va.

Mais diriez-vous que c’est votre préféré ?

Dog Man Star et Coming Up sont mes deux albums studios préférés. Mais j’ai aussi sorti un double album de faces B que j’aime beaucoup : Sci-Fi Lullabies.

Je considère également Dog Man Star comme votre pièce maîtresse. Il s’en dégage quelque chose de très fou, spécial et sulfureux qui fait bloc. Est-ce dû à votre consommation de drogue, à votre envie de vous démarquer de l’émergence de l’esthétique un peu prolo de ces groupes qu’on a étiquetés « Britpop » ou aux tensions entre vous et Bernard Butler ?

Un peu de tout ça. On a enregistré Dog Man Star à une époque où le phénomène Britpop qu’on avait plus ou moins initié malgré nous prenait de l’importance et on a voulu s’en défaire. A cela s’est effectivement ajouté des problèmes humains au sein du groupe. Bernard avait envie de partir. C’était dur et ça a sûrement eu de l’impact sur l’atmosphère déjà très dramatique du disque. Malheureusement je pense que toutes ces histoires ont fait de l’ombre à la qualité du disque, parce que finalement les journaux parlaient plus du départ de Bernard. C’est dommage parce que comme tu le dis c’est un disque très fort. Maintenant que ces histoires sont derrière nous je pense que les gens peuvent enfin apprécier le disque pour ce qu’il est : 12 chansons qui forment un tout.

Il paraît qu’une des raisons du départ de Bernard c’est qu’il vous reprochait de trop vous intéresser à votre image de rockstar et pas assez à la musique. Qu’en pensez-vous ?

Je ne sais pas quoi penser de ça. Je pense que tout le monde fait des erreurs, tout le monde. (Soupir.) Moi ce qui me fascinait justement dans le fait d’être un groupe c’était cette exhibition : un groupe c’est des gens qui évoluent et qui font des erreurs en public, comme une grosse bombonne de gaz qui menace à tout moment d’exploser, pour le meilleur et pour le pire. Je ne peux donc pas dire que j’ai fait une erreur en agissant comme ça. Pour moi ça faisait partie du truc. C’est pour ça que la plupart des groupes d’aujourd’hui m’ennuient à mourir, parce que je les trouve super carriéristes, tu vois ? Ils mettent la tenue attendus et font tout sagement, comme s’ils allaient pointer à l’usine. Là-dessus je suis tranquille, avec Suede on a fait ce qu’il fallait. On a toujours été contre ça, toujours cherché à éclater le truc, à aller de l’avant, toujours été cette cohabitation difficile de quatre jeunes types dans l’œil du cyclone du succès et de l’échec. Ça fait un bon soap opera, non ?

Même si ça a généré des tensions dans le groupe, vous pensez donc que c’était donc artistiquement utile d’agiter comme une torche votre personnage de rockstar androgyne ?

Utile ? Oui, je suppose que ça l’était oui. Aujourd’hui ça ne m’intéresse plus. En tant que concept ça ne m’intéresse plus. Et ça ne voulait pas dire que je voulais détruire le groupe, je voulais qu’on dure, mais je ne voulais pas qu’on devienne une énième moisissure indie rock pour strict fan d’indie rock, je voulais générer un surplus d’excitation, qu’on soit un groupe de scène, dynamique, performant. C’est sans doute ça que tu appelles « trop s’intéresser à notre image ». Les gens pensent sans doute qu’on maîtrisait cette « image » mais ça avait plutôt tendance à nous échapper. Parce qu’il faut bien avoir à l’esprit que les médias participaient activement à l’image globale de Suede. C’est par leur truchement qu’elle a pris forme. Bien sûr on n’était pas stupide, on savait comment ça fonctionnait, mais tout ça pour te dire que cette histoire d’image ne dépendait pas que de nous.

Dans vos textes vous parliez d’ailleurs souvent de ce monde des images, des magazines, de la mode, de la télé et du cinéma américain tout en parlant de la vie mois reluisante des gens qui, comme vous, viennent de banlieue. Etait-ce donc une ode à l’ailleurs ou une critique sociale ?

Une critique ? Non, non, c’était vraiment une sorte d’hommage. Quand tu vis en banlieue, que tu n’as pas d’argent et que tu souhaites fuir la grisaille de ton quotidien la pop et la romance des écrans t’apparaissent comme les meilleurs échappatoires possibles. Ils deviennent un horizon de ta vie, qui te fait rêver, te donne de la force. Donc non c’était vraiment une ode à leur pouvoir.

Suede n’a jamais collaboré avec ce monde de la mode, de la pub, du cinéma. Pourquoi ?

(Soupir.) Disons que dans les années 90 le contexte était tout autre, n’est-ce pas ? Aujourd’hui les groupes ne gagnent plus trop d’argent sur la vente de disques, ils sont donc obligés de nouer ces collaborations avec la mode et la pub s’ils veulent vivre de leur musique. Je trouve ça triste. Nous on nous a plusieurs fois proposé ce genre de deals mais j’ai toujours refusé car je trouve ça nul.

 

Revenons à Dog Man Star. Il paraît que si Bernard a quitté le groupe durant la réalisation du disque c’est que vous vous êtes opposé à son désir de privilégier de longues impros psychés. Est-ce vrai par exemple que la version initiale de « The Asphalt World » durait 25 minutes ?

Je ne crois pas qu’elle durait si longtemps, mais oui elle était vraiment plus longue que celle qu’on a mise sur disque. J’y ai retiré une bonne partie de son improvisation musicale finale. Dog Man Star était un disque assez ambitieux. On voulait qu’il soit le plus extrême possible. Mais je voulais que ça reste pop. J’ai toujours été conscient que ce qu’on faisait c’était essentiellement de la pop. Notre musique contenait quelques éléments innovants mais ce n’était pas de la musique d’avant-garde. J’ai donc tenu à maintenir un équilibre entre tout ça. Au final je pense qu’on s’en est bien tiré.

En 1993 parmi les groupes qu’on a décrits comme faisant parti de la scène Britpop il y avait Pulp, Blur, Oasis, Divine Comedy, The Verve, Radiohead. Vous sentiez-vous en compétition avec eux, notamment ceux qui, comme vous, avait un chanteur à la voix glam ou lyrique ?

Non, non, non, parce que je ne me suis jamais senti comme faisant parti d’une quelconque scène. J’ai toujours eu une démarche d’indépendant. D’ailleurs le jour où ces groupes se sont mis à former une scène à part entière, comme on le disait, on a fait Dog Man Star en réaction à la vision étriquée du rock et de l’Angleterre que ces groupes véhiculaient et auxquels on nous associait à tort.

Vous n’écoutiez donc pas ces groupes ?

Non, non, non. Durant les 20 ans que Suede a duré je n’ai pas écouté la pop de l’époque. (Je rigole à l’autre bout du fil.) Je t’assure. Je me suis seulement mis à écouter un peu ce qui se faisait durant les deux dernières années du groupe, mais sinon je n’y prêtais pas attention, je n’avais aucune idée de comment ces groupes sonnaient, ça ne m’intéressait pas. J’ai toujours estimé que je devais me comporter comme un coureur de 100m. Les mauvais sprinteurs regardent les couloirs pour voir où en sont leurs adversaires mais pas le meilleur. Lui garde les yeux sur la ligne d’arrivée.

La métaphore n’est pas anodine. J’ai appris que votre première passion était la course. Il paraît que vous rêviez même d’une carrière d’athlète avant de faire du rock. Est-ce vrai ?

Non, j’ai fait un peu de course, j’ai même fait du foot, mais je n’envisageais pas vraiment de faire carrière. Je crois que j’aimais juste ça comme tout gamin de 12 ans aime ça.

C’est étonnant car Suede n’est jamais passé pour un groupe de fan de foot !

Oui, Suede n’était pas le stéréotype du groupe fan de foot mais il ne faut pas se fier aux apparences. C’est quand tu grattes la surface des choses que tu vois apparaître des vérités cachées, n’est-ce pas ? Enfant, j’étais un bon sportif. Je courrais et je jouais beaucoup au foot.

N’avez-vous pas alors abordé la pop comme un sport, en voulant battre les autres ?

L’idée de compétition est par définition constitutive de la pop car pop veut dire « populaire ». Il y a donc cette forme de compétition où tu essaies d’être plus populaire que les autres. C’est ça la pop : monter sur le terrain et tout faire pour être le numéro un.

Comme je le soulignais tout à l’heure, un des atouts de Suede, c’était votre voix, haut perchée. L’entraîniez-vous pour pouvoir atteindre ces notes ?

En fait plus qu’une simple voix qui va haut dans les aigus j’ai une tessiture assez étendue entre les aigus et les graves. Mais non je n’ai pas spécialement travaillé ma voix. J’ai juste toujours chanté et toujours eu cette chance de pouvoir chanter à la fois aigu et fort. Plus tu t’habitues à chanter aigu plus tu vas réussir à y mettre de l’énergie et j’ai toujours essayé de tirer le plus d’énergie possible des chansons de Suede. La plupart ont des lignes de chant très très haut perchées. Aujourd’hui elles sont donc dures à chanter car ma voix a changé. Elle n’est pas moins bonne. Elle est juste différente. Elle a perdu des aigus mais elle est devenue très très forte dans les mediums et les graves.

A ses débuts la presse anglaise décrivait Suede comme l’alternative UK pleine de finesse et de panache à un grunge US catalogué comme brutal et lourdaud. Mais finalement, si on regarde l’énergie en jeu, l’incandescence, n’étiez-vous pas plus proche de Nirvana et Pearl Jam que de Blur et Oasis ?

Peut-être. J’ai toujours pensé que Suede était en bien des points un groupe primal. Quiconque nous a vus live peut en témoigner : il y avait chez nous quelque chose de l’ordre de la bataille. Sur scène on jouait de manière assez agressive, presque punk.

Cette énergie scénique vous habite-t-elle toujours ?

(Soupir.) Pour moi les shows qu’on a faits cette année sont les plus beaux qu’on a jamais donnés. Oui, je pense qu’on donne toujours une bonne énergie. Mais c’est parce qu’il y a aussi de nouveau de l’énergie dans le public. Je veux dire, je ne dis pas ça pour me passer de la pommade, genre : « Ouais, je suis trop brillant sur scène ! ». (Je rigole à l’autre bout du fil.) Je suis juste honnête. C’est juste ce que je pense. Mais oui, de toute façon pour revenir à ce que tu disais, les premières influences de Suede furent des groupes punk, comme les Sex Pistols. Enfin parmi d’autres.

Comme Bowie et The Smiths. Dites-moi, quel est votre disque préféré de Bowie ?

(Réflexion.) The Laughing Gnome.

Ah… et des Smiths ?

Je n’en ai pas.

Vraiment ?

Oui, mais leur best of est brillant.

Il paraît que vous avez trouvé l’inspiration de votre nom de groupe dans celui de la chanson « Suedehead » de Morrissey (premier single de la carrère solo de l’ex chanteur des Smiths, sorti en 1988 et sur lequel figure « I Know Very Well How I Got My Name » en face B). Est-ce vrai ?

Non, ça n’a rien à voir avec cette chanson. C’est juste que j’aimais ce mot, l’emboitement de ses lettres, sa concision, sa forme. Dis-moi si je me trompe mais le truc étrange c’est qu’en France Suede (daim en anglais, nda) signifie Suède, n’est-ce pas ?

Oui. A propos de forme et de mots j’ai remarqué que vous recouriez à un procédé intriguant dans les deux ballades poignantes que sont « He’s Gone » et « The 2 of Us »…

Oui, dans les histoires que j’y raconte je mentionne à chaque fois l’existence d’une chanson qui n’est autre que celle que je suis en train de chanter ! Ce genre d’autoréférences m’amuse. C’est ma manière de jouer avec les mots, de voir ce que je peux faire d’intéressant avec eux.

 

Ça créé des effets miroirs troublants. Ils donnent l’impression que ces chansons reposent sur une sorte de narcissisme sans fond, de trou noir, d’effondrement. On retrouve d’ailleurs cette imagerie sur les couv de vos premiers disques, dans le baiser, l’homme seul sur son lit…

Oui, peut-être.

Bref, pouvez-vous m’éclairer sur deux énigmes plus « light ». Sur votre premier album un morceau (encore une ballade poignante) s’intitule « Pantomime Horse »…

Oui, c’est une super chanson. Une de mes préférées.

Soit. Mais qu’est-ce qu’un « Pantomime Horse » ?

Sais-tu ce qu’est La pantomime ?

Non.

C’est un type de pièces de théâtre qui doit remonter au Moyen Age et où les acteurs ne s’exprimaient que par des gestes. Et entre autres choses tu y trouvais donc des costumes pour te déguiser en cheval. Il fallait être deux, un pour faire la tête et les pattes avant, un pour faire le ventre et les pattes arrières. Voilà, c’est ça un cheval de pantomime. Je l’utilisais comme métaphore.

Ok, je vois. Seconde énigme « light » : à la fin de « Breakdown » (autre ballade poignante, toujours issue de leur premier album) vous vous lamentez ad lib : « Does your love only come in a Volvo ? » C’est quoi cette histoire de love et de Volvo ? Un jeu de mots ?!

Non, là c’est le mélange sexe / voiture qui m’intéressait. Parce que le sexe est toujours un bon thème de chanson, quelque soit l’endroit où tu le fais, mais dans une voiture c’est encore mieux.

Fin 2009 vous avez sorti The Words, un recueil de tous les textes de chansons que vous aviez écrits pour Suede. Etait-ce important pour vous ?

Pas vraiment. Il n’a jamais été question que ce soit considéré comme un vrai livre, indépendamment de toute musique. C’était donc plus pour les fans, en complément des disques.

Recueillir ainsi vos paroles peut laisser croire que vous les voyez comme de vrais poèmes…

Oui, mais ce n’est pas le cas car écrire des chansons et écrire des poèmes sont deux choses tout à fait différentes. Il n’y a pas vraiment de terrain commun entre ces deux formes d’écriture. Le poème doit tenir tout seul sur la page, en silence ou à l’oral, alors que le texte d’une chanson doit faire vocalement corps avec la mélodie, les instruments. Ce sont vraiment deux disciplines très différentes. Mais en dehors de la musique j’écris aussi de la poésie, ça me stimule, me transporte.

Peut-être sortirez-vous un jour un recueil de poèmes ?

Oui, peut-être, mais pour l’instant je suis encore trop dans la musique.

Trop dans la musique ?

Oui, c’est ma vie, vraiment. Le recueil de poésie ce sera plutôt pour mes 80 ans.

Aujourd’hui que Suede est sorti de la compétition avez-vous enfin écouté la musique de vos « concurrents » de la grande époque ?

Certains d’entre eux, mais globalement je ne suis pas trop attiré par les autres groupes d’indie rock qui tendent vers le mainstream. Je préfère des choses plus pointues.

Comme ?

En ce moment j’écoute pas mal dernier album de The National, Bat for Lashes aussi et Fever Ray. J’aime beaucoup Fever Ray.

Un jour j’ai lu que McCartney se sentait toujours en connexion avec Lennon malgré sa mort, qu’il avait toujours l’impression de dialoguer avec lui lorsqu’il composait ses chansons. Dirais-tu que tu ressens aussi ça pour Bernard depuis que vous ne travaillez plus ensemble ?

Oui, bien sûr. Tu ne peux pas écrire toutes ces chansons avec cette personne et l’oublier comme ça. Tu ne peux pas oublier tout ce qu’elle t’a appris lorsque vous composiez ensemble. Cette manière que l’émulation entre vous avait de te tirer vers le haut. J’ai beaucoup appris avec Bernard. C’était et c’est toujours un musicien et un songwriter formidables. A côté je reste un débutant. D’ailleurs ça peut paraître dingue mais d’une certaine manière je cherche encore à l’impressionner. J’ai envie qu’il continue d’aimer ce que je fais. Excuse-moi, j’ai l’impression que tu as encore plein de questions à me poser, je ne voudrais pas te couper dans ton élan, mais là je ne suis pas sûr de pouvoir poursuivre cette discussion. Pourrais-tu me rappeler plus tard ? Comme ça je pourrais te parler plus longuement, à tête reposée. On fait comme ça, on dit 17h ?

Je ne pourrais pas, comme je vous le disais je ne suis pas disponible cet après-midi.

Ah ok. Bon bah tant pis. C’était cool en tous cas. Rappelle-moi ton nom ?

Sylvain Fesson.

Merci Sylvain.

 

13 réponses
  1. dandy
    dandy dit :

    Il est quand même moins con que la moyenne des rockstars.Suede est enfin considéré à sa juste valeur depuis leur reformation, c’est à dire un groupe d’exception et formidable.Et Brett Anderson est peut-être la plus grosse bête de scène que je connaisse.Merci pour l’interview.

  2. sylvain
    sylvain dit :

    Salut Stéphane,

    Merci pour ton retout sur cet entretien. C’est clair que je vais pas te contredire hein. Suede et son leader avaient un putain de pananche entre 92 et… 96. J’espère que tu trouveras par là d’autres interviews qui te plairont.

    A+

    Sylvain

  3. Carl
    Carl dit :

    Excellente interview. Brett Anderson est assez touchant quand il dit qu’il veut toujours impressionner Butler lorsqu’il compose.

  4. sylvain
    sylvain dit :

    Bonjour Carl. Oui, en toute objectivité je suis d’accord avec toi, ce passage me plait 😉
    Et au passage (bis), merci de ton commentaire.

  5. sylvain
    sylvain dit :

    Salut Stéphane ! Super, merci pour ces infos dont j’ignorais tout et qui laissent donc – a priori – présager d’un nouvel album.
    Tu y étais à ce concert ou pas du tout ? Quoiqu’il en soit je vais aller écouter ça. A+

  6. sylvain
    sylvain dit :

    Je sais pas trop quoi en penser : autant « I don’t know why » est une compo tout en refrain redondant archi rebattu qui accroche bêtement par ce biais autant « Sabotage » sort un peu du moule avec ses guitares plus « panoramiques » et son côté ballade à l’atmosphère évolutive… Pas mauvais mais bon boj je trouve, non ?

  7. dandy
    dandy dit :

    Je ne sais pas…en fait j’ai horreur de découvrir des chansons par ce biais. Elle sont en cours d’élaboration – il connaît à peine les paroles-…la première accroche direct le cerveau et la seconde me fait penser un peu à la période dogmanstar. Il y’en a d’autres mais le son est dégueu…je crois que je vais attendre l’album et arrêter d’écouter ces trucs. La bonne nouvelle est qu’ils vont faire un nouvel album – en espérant que ça soit au dessus de A new morning ou The Tears-

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