Benjamin Biolay : Grand Prix (1)
« je me suis remis aux chansons exutoires »

« quand je me juge, câest Ă la kalach »
6 juin 2020. 15h. Clichy. Je suis donc dans ma cuisine et Biolay de mĂȘme pour quâon discute tranquilou bilou Ă bĂątons rompus de son nouvel album, Grand Prix, son 9e album studio Ă lui, sans donc compter son album avec Chiara Mastroianni (2004), son album hommage Ă Trenet (2015), son double album de reprises avec Melvil Poupaud (2018), ses BO et albums rĂ©alisĂ©s pour Salvador, Keren Ann, Isabelle Boulay, Hubert Mounier, ValĂ©rie Lagrange, Dick Rivers, Eicher, GrĂ©co, FrĂ©gĂ©, GodrĂšche, Julien Clerc, Paradis, CharlElie Couture, Nolwenn LeroyâŠ
Et ce Grand Prix est Ă©tonnamment un bon cru, un bon retour de flamme dans la disco un peu random « Ă boire, Ă manger » du popu, prolixe et prolifique Benjamin Biolay, lui, ce fils de prolos originaire de la banlieue lyonnaise qui en 2019 avait placĂ© un de ses titres (« Câest magnifique ») dans une pub pour les magasins IntermarchĂ© (« On a tous une raison de mieux manger ») Ă lâoccasion de leurs 50 ans. On est posĂ©. On a le temps, 45 min. Ambiance covid oblige, on ne se demande pas « Ăa va ? » mais « Comment ça va ? » et biens. « Tant mieux ».
Lâentretien a initialement lieu pour le compte du magazine Philosophie, quâil connaĂźt un peu car il a « pas mal dâamis qui lâachĂštent, surtout des femmes ». Je me demande briĂšvement si, comme beaucoup, il ne confond pas tout bĂȘtement avec le mag Psychologies. En tous cas, il avoue quâavant de lâouvrir il Ă©tait « un peu moqueur », parce quâil nâimaginait pas « quâune telle publication existe ». « Je vis un peu dans ma bulle, dit-il, mais mĂȘme si je nâai pas fait dâĂ©tudes, jâaime le feuilleter, Ă chaque fois jây trouve quelque chose… » On parle du beau temps Ă la fenĂȘtre, valide le tutoiement (naturel) et boum, on ne marche plus, on avance.

Bonjour Benjamin !
Bonjour !
Pour commencer, câest peut-ĂȘtre un peu bĂȘte mais bravo pour le disque !
Ah bah merci beaucoup, câest pas bĂȘte, ça fait plaisir. Câest jamais acquis !
Je lâai rĂ©Ă©coutĂ© tout Ă lâheure ce Grand Prix et ma deuxiĂšme Ă©coute a aiguisĂ© le plaisir de la premiĂšre. Avant de le dĂ©couvrir jâavais dâailleurs cette intuition dâun regain de mojo. Tu lâas aussi senti comme ça ?
Jâai lâimpression oui… Câest bizarre⊠On dirait que câest comme les annĂ©es bissextiles, que yâa des annĂ©es oĂč ce quâon fait semble plus sincĂšre. Je sais pas si câest parce quâon est dans des meilleures dispositions artisanales ou artistiques mais yâa des annĂ©es comme ça oĂč on a lâimpression que câest plus la vĂ©ritĂ© qui sort. Quel quâen soit la facture.
A quel moment tâes-tu mis sur ce disque et comment as-tu senti cet « effet de vĂ©ritĂ© » ? CâĂ©tait un appĂ©tit nouveau, un appĂ©tit retrouvĂ© ?
Je venais de vivre une pĂ©riode oĂč jâavais beaucoup voyagĂ©. Jâavais mĂȘme fait un album en AmĂ©rique Latine, plus spĂ©cialement en Argentine, et Ă ce moment-lĂ jâavais Ă©tĂ© tĂ©moin dâun drame â terrible pour moi qui suis un fanatique de sports automobiles â câest la mort de Jules Bianchi (le 17 juillet 2015 des suites dâun accident survenu le 5 octobre 2014 au Grand Prix du Japon â nda) et de lĂ jâai donc fait une chanson qui lui est dĂ©diĂ©e et qui sâappelle « Grand Prix » et aprĂšs je sais pas, jâai traversĂ© des Ă©pisodes de vie un peu rudes, particuliers, et quand je me suis remis Ă lâĂ©criture de chansons câĂ©tait vraiment comme je le faisais quand jâĂ©tais plus jeune peut-ĂȘtre : un exutoire.
Tu as donc renouĂ© avec ton rapport trĂšs intime Ă lâĂ©criture de chanson en tant que tel ? Il sâĂ©tait derniĂšrement Ă©moussĂ© ?
Peut-ĂȘtre parce que je mâĂ©tais progressivement plus focalisĂ© sur la musique que la chanson en elle-mĂȘme. Parce que câest vraiment ma passion, la musique, câest le truc qui me permet de me lever le matin, la musique au sens large, que ce soit la musique de films ou simplement jouer avec des gens⊠Mais oui, le fait dâĂ©crire des chansons qui parlent de ce quâon ressent, cet exercice souvent vouĂ© Ă lâĂ©chec parce que câest dur, le format est court, hĂ© bien ça ouais, ça mâest revenu.
Tu as beaucoup écrit et beaucoup jeté ou ton inspiration a été assez « efficace » ?
Nan, Ă ce niveau-lĂ jâai malheureusement des statistiques de plus en plus effroyables Ă mesure que le temps passe. Les fausses couches se multiplient !
Tu as donc beaucoup jetĂ©âŠ
Câest la lassitude qui tranche. Câest mon seul repĂšre. Si une chanson finit par me lasser je me dis quâelle va lasser absolument tout le monde donc je la jarte. Câest un processus Ă©prouvant, il faut sans cesse rĂ©Ă©couter pour voir si telle chanson est vraiment acceptable. En faisant ça, on finit forcĂ©ment par sâen rendre compte.
AprĂšs cette chanson inspirĂ©e par la mort du pilote automobile, comment le concept du disque tâest-il venu ? Parce quâon a lâimpression que câest un disque oĂč tu renoues aussi avec un fort fil narratif unissant les morceaux. Est-ce que câest ça aussi qui tâa permis dâĂ©crire le disque, de trier les morceaux et de tenir le cap dâune certaine thĂ©matique ?
Oui, je pense. Il fallait que ça me plaise mais jâai peut-ĂȘtre Ă©galement rĂ©ussi Ă me dĂ©doubler et Ă me mettre du cĂŽtĂ© de lâauditeur. Parce que dans cette pĂ©riode oĂč je me suis vraiment remis Ă Ă©crire, jâai aussi de nouveau beaucoup Ă©coutĂ© de chansons et ça a remis la barre super haut, parce que je suis trĂšs dur avec moi comme je le suis avec les autres, y compris les morts !
Y compris les morts ?
Oui, y compris les grands destins du panthĂ©on de la chanson (rires) ! Il mâarrive dâĂ©couter un truc et de me dire : « Ăa, câest pas possible ». Donc Ă©videmment quand je me juge moi, câest Ă la kalachnikov.
Quels auteurs tâont mis la dragĂ©e haute quand tu tâes remis Ă Ă©couter des chansons ?
Câest difficile de citer un auteur pour ce qui est de chansons. Jâavais fait un spectacle avec Melvil Poupaud (basĂ© sur lâalbum Songbook sorti en novembre 2018 â nda) oĂč on chantait plutĂŽt des chansons assez anciennes… Câest les chansons qui perdurent, on peut pas vraiment citer untel ou untel mĂȘme si bien sĂ»r yâa de grandes chapelles. Par exemple, moi je ne connais pas par cĆur Brassens et FerrĂ© et jâai dĂ©couvert des chansons dâeux qui mâont bouleversĂ©es.
Tu ne les as jamais trop écoutés ?
Non, parce que je rejetais en bloc la chanson française quand jâĂ©tais petit donc jâai des lacunes Ă©pouvantables mais rĂ©cemment jâai un peu dĂ©couvert ça.
Ăa me rappelle une fameuse couverture de Technikart qui Ă lâĂ©poque avait fait son petit scandale (le numĂ©ro de juillet/aoĂ»t 2007 oĂč il figurait en Une avec cette dĂ©claration coup de poing : « La chanson française me dĂ©becte »).
Ah oui, je crois que ça avait eu un impact. Surtout que le mag avait été distribué gratuitement aux Francofolies de la Rochelle, ce qui était évidemment une idée remarquable (rires) !
Jâignorais ça ! Il sâen est passĂ© du temps depuis… On Ă©volue !
On Ă©volue beaucoup !

Quels Ă©taient tes hĂ©ros quand tu Ă©tais petit ? Est-ce que câĂ©tait de prime abord des gens de la musique et de la chanson ou pas du tout ?
Yâavait John Lennon qui Ă©tait quand mĂȘme une sorte de figure tutĂ©laire. Mais aussi une figure para-musicale. Je suis nĂ© en 73 et je me rappelle trĂšs bien de son dĂ©cĂšs parce que ce jour-lĂ mon institutrice pleurait. Elle pleurait Ă chaudes larmes et mâa dit : « Yâa un Beatle qui est mort ». Ensuite jâai dĂ©couvert John Lennon et câest quand mĂȘme quelquâun qui a pensĂ©, qui sâest tournĂ© vers lâart contemporain, qui sâest intĂ©ressĂ© aux idĂ©es dâextrĂȘmes gauche avec plus ou moins de succĂšs, il en a mĂȘme fait tout un disque qui sâappelle Some Time in New York City. Ouais, John Lennon câĂ©tait comme une synthĂšse de tous les gens que jâaimais.
Et petit, tu Ă©coutais sa musique ou câĂ©tait surtout lâicĂŽne, le personnage qui tâattirait ?
Ah, jâĂ©tais Ă fond, jâĂ©tais Ă fond, je connaissais chaque note de lâAlbum Blanc, je connaissais les Beatles Ă la perfection et Ă©videmment aussi ses albums solos et jâĂ©tais tellement carrĂ©ment maraboutĂ©, si jâose dire, tellement envoĂ»tĂ© par lui que je pensais que McCartney Ă©tait juste un musicien ok. Jâavais pas compris que McCartney câĂ©tait le gĂ©nie total ! JâĂ©tais pas un Beatle-maniac, jâĂ©tais un Lennon-maniac.
Y avait-il dâautres figures qui lui arrivaient Ă la cheville dans ton panthĂ©on personnel ?
Ouais, Che Guevara. Mais ce nâest quâau lycĂ©e que jâai commencĂ© Ă lire les carnets du Che et jâai Ă©tĂ© trĂšs impressionnĂ© par son intelligence. Au dĂ©but je pensais que câĂ©tait juste un guerrier avec tout ce que ça sous-entend de clichĂ©s sur la violence et la brutalitĂ©, mais jâai dĂ©couvert en fait un homme profond et lettrĂ©. Donc oui, câĂ©tait un de mes hĂ©ros. AprĂšs, quand on mâen parle, je rentre pas dans le grand dĂ©bat de ce quâil a fait en tant que Ministre de la lâIndustrie (entre 1961 et 1965 â nda), ça mâintĂ©resse pas, ça mâintĂ©resse mĂȘme pas du tout. Je sais trĂšs bien ce quâil a fait dans sa vie, mais moi tout ce quâil a Ă©crit me plaĂźt. ĂnormĂ©ment.
Ce nâest pas lui qui avait dit que toutes les rĂ©volutions commencent dans une chambre ?
Possible. En lâoccurrence la leur a commencĂ© sur un petit balcon Ă boire du rhum avec Fidel Castro chez une amie mexicaine. Mais sa rĂ©volution Ă lui a commencĂ© dĂšs la prime enfance, dĂšs la prime jeunesse…
Câest la racine profonde.
Oui, câest innĂ© et câest rare pour des bourgeois comme ça dâaller dĂ©couvrir lâAmĂ©rique Latine et de sâintĂ©resser aux autres habitants du continent. LĂ -bas les argentins ont les appelle un peu les parisiens dâAmĂ©rique Latine, ils sont au bout du monde, et lui il sâest achetĂ© une moto et avec son ami il est parti voir comment vivaient les peuples Ă cĂŽtĂ© et je pense que câest pour ça que Sartre disait que câĂ©tait lâhomme le plus complet du XXe siĂšcle. Je partage, câest bien dit.
Ton dernier album, Grand Prix, est donc placĂ© sous lâĂ©gide de la course automobile avec, en filigrane jâai lâimpression, cette idĂ©e de remettre ton titre de superbe chanteur en jeu. Est-ce quâil y avait des sportifs parmi tes hĂ©ros ?
Oui, bien sĂ»r. JâĂ©tais fascinĂ© par Diego Maradona car je trouvais quâil avait lâaura dâun sportif individuel au sein dâun sport coâ et Ă©videmment jâaimais aussi Ayrton Senna, Nelson Piquet⊠Plein de sportifs. Et un peu plus tard jâai dĂ©couvert le basket amĂ©ricain avec Michael Jordan et câĂ©tait une telle figure, comment dire, quasiment divine⊠CâĂ©tait quelque chose de trĂšs fort.
Tu dois donc le savoir : nous sommes actuellement en plein revival Michael Jordan…
Oui !
… avec la diff sur Netflix du documentaire The Last Dance consacrĂ© Ă sa derniĂšre saison de 1997-1998 avec les Chicago Bulls. As-tu regardĂ© ce doc feuilletonnĂ© en dix Ă©pisodes ?
Câest incroyable ce documentaire. En plus jâai des potes qui sont dedans donc câest marrant. Ils ont vu leur tĂȘte dedans, ils Ă©taient Ă©merveillĂ©s. Câest fou hein. Mais non, comme jâai tout vĂ©cu en direct, Ă part les teasers, jâai pas encore regardĂ©. Et puis les trucs sur Netflix, câest bien mais câest trĂšs romancĂ©, trĂšs mis en scĂšne, et jâaime la rĂ©alitĂ© donc voilĂ .
Câest vrai que câest trĂšs scĂ©narisĂ© avec ce format sĂ©rie et le fait aussi que la boĂźte de prod de Jordan est venu mettre son nez dans lâhistoire, ce qui Ă©tait, je crois, la condition sine qua none pour quâils aient le droit dâexploiter les images tournĂ©es en coulisses lors de cette annĂ©e 97-98.
Oh bah de toute façon, câest un homme tellement puissant… Et puis yâa ce type quâil a amenĂ©, Garry Cook, lâancien parton de Manchester City, et qui gĂšre maintenant la marque Air Jordan Ă la perfection, ce qui lui rapporte un pactole de dingue ! Il est sacrĂ©ment entourĂ©. Du coup, je lâaime moins. Je nâaime plus le voir aujourdâhui.
Ah oui ?
Oui, je veux garder en tĂȘte lâimage de cet athlĂšte qui volait et qui me manque.
Je comprends. Lâimage du businessman quâil est devenu fait moins rĂȘver !
Câest sĂ»r et je ne suis pas pour les businessmen quels quâils soient !
(SUITE ET FIN DE L’ENTRETIEN.)
https://www.leetchi.com/fr/c/benjamin-biolay-lentretien-fleuve-exclusif-au-chapo-20-1164376

Dans le morceau de clĂŽture de Grand Prix, « Interlagos Saudade », tu boucles la boucles de cette histoire de circuit automobile et de self made man qui a tout gagnĂ© et sâapprĂȘte Ă se ranger des voitures en Ă©voquant une succession dâimages et dâinstantanĂ©s pleins de souvenirs dâenfance… Quâest-ce que tu retiens de ton Ă©ducation ?
Bah dâun certain point de vue câĂ©tait une Ă©ducation qui sâapparentait un peu Ă de lâĂ©levage parce que ma mĂšre a 13 frĂšres et sĆurs qui ont tous eu eux-mĂȘmes beaucoup dâenfants donc on Ă©tait une telle flopĂ©e de cousins quâon se connaissait pas bien. Par exemple, jâai pas bien connu mes grands-parents moi. Bon, ils sont morts quand jâĂ©tais trĂšs jeune, mais ils avaient trop de petits-enfants pour pouvoir retenir leurs prĂ©noms. Donc jâai reçu une Ă©ducation de classe ouvriĂšre Ă la dure et sans mĂ©chancetĂ© mais un tout petit peu impersonnelle en fait.
Tu penses que ça tâa donnĂ© envie dâavoir un destin trĂšs personnel ?
Ah sans aucun doute. CâĂ©tait pas forcĂ©ment liĂ© Ă lâambition artistique ou autre mais ouais, dâavoir une destinĂ©e trĂšs personnelle. Je veux dire, au pire, je me voyais bien en Argentine dans un petit campo avec des bourrins et tout. Je me disais : « Je vais sĂ»rement pas rester lĂ , entourĂ© de milliers de gens de ma famille qui mâappellent toujours par le mauvais prĂ©nom ! »
Câest pas trĂšs gratifiant quand on est petit !
Câest la vie. A part ça, rien de dĂ©sagrĂ©able nâa Ă©tĂ© fait, jâinsiste. On fait comme on peut quand yâa pas beaucoup dâargent et une flopĂ©e de marmaille folle, câest comme ça quoi.
Cette envie dâavoir un destin singulier, tu te souviens de tâen ĂȘtre fait la promesse ?
Oui. Mais… CâĂ©tait plus quâune promesse, câĂ©tait… Comme un ultimatum…
A ce point ?
Oui, câĂ©tait ça ou rien. Enfin, il Ă©tait pas question de… Tu vois, Ayrton Senna câest aussi un de mes hĂ©ros et je me rappelle trĂšs bien dâune interview oĂč un journaliste lui avait dit : « Ce que vous avez fait nâest pas prudent, vous vouliez mourir ou quoi ? » Et il lui avait rĂ©pondu : « Je prĂ©fĂšre 25 ans de ma vie que 80 ans de ta vie de merde. » Et bim, fin de la confĂ©rence. VoilĂ , ça câĂ©tait un peu mon Ă©tat dâesprit quand jâĂ©tais petit et je suis toujours un peu comme ça.
Il fallait oser une certaine intensité pour que ce soit intéressant ?
Oui. Et les temps prĂ©sents nous le prouvent encore vachement, câest implacable.
Sauf que maintenant lâintensitĂ© gĂ©nĂ©rale câest dâoser sortir pour remplir son frigo…
Ouais, yâa dĂ©jĂ une grande privation de certaines libertĂ©s fondamentales, moi je me rends compte, tu me dirais : « Tu peux aller travailler et sortir tous les trois jours, je sauterais au plafond comme un imbĂ©cile ! » Alors quâavant, mon kif, câĂ©tait aussi de rester chez moi deux jours de facto. Donc yâa quelque chose qui a changĂ©, yâa une soumission qui sâest imposĂ©e et que je trouve trĂšs, trĂšs anxiogĂšne.
Clair. Comment jauges-tu la vie de ton nouveau single, « Comment est ta peine ? » ? Est-ce que lâaccueil qui lui est fait depuis sa sortie correspond avec ce que tu imaginais ou est-ce quâil y a quelque chose qui te surprend dans sa rĂ©ception ?
Moi, lĂ , je nâattends plus rien. Câest marrant, jâai plus trop dâexpectatives, jâai dĂ©cidĂ© de me dire : « Bon bah le bateau va arriver Ă quai mais je sais pas dans quelle Ăźle, on verra bien. » En fait je me replie sur les gens que jâaime⊠et puis jâai des enfants et ils souffrent beaucoup de la situation actuelle alors câest un peu compliquĂ©. Donc voilĂ , en gros, jâattends plus rien.
Ăa te semble hors de propos voire indĂ©cent dâavoir de telles attentes vu le contexte ?
Ouais, sincĂšrement, câest ça.
Jâimagine en effet que cette situation change beaucoup de choses quand on est chanteur. Commet encore sâinsĂ©rer dans tout ça ? Comment ce rĂŽle change ?
Oui, mais ça câest la seule chose qui perdure quand tu changes. AprĂšs câest juste la façon de lâĂȘtre qui Ă©volue.

JusquâĂ prĂ©sent quel est le combat dont tu es le plus fier ?
(Silence.) Bah en fait, quand mĂȘme, câest dâavoir Ă©tĂ© publiĂ©, comme un Ă©crivain. AprĂšs, tout le reste, câest des pĂ©rĂ©grinations, câest lâaventure, mais avant, la base, la chose dont je rĂȘvais et qui mâest arrivĂ©e, câest de trouver une maison de disques et dâen trouver dâautres et dâĂȘtre publiĂ©, dâavoir la chance dâĂȘtre publiĂ© et en plus dans des conditions oĂč personne nâa jamais âou presque â censurĂ© un mot et une note de musique. Ăa câest la chose dont je suis le plus fier. Parfois on est un petit peu blasĂ© mais ça, faut pas lâoublier.
DâĂȘtre soutenu dans tes envies et ta libertĂ© artistique, câest le plus beau pour toi ?
Ouais, jâai rĂ©ussi Ă la fois Ă trouver une maison de disques et Ă jouer les gros durs en disant : « Je vous prĂ©viens, si vous changez une note, je me casse du studio ! » Jâai assumĂ© ça alors que jâĂ©tais absolument inconnu au bataillon et que jâavais donc aucune espĂšce de lĂ©gitimitĂ© pour le faire, câest ça dont je suis le plus fier !
Jâimagine quâaujourdâhui tu as facilement la paixâŠ
Une paix royale… Tellement que je fais maintenant un peu les frais de cette rĂšgle que jâai imposĂ©e et que câest moi qui demande des avis.
Nâas-tu pas un peu peur que les gens ne te donnent plus sincĂšrement leur avis ?
Bah je trouve que câest le meilleur moyen pour quâils donnent sincĂšrement leur avis en fait. De leur dire quâils ont le droit (rires) ! Ce que je veux dire câest que maintenant jâattends le bon moment pour solliciter les avis. Et les gens savent que lorsque je leur demande câest le bon moment pour donner leur avis. Sinon il y a toujours des gens qui te donner leur avis Ă tort et Ă travers en plein processus crĂ©atif et ça, ça peut ĂȘtre castrateur. Donc maintenant câest moi qui dĂ©cide quand le dĂ©bat est ouvert. Je dis : « VoilĂ , jâen suis lĂ , jâai besoin dâaide. »
Tu as sollicitĂ© beaucoup dâavis pour ce disque ?
Oui, beaucoup, et toujours auprĂšs de la mĂȘme personne, Thierry Planel qui est mon ami et qui mâa dĂ©couvert quand jâĂ©tais jeune, et puis aussi, au coup par coup, jâai sollicitĂ© ma fille (quâil a eu en 2003 avec Chiara Mastroianni â nda) et quelques amis. Mais sinon pendant longtemps tout le monde se demande ce que je fabrique parce que je fais pas Ă©couter une note.
Tu attends que ce soit assez satisfaisant ?
Oui, pour moi. Alors je me dis que ça doit ĂȘtre presque Ă©coutable pour les autres.
Quelle est la chose artistique que tu nâas pas encore rĂ©alisĂ©e et qui te tient Ă cĆur ?
Dans lâabsolu, un film musical.
Un « film musical » ?
Le mot de « comĂ©die musicale » me fait chier donc ouais, une « tragĂ©die musicale », avec des ruptures peut-ĂȘtre chantĂ©es ou pas, mais un film comme ça câest vraiment quelque chose qui mâintĂ©resse. Par exemple, jâaime beaucoup certains films de Mike Figgis (notamment connu pour Leaving Las Vegas, sorti en 1995 â nda), qui est aussi musicien, parce que je peux sentir que la musique Ă©tait directement sur le plateau. Yâa plein de films oĂč on sent que la musique Ă©tait lĂ depuis le dĂ©but et ça câest toujours trĂšs intĂ©ressant je trouve.
Et est-ce quâil y a des collaborations artistiques qui continuent Ă te faire envie ?
Bah Julian Casablancas.
Ăa ne mâĂ©tonne pas que tu me parles de lui parce que dans plusieurs de tes nouveaux morceaux jâai senti un feeling proche des Strokes.
Jâai toujours follement aimĂ© les Strokes mais jâaime aussi vraiment The Voids (lâautre groupe de Casablancas â nda). Jâaime ce quâil fait lui, mĂȘme ses textes. Je trouve vraiment que câest un artiste majeur. Vocalement, ça me semble Ă©vident quâil est trĂšs au-dessus du lot, il chante comme Jim Morrison, mais câest aussi un grand concepteur. On voit bien que câest plus que quelquâun qui se contente de grattouiller et de faire le beau derriĂšre un micro.
Tu penses que câest un stratĂšge qui a une forte vision artistique ?
Ouais, jâaimerais bien aller en studio avec lui !
Et avec quelle personne, réelle ou fictive, vivante ou morte, aimerais-tu dßner ?
Ah bah ce serait Guevara, un asado avec lui (un petit barbecue argentin â nda) avec lui et voilĂ , il me donnerait des conseils. Jâaimerais bien. Je te dis Guevara mais jâaurais aussi pu rĂ©pondre François Mitterrand, AndrĂ© Malraux ou NapolĂ©on III, quelquâun comme ça.
Des gens de pouvoirs. Qui ont fait de grandes choses.
Qui ont fait des grandes choses et qui ont du recul.
