L’ESCALIER EN COLIMAçON (STAIRCASE PARADOX)

4 juillet 2012. 22h. Paris 11e. Bar Le Rigoletto : « Hey, tu serais pas en train de scotcher sur la bassiste ? », m’envoie, smiley + grande tape dans le dos, Pierre Dubost, le poto bassiste des Sonic Sat’. « Hey yourself, tu serais pas en train de taper à ta propre porte ? » On se marre. C’est vrai qu’elle est choux la bassiste de Staircase Paradox (Pauline Falzon). Fine brune aux longs cheveux ondulés et au teint clair, elle a cette touch préraphaélite de la bassiste shoegaze type : songeuse, sirène, from the other side. Le leader (Billy Montoya) est lui aussi un peu sur ce modèle quoique avec son air renfrogné-crispé de footeux italien il me fait plus penser à la Gorgone(zola !) Méduse. Toute la pop(rock !) de ces cinq français semble tenir dans ce doux détail capillaire à la Pégase/Actarus/Albator. Ça me parle alors je la vise tel un frigo Carte d’Or et j’attends (do not disturb !) guilty pleasure + free hug.

Quand j’étais en maternelle on écoutait une émission de radio : L’escalier en colimasson. Je l’écris comme ça parce qu’à l’époque la cédille, comme la décimale, on connaissait pas. Je m’en rappellerai toujours. Je sais plus ce que ça racontait (des histoires ?), ni de la voix qui nous tenait (était-ce celle d’une femme ?) mais on s’asseyait en tailleur et on gobait. C’était sacré. Le mystère que ce truc a scellé en moi rien que par ce mot, « colimasson », cette notion d’invisible, d’infini, de vertige, c’est quelque chose. Quand j’étais plus grand, entre le lycée et le collège, une émission de télé passait après les cours, Giga, qui diffusait le meilleur des séries ado : Les années collège, Sauvé par le gong, etc. Mon frère et moi, on rentrait, on allumait la télé (on avait la télé dans la chambre), on sortait nos devoirs et on matait. On se projetait dans les histoires de ces jeunes censés avoir notre âge mais qui étaient plus grands. On vivait plus fort, on tripait, on était dedans (Hartley coeur à vif !).

Le rapport avec Staircase ? Toute leur pop semble aussi tenir là-dedans. Comme beaucoup de gens de sa génération (Rhesus, M83, Stuck in the Sound, The Narcoleptic Dancers, etc.), disons celle de la première moitié des années 80, on sent que Billy Montoya, leur chanteur-guitariste, a eu ce rapport à la pop : la magie de cette musique qui sort de l’écran ou de la FM comme d’en haut, l’indie rock devenant mainstream, les teen movie devenant ta life, tout ça formant un tout. Higher. Biberon. Le jeune homme traduit (trahit ?) très (trop ?) bien tout ça : la coolitude bright sad des amours déçus, la culture tube de ceux qui fixent leurs pieds mais allument les grattes. Caliméro. Nébuleux. Oui, SP, c’est la BO de tout ça. D’ailleurs avec sa moyenne d’âge, ses looks casual (« Mâte mon T-shirt Iron Man ! ») et ses 3 gars/2 filles (plusieurs possibilités), il respecte la mythologie collégiale de la chose.

En fait, Billy c’est un lointain collègue. On bosse tous deux à l’Argus de la Presse, une boîte qui (en gros) fait de la veille médiatique. On est au même étage, au même sous-sol mais pas au même service donc on n’a pas à se parler. Lointain, quoi. Chacun derrière son PC. On est comme ça des rangées. C’est ambiance open space poulailler mais ça caquète pas. Ça mouline, tête dans le guidon. Et c’est con parce qu’à l’Argus, en tous cas à ce niveau, c’est plein de gens qui auraient sans doute des choses à se dire. Il n’y a (en gros) que des 25-35 ans branchés culture/média et musique/cinéma, des jeunes qui 5-7 heures par jour fournissent leur force de travail ici pour avoir les thunes, le temps et le cerveau disponible pour vivre dangereusement à côté (étudiant, journaliste, musicien, etc.). Ou être peinard. En fait, on se croirait comme de retour au bahut. On est tous là, entre parenthèses, attendant la fin des cours pour retrouver nos vraies vies et kiffer (tant que faire se peut !).

C’est dans ce contexte qui se passe de grand discours socio (fuck l’ascenseur social) et la sourde ambiance de potentielle sitcom (des BAC + 5 relégués en prolétaires 2.0) qui y règne que j’ai découvert son groupe. Un jour, un flyer sur mon clavier d’ordi. Je me disais bien que ce gars devait être dans la zic. On s’était déjà croisé à des concerts. On s’était déjà croisé au taf, mais il était resté profil bas Billy, pas un mot. On en était donc resté au stade du je te lance ce regard western bien urbain qu’on ne peut s’empêcher de lancer quand on croise un type qu’on soupçonne d’évoluer dans la même sphère que soi, genre : « Hey, tu marcherais pas sur mes plates-bandes ? » Une histoire de reconnaissance de caste, un truc intestin. Normal. Parisien. Siamese Dreams et densité (d)émographique. J’avais loupé ce concert au Café de Paris mais on avait pris contact, request Facebook + poignée de main à la cafèt et j’avais découvert ce titre : « Sunday is… (a fake last song) ».

C’est sur la foi de ce seul morceau, leur seul en écoute intégrale sur le net (les bâtards !), mais épaulé par un clip (sympa !) que je me suis pointé. Bon et aussi l’éventualité de rencontrer des collègues éloignées et l’occase d’y retrouver un pote. Mais oui, surtout pour retrouver le baiser de « Sunday » (I’m in love ?) qui m’avait étourdi de derrière mon ordi. J’y ai trouvé un je ne sais quoi qui m’a (éc)happé. L’entour(loop)age facile d’une pop qui t’explique qu’après vendredi c’est samedi et dimanche ? Ce genre de messages bibliques ? Que l’Amour Arf (Alf ?), Aïe (grass is always greener on the other side) mais que les filles sont filles et les gars gars (dégâts ?), donc show must go on, soigne tes larmes et relève l’outre-Manche ? Cet agglo(ssolalie) pop-rock, cet Anyone can play guitar où l’on ne sait plus trop ce qui est anglais, américain (et puis français hein !) ? Ce parfum de synthèse ? Ce Lipstick polychrome ? Ce fan boy, Billy, so one and lonely qu’il trace une troisième voie ?

Dans cette crâne tristesse (crâne car soundtrackisée, espérant la gagne, imposer sa bulle, être adorée, go(o)disée « meilleur ami de l’homme »), et cette impression de flotter, Glamorous indie rock’n’roll, « like a feather in a beautiful world », et cette manière de ne pas trop trancher entre pop/rock, papa/maman, UK/USA, indie/mainstream et cette façon d’emprunter ce haricot magique pour débarquer dans ta chambre en mode Dawson’s Creep et t’envoyer des sensations évidentes et mélodiques à tous les étages, polochons, soupline, sous leurs bourrasques abrasives, genre : « We don’t like you / We just sant to try you », oui, dans tout ça cette pop made in (madeleine ?) England me rappelait des trucs sans que j’arrive à mettre le doigt dessus. Une bulle oui, un baiser, un air de déjà vu, tombé du ciel, à la Donnie Darko, sans passé ni avenir. Begin, rewind. Playground Love. Strange Paradise. Comme un jus de fruit + une touche de lait (Apples + Oranges ? Raindrops + Sunshowers ?)

Et c’est con à dire mais ce pop-rock raide (Ride ?) comme s’il avait les Jesus & Mary Chain et My Bloody Valentine dans le cul (raide mais qui n’a pas peur de dérouler sa dreamaturgie par paliers, en spirales, comme dans le mille-feuille de 8 min de « Sunday »), ce pop-rock bien senti(mental), j’aime. Et c’est con à dire car dans ce genre de pop-rock anglophile se trame toujours un érotisme emo (Without you mon nom-brille), un repli sur soi (Nowhere ?) et des disques (The Cure, New Order, U2, Radiohead, The Smashing Pumpkins, Interpol, The Verve, The Dandy Warhols, Placebo, Keane, The Killers, Nada Surf, Death Cab, etc.) qu’on s’était presque juré de laisser sur l’étagère (Billy !). Voilà, c’est ça, c’est régressif. Mais comme Ramzy le dit du « Grazie Mille » de Patrick Sébastien, ce au grand dam d’Eric : « J’aime bien, j’aime bien ! » Et qu’importe l’air con quand on a l’ivresse ? Le colimasson ?

Ce soir-là j’attendais donc vivement la fin des cours pour aller au concert et que leur pop me cueille comme l’entourage facile d’une bande de potes, l’invite à aller taper la balle plutôt que boire des coups, fumer des clopes. Comme le chantait Astonvilla : « Je m’isole, je cherche que quelque chose / Résonne. » Pour quelques minutes, je fais fi du bar et de toute camaraderie. Je me suis avancé et, appuyé bras croisés contre un mur, je suis focus (ficus ?). Comme une fée Clochette, sylphide, Pauline scintille. Basse blanche. Robe noire. Sa beauté talismane envoie de bonnes ondes. Belle image « on the silver screen », ça aide. Mi-libertine mi-tour d’ivoire, je me demande si le reste de leur répertoire va m’embarquer comme « Sunday » (« C’mon Billy ! »), si je vais rester critique ou être pris par la main…

(INTERVIEW.)

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