JULIEN BAER « DROLE DE SITUATION » (1)

8 juin 2011. 21h. 17e arrondissement de Paris. Chez Julien Baer. Je sais pas trop où poser les 16. Parce que voilà, j’ai longuement hésité, j’avais entendu que le gars semblait plutôt carburer au chocolat chaud pendant les interviews, et je me disais : « Je prends à boire ou je prends rien ? » Et si oui : « Bières ou vin ? » Finalement j’ai pris des bières. Un pack de 6. L’attaché de presse, quand il m’ouvre, ça l’étonne de voir ça à mon bras. Bah ouais, mais Julien nous invite gentiment chez lui pour qu’on parle au calme de la sortie de son best of, Drôle de situation, alors j’allais pas venir les mains vides. C’est comme moi, j’allais pas venir défraichi. L’interview sera filmée, alors je me suis demandé : « Rasé ? Pas rasé ? » Et j’ai choisi : je me suis fait ma petite gueule de jeune premier, j’ai mis mon haut idoine (le blanc tout fin col en v), jean et chaussures à talons, bref ma panoplie de « pédé parisien » comme dit (calotte sur ta bouche) mon enfoiré de cousin. Julien ? L’attaché de presse me signale qu’il n’est pas au top du top. Son dîner de la veille l’aurait mis dans le rouge. Durant l’entretien il boira plusieurs verres d’une drôle de mixture préparée par sa copine, une jeune brésilienne tout juste titulaire d’un master de psycho. Les 16 mises au frigo, des cannettes fraîches d’Heineken arrivent au salon, ainsi que des noix de cajou. Julien gratouille sa sèche au cas où l’envie le prendrait de nous jouer un petit air en cours de discussion, même si, ce n’est pas « son instrument de prédilection » (lui c’est le piano). Le caméraman s’installe, Julien s’intéresse à son matos, pose 2-3 questions, s’enquiert des conditions de lumière, de son. Sa copine et son RP web se retirent en cuisine. C’est parti.

« je vais faire un truc plus radical, comme les chansons des Who »

Bonjour Julien. Merci de m’accueillir chez toi pour cette interview filmée…

C’est moi qui te remercie.

J’ai voulu te proposer qu’on filme ça parce que je trouve que tu manques d’image…

C’est vrai. Je fais pas de concerts… Bon, j’ai complètement tort d’un point de vue promotionnel, mais je pense que dans la musique y’a rien à voir et y’a tout à entendre. Mais bon va falloir changer vu que les disques se vendent plus.

Oui, et avoir un personnage, c’est aussi utile pour amener les chansons aux gens…

Ouais, mais j’ai fait ma petite auto-analyse et j’ai compris que j’avais aimé la musique par la radio. Petit, je l’écoutais comme ça dans mon lit. J’essaie de reproduire ça, mais ça marche pas comme ça.

Là, tu sors Drôle de situation, un best of qui tait son nom…

C’est un peu un travail psychologique, un choix, comme mes disques sortent étirés dans le temps…

Une faille spatio-temporelle…

Oui, pour reproposer, condensées, mes meilleurs chansons aux gens. Et puis comme ça moi-même ça me motive, je me dis : « Ah bah, j’ai pas rien fait ».

Pourquoi ? Tu penses souvent que t’as rien fait ?

Oui. Tu sais, c’est un métier tellement bizarre et sortir des disques me prend tellement de temps… Là au moins ça matérialise un peu le temps passé et ce que t’as fait. Ça rassure. Et puis c’est aussi le moyen de se faire connaître auprès d’autres personnes. Je fais donc un petit effort sur la promotion. D’ailleurs, comme je me suis récemment mis à faire des photos, j’ai organisé une petite expo photos pour marquer la sortie du disque…

Une expo photos qui débutera le 23 juin à la galerie Chappe et qui s’intitulera Ce que je vois. En parallèle ce best of qui sort le 14 juin aurait pu s’intituler Ce que j’entends, non ?

Non, parce que ce que je vois c’est pas moi me regardant voir, alors que les chansons…

Comment as-tu eu l’idée d’associer la sortie de ce disque à une expo de photos ?

Je suis devenu fan de photos. De prendre des photos.

Et ça t’est venu comment ?

Comme ça, par hasard. Un jour, je me suis retrouvé avec un petit appareil numérique et j’ai vu que sans grandes connaissances techniques, si t’as l’œil, si tu voyais un truc, tu pouvais réussir à faire des trucs qui te plaisaient. Avec le numérique, t’as pas besoin d’être un génie, t’en prends plein et après tu choisis. Alors qu’avant avec les pellicules, il fallait vraiment faire des réglages de focales, prendre l’habitude de bien cadrer et tout. Moi c’est en prenant les photos que je trouve le cadre.

Ça te change de la musique ?

Oui, je trouve ça vachement calme. Parce que quand t’écris une chanson t’es dans une dynamique or là j’ai l’impression – les vrais photographes vont peut-être être contre ce que je dis – mais y’a un truc de plus passif que j’aime bien. La photo ça tombe sur toi, t’as pas à la chercher. Je me dis pas : « Tiens, je vais faire des photos aujourd’hui. » J’ai toujours mon appareil sur moi et quand je vois quelque chose, un mélange de lumières et de formes… A défaut de comprendre le monde t’en saisis des bribes où il se passe quelque chose.

C’est un truc de flâneur ?

Oui, comme la moto. J’en ai toujours fait et je trouve que ça aiguise le regard, donc j’ai peut-être ce truc, enfin j’espère, et j’espère que ça plaira. Donc voilà, là je fais ça, après je ferai d’autres choses.

Ouf, ce best of n’est donc pas un va-tout, un inventaire avant liquidation !

Non, non, c’est un inventaire avant agrandissement !

Ok. Ce best of compile 4 albums en 15 titres + 4 bonus. Comment s’est fait ta sélection ?

J’ai pris les « up-tempo » comme on dit, pour pas ennuyer les gens qui connaîtraient pas. Je pense, peut-être à tort, que les approches un peu plus rapides sont plus attirantes. Mes chansons sont quand même très introverties donc si en plus j’avais mis des tempos lents…

Qu’est-ce que ça t’a fait de réécouter ces titres dont certains remontent à tes 32 ans ?

Qu’est-ce que tu racontes ? A mes débuts j’avais 20 ans (rires) ! Ce que ça m’a fait ? ça m’a parfois fait un peu bizarre à cause de petits problèmes de maniaquerie sonore. Y’a des albums qui sonnent tellement différemment des autres. Mais bon, globalement je trouve que ça sonne bien

Tu n’as rien retouché ?

Non, pas de remix ni même de remastering. C’est brut comme ça.

Le disque s’ouvre sur 4 morceaux de ton premier album de 97, qui s’appelle Julien Baer

Exact. Lui-même.

Je me souviens qu’à l’époque le morceau « Juillet 66 » passait beaucoup sur la radio Oui FM, du coup pour moi, qui avait 17 ans, c’est devenu une sorte de madeleine de Proust. Mais au fil du temps, tu es de moins en moins passé sur ce genre de radios rock

Tu sais pourquoi ? Parce qu’elles se sont toutes radicalisées. Toutes ces radios ont vraiment pris des créneaux très précis. Les seules qui passent encore des choses un peu variées c’est Inter et Nova.

Oui, mais en ne passant plus que sur Inter et Nova j’ai l’impression que tu as dès lors écopé d’une image de chanteur bobo et un peu « Roi de l’underground » pour reprendre le titre d’un de tes morceaux – qui, je sais, ne parle pas de toi. Comment tu ressens ça ?

(Petit rire un peu gêné.) D’abord en droit d’auteur Inter c’est bien parce que c’est les longues ondes et qu’on y gagne plus que sur la FM où on touche très peu. Je suis donc content de passer sur Inter. Comme j’aime beaucoup la radio, j’aimerais passer ailleurs, partout mais bon, dans le métier y’a des mecs qui en bavent plus que moi. Pour quelqu’un qui fait pas de scène, j’en bave pas tellement.

Tes disques se vendent bien ?

Six millions d’exemplaires chacun ! Non, je vends peu, je dois être dans les 10 000. J’ai dû en vendre 15 000 du premier, après je suis descendu. J’ai dû faire 8000 sur le deuxième.

C’est assez pour pouvoir en vivre ?

Bah je touche des royalties grâce à la radio et comme je suis mon éditeur, voilà, ça limite les dégâts, mais non, je fais quand même d’autres trucs à côté, des musiques de films, de télé.

De pub aussi ?

Ouais, ouais.

Lesquelles ?

Héhé ! J’ai fait plein de trucs différents (sourire).

Tu veux pas dire quoi ?

Non, parce que ces des petits trucs. Si c’était un énorme tube je te le dirai (sourire).

D’ac.

Et puis j’en ai fait beaucoup mais c’était y’a longtemps. Mais l’année dernière j’ai fait 8 chansons pour la pièce de mon frère (Miam Miam – nda), par exemple. Je suis obligé de faire d’autres trucs comme ça parce que vu mes ventes de disques, faudrait vraiment que j’en sorte un tous les deux ans pour pouvoir en vivre.

Et c’est pas ton rythme ?

Non, parce qu’avant de faire un disque j’y vais à reculons. Je me dis : « Ah ça y est, je vais rentrer dans un disque de manière obsessionnelle ». J’ai pas trop envie d’y aller, quoi. Une fois que j’y suis j’y suis à fond, mais l’expérience me montre que, comment dire – bon, tout le monde va te dire ça –après des heures passées en studio, la musique fini par t’obséder à un point tel que t’as plus de vie, tu réécoutes sans fin des petits détails dont tout le monde se fout complètement.

Ça t’obsède tant qu’il y a quelques chansons où tu parles un peu de ces phases de travail…

Ouais, peut-être. Tu sais, les êtres humains ils se décrivent par quoi ? Par leur rapport à l’obsession par exemple. Et moi, si tu veux, j’ai un tempérament assez addicitf. Mes albums, maintenant je fini par les mixer moi-même (sourire). C’est un peu fou ça. T’imagines le temps que ça peut prendre ? Personne fait ça. Un mec ne mixe pas son propre disque. Peut-être les musiciens électroniques mais les chanteurs ils font pas ça. T’imagines, t’as composé les morceaux, tu les as entendus 600 000 fois et tu te remets à les mixer ? Alors là c’est pas bon ça. Je le décommande.

Tu écris beaucoup ou t’es un écolo de la compo, qui écrit peu et recycle beaucoup ?

Je note plein de trucs, un couplet-refrain par-ci, un autre par-là. J’enregistre toutes ces petites idées sur mon téléphone, je réécoute, je développe. Chez moi j’ai une pièce studio où je peux faire ça.

Tu es donc toujours en train de travailler de la matière !

Ah oui, j’ai hyper peur ! Il me faut tout le temps des chansons d’avance ! Même si après je les jette, ça me rassure, ça veut dire que j’ai encore le truc (claquement de doigts)…

Il te faut un petit matelas !

Exactement ! J’ai peur à l’idée qu’un jour j’aurais peut-être plus d’idées.

Tu t’es déjà fait le coup de la panne ?

Oui, quand j’ai quitté Polydor après mon deuxième disque (Cherchell – nda). Je trouvais pas le truc, je revenais sans cesse vers d’anciens schémas de composition. J’ai bien flippé là.

Il paraît que tu n’as pas aimé ce disque, que tu t’y trouvais trop sentimental…

Je trouvais qu’il y avait trop de violons, je sais pas, ça me plaisait plus ! J’étais complètement fou et je suis parti de chez Polydor : rupture de contrat. Après j’ai bien galéré pour revenir dans le disque (pour les deux suivants il a tout de même trouvé asile chez Universal Jazz – nda). Je sais pas ce qui m’a pris, je me rendais pas compte.

Tu ne voulais plus chanter l’amour et les femmes, ce que tu as moins fait après ?

Ouais, t’as raison, je l’ai de moins en moins fait. Mais c’était surtout une question de style musical. J’aimais plus composer au piano. Je trouvais ça mièvre ces suites de piano harmoniques qui rendent tout un peu joli, comme ça, alors que t’as aussi un lyrisme de la rythmique. J’ai donc fait ma petite crise d’ado dans la musique et j’ai découvert les samples. Là, comme tout le monde je me suis dit : « J’ai plein de disques, et si j’essayais de faire des trucs différents avec des trucs préexistants ? ». Et moi je suis complètement autodidacte donc je découvrais tout ça sur le tas avec 15 ans de retard. J’en pouvais plus de faire des chansons avec plein d’accords, tu vois ? Dans « Le monde s’écroule » tu dois avoir 6000 accords (il illustre son propos en le jouant à la gratte).

Après Cherchell tu as donc voulu te réinventer et moins écrire sur l’amour et les femmes. A ce titre c’est d’ailleurs marrant que l’album suivant s’appelle Notre dame des limites

C’est une paroisse à Marseille. Après mon départ de chez Polydor je traînais là-bas. J’avais vendu mon appart parisien, je vivais à l’hôtel. Le nom de cette paroisse m’avait frappé.

« Roi de l’undergound » sur Notre dame des limites, « Delon » et « Comme Joey Starr » sur le best of : j’ai l’impression qu’à partir de là tu as plus écrit sur des hommes…

T’as raison, oui…

T’as changé de bord ?!

Non (rires) ! Je sais pas, c’est un peu niais d’écrire sur l’amour. Alors je fais mon petit humaniste, j’écris sur les hommes.

Pourquoi avoir fait une chanson sur Joey Starr, qui figure dans les inédits de ce best of ?

Je l’ai faite y’a longtemps, avant que tout le monde en parle. Il faisait pas de cinéma. Il était encore dans son groupe. Je sais pas, il me semblait mon opposé physique et stylistique. Ça m’a intrigué. C’est un peu un délire sur ça : si on s’imaginait être l’opposé de ce qu’on est. Un prétexte à rêverie.

Récemment Katerine a aussi écrit une chanson inspirée du personnage Joey Starr pour le groupe Les Vedettes, sur une idée assez proche puisqu’il s’agit d’un rêve érotique. Plus récemment les Brigitte ont fait une reprise de « Ma Benz » de NTM. Joey Starr fascine comme s’il était devenu, à force de rap et de frasques, la vraie icône rock française.

Ouais, le côté brute et rauque ça fascine toujours. Mais je le connais pas personnellement. En fait je parle plutôt de ce qu’il m’inspire. Je parle peut-être même pas de lui, tu vois ?

Ouais, tu le fantasmes en roi de son monde avec son crew !

Voilà (sourire) ! D’ailleurs t’as compris les mots du refrain…

Oui, quand tu chantes : « Qui veut la peau de mon crew ? ».

Plein de gens m’ont dit : « Qu’est-ce que tu racontes Julien ? »

C’est une expression qu’on n’a jamais entendu je crois…

Je l’ai prise dans une compile de Joey Starr qui s’appelle Qui veut la peau de mon crew ?.

Ah ok. En tous cas la phrase est marrante, surtout avec ton phrasé très doux et détaché, ça lui donne un côté bancal, qui fait qu’on la capte pas forcément d’emblée

Oui, mais toi t’as compris, ça fait plaisir. Parce qu’auprès de moi personne n’avait compris.

Sans doute que tout le monde ne connait pas le mot crew !

Possible, oui.

Et ce morceau sur Delon, d’où vient-il ?

C’était une commande pour un mec qui avait fait un site, Dans les yeux d’Alain Delon, où il faisait poser des gens avec les lunettes de Delon. Les autres inédits c’est des instrus. J’ai peut-être eu tort de mettre des instrus. Quelqu’un m’a dit que c’est absurde. Oui, c’est peut-être absurde. En plus il me restait 2-3 chansons inédites. Je sais pas ce qui m’a pris…

Alors qu’est-ce qui t’a pris ?

(Sourire) Bah j’adore l’instru où y’a là flûte (« Bamako Beat » – nda). Elle a été faite par un prof du Conservatoire de Bamako que tout le monde appelle maître Tino, parce que son idole, enfant, c’était Tino Rossi. Il doit avoir 70 ans. Ces instrus ont peut-être peu d’intérêt pour l’auditeur. C’est peut-être une erreur mais bon, je vais pas aller en prison pour ça.

Non, surtout que ça donne une fin de disque légère, récréative, mais Joey Starr, Delon…

Ouais, t’as raison de m’en parler. C’est maladroit de ma part d’avoir mis ces chansons sur ces deux personnes parce qu’on va me poser la question à chaque fois. Je suis un peu idiot d’avoir fait ça. Surtout que moi je suis pas dans l’admiration de Delon (ce qui semble plus le cas de Fred Poulet, auteur-compositeur-interprète qui, sur son cinquième et dernier album, Milan Athletic Club, dans le morceau « A. Delon », non sans humour, chante qu’il voudrait être Alain Delon jeune – nda).

A propos d’admiration, il y a quelque chose que je trouve assez typique de ton style, c’est qu’il ne s’encombre d’aucune mythologie, qu’elle soit rock, cinéma ou autre.

Euh ça c’est à toi de le dire si tu le ressens comme ça. Moi je m’en rends pas compte.

Mais toi aimes-tu une mythologie qui, bizarrement, ne rejaillirait pas dans tes morceaux ?

Non. T’as pas remarqué que tout le monde emploie tout le temps les mots « mythique », « culte » ? Je déteste ça. Tout ça, c’est devenu des arguments de vente. Je sais pas… T’as déjà interviewé des chanteurs j’imagine ?

Oui.

Est-ce qu’on sait vraiment ce qu’on fait ? Tout ça c’est hyper instinctif. Tu cherches quelque chose. C’est des obsessions esthétiques personnelles. Et moi je sais pas, j’essaie d’être honnête dans ce truc-là, voilà. Mais bon, tout le monde te dira la même chose…

Oui !

Le truc que j’aime pas c’est le second degré, je déteste ça…

Et en même temps t’aimes pas le mièvre : la marge de manœuvre est donc très mince !

Ouais, d’ailleurs dans Notre dame des limites y’a une comme ça qui m’énerve (il chante 🙂 « Un voleur, un menteur, je ne vaux rien, je voulais être fort… » C’est une comptine, c’est niais (« Berceuse » – nda). Mais bon ça fait peut-être une respiration dans l’album…

Oui et je trouve ça beau car parfois on se sent comme ça, on est comme ça. Donc c’est aussi être honnête avec soi de sortir des choses de ce genre. D’ailleurs, j’ai un peu le sentiment qu’après Notre dame, sur Le La, t’es revenu à ces choses douceureuses…

Oui, c’est pas faux. De toute manière quand j’écoute Le La je suis pas très content…

Dans ta façon de chanter, tu y sonnes parfois très Souchon…

Ouais, possible.

C’est flagrant sur les morceaux « Le La », « Lourde porte d’entrée » et « Couleurs ».

Allez on le brûle, on brûle le disque (sourire) !

Ahaha, mais je dis pas ça pour tailler, j’aime bien Souchon et t’as l’air d’aimer aussi, non ?

Bah c’est dur de pas aimer Souchon ! Et comme on est fait de ce qu’on aime c’est sûr que j’ai du Souchon en moi (sourire). Mais là je vais faire un truc plus radical, avec des guitares électriques. Un truc touchant avec le minimum d’effets, comme les chansons des Who, même si je suis pas Roger Daltrey. En tant que chanteur je serai même l’opposé (sourire).

C’est sûr que toi t’es pas un chanteur de live, rugissant et tout. D’ailleurs où en es-tu niveau scène ? A l’époque de ton troisième album, il paraît que tu avais donné quelques concerts et que tu commeçais a y prendre goût…

Ouais mais je ferai de la scène quand j’aurai le nouvel album. Je suis en train de le faire et je pense qu’il sera bien sur scène. Mais bon ma voix c’est le genre de voix qui ne sont pas des vraies voix et qui ont du mal à passer sur scène.

Dès le départ ta voix n’a-t-elle pas été dure à faire passer sur disque ?

Si, c’est dur à équaliser. Mais bon on y arrive. Daho avait le même genre de voix. Gainsbourg aussi. Y’a un travail. Sa voix est très équalisée. Mais sur disque on s’en sort. Faut juste que les fréquences des arrangements ne viennent pas manger la voix.

Oui, mais toi tu n’as pas le timbre grave d’un Gainsbourg ni même d’un Daho, toi c’est plus féminin si j’ose dire, transparent, cristallin, genre Françoise Hardy !

Mais elle chante bien Françoise Hardy. C’est une vraie chanteuse.

Toi tu ne te considères pas comme un vrai chanteur ?

Je fais mes petits trucs à ma manière, en espérant que ça plaise. Si les gens disent que ma chanson est bien, je suis un chanteur. Si les gens disent que non alors non (sourire).

As-tu jamais pensé faire chanter tes chansons par d’autres ?

Non, pas du tout, parce que quand tu chantes ce que t’as écrit c’est un peu thérapeutique. Tu vas jusqu’au bout et voilà, ça fait du bien : t’as dit ce que t’avais à dire.

Le dire en face d’autres gens sur scène ce serait trop dur pour toi ?

Faut que j’y vienne. Mais bon, on demande pas à un peintre de repeindre son tableau.

Tu te considères comme un peintre ?!

Non, non ! Mais c’est comme l’écrivain, il doit pas réécrire son livre à chaque fois. Comment dire ? J’ai l’impression qu’une fois que le truc est fait c’est fait, faut passer à autre chose. Mais bon je dois avoir tort car beaucoup de gens aiment les concerts. En fait je crois que ça vient aussi du fait que je suis pas un amateur de concerts. Je vois pas vraiment le plaisir de voir un concert. Ça m’échappe.

En tant que spectateur tu n’as pas de souvenirs de concerts marquants ?

Si, si, y’en a. Y’a eu Björk. Alors bon, j’avais fumé de l’herbe, mais c’était assez incroyable, elle était là toute petite et la voix rahhh !

C’était quand ?

En 98, à la Mutualité. Ça c’est vraiment des chanteuses où le disque les bride. J’ai aussi vu – ce soir-là j’avais d’ailleurs fait un grand effort pour sortir – Beth Gibbons, c’est ça ?

Oui, la chanteuse de Portishead.

Impressionnante. A cette époque j’ai même vu Daft Punk et c’était assez impressionnant. Surtout qu’ils étaient hyper jeunes. Ils avaient l’air d’enfant.

Et toi tu ne te sens différent de ces artistes qui se produisent sur scène ?

Je sais pas. Après un concert on est rempli de soi-même, c’est bizarre à gérer. Je le gère pas bien. J’aurais envie d’aller embrasser toutes les femmes et de boire énormément de vin…

Tu penses que la scène a quelque chose d’autodestructeur qui te fait peur ?

Non, pas destructeur parce qu’il y des gens qui le gèrent très bien…

Mais toi non…

Comme je suis d’un naturel plutôt timide et réservé, le sentiment que j’ai à ce moment-là je sais pas bien le maîtriser parce qu’il est très différent de ce que je ressens d’habitude. D’habitude je prends huit bières très très vite pour me calmer, pour redescendre (sourire). Je suis pas spécialiste de la scène.

C’est ton côté Gérard Manset ?

Non, voilà, ça s’est fait comme ça, j’ai eu tort, je suis pas rentré dans le truc.

Il n’est jamais trop tard.

Complètement.

Si tu montais une fine équipe de musiciens pour t’entourer, ça t’aiderait à franchir le pas ?

Je sais pas, faudrait plutôt que j’arrive à gérer les émotions que je ressens sur scène, que je réussisse à avoir du plaisir à rechanter une chanson qui ne m’intéresse plus. C’est ça. Parce que je trouve qu’il y a un côté comédien à rejouer une chanson que t’as déjà chantée et qui t’a déjà demandé un temps fou pour être enregistrée. Après pour la rejouer faut donc un peu mentir, faire semblant…

Et ça, faire semblant, c’est le plutôt talent de ton frère Edouard…

Ouais, c’est vrai, c’est étrange… On a plein de choses en commun et plein de différences, c’est très étrange. A méditer.

Oh, sérieux, tu penses qu’il te faille méditer là-dessus ?

Oui, pour moi c’est toujours étrange qu’on soit…

Qu’il y ait une sorte de répartition des rôles ?

Oui, comment ça se fait ? Et pourquoi ? Tu sais pas.

Chacun choisit son terrain…

Est-ce qu’il choisit vraiment ? On sait pas. Une famille c’est bizarre.

(SUITE ITW.)

(OFF REC.)