JEAN-LOUIS PIEROT (1) « LE STUDIO »

21 décembre 2010. 11h10. Clamart. La neige craque sous mes pas. Devant moi, quadrillé de sentiers au cordeau, se dresse enfin le lotissement paisible censé abriter le studio de Jean-Louis Piérot. Il s’appelle La Bulle. Trois ans qu’il s’y est installé avec console, guitares et claviers pour y peaufiner les disques des autres. Car Jean-Louis Piérot est producteur et pas des moindres. Il a collaboré à certains des plus grands disques de chanson française de ces 20 dernières années. Des disques qu’au pire, vous connaissez sans connaître. Paris ailleurs et Corps et armes d’Etienne Daho, Faux témoin et La part des anges de Jacno, Genre humain de Brigitte Fontaine, Fantaisie militaire d’Alain Bashung, 1964, L’Etreinte de Miossec… Sans lui tous ces albums n’auraient pas été ce qu’ils sont (des pans de notre patrimoine) et on ne l’appellerait pas encore pour en produire d’autres, moins cruciaux mais tout aussi finement ouvragés (entre pop et variété) pour Marianne Faithfull, Tété, Françoise Hardy, Renan Luce, Kaolin ou Doriand.

Comme si je pouvais l’ignorer, il me rappellera qu’avant d’être pleinement producteur il fut aussi l’homme d’un groupe qu’il formait avec une certaine Edith Fambuena, Les Valentins, et que c’est avec elle qu’il a produit les meilleurs albums suscités. C’est aussi pour ça que je suis là perdu la banlieue sud-ouest de Paris, le nez rivé sur le plan de quartier que j’ai griffonné sur un bout de feuille avant de partir il y a maintenant plus d’une heure (instant Herta et Rémi sans famille, faute d’iPhone et de sa précieuse application GPS) : j’aimais beaucoup Les Valentins, notamment la pop triste, lunaire et boudeuse telle que la figure leur premier album. Elle y était chanteuse-guitariste, lui claviériste. Malgré quatre beaux albums entre 1990 et 2003, acquérant petit à petit le statut de groupe culte, ils n’ont jamais percé. Reste la magie des chansons, les leurs et celles sur lesquelles ils œuvrent et ont œuvré.

C’est pour que je tenais à rencontrer Jean-Louis Piérot et que je rencontrerai sans doute Edith Fambuena ainsi que d’autres comparses alchimistes de studio (je pense aux wingman de la chanson que sont Frédéric Lo, Erik Arnaud, Christophe Van Huffel, Dimitri Tikovoï, Renaud Létang, Bertrand Burgalat) : pour que ces hommes de l’ombre nous racontent en quoi consiste de « produire » un disque et qu’on entre alors, mine de rien, dans le secret de ce mystérieux processus créateur de magie qu’on appelle musique. 11h15. La moquette du studio Bulle respire enfin sous mes pas. A l’intérieur les couleurs sont chaudes, orangées, tendance bouddha. Jean-Louis m’offre un café Senséo et me fait visiter (il y a plein de claviers vintages, sa spécialité). Il travaillait sur l’album de Bertrand Soulier. Il doit le rendre sous peu, mais se love volontiers dans son fauteuil oval. Il semble avoir du temps à m’accorder.


« construire le fil sur lequel le disque va s’accrocher »


Bonjour Jean-Louis. En ce moment tu produis le deuxième album de Bertrand Soulier, un outsider de choix de la chanson française. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Ça fait 4-5 ans qu’on se connaît. On s’est rencontrés via Philippe Balzé, l’ingénieur du son avec qui je bosse et qui est mon associé depuis 3 ans au studio Bulle. Bertrand a fait son premier album avec lui, et à l’époque j’allais les voir en séance.

C’est là que tu t’es dit que tu pourrais peut-être lui apporter quelque chose ?

Ah non, je ne suis pas comme ça ! En fait c’est lui qui m’a avoué après-coup qu’il aurait voulu faire son premier album avec moi. Je crois qu’il n’avait pas pu, faute de moyens. Par contre il m’a vite dit qu’il voudrait qu’on fasse son deuxième album ensemble. « Avec plaisir ! ». Je connaissais un peu ce qu’il faisait. Je trouvais qu’il était super doué. J’avais déjà bien envie de bosser avec lui. Il y a un peu moins d’un an, il m’a alors envoyé des titres, je les ai écoutés et j’ai dit : « Attends, pour moi la question se pose pas : je trouve tes titres vraiment terribles, je veux faire cet album. » Et là on est en plein dedans.


Les projets dont tu t’occupes se font-ils beaucoup par ce genre d’affinités électives, ou s’agit-il le plus souvent de commandes où ton intime conviction n’a pas voix au chapitre ?

La plupart du temps je ne connais pas les artistes, enfin je peux les connaître artistiquement mais pas humainement, et c’est l’artiste qui, par l’intermédiaire de son D.A. (directeur artistique, nda), me faire savoir qu’il veut travailler avec moi. Après, moi, avant de rencontrer la personne, je demande toujours à écouter les chansons parce que ça m’est déjà arrivé de rencontrer des gens avec qui ça c’était bien passé humainement et quand j’avais écouté les chansons, patatras ! c’était pas mon truc. C’est donc délicat. C’est pour ça que je préfère d’abord écouter les chansons (rires) ! Et si ça me plaît ou si j’ai l’impression que je peux servir à quelque chose, à ce moment-là je rencontre la personne.

Depuis combien de temps es-tu ou te sens-tu vraiment producteur ?

Ça s’est fait petit à petit. J’avais un groupe à l’origine. Enfin on n’était que deux, mais bon à partir de deux personnes ça fait un groupe ! Un groupe formé par Edith et moi qui s’appelait Les Valentins et qui n’a pas été très connu.

Oui, qui est en quelque sorte connu pour ne pas être très connu !

Certainement et c’est déjà ça (rires) ! Ce groupe est un vieux groupe, Edith et moi on s’est rencontré au lycée…

A Aix-en-Provence, c’est ça ?

Oui, et on a plus ou moins fait partie d’un groupe de lycée ensemble et ce groupe est devenu dans un premier temps Les Max Valentins…

Avec, à cette époque, un troisième membre nommé Gérald Gardrinier, qui se fera plus tard connaître sous le nom de Gérald de Palmas !

Hé oui ! Lui il n’était pas dans notre lycée, il était un poil plus jeune que nous, genre deux ans de différence, mais à cet âge-là ça n’est pas rien. Il ne faisait donc pas partie de la première mouture du groupe. C’est Edith qui l’a rencontré. De son côté je crois qu’il n’avait pas beaucoup de copains musiciens parce qu’il venait d’arriver à Aix, tout ça. Edith me l’a présenté. On cherchait quelqu’un pour chanter avec nous parce qu’on n’avait plus de chanteur. En plus il jouait de la basse, et c’était un très bon bassiste. On s’est donc dit qu’on allait bosser un peu ensemble. Et super rapidement on a rencontré Etienne Daho qui nous a proposé de signer un contrat, or à ce moment-là ça faisait peut-être 2 mois qu’on connaissait Gérald. Ca n’a pas duré longtemps. On a fait deux 45 tours (Les Maux dits et Printemps parapluie, nda) et on s’est séparé quand on s’est aperçu qu’artistiquement on n’avait pas du tout les mêmes envies ni les mêmes origines…


N’est-ce pas aussi ton entente avec Edith qui pouvait être, comment dire, déjà trop fermée sur elle-même, exclusive ?

Non, parce qu’en fait le groupe a splitté ! Je lis souvent que c’est Gérald qu’est parti, mais Gérald n’est pas parti, on s’est séparé tous les trois. C’était à la fin des années 80 (en 88, nda), on passait notre temps à faire des podiums FM plus qu’à faire de la musique. D’un coup on s’était dit : « Tiens, faudrait peut-être qu’on enregistre un album » et voilà, une fois tous les trois on n’avait juste pas les mêmes envies. Donc on s’est séparé. Ça a duré six mois, un an, et puis Edith et moi on s’est retrouvé en se disant que quand même, on avait envie de rebosser ensemble…

Il paraît qu’Edith et toi aimiez tous deux le Velvet, ce genre de groupes qui laisse croire que vous étiez à 100% sur la même longueur d’onde. Ce n’était pas si simple ?

Oui, oui, mais je pense que ponctuellement nos envies devaient diverger. Je crois aussi qu’Edith se destinait déjà plus à être guitariste de studio. Et moi aussi, d’ailleurs. Au moment de notre séparation on a commencé à faire des séances en tant que musiciens de studio. Et pour répondre à ta question, je crois que l’origine de mon activité de producteur vient de là. Moi, la seule chose qui m’a toujours intéressé dans ce métier c’était l’enregistrement en studio.

Dès le départ ?

Ah ouais, ouais, ouais. Pour moi c’était magique. Ma première fois dans un vrai studio d’enregistrement c’était avec Etienne Daho. A l’époque il mixait un live. Il venait de nous signer et il nous avait invité à passer au studio. Je me rappelle, c’était les studios Marcadet, qui étaient en fait pas terribles – j’y suis retourné plein de fois après et c’était pas un studio génial – mais à l’époque, wouah ! j’ai trouvé ça magique. Je comprends que plein de musiciens préfèrent la scène mais moi c’est le studio. Ça a toujours été l’endroit où je me suis vraiment senti à ma place. Car pour moi la scène c’est du théâtre, pas de la création, et ce que j’aime c’est créer la musique en studio, y faire germer les idées qui formeront le fil auquel le disque va s’accrocher. Je n’ai donc jamais été porté par la scène. L’aspect promo encore moins. Et je pense qu’Edith aussi. Quand Etienne nous a signé, on a donc fait 2 singles, on s’est séparé et on a refait un album après, Edith et moi. Edith était devenue chanteuse. Mais parallèlement Etienne avait commencé à nous faire travailler sur ses propres chansons…

C’était pour son nouvel album, Paris ailleurs ?

Oui, il nous demandait de faire des arrangements, de jouer avec lui, etc. On passait donc presque autant de temps, si ce n’est plus, à faire du studio avec Etienne qu’à s’occuper de notre propre groupe en continuant à écrire et à faire des concerts. Avec Les Valentins on a quand même fait 4 albums, et chacun fut suivi d’une tournée, même si c’était jamais des tournées énormes donc ce serait malhonnête de te dire que pour nous notre groupe n’était pas important, mais c’est vrai qu’on l’avait mis un peu en second plan. On était tellement occupé à apprendre des choses en studio avec Etienne… Et c’est surtout comme ça qu’on gagnait notre vie, donc progressivement l’activité de réalisateur a pris le pas sur notre vie de groupe…


Toi tu parles de « réalisateur ». J’ai l’impression qu’on parle plus communément de « producteur ». Y a-t-il une différence ou ces deux termes recoupent-ils la même chose ?

Le terme français c’est « réalisateur » et le terme anglais « producer », qu’on traduit donc chez nous par « producteur », ce qui est beaucoup plus joli que réalisateur qui sonne un peu trop ORTF. Je crois qu’un jour on m’a expliqué qu’il y avait une nuance entre producteur et réalisateur. C’est-à-dire qu’à priori le réalisateur s’occupe uniquement de la partie enregistrement et/ou mixage. Il a cette responsabilité artistique. Alors que le producteur, le vrai producteur a en plus une fonction de D.A. dans le sens où il fait la même chose mais que souvent il peut aussi avoir signé l’artiste…

Ok.

En fait, à l’origine il n’y avait pas de réalisateurs, il n’y avait que des D.A. Dans les maisons de disques les mecs signaient leurs artistes, ils étaient responsable de l’artistique, ils venaient en studio, dirigeaient les séances, faisaient le casting des musiciens, etc. Parce qu’à l’origine, dans les maisons de disques les D.A. étaient tous musiciens, arrangeurs, mais le métier s’est divisé dans les années 80 car sont arrivés des mecs qui venaient d’autres horizons et qui n’y connaissaient pas grand chose en musique, du moins techniquement. Ils ne pouvaient donc pas diriger les séances de studio, tout ça. Donc on a fait appel à des gens pour pallier ce manque : les réalisateurs. Mais à l’origine c’est un seul et même métier.

Et du coup, de même que le rôle le D.A. s’est subdivisé pour donner le rôle de réalisateur, j’imagine que le rôle de réalisateur s’est lui-même subdivisé pour donner des réalisateurs ayant chacun leurs spécialités ?

Oui, c’est ça. Déjà tu as des réalisateurs qui sont musiciens et d’autres qui ne le sont pas. Beaucoup ne le sont pas. Je le connais peu, mais par exemple, je sais que Renaud Létang n’est pas musicien, il est ingénieur du son, c’est sa formation. Je pense qu’il a plein d’idées musicales et qu’il sait se débrouiller pour les faire aboutir, mais concrètement il n’est pas musicien. Si tu lui demandes de se foutre derrière un piano et de jouer une partie de musique, je pense qu’il en est incapable. Donc lui, quand il a besoin d’arrangements, il fait appel à des arrangeurs. Moi c’est l’inverse, je ne suis pas un ingénieur du son ni même un super instrumentiste, mais je suis musicien de formation. Je sais faire du son parce que j’adore ça et que j’ai été un petit peu obligé de le faire, mais du coup moi je ne mixe pas un album, je demande toujours à quelqu’un d’autre dont c’est la spécialité de le faire sous ma direction, et en l’occurrence je demande souvent à Philippe Balzé. A l’arrivée, on fait le même travail mais on n’a pas les mêmes approches parce qu’on ne vient pas du même point. Et puis t’as des réalisateurs qui sont ni comme Létang ni comme moi, des gens géniaux qui sont autant ingénieurs du son que musiciens. Y’en a pas beaucoup mais y’en a…

En France ?

Oh oui, il doit y en avoir même si c’est quand même assez américain comme truc. Et pour finir t’as des réalisateurs qui ne sont ni techniciens ni musiciens. Des mecs qui ont juste des idées comme ça. Et qui ne sont pas forcément mauvais hein, qui peuvent même être brillants. Parce qu’en fin de compte, le gros du truc c’est de diriger les séances de studio. As-tu connu Philippe Lerichomme ?

Non.

Il était chef des éditions Universal. On a eu la chance de le rencontrer, il était en fin de carrière. C’est lui qui nous a signé, qui fait que pendant 3 ans on a été aux éditions Universal. Et Lerichomme c’était le D.A. de Gainsbourg. Il l’accompagnait en studio. Il était encore de cette génération-là. Alors il nous racontait les séances avec Gainsbourg… En fait l’exemple-type du D.A. tel qu’il n’existe plus, c’est George Martin. George Martin était D.A. des Beatles. Il a arrangé plein de titres, tout ça, et il n’a même pas un point sur les albums des Beatles parce qu’il était salarié d’EMI, c’est quand même dingue !

C’est d’être George Martin qui t’excitait quand t’étais môme, que tu écoutais les disques et que tu lisais la presse rock ? Tu voulais être le grand manitou dans l’antichambre des grands albums ?

Ah bah ouais ça c’est le mythe…

Et le mythe fait foi…

(Silence.) Quand j’étais petit j’ai fait le Conservatoire et pendant quelques années j’ai eu la chance de faire celui de Grenoble qui était, dans les années 70, le plus moderne d’Europe. Aujourd’hui il ne l’est plu parce qu’il est resté en l’état, mais avant c’était le top. Dans ce Conservatoire il y avait ce qu’ils appelaient une régie – un studio d’enregistrement donc – qui était reliée à différentes salles. Et de temps en temps, comme on avait le droit de la visiter, j’y allais et je me rappelle que je voyais des mecs y faire des montages avec les bandes magnétiques… J’ai trouvé cet endroit vraiment magique.

Pour toi c’était la NASA !

Ouais, c’est ça ! Et puis comme c’était les années 70 il y avait un côté un peu futuriste, space age… Et moi à l’époque je faisais donc du classique mais je commençais quand même à écouter, surtout via mon frère aîné, les Stones, les Beatles. Beaucoup les Beatles, un peu Bowie. Le Velvet, Lou Reed, tout ça c’est venu après. Et j’étais curieux de savoir comment cette musique s’était faite. Par exemple sur les Beatles j’avais repéré qu’il y avait des trucs réalisés avec des bandes à l’envers, ce genre de bidouilles de studio, et ça m’intriguait.

Et aujourd’hui j’imagine que lorsqu’on te contacte c’est qu’on ne cherche pas un simple exécutant, mais un style précis de production, une griffe, une sorte de bidouiller aussi.

J’ose espérer. (Silence.) Mais pfff, comment dire, j’ai toujours l’impression qu’il y a une forme d’imposture dans ce qu’on fait. On n’a pas de diplôme. Moi j’ai pas de CAP réalisateur…

 

T’as un CV…

Oui mais c’est du vent, ça ne veut rien dire donc quand on fait appel à moi, je ne sais pas sur quoi ça repose.


Tu n’es pas conscient de ce pour quoi tu es réputé et recherché ?

Quelque part, ce sont les artistes qui font leurs albums. Moi il m’arrive de composer un peu, le plus souvent d’arranger. Donc des gens me disent : « Ah ouais, j’adore cet album ! » mais en fin de compte ils ne savent pas vraiment ce que j’y ai fait, donc tout ça me dépasse. C’est pour ça que je parle d’imposture. Alors il y a le cas Miossec par exemple. J’ai fait 2 albums avec Christophe Miossec. Et y a des mecs d’une trentaine d’années qui veulent que je travaille avec eux parce qu’ils sont très fans, ils ont vraiment été élevés à l’école de l’écriture de Miossec, donc pour eux c’est…

Une histoire de filiation ?

Oui, ils pensent que par transfert je vais les introduire dans la famille Miossec. C’est une sorte de truc psy comme ça. Je suis le lien entre le mec et son idole. Comme j’ai travaillé avec lui, je serais une part de sa magie, de sa légende…

Ce qui n’est pas totalement faux…

Christophe, je le connais très bien, on se voit un peu moins maintenant parce qu’il est parti habiter en Bretagne, mais on est devenu très amis. Et pour moi c’est quand même assez mystique, enfin bizarre, que ce mec que je connais super bien et que j’adore soit une sorte d’idole pour des jeunes. Quand ils m’en parlent j’ai l’impression que pour eux c’est LE mec qui a inventé la chanson française alors que, bien sûr, ça n’est pas vrai. Donc voilà, on m’appelle pour ça. Après on peut aussi m’appeler parce que j’ai eu la chance que certains albums sur lesquels j’ai travaillés aient été des succès et que des gens me voient donc comme une sorte de caution, de garantie…

A quels succès penses-tu ?

Un peu à Miossec, mais surtout Renan Luce.

Ça a fait monter ta cote ?

Obligatoirement. Je le sais…

Et tu le vis bien (rires) ?

Pfff ouais, ouais, ouais (rires) ! J’ai aussi fait deux albums avec Renan Luce. Donc j’ai connu Renan avant qu’il soit très connu. C’était un petit gars comme j’en rencontre parfois parce que je fais souvent des premiers albums. Sur les conseils de son manager je suis allé le voir en concert et il était seul sur scène, on était 15 dans la salle. Je l’ai donc accompagné dans son travail sur ses deux albums et on s’est vraiment super bien entendu. Après, le succès c’est quelque chose que tu ne maîtrises pas du tout… Mais quand je travaille sur un album je ne me dis jamais « Cet album ça va être la lose, on ne va rien vendre du tout », j’imagine toujours que cet album peut et mérite un succès. Donc je pensais que Renan pouvait avoir un succès mais pas plus que les autres…

Toi qui es plutôt fan de musique anglo-saxonne à la base, as-tu une sorte de déontologie, de baromètre personnel au moment de choisir si tu vas bosser ou non sur tel ou tel album de chanson française, voire même au moment tu bosses dessus, dans la couleur que tu pourrais vouloir donner au disque ?

Tu veux dire : est-ce que je fais des compromis par rapport à l’aspect commercial FM ?

Non, je veux surtout dire que chez nous en 2011 il y a quand même toujours ce syndrome de la chanson trop franco-française, au sens de passéiste dans l’imaginaire, pas du tout rock’n’roll dans la musique, et aux textes ancrés dans le quotidien. Renan Luce incarne pas mal ça, au même titre que Bénabar, Dorémus et j’en passe. Est-ce que toi tu ne cherches pas, à ta manière, à pervertir un peu tout ça en y insufflant un soupçon d’esthétisme pop anglo-saxon ?

Je ne cherche pas à le faire sciemment, mais comme je viens de là, certainement que toutes ces influences ressortent malgré moi. Les idées qui me viennent, tout ça, ce sont des choses que j’ai digérées depuis longtemps. Quand j’étais adolescent je n’écoutais jamais de chanson française, j’aimais pas. Chez moi mes parents écoutaient Léo Ferré, Jacques Brel et pfff moi ça me faisait chier quoi, vraiment. Maintenant, avec l’âge, je reconnais qu’il y a quand même des trucs super, mais à l’époque comme les textes me passaient un peu au-dessus et musicalement je trouvais ça plutôt ringard, bah voilà quoi. Mais bon, on est comme on est : même encore aujourd’hui, bien que les textes me passent moins au-dessus de la tête, j’écoute toujours assez peu de chanson française. Je vais me précipiter sur le dernier Massive Attack, beaucoup moins sur le dernier Grand Corps Malade.

Et donc, ta position face à « l’aspect commercial FM » ?

(Silence.) Je n’ai pas le sentiment de me compromettre, car pour moi passer à la radio ce n’est pas insultant, au contraire, je trouve ça super. Moi j’écoutais la radio quand j’étais gamin et j’y ai découvert plein de trucs. Maintenant je n’écoute la radio que dans ma voiture et c’est plutôt France Inter, Le Mouv’, Ouï FM, Nova, donc je cible plutôt ce que j’écoute. Mais quand je suis pris dans les embouteillages alors que je traverse Paris il m’arrive parfois – et la concession est peut-être là ! – de me dire : « Tiens, je vais écouter Virgin Radio », qui n’est pas la pire d’ailleurs ! Parfois je tombe sur des trucs encore plus pourris. Mais j’estime que je vais un peu loin quand j’écoute Virgin Radio. Et c’est histoire de me dire : « Tiens, si j’écoutais – non pas ce qui marche d’ailleurs, parce que c’est pas forcément la même chose – mais ce qui passe en radio… »

En même temps si ça passe en radio c’est que ça marche…

Hé bah pas forcément. Pas forcément. Je vais te donner un exemple actuel et concret : cette année j’ai fait un album pour un groupe qui s’appelle Kaolin et un de leur titre est rentré direct sur Virgin, RTL2, tous ces trucs-là, ce qui est donc une super exposition, je suis super content pour eux, ça fait plaisir. Hé bah les ventes sont vraiment pas terribles.

Peut-être, mais si le morceau est si bien diffusé, c’est parce que leur précédent album s’est super bien vendu…

Oui, c’est vrai que la plupart du temps ça va de paire, ça aide quand même, mais tout ça pour te dire que c’est jamais gagné. Jamais. Surtout que maintenant plus personne ne vend trop. Et donc voilà, des fois pendant une demie heure j’écoute Virgin Radio pour savoir ce qu’est le son radio d’aujourd’hui. Souvent je suis déçu, je trouve que ça sonne pas terrible. Et les trucs qui sont vraiment super radiophoniques, je me dis : « Merde, je ne sais pas faire ça, moi ». C’est pas ma culture et si j’apprenais à le faire, je ne le ferais pas bien. Donc en fait j’en suis revenu. Je me dis que j’ai eu la chance de produire des titres qui sont beaucoup passés en radio parce que c’était souvent un malentendu. C’est-à-dire que je n’avais pas fait le morceau comme ça pour qu’il puisse passer en radio, mais parce que je trouvais que ça le servait, tout simplement. Parfois, avec Edith, on nous demandait de faire un truc au format radio, et les rares fois où on l’a fait ça n’est justement pas passé en radio. Donc je pense qu’il y a des gens qui savent vraiment bien le faire, des gens qui ont, pas la méthode, mais le savoir-faire pour ça, moi je ne l’ai pas.

A qui penses-tu quand tu dis que certains ont ce savoir-faire ? Renaud Létang ?

Non, je ne pensais pas à lui mais je pense qu’il doit savoir le faire, oui. Je t’en parlais tout à l’heure mais je le connais à peine hein. On s’est juste rencontré pour le mix d’un disque que j’avais réalisé.

Lequel ?

L’album d’un mec génial, qui s’appelle Ludéal, et qui n’est pas très connu.

Son premier ?

Oui. Un disque super. Vraiment.

 

Létang et toi, j’ai l’impression que vous êtes un peu sur le même créneau, celui de faire une chanson française de qualité, comme on dit, une chanson française qui soit un peu pop, racée et accessible. C’est ça qui vous réunit, non ?

De faire une musique accessible ? (Silence.) Comment dire ?.. Je n’essaie pas de faire en sorte que ce soit accessible, j’essaie de faire en sorte que ce soit accessible pour moi (rires) ! J’adore des choses pointues, mais je ne dois pas être si pointu que ça car je refuse de faire des choses purement élitistes. Récemment j’ai fait un album, tiens je vais te l’offrir d’ailleurs (il revient avec Est-ce l’est, le premier disque de Nicolas Comment). Tu connais ?

Oui.

Hé bien ça tu vois, pour moi c’est pas élitiste parce qu’on n’a pas cherché à faire quelque chose d’ardu à écouter même si, d’un autre côté, on sait bien que ça ne passera jamais en radio…

En même temps, les chansons de Nicolas Comment sont dans un délire culturophile parisien qui a tout pour plaire à France Inter/Télérama !

Ah oui, complètement. Avec Philippe on a produit un autre premier album de ce genre (il revient avec le disque d’un dénommé Raspail). Ça c’est un gars qu’est même pas signé. Je travaille toujours pour le plaisir, mais des fois y a le plaisir et y a pas l’argent parce que y a pas de budget, mais quand je peux je me débrouille pour le faire quand même. Nicolas Comment, Raspail, j’aime beaucoup leurs albums. Mais surtout Ludéal. Je pense qu’il aura du succès un jour, mais je suis déçu, je pensais vraiment que son premier album ferait mieux…

J’ai vu que le single de son deuxième album, Allez l’amour, avait pas mal circulé…

Oui, mais pas suffisamment. Il a vendu moins du deuxième que du premier.

Ça c’est les disques que tu as produit seul. Ceux dont tu es le plus fier ?

Ceux-là, avec les deux Miossec. Et le Soulier, vraiment.

A part ça, tu continues de produire en binôme avec Edith ?

Alors non, ce n’est plus le cas. On a bossé ensemble comme ça pendant une vingtaine d’années mais on s’est séparé artistiquement en 2003. On a sorti un dernier album des Valentins en 2001, et le dernier album qu’on a produit ensemble avant de se séparer c’était A la faveur de l’automne de Tété. A la base, après ce projet, on devait réaliser un album pour Jean Guidoni et faire encore un album des Valentins. Contractuellement, on le devait à Barclay. On avait d’ailleurs commencé à faire des démos. Mais déjà pendant l’album de Tété c’était tendu entre nous. Tellement que ce serait un euphémisme de dire qu’on se chamaillait en studio. On se prenait la tête en pleine séance devant le gars. Le truc qui craint, quoi. Le disque a été difficile à finir mais on a quand même réussi, et voilà, après on s’est séparé. Mais on s’était engagé à faire le disque de Guidoni. On avait commencé à bosser dessus. Alors on s’est dit : « Bon, on arrête Les Valentins, mais on fait quand même le Guidoni ». Sauf que peu de temps après, Miossec m’a appelé pour réaliser 1964. Or je rêvais secrètement de bosser avec lui. C’était d’ailleurs un de nos points de discorde avec Edith. Avant de travailler sur un disque il fallait toujours qu’on valide tous les deux le projet à 100% et Miossec par exemple, on en avait déjà parlé et Edith, je ne la sentais pas motivée…


Pourquoi ?

C’est juste des questions d’affinités artistiques, je pense que Miossec c’était juste pas son truc. Mais c’était dans les deux sens, y avait aussi des trucs qu’elle voulait faire et qui ne me branchaient pas. Par exemple, je me rappelle qu’à l’époque elle était pas mal dans les trucs latins. C’était pas du tout ma came. Donc à force je pense qu’on avait accumulé des frustrations de ce genre. Après que Miossec m’a contacté, j’ai donc appelé Edith pour lui dire : « Je ne vais pas faire l’album de Guidoni. Ce sera enfin pour nous l’occasion de vraiment travailler touts seuls. On en a besoin.» Edith a donc réalisé l’album de Guidoni et moi celui de Miossec. Et comme avec Christophe on est très vite devenus copains et que ça marchait bien, je me suis plus investi auprès de lui. Je l’ai accompagné en tournée et on a commencé à écrire l’album d’après. Tout ça a pris du temps. Pendant toute cette période on ne se voyait plus avec Edith. Et pour finalement répondre à ta question, on a rebossé ensemble cette année, de manière ponctuelle. On s’est dit que voilà, c’était ponctuel. C’était sur le prochain album de Thiéfaine, qui doit sortir en février m’a-t-on dit.

Produire seul, ça a changé quoi pour toi ?

Pas mal de choses. Quand je bossais avec Edith on avait un peu chacun nos domaines réservés.

Elle les guitares, toi les claviers ?

Ça peut paraître paradoxal mais non, au contraire, c’était plus elle qui s’occupait des claviers et moi des guitares. C’est normal : comme elle était guitariste, c’était moi qui la dirigeais aux guitares et comme j’étais claviériste c’est elle qui me dirigeait aux claviers. Mais au-delà de nos instruments respectifs, comme un album c’est quand même une grosse responsabilité, qu’il faut rester concentré sur des choses précises et ne pas se marcher sur les pieds, on se partageait les tâches. Edith s’occupait donc de la direction des voix et moi des arrangements d’orchestres, cordes ou cuivres. Et c’est ça aussi au fil du temps qui génère des frustrations, parce que bien évidemment t’as envie de toucher un peu à tout, de mettre ton nez partout. Donc voilà, quand t’es tout seul tu te retrouves à t’occuper de tout, c’est pas mal de responsabilités. J’ai eu la chance d’être rapidement dans le bain parce quand tu bosses avec un type comme Miossec, qui attend beaucoup de toi, l’avantage c’est que t’as pas le temps de te poser des questions. En plus, au départ 1964 s’annonçait comme un album compliqué parce qu’ils avaient déjà enregistré des arrangements d’orchestre et il fallait que je les récupère et que je fasse jouer le groupe dessus, donc techniquement c’était super spé’. J’ai dû direct en découdre avec ce genre de choses. C’était un beau cadeau, mais c’était pas évident.

L’album que tu es le plus fier d’avoir produit avec Edith, c’est un Daho ou le Bashung ?

Disons qu’avec Etienne on a appris notre métier. Il nous donnait des responsabilités qu’on n’aurait pas dû avoir, parce qu’on n’avait pas la bouteille pour les prendre et qu’on bossait sur des albums qui impliquaient de grosses responsabilités budgétaires. On a beaucoup appris avec lui et par lui, parce qu’il avait plus d’expérience que nous. Donc c’était une première étape importante.

Une sorte d’adoubement ?

Non, mais adoubé, j’ai eu le sentiment de l’être après avoir travaillé avec Alain Bashung sur Fantaisie militaire. Alors que le truc dingue, c’est qu’on ne peut pas dire que c’est nous qui ayons réalisé ce disque.

(LIRE LA SUITE.)


Photo de Jean-Louis Piérot en une d’article : David Arnoux

Myspace Les Valentins

Myspace Jean-Louis Piérot

Site du studio La Bulle

Site d’un fan sur les Valentins

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