KEN BOGARD
31 janvier 2013. 17h00. « Comment devient-on le Nelson Monfort de Street Fighter ? », c’est la question que je me pose et que j’envoie telle quelle Ă Ken Bogard sur Facebook. Par ses commentaires, ce petit français rĂ©ussit l’exploit de te scotcher devant le spectacle de deux types qui s’Ă©tripent par joystick interposĂ© alors qu’Ă la base, t’as beau t’octroyer de temps Ă autres quelques parties de « Street » entre potes pour le plaisir de communier avec eux autour de ce totem dopĂ© de bières et de j’en passe (« Passe passe le oinj ! »), t’en as rien Ă secouer. J’en ai fait l’expĂ©rience quelques jours plus tĂ´t grâce Ă mon geek de frère. Des barres de rires. J’ai fait tourner illico, au petit frère, d’autres potos. Le gars a une telle tchatcheque ses vidĂ©os YouTube de tournois de SF ont fait de lui une mascotte de la grande communautĂ© des gamers. Pour eux, il donne une deuxième vie aux matchs, tellement que certains se mettent Ă s’entrainer sĂ©vère dans l’espoir que leurs combats soient un jour commentĂ©s (anobli ?) par la verve 3 hit combo de l’inĂ©narrable Ken Bogard.
Ken Bogard a 28 ans. Son nom de scène fait rĂ©fĂ©rence aux hĂ©ros des deux plus grands jeux de baston des salles d’arcade : Ken (Street Fighter II) et Andy et Terry Bogard (Fatal Fury). Il porte d’ailleurs souvent une casquette (oriflamme ?) griffĂ©e Fatal Fury. Le jeune homme est très axĂ© rĂ©tro-gaming. World of Warcraft, les jeux en rĂ©seau, tout ça, pas son truc. Non, faut que y’ait du gros bouton, que ça fight, genre catch. On appelle ça l’ « eSport ». Partant de lĂ , oui, un jeu comme Mario Kart en est, et notre geek fighter entre en piste. LĂ , style MC course de cheval, il s’immisce et lâche son flow digne d’un Nelson Monfort sous amphĂ©tamines. Voire d’un George Eddy. Oui, mash-up d’anglicismes et de termes termes technico-techniques, sa novlangue m’a plus fait penser au cĂ©lèbre commentateur franco-amĂ©ricain des sports US de Canal. George Eddy associait des expressions glanĂ©es sur les playgrounds Ă des trad’ de commentaires anglo-saxons, et comme lui Ken Bogard n’invente rien : il avoue que « 70 Ă 80 % des expressions » qu’il utilise ne sont pas de lui.
Il n’aime pas trop qu’on le compare « à tel ou tel commentateur » alors que clairement, dans ma bouche, c’est autant une astuce pour attirer le lecteur qu’un vibrant hommage à sa verve (dois-je préciser que la parlotte de George Eddy a dynamité mon adolescence et que je suis fier de l’avoir interviewé il y a 8 ans ?). Bref, le gars a beau être un peu freak, habiter un village près de Troyes où il n’a pas de « voisin à moins de 200 m », et passer beaucoup de temps dans sa chambre à commenter des vidéos de Super Street Fighter 2 X (sa version préférée du jeu) dans les « conditions du direct » (sans regarder les matchs avant de les commenter et faire ça d’une traite, sans montage), je ne le tourne nullement en dérision. Au contraire, en tant que passionné qui trime et homme de mots qui sonnent, j’ai tendance à le comprendre. Moi aussi je passe beaucoup de temps enfermé. Et puis moi aussi je jouais à Duck Hunt et Super Mario chez un autre (mon cousin) quand j’étais petit, et « la première console qui est entrée dans ma maison », pareil, une Mega Drive, man.
 « Meurs pas sans ton PIF ! »
Bonjour Ken. Alors, comment devient-on le Nelson Monfort de Street Fighter ?
Lol, je n’aime pas qu’on me compare Ă tel ou tel commentateur ! C’est pas très facile de rĂ©pondre a ça. Disons que ça fait maintenant plus de 4 ans que j’ai commencĂ© Ă commenter des vidĂ©os. A l’Ă©poque, c’Ă©tait assez novateur puisque personne ne le faisait, mĂŞme sur le net. J’enseignais les mathĂ©matiques Ă mi-temps (chez Acadomia – nda) en mĂŞme temps que je terminais mes Ă©tudes en mathĂ©matiques. J’arrivais Ă tenir un rythme d’un tournois par semaine, guère plus. Je me suis imposĂ© en tant que commentateur de jeux de combat en France sans le vouloir. J’ai pas vraiment de mĂ©rite, j’Ă©tais juste lĂ le premier, c’est tout. C’est le cas de beaucoup de youtuber, qui sont d’ailleurs très populaires aujourd’hui.
Avant de devenir commentateur, t’Ă©tais une pointure en tant que joueur ?
J’ai jamais cassĂ© la baraque sur les jeux de combat, j’ai jamais eu le temps de m’investir rĂ©ellement Ă haut niveau. C’Ă©tait pourtant une de mes plus grandes passions et ça l’est toujours. En fait, commenter des vidĂ©o, c’est la meilleur manière que j’ai trouvĂ©e pour Ă la fois partager ma passion des jeux de combat et m’Ă©panouir dans celle-ci. Il faut savoir qu’aujourd’hui, et ça va faire deux ans maintenant, cette activitĂ© me prend presque tout mon temps. Je n’ai plus le temps d’enseigner Ă cĂ´tĂ©. Je suis dĂ©jĂ Ă la retraite ! C’est peut-ĂŞtre dommage parce que pour ĂŞtre honnĂŞte, malgrĂ© les nombreuses heures passĂ©es Ă travailler sur des vidĂ©os, la communication et des concepts d’Ă©missions hebdomadaires, je suis bien bien loin de pouvoir gagner ma vie avec ça. Mais voilĂ , c’est un choix que j’ai fait, une sorte de pari sur l’avenir car j’entrevois un avenir radieux pour le jeu-vidĂ©o et la compĂ©tition. J’espère bientĂ´t avoir ma place au soleil. On est dĂ©jĂ en plein boom et la popularitĂ© des « eSport » ne cesse de croĂ®tre.
Considères-tu tes commentaires comme une sorte d’art ou de journalisme ?
Surtout pas du journalisme, non, ni de l’art. Je considère ça comme de l’entertainment, du divertissement. C’est Ă la portĂ©e de tout le monde.
Peut-ĂŞtre, n’empĂŞche, il n’y a qu’Ă voir les commentaires que les gens laissent sur ton site et les photos publiĂ©es sur ta page Facebook : depuis que tu fais ça, tu es devenu une sorte de mascotte pour la communautĂ© des joueurs, nanas comprises…
Mes fans c’est surtout des fans de jeux de combat et c’est facile d’interagir avec ce public. Quant aux nanas, je n’ai jamais eu vent du moindre dĂ©but de mascotte ou de quoi que ce soit de ce genre auprès d’elles !
Concrètement, qu’est-ce qui te plaĂ®t dans le fait de commenter des jeux de combat ?
J’aime commenter parce que j’aime les jeux de combat et j’aime partager mon savoir. En quelque sorte cette activitĂ© est assez proche de celle d’enseignant avec une notion de pĂ©dagogie théâtrale poussĂ©e Ă l’extrĂŞme ! Mais mes cours Ă©taient assez comme ça, c’est la seul façon que j’ai d’exprimer ma passion. Après, mĂŞme si je suis pas un show-man dans l’âme et que je prĂ©fère de loin la tranquillitĂ© de la solitude Ă la foule bruyante, je suis habituĂ© Ă m’adresser Ă du monde de part mon ancienne activitĂ© de prof. Donc on va dire que je fais ça naturellement et j’ai aussi beaucoup appris des diffĂ©rentes scènes que j’ai frĂ©quentĂ©es au cour de mes nombreux dĂ©placements Ă travers le monde pour commenter tel ou tel Ă©vĂ©nement (il ajoutera que tout ça lui a dĂ©jà « permis de voyager deux fois au Japon c’est trois dernières annĂ©es, et Ă travers toute l’Europe et la France » – nda). J’ai beaucoup de chance d’ĂŞtre lĂ oĂą j’en suis aujourd’hui, j’espère juste que les circonstance ne m’obligeront pas un jour Ă devoir arrĂŞter cette activitĂ©.
Mais alors de quoi vis-tu et quelle perspective financière vois-tu à tout ça ?
Pour le moment je « vis » des dons (qui lui permettent principalement d’acheter des DVD de tournois – nda) et des revenus pub de mon site et de mes vidĂ©os youtubes. J’ai eu quelques soucis avec mon ancienne entreprise oĂą j’ai travaillĂ© en tant que community manager durant 1 an et demi, puis la boite n’avait plus eu les moyens de me payer. J’essayais de rĂ©cupĂ©rer une partie de mon argent, c’Ă©tait un peu compliquĂ©. Ceci rĂ©glĂ©, je vais enfin pouvoir monter ma petite boite et facturer les Ă©missions que je fais chez O’Gaming TV mais surtout mes prestations en tournois et en salons qui sont ma principale source de revenus aujourd’hui.
D’ac, et en moyenne tout ça te rapporte combien par mois si c’est pas indiscret ?
Pour le moment un peu moins de 200 euros !
Ah ouais, courage quoi !
Ça ira mieux quand je pourrai enfin toucher le chĂ´mage. Pour le moment je fonctionne sur mes Ă©conomie, mais c’est vrai que je trouve le temps long.
Pour finir, quelle est ton expression de commentateurs favorite, celle qui te définit ?
J’en ai plein, mais je dirai que celle qui me dĂ©finit bien c’est : « Meurs pas sans ton PIF ! » C’est de l’argot. Faire quelque chose au pif, c’est le faire Ă l’instinct. Dans Street Fighter, ça signifie que si tu es dĂ©sespĂ©rĂ© et qu’il n’y a plus d’espoir, t’as autant intĂ©rĂŞt Ă balancer tout ce que t’as comme ressource plutĂ´t que de mourir avec !
Le site de Ken Bogard : http://kenbogard.basgrospoing.fr/